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Soutenance de thèse

Mélanie Gourarier, "Homosexualité, sida et constructions politiques. Ethnographie des trajectoires entre le Cameroun et la France"

13 avril 2012 - EHESS


Date de mise en ligne : [12-04-2012]



Mots-clés : politique | Afrique | homosexualité


Mélanie Gourarier a soutenu sa thèse intitulée "Homosexualité, sida et constructions politiques. Ethnographie des trajectoires entre le Cameroun et la France" le 13 avril 2012 à l’EHESS-Paris.

Jury :
Jean-Pierre Dozon
Fred Eboko
Eric Fassin
Peter Geshiere
Marie-Elisabeth Handman
Vinh-Kim Nguyen

Résumé :

Ce travail de 4 ans d’enquête entre le Cameroun et la France représente la première somme ethnographique sur l’émergence de la mobilisation homosexuelle dans un pays d’Afrique subsaharienne. Au Cameroun, choix stratégique compte tenu de l’actualité controversée de l’homosexualité dans ce pays, tout commence par l’analyse des ressorts de l’homophobie, en montrant comment la critique de l’Etat impopulaire a instrumentalisée l’homosexualité dans une panique morale et sexuelle. On s’est retrouvé avec un Etat dos au mur qui pour regagner l’estime de l’opinion médiatique a accentué la chasse aux homosexuels en activant une loi jusque là morte. A travers les 5 chapitres de la première partie, le travail explore donc l’irruption de l’homosexualité dans l’espace publique à travers une médiatisation négative (cf affaire des listes) ; dans une démarche d’ethno-histoire, il revient sur l’historicité de l’homosexualité dans l’un des groupes dominant du pays, les Béti. L’analyse montre que la manifestation actuelle de l’homophobie vient de l’intrication des cultures de prohibition de l’homosexualité, dont les interdits "traditionnels" se sont greffés à la culture homophobe du Christianisme (dans le cas des Béti), les deux ayant été entérinés par les lois introduites par l’Etat postcolonial. Cela est intéressant dans la mesure où ces dernières années, les travaux anthropologiques et historiques ont beaucoup travaillé à montrer que les sociétés africaines étaient très tolérantes vis-à-vis de l’homosexualité. Le cas des interdits chez les Béti où cette orientation sexuelle passe pour un acte sorcier "traditionnellement", permet de voir qu’il y a une histoire du rejet de l’homosexualité dont il faut tenir compte dans l’analyse de la situation contemporaine.

Un autre axe d’analyse revient sur les modes d’identification à l’homosexualité dans les ville de Yaoundé et Douala. On y voit la diversité des positionnements et l’étendue des catégories émiques qui allient des formes localisées (nkoandengué, samaroca et mvoë), aux identifications hybrides (gay, vrai/faux nkoandenué, duchesses etc.). La mobilisation et son émergence sont ensuite analysés à partir de 3 études de cas. La première est celle d’ADEFHO, l’association de l’avocate Alice Nkom, qui la première a défendu les homosexuels persécutés ; c’est un modèle de soutien juridique qui par sa revendication des enjeux citoyens (reconnaissance) a eu du mal à rallier les personnes concernées qui ont peur d’être dévoilées. La deuxième concerne Alternatives-Cameroun, qui se spécialisera dans la lutte contre le sida et bénéficiera d’un soutien des associations du Nord notamment françaises ; profitant de la catégorie de santé publique internationale de MSM (mem who have sex with men), le mouvement transtionnel va appuyer la cause des droits humains par le cheval de troie de l’accès aux soins. Cette association va créer le premier centre de prise en charge communautaire pour des personnes aux pratiques homosexuelles en Afrique centrale et de l’Ouest. Une troisième ONG la CAMNAFAW, très ancienne association généraliste oeuvrant dans le planning familial ouvrira ses centres de prévention contre le sida aux personnes homosexuelles sous l’incitation des pairs éducateurs homosexuels et avec le soutien d’une ONG internationale, l’IPPF qui promeut une "sexualité citoyenne". Pour autant, cette émergence du mouvement associatif ne se fait pas sans heurts dans la mesure où une résistance farouche notamment d’une partie de l’église Catholique organisera une contre-offensive usant de stratégies morales sexuelles pour délégitimer les nouvelles mobilisations. Entre les deux acteurs, l’Etat est dans un premier temps contraint à la neutralité, puis participe de la démobilisation dans un second temps.

La seconde partie de la thèse (4 chapitres) concerne les "homo-mobilités" ; elle restitue prioritairement les parcours des "migrants homosexuels" vers la France à travers 3 catégories : les "aventuriers" qui sont partis de leur pays pour chercher de meilleures conditions économiques et qui vivent leur homosexualité en migration. Ensuite, les "nomades sexuels" qui constituent une catégorie construite à partir des expériences des personnes qui circulent entre le Cameroun et la France et pour qui vivre une homosexualité n’est pas possible hors de cette circulation. C’est aussi une variante de la circulation des "élites homosexuelles". Enfin, les "réfugiés sexuels" qui sont partis explicitement pour échapper à la persécution et qui affrontent en France la politique de l’asile. Cette catégorie fait l’objet d’un chapitre à part qui restitue certains parcours connus à l’ARDHIS (association pour la reconnaissance du droit au séjour et à l’immigration des homosexuels). Une partie de l’analyse de la situation de "ceux qui cherchent des papiers" par l’homosexualité concerne le travail mené par l’ensemble des membres de l’association à travers la "permanence asile". Elle interroge ce travail associatif, notamment le rôle des bénévoles dans la production des récits, la position de leadership de l’association sur cette question spécifique des "réfugiés homosexuels" et les interactions avec l’administration de l’asile dont le travail est aussi questionné par ces deux représentations que sont l’OFPRA et la CNDA.

Deux autres chapitres portent respectivement sur les rapports des migrants homosexuels avec le milieu conventionnel homosexuel de Paris ; le premier analyse le positionnement des migrants par rapport aux espaces "identitaires" comme le Marais et le milieu associatif. Il s’attarde aussi sur la façon dont ces migrants se situent dans les milieux communautaires africains recomposés. Il apparait deux éléments : d’une part, la spécificité des trajectoires individuelles qui poussent certains vers le milieu gay plutôt que vers les espaces africains ; ceux qui répondent à ces trajectoires "assument" plus souvent leur homosexualité en contexte migratoire. Très souvent ceux/celles là étaient deja au Cameroun ouvertement (de façon connue) comme homosexuel. D’autre part, ceux/celles qui ont des liens prioritaires avec les groupes communautaires migrants, dont ils dépendent pour le logement, parfois la survie quotidienne ou dont ils sont redevables dans la migration, ceux/celles là restent quasiment dans la même configuration qu’au Cameroun, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de rupture dans leur façon de vivre l’homosexualité qui demeure cachée.

Le dernier chapitre de la thèse questionne le risque sida pour les migrants homosexuels. Il apparait là aussi au moins 2 points qui méritent notre attention : d’un côté, les autorités sanitaires ont du mal à faire passer un message et une action de prévention auprès de ce groupe "homo-migrant" africain qu’elle ne connaissent pas bien ; une situation que l’impossibilité des "statistiques ethniques" dans les études épidémiologiques renforce. De l’autre, les associations historiques de lutte contre le sida des migrants boudent considérablement le groupe "africain homo" auxquel elles tardent à s’adresser lors des actions de prévention. A cela il faut ajouter des rapports ambivalents entre les "homo africains" et les associations gaies historiques ; il y a d’une part, une abrogation apparente de la question "ethnique" sensible dans les mobilisations transnationales et le soutien apporté aux homosexuels sur le continent africain par les associations françaises, et d’autre part une stigmatisation de l’homosexuel africain dans certains milieux gays, à défaut d’ignorance de ses tentatives de se constituer en sujet d’une mobilisation. Cela est perceptible notamment avec l’association "Afrique-arc-en-ciel" association d’homosexuels africains que j’étudie à côté de "Tjenbé Rèd", l’association afro-caribéenne, deux ensembles dont la voix demeure pour le moins inaudible et ignorée par les associations dominantes de l’espace gai. Par exemple, et pour terminer sur les ambivalences du militantisme homosexuel, comment expliquer qu’une association comme Aides ne fasse rien en synergie avec ces deux associations impliquant des africains, alors même qu’elle est omniprésente sur la question homosexuelle en Afrique à travers le réseau "Africa-gay" ? Cette thèse interroge donc aussi et cela constitue un de ses apports théoriques majeurs, la géo-politique des mobilisations homosexuelles à travers les ambivalences postcoloniales ; notamment le rôle controversé du réseau "Africagay" entre ressources, contraintes et tensions postcoloniales.

Mots-clés :

migrations sexuelles, trajectoires homosexuelles, réfugiés sexuels, Africain homosexuel, tensions postcoloniales, globalisation sexuelle, sida, associations homosexuelles, Cameroun.

Contact :

melanie.gourarier@yahoo.fr

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