Pour un prochain numéro de la Nouvelle Revue de Psychosociologie
Sous la direction de Jacqueline Barus-Michet et Pascale Molinier
Argumentaire :
Le genre, comme système de représentation sociale, fait de la différence anatomique des sexes le marqueur selon lequel une société ordonne et hiérarchise ce que l’on est censé être ou faire afin d’être reconnu en tant qu’homme ou femme. Ces différences sexuées s’imposent à chaque étape de la vie et dans tous les domaines d’expérience : activées à travers des modes d’éducation particuliers, appellations, habillages ou jeux puis renforcées par des apprentissages et des activités spécifiques, puis invoquées comme fait de nature pour légitimer une division du travail qui attribue aux uns les positions de pouvoir, et assigne aux autres la compassion et ses devoirs. Le genre donne aux hommes, soi-disant par disposition naturelle, vocation à la liberté et à l’autonomie, droit à la parole, à l’affirmation politique et de même un accès à la jouissance, dont les femmes seraient symétriquement dépourvues. En fixant les formes autorisées de la féminité et de la masculinité : fonctions sociales, rapports entre les sexes et sexualité, le genre stigmatise et sanctionne celles et ceux qui paraissent contester ces normes. Après avoir été dites sorcières ou hystériques, elles sont aujourd’hui taxées d’extravagance transgressive ou de déviance pathologique, que ce soient les femmes âgées sexuellement actives, les féministes, les homosexuels des deux sexes, les transgenres ... celles ou ceux qui, selon la formule de Judith Butler, viennent troubler le genre en affirmant une sexualité, des projets de vie non conformes, habités de fantasmes non seulement ordinairement refoulés mais inadmissibles.
Que signifie, aujourd’hui, prendre en compte le genre dans une perspective psychosociale ? La question se pose à un double niveau : celui du sujet, sa libido et ses fantasmes, et celui de la science entendue ici comme discours « marqué » par le genre.
1 – Le processus "nature/culture" est interactif et indivisible. Avant d’être des sujets, nous sommes d’abord des corps lus et désirés comme genrés. Mais les sujets s’incarnent et se sexualisent dans un système social encore plus complexe. Ils se construisent au point de tension ou de conflictualité entre, d’un côté, les exigences pulsionnelles et de l’autre côté, les contraintes sociales dont le genre n’est qu’une des dimensions, intriquée avec celles de la classe, de l’origine confessionnelle ou géographique... Comment rendre compte de cette intrication dans la construction des sujets et dans les formes contemporaines de subjectivation, voire dans les nouvelles formes de psychopathologie ? On accordera un intérêt particulier aux évolutions du rapport à la sexualité pour les femmes. En effet, s’il n’existe qu’une seule libido, comme l’a théorisé Freud, on constate un réel embarras à désigner la sexualité féminine en dehors de la passivité et de l’association étroite des femmes à la sphère de la reproduction ou aux formes sublimées de la tendresse et du soin. Tout ce qui relèverait de la jouissance continue d’être attribué au versant maléfique et non intégré du féminin et ce depuis la figure de Lilith.
2 - Le genre est une formation sociale transversale aux institutions – famille, école, église, entreprise, partis politiques – et la science n’y échappe pas : l’histoire s’est d’abord écrite sans les femmes, la primatologie sans s’intéresser aux femelles, la biologie en sexualisant abusivement les hormones, l’ethnologie, la sociologie en privilégiant la distribution du pouvoir dans des sociétés d’hommes, la psychanalyse en rabattant le développement de l’individu comme celui de la société sur la figure du père.
Que dire, de ce point de vue, des théories en psychosociologie ? Quelle place y fait-on aux femmes ? C’est-à-dire aux différentes femmes – selon leur âge, leur capacité de reproduction, leur orientation sexuelle, leur origine sociale - et ceci pour éviter d’en faire une catégorie indifférenciée mais pour tenir compte de la variabilité de leurs situations. Faut-il appréhender leurs expériences selon des conceptualisations qui ont été construites à partir de et pour les hommes ? Nous pensons en particulier aux thèmes clés du pouvoir, du politique et de l’action, du travail. Mais aussi à des champs peut-être moins traités que le rapport au corps et à ce qu’il induit d’un rapport différencié à l’espace et au temps.
La psychosociologie relève du paradigme de la recherche-action : les psychosociologues, sur leurs différents terrains – notamment l’école ou le travail – repèrent-ils les incidences du système de genre et, le cas échéant, cherchent-ils à en pallier les effets délétères ? Comment, en particulier, ne pas contribuer à reproduire les représentations et les discours péjoratifs sur les femmes, leur subordination ?
Du point de vue de la pratique, comment l’intervention tient-elle compte de la part faite aux hommes dans le travail , des rôles traditionnellement féminins assumés par des hommes ou inversement de la nouvelle ouverture des rôles considérés comme masculins à des femmes ? Et, dans la formation, quelle part est-elle faite aux problèmes de genre dans les pratiques diverses qu’ils travaillent ou accompagnent ?
Intervenants ou formateurs comment réfléchissent-ils eux-mêmes, dans leurs postures, le questionnement du genre ? Plus largement, la période actuelle montre bien, autour des polémiques sur l’homoparentalité, la filiation, la constitution de la famille, la place du père, etc., que différents « récits scientifiques » s’affrontent à l’intérieur de la psychanalyse et des disciplines qui s’y réfèrent, sans parler des croyances religieuses qui en font argument, et qu’une analyse critique du genre s’inscrit de plain-pied dans le politique.
Ce numéro a pour vocation d’accueillir toutes les contributions qui reprennent sous l’angle du genre, la question de la conflictualité entre le social et le Sujet en accordant un intérêt privilégié aux disciplines cliniques (psychosociologie et sociologie clinique ; psychologie et psychodynamique du travail ; psychanalyse), sachant que les travaux sur le genre ont été plus amplement développés dans les sciences sociales (sociologie du travail, sciences politiques...). Or, le genre, au-delà de ses fonctions sociales bien connues de domination des femmes et de tous les humains non conformes au canon de la virilité, joue également une fonction psychologique, mais quelle est-elle ? La virulence des débats autour des transformations sociales de la famille et de la parentalité suggère que le genre pourrait occuper une fonction défensive crispée sur l’identité pour dénier l’autonomie et la complexité du Sujet.
N’existe-t-il pas une matérialité des corps sur lesquels viennent buter et s’accrocher des fantasmes qui alimentent des métaphores culturelles comme celle du sexe perforant de l’homme ou du sexe contenant ou dévorant de la femme ? Or ces fantasmes, en dépit de leur prégnance, évoluent, se transforment. C’est ce que montrent les formes de cultures populaires, en particulier la science-fiction, qui retravaillent les figures genrées, déplaçant celles du féminin et du masculin, mais aussi inventant d’autres genres, d’autres sexualités ou d’autres configurations reproductives. La fantaisie et l’inventivité des fictions peuvent peut-être nous aider à imaginer les relations entre humains sous un angle plus souple et plus favorable à chacune. Ainsi sera-t-on également attentif aux propositions provenant de disciplines comme les études culturelles, la sémiotique ou la littérature, les arts contemporains.
Nous vous remercions de bien vouloir nous faire parvenir votre intention de communication (sous la forme de deux pages maximum) avant le 15 mai 2013, par email, aux adresses suivantes :
AA/ j.barus@orange.fr ; pascalemolinier@gmail.com CC/ amado@hec.fr ; pauperez81@yahoo.fr