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Erotisme et sexualité dans les arts du spectacle vivant

Avant le 18 mai - Paris 8


Date de mise en ligne : [06-05-2014]



Mots-clés : érotisme | sexualité | arts


Journées des jeunes chercheur(e)s : érotisme et ethnoscénologie, organisées par le Laboratoire d’ethnoscénologie Université Paris 8
Vincennes-Saint-Denis Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord Société Française d’Ethnoscénologie

Responsables scientifiques :

Paul Forigua (doctorant en études théâtrales, Paris 8, MSH-Paris Nord) ; Pierre Philippe-Meden (Dr. ethnoscénologue, Paris 8, MSH-Paris Nord).
23 et 24 octobre 2014

Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord (USR3258)

Argumentaire :

Longtemps ignoré par les historiens du théâtre, cette thématique est aujourd’hui prise en considération dans le mouvement de renouveau de l’historiographie théâtrale et l’ethnoscénologie. Les théories du théâtre constituent en elles-mêmes des objets anthropologiques. C’est ainsi qu’ont dominé en Europe une vision le plus souvent littéraire, philosophique et intellectualiste des arts du spectacle vivant, aux dépens de l’analyse des modalités de leur mise en œuvre. L’idée d’un théâtre essentiellement textuel et respectable s’est construite depuis la Renaissance.
Partant de ce constat que dans toutes les sociétés humaines la sexualité et l’érotisme sont présents dès l’origine même du spectacle vivant, et se retrouvent aujourd’hui sous diverses formes, comment peut-on analyser cette situation à partir des trois notions clés de l’ethnoscénologie :

- La spectacularité, ou ce qui se passe dans la tête de celui qui regarde (J. Grotowski),
- La performativité, ou ce qui relève de l’ordre des conduites et des comportements de la personne qui vit le phénomène (R. Schechner),
- Le rapport symbiotique, ou ce qui est de l’ordre de la relation.

Les historiens, les anthropologues et les psychanalystes s’accordent pour constater que dans toutes les sociétés humaines le regard et les interactions visuelles sont très contrôlées. Ils jouent de plus un rôle majeur dans la vie sociale - les rapports hiérarchiques -, et le choix des partenaires sexuels. Les éthologistes ont mis en évidence l’importance de l’apparence – qualités physiques, état des caractères sexuels secondaires, « beauté » des plumages et de la fourrure. Au moment de la pariade, les mâles adoptent des comportements spectaculaires, - chants mélodieux, danses -, de telle sorte que les femelles reconnaissent et choisissent les meilleurs géniteurs. De tout temps, ont existé des spectacles dans lesquels femmes et hommes se donnaient à voir comme objets sexuels. Si l’appétence sexuelle est une donnée biologique, un universel de l’espèce animale, l’érotisme est une variable aléatoire, une notion socialement, culturellement, définie. L’aisthésis est dans l’espèce humaine le moyen de transcender sa fatalité biologique. Tout art étant à la fois multifactoriel et multisensoriel, même si l’on dénote la prééminence d’un sens ou d’une instance biologique, le fatum biologique transformé en art implique l’ensemble de la sensorialité et par conséquent l’esthétique, au sens de plaisir né de la perception de la beauté.
L’érotisme n’ayant pas été considéré comme un art, mais comme une conduite privée, il n’est pas explicitement enseigné, sinon dans certaines micro-sociétés, par exemple dans les écoles de Môhiniyâttam (Mathou, 2011). L’absence d’éducation à l’érotisme conduirait-elle à une société désolidarisée, discordante, barbare où la drogue compenserait la carence orgasmique ? (Andrieu, 2013) Sur le plan biologique, la générosité, et par conséquent l’altruisme, est une fonction fondamentale dans l’espèce humaine. L’amour altruiste produirait plus d’anticorps que l’amour consommation. L’absence d’altruisme, y compris dans la sexualité, fait qu’un même objet perd de sa valeur. L’amour consommation, à l’image de l’hyper-production, et la sensorialité/sensualité sont antinomiques. Si la sexualité relève du fatum biologique nécessaire à la reproduction, l’érotisme en est la maîtrise, son éducation, un élément nécessaire à l’humanisation.
Les théoriciens européens du théâtre ont généralement négligé cette dimension historique et anthropologique au profit d’une théorie ritualiste et liturgique de l’origine du théâtre. À la différence des légendes qui, dans d’autres cultures, attribuent la naissance du théâtre au plaisir éprouvé par les dieux devant la nudité d’une danseuse (No du Japon), les contes salaces ou merveilleux, les mimes zoomorphes ou érotiques, les épopées chantant l’amour. Il est intéressant de noter que l’attribution des rôles féminins à de jeunes garçons est venue de la décision de faire cesser l’excitation érotique des spectateurs qui prenaient plaisir aux extravagances lascives des actrices-danseuses. Par exemple, au Japon, les origines du No sont moins le rituel que le strip-tease d’une nonne devant les dieux ; les moniales interprètes du Kabuki joueront des scènes érotiques explicites qui auront tellement de succès que les femmes seront remplacées par des hommes. De même, dans l’histoire du théâtre élisabéthain est souvent ignorée l’influence du travestissement des garçons (play boy) en femmes dans l’engouement pour la construction d’une culture de l’homosexualité. Toute forme d’art n’exerce-t-elle pas une séduction sur le public et exprime le désir sexuel (Ogai, 1909) ?
Du point de vue historique, au XVIIe siècle, en France, la condamnation du théâtre a été argumentée à partir d’éléments de morale sexuelle. Bossuet évoque dans sa lettre du 9 mai 1664, au Père Caffaro, le théâtre comme lieu de concupiscence de la chair, concupiscence des yeux, où tout est sensualité, curiosité, ostentation, orgueil et plaisir ! En développant l’idée que les comédiennes s’offrent en esclave devant la concupiscence des hommes, Bossuet démontre une des sources éthologique du spectacle vivant : la pulsion scopique ! Le Rituel de Toulon (1780) réédité jusqu’à la fin du XIXe siècle explicite comment se rendre au théâtre conduit au péché mortel (Pradier, 2005). Condamné par l’Église, le théâtre n’en continu pas moins de se sexualiser. Si les ouvrages de morale condamnent le spectacle vivant en raison de la dépravation des mœurs, des pièces à l’image de Phèdre, implicitement érotiques, sont transformées en pièces purement littéraires où le texte est premier par rapport à ce que dit le corps... si bien que dans le jeu des acteurs Phèdre est souvent présentée comme une hystérique, femme sexuellement exaltée. Afin de correspondre au programme de littérature dans les collèges et lycées, la dimension érotique du théâtre classique se trouve effacée.
L’exotisme dans les arts et les lettres a permis de développer une érotique de la scène. Bougainville évoque les chants et la danse qui en Océanie sont toujours accompagnées de postures lascives qui rappellent à chaque instant les douceurs de l’amour : « tout crie de s’y livrer » (Bougainville, 1771, p.213). Diderot montre comment les « Tahitiens, abusés par les cruels Spartiates en jaquette noire que sont les missionnaires, apportent les éléments d’une érotique fondée sur le respect de l’énergie vitale » (Pradier, 1997, p.303). Les sauvages, selon l’opinion commune, ne seraient pas touchés par la question de la pudeur (Duerr, 1988). Ce sera le choc des missions en Afrique où la nudité devient moment d’exhibition. Les villages noirs et les zoos humains (Garrigues et Lévy, 2003), de grandes expositions ethnographiques et coloniales, la diffusion de nouvelles danses exotiques (Décoret-Ahiha, 2004), alimentent le rêve d’une sexualité libérée. Littérateurs, artistes et esthètes migrent vers Monte Verita (Colomer, 1996 ; Noschis, 2011) et d’autres communautés artistiques, anarchistes, hygiénistes, végétariennes, naturistes, libres et nues, où peuvent s’inventer d’autres modalités de « créer ensemble » (Autant-Mathieu, 2013). Alors que Berlin devient la République du Strip-tease (Gordon, 2000), Margaret Mead décrit dans Mœurs et Sexualité en Océanie (1928) « une sexualité libre et heureuse : garçons et filles peuvent nouer plusieurs relations à la fois ou pratiquer l’homosexualité, et tout cela est accepté par la société samoane » (Meyran, 2003). L’anthropologue américaine n’imagine-t-elle pas là une société qui serait le contrepoison du puritanisme ?
La recherche d’une esthétique érotique s’épanouit à la Belle-Époque, alors que le peintre Paul Gauguin s’éteint en 1903 après avoir vécu le rêve du bon sauvage à la compagne vêtue d’une robe diaphane qui ne cache en rien sa nudité (Segalen, 1907). La danseuse américaine Isadora Duncan fait figure d’indépendance absolue en dansant pieds nus pour les hommes du monde : « Si mon art devait être symbolique de quelque chose, ce serait de la liberté de la femme et de son émancipation vis-à-vis des préjugés qui sont la lice et la trame du puritanisme [...]. La nudité est authentique, c’est de la beauté, c’est de l’art [...]. Mon corps est le temple de mon art » (Duncan, 1922, p.104). Le culturiste Edmond Desbonnet multiplie les clichés photographiques de ses clients, hommes et femmes, mais pour la plupart de forts grands moustachus qui contribuent à l’industrie culturelle pornographique gay (Sn., 1993). Traduisant ses influences orientales dans le monde de la mode, le couturier Paul Poiret est le premier à proposer de libérer le corps de la femme avec la robe qui se porte sans corset (Vigarello, 2007). La plupart des actrices font alors profession de demi-mondaine, au tel point que dans certaines langues, comme au Liban, le mot « actrice » est devenu synonyme de prostituée. Venue au théâtre après s’être plus ou moins prostituée, collectionnant les amants célèbres parmi lesquels Gustave Doré, Jean Richepin, Jean Lorrain, Catulle Mendès, mais aussi Louise Abbéma, la comédienne Sara Bernhardt devient la tragédienne la plus célèbre de l’époque, acclamée, portée en triomphe et comblée d’honneurs. Joséphine Baker, ses bananes, ses plumes et ses roulements d’yeux se découvrent dans les music-halls de Paris en 1925, devenant un mythe pour ses spectateurs (Perault, 2007). Colette après s’être illustrée dans quelques mimodrames érotiques, devient la première femme élue à l’Académie Goncourt en 1945 qu’elle présidera en 1949. Et que dire des scènes érotiques médicalisées, celles par exemple de la Salpêtrièreoù s’exerce le voyeurisme scientifique de Charcot ? (Gordon, 2013)
Elaboré à partir de la notion de performance (Biet et Roques, 2013), ce qu’on appelle le performatif est au cœur de l’humanitude. Il se retrouve dans toutes les instances de la vie individuelle et sociale. Or, il apparaît que le spectacle vivant constitue des sortes de maquettes anthropologiques des sociétés, en ce qu’il représente ce que l’on pourrait appeler des fondamentaux culturels : « le théâtre est une maquette anthropologique du rapport des sexes, où entre en jeu biologie et sexualité, modèles de société et bonnes mœurs » (Pradier, 2000).

Modalités de sélection :

La périodisation et le champ géographique ne sont pas délimités.
Une attention particulière sera portée aux recherches sur les malentendus culturels et les incarnations de l’imaginaire (idéologies laïques ou religieuses : croyances, sagesses, etc. et savantes : médecines, sciences, etc.), ainsi que les thèmes relatifs aux handicaps, aux scènes de la culture LGBT et de la postpornographie. Les travaux sur les archives et les traductions seront privilégiés.
Les documents : résumé et notice biographique sont à envoyer avant le 18 mai 2014 aux deux adresses : Charlotte Ricci : cricci@etud.univ-paris8.fr et Pierre Philippe-Meden : pierre.philippe- meden@mshparisnord.fr.

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