Colloque organisé par Catherine Brun et Todd Shepard
Sorbonne nouvelle – Paris 3 (EA 4400 « Écritures de la modernité, Littérature et sciences humaines » / CNRS) et Johns Hopkins University (Program for the Study of Women, Gender, and Sexuality), en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France et l’Institut du Monde Arabe.
Argumentaire :
Stéphane Audoin-Rouzeau a souligné le paradoxe que constitue la survie du stéréotype de virilité corporelle et morale du combattant, alors que les guerres occidentales du XXe siècle ont « démembré » l’homme en portant atteinte aux formes de la masculinité traditionnelle, avec une virulence encore accrue quand était déniée à l’ennemi l’appartenance à une humanité commune. La guerre dite « d’Algérie » côté français, « de libération nationale » côté algérien, pourrait en être le parangon : exacerbation des postures viriles et des appels à l’honneur d’une part, multiplication des atteintes à leur siège de l’autre. Les représentations sexuelles obsèdent les discours et les figurations. Ce colloque, international et pluridisciplinaire, voudrait interroger, au-delà de la sexualisation attachée à tout épisode belliqueux, cette omniprésence du sexe dans les représentations de la guerre d’Algérie. Si des travaux existent, qui ont tenté de dire la réalité des exactions, et plus particulièrement de la torture et des viols, peu prennent pour objet la sexualisation du conflit, qu’il s’agisse de féminiser l’ennemi ou de surviriliser le pouvoir. Or viols (des femmes comme des hommes), émasculations, bâtardises, exacerbations viriles, tortures ciblées, outrages sexuels des cadavres, commerces des corps ne sont pas simplement des lieux communs des guerres.
Ils méritent d’être recontextualisés, d’être resitués entre la stigmatisation de « l’impulsivité criminelle chez l’indigène algérien », caractéristique de la psychiatrie coloniale de l’École d’Alger, qui construit la figure de sauvages amoraux, primitifs et violents, et les anathèmes des Cassandres de « l’invasion arabe », qui postulent à la fin des années 1960 les prétendues perversions des immigrés algériens pour mieux tenir en échec les revendications montantes de révolution sexuelle et politique.
Ils valent d’être spécifiés, et comparés. Les viols de la guerre d’Algérie, pour profanatoires qu’ils aient été, n’ont pas les caractéristiques de ceux perpétrés en ex-Yougoslavie[. Les mutilations et exhibitions de cadavres doivent être examinées comme autant de « véhicules discursifs » et la dimension sexuelle des tortures doit être pensée dans sa centralité. L’obsession virile, celle du gain ou de la perte de la puissance, exige d’être appréhendée comme une construction stratégique, politique, symbolique, anthropologique. Rappelons comment les Européens d’Algérie ont pu être accusés de personnifier une « masculinité hors normes », tantôt virile à l’excès, tantôt invertie, de sorte à mieux les distinguer des Français métropolitains et à leur dénier la qualité de « vrais » Français.
C’est donc aux confins des disciplines, entre anthropologie, psychanalyse, littérature, arts de l’image, histoire, qu’il faudra tenter de penser la vectorisation sexuelle de ce conflit, de ses figurations et de ses mémoires – de ses hantises. Quelles représentations du sexe ? de la violence sexuelle ? Quelles constructions identitaires ? génériques ? Quelles genèses et quelles postérités de cette sexualisation massive ? Dans les mémoires, dans l’imaginaire, dans l’organisation socio-politique de la nation ? Quelles singularités et quelles comparaisons ?
Modalités :
Les propositions de communication (300-500 mots) sont à envoyer en anglais ou en français à Catherine Brun (catherine.brun@univ-paris3.fr) et Todd Shepard (tshep75@jhu.edu), accompagnées d’un titre et d’une courte notice biobibliographique, avant le 15 juin 2013. Les auteurs seront informés de la décision du comité au plus tard le 30 juillet 2013. Le colloque, qui se déroulera en français à l’automne 2014, donnera lieu à publication.