Enseignant·e·s chercheur·e·s en études sur le genre dans différentes disciplines, nous constatons avec regret que l’abandon des ABCD de l’égalité est largement compris comme un recul du gouvernement et présenté comme une victoire par les adversaires d’une supposée théorie du genre.
Nous prenons acte de la volonté annoncée par le Ministre dans un communiqué de presse d’amplifier l’action pour l’égalité des filles et des garçons à l’école, et ne pouvons que nous réjouir à l’annonce d’un programme ambitieux qui généraliserait les actions entreprises à l’ensemble du système éducatif.
Nous remarquons toutefois que le projet limité et fondé sur le volontariat des ABCD de l’égalité a fait l’objet d’oppositions, de malentendus et d’exploitations dommageables, portant atteinte à l’image de l’école et aux fondements du vivre ensemble. On peut donc craindre qu’une extension hâtivement préparée, trop peu nourrie par des connaissances scientifiques et une réflexion critique ne produise de nouveaux malentendus et ne soit instrumentalisée à des fins politiques et idéologiques.
Parmi plusieurs motifs d’inquiétude, nous attirons l’attention sur les points suivants :
le calendrier et les moyens mis en œuvre demeurent flous : comment, par qui et sur quelle base seront formés « tous les enseignants, de la maternelle au lycée » ? ou encore les inspecteurs de l’éducation nationale, les inspecteurs académiques et les inspecteurs pédagogiques régionaux ?
la préparation des enseignant·e·s et intervenant·e·s reste imprécise, or une formation préalable solide est indispensable, quelles que soient la valeur et la motivation des personnes impliquées, pour faire face aux réticences et aux incompréhensions.
La proposition d’outils « prêts à l’emploi » (modules, mallettes) ne constitue pas une solution à la hauteur de l’enjeu. Un site, même bien fait, ne permet pas de répondre aux interrogations, aux contradictions, aux peurs que peut déclencher la question de l’égalité des sexes chez des élèves, des familles et les différents acteurs du système éducatif. La mise en œuvre de l’égalité peut-elle relever d’un prêt-à-penser ?
L’accent mis sur le rappel des valeurs et des lois, sur l’organisation de la vie scolaire et sur les projets d’établissement laisse dans le vague ce qui concerne la transmission des savoirs et les contenus disciplinaires. Or il ne suffit pas d’affirmer des principes généreux pour que l’égalité soit effective. Pour comprendre à quels obstacles elle se heurte, pour combattre les discriminations et les préjugés et transformer les rapports sociaux, un examen critique de tous les champs de la connaissance et une transformation des disciplines est nécessaire. Si les savoirs transmis à l’origine de l’inégalité demeurent inchangés, la visée d’égalité reste proclamation de façade. La diffusion des études genre est un moyen pour aller vers plus d’égalité.
Il n’y a pas eu de consultation préalable des spécialistes qui ont travaillé sur le sujet et auraient volontiers contribué, par leurs compétences et leur expérience, à l’élaboration d’un projet éducatif appuyé sur les recherches récentes.
Le corpus des savoirs produits dans les études genre des dernières décennies peut être aujourd’hui transmis et intégré dans les programmes disciplinaires et transdisciplinaires.
Soucieuse de diffuser les études genre avec la plus grande exigence critique, et de promouvoir les valeurs d’égalité, la Fédération de recherche RING souhaite :
Que les spécialistes et enseignants-chercheurs sur le genre soient associés à la refonte des programmes.
que soient mises en place des formations de formateurs faisant appel à des compétences spécialisées.
que le genre soit intégré dans la formation initiale et continuée, non seulement pédagogique, mais disciplinaire, des enseignants et aux métiers de l’éducation.
que le genre soit intégré dans toutes les formations de l’enseignement supérieur.
que le rapport Égalité entre les femmes et les hommes. Orientations stratégiques pour les recherches sur le genre rédigé par un groupe de travail du MESR en novembre 2012 et remis à la Ministre ne demeure pas lettre morte et serve de base de réflexion.