RING


Accueil > Actualité du genre > Appels à contributions > L’homosexualité dans l’espace public

Appel à contributions

L’homosexualité dans l’espace public

Avant le 30 septembre - revue Politique africaine


Date de mise en ligne : [01-09-2011]



Mots-clés : Afrique | homosexualité


Revue Politique Africaine

Dossier coordonné par Christophe Broqua, à paraître en juin 2012

Présentation :

Si les pratiques homosexuelles existent probablement de longue date en Afrique, c’est seulement récemment que, dans différents pays, l’homosexualité a émergé dans l’espace public. Pendant longtemps, en effet, a dominé l’idée pourtant fausse d’une Afrique purement hétérosexuelle. L’histoire de la recherche et des mobilisations collectives liées au sida atteste à elle seule de la force de cette occultation, la question de la transmission homosexuelle du VIH en Afrique n’ayant pas été posée pendant les vingt premières années d’épidémie.
Sans doute peut-on voir dans les événements politiques survenus en Afrique du Sud durant les années 1990 l’un des déclencheurs de cette séquence historique récente de publicisation de l’homosexualité, marquée par l’émergence de controverses politiques ou médiatiques et de mobilisations collectives. En devenant en 1996 le premier pays au monde à proscrire toute discrimination liée à l’orientation sexuelle dans sa Constitution, avant de légaliser le mariage homosexuel dix ans plus tard, l’Afrique du Sud rendait visible l’existence de l’homosexualité sur le continent, par l’entremise du débat et de la décision politiques. En même temps que cette reconnaissance et que les mobilisations qui lui avaient préexisté en Afrique australe, des manifestations publiques d’hostilité faisaient leur apparition dans la région, à commencer par les déclarations célèbres du Président du Zimbabwe, en 1995, qui reprochait aux homosexuels de se comporter de manière pire que des chiens ou des porcs et en appelait aux valeurs africaines traditionnelles contre la visibilité ou la mobilisation homosexuelles.

Au cours de la décennie 2000, le voile a continué d’être levé sur l’homosexualité en Afrique, au travers des recherches qui se sont multipliées, des mobilisations qui ont émergé, mais aussi et surtout des événements qui ont parfois précipité le débat public autour de controverses médiatiques retentissantes, comme par exemple en 2006 au Cameroun et en Ouganda, ou en 2008 au Sénégal. De cette série de scandales publics a découlé une vision catastrophiste du continent conforme à celle, plus générale, que l’on range sous le vocable d’« afro- pessimisme ». En quelques années, l’Afrique est devenue le continent « homophobe » par excellence, dont il est souvent rappelé que plus de la moitié des pays condamne légalement l’homosexualité (par la peine de mort dans quatre d’entre eux), la thématique n’étant généralement évoquée qu’au travers de faits de violence et de drames : assassinats, emprisonnements, viols correctifs, campagnes médiatiques ou adoption de lois contre les homosexuel-le-s, prévalence considérable du VIH dans cette population, etc.

L’objectif de ce numéro est de rendre compte des conditions, des formes et des enjeux de la publicisation progressive de la question homosexuelle dans maints pays d’Afrique, en dépassant une vision trop exclusivement catastrophiste, sans pour autant nier les problèmes qui existent.

Il s’agira tout d’abord d’éclairer certains des événements qui ont défrayé la chronique, en leur rendant toute leur complexité mais aussi toute leur singularité, contre l’idée trop souvent suggérée d’une essence africaine de l’hostilité à l’homosexualité. Il serait par exemple intéressant de retracer l’histoire de l’élaboration et de la mise en œuvre des lois pénalisant les pratiques homosexuelles, en montrant ce qu’elles doivent aux politiques coloniales. Il est certes vrai que, contrairement à l’Amérique latine par exemple, où tous les pays ont à présent dépénalisé l’homosexualité et où certains offrent des droits spécifiques, aucun pays d’Afrique où il en existe n’a aboli ses lois en la matière, et certains en ont même introduites récemment, comme par exemple le Burundi en 2009. Toutefois dans ce domaine, l’Afrique est plurielle ; il s’agit même du continent qui présente la plus grande diversité de situations, allant d’un pays où les droits accordés aux homosexuel-le-s sont parmi les plus avancés au monde (Afrique du Sud) à d’autres où les mêmes personnes encourent la peine de mort. Mais en même temps, il importe d’éclairer la complexité et, souvent, l’ambivalence de chaque configuration locale. Par exemple, en Afrique du Sud, où les droits sont garantis, se posent des problèmes de violence considérables. Tandis que dans certains pays où l’homosexualité est condamnée par la loi, elle peut parfois s’exercer sans problème majeur, y compris dans certains de ceux qui la sanctionnent par la peine de mort.

Dans les cas où l’on constate des phénomènes massifs de stigmatisation, il serait utile d’analyser en détail leurs conditions de possibilité, en tenant compte de la pluralité des positions qui s’affrontent. Dans certains pays où des arrestations ont lieu et où il arrive que les médias s’emballent, certains chefs d’États sont parfois intervenus pour calmer le jeu (comme au Cameroun), tandis que dans d’autres, au sujet desquels il est convenu de parler d’« homophobie d’état », ce sont les dirigeants qui organisent la stigmatisation. À cet égard, au delà de la volonté souvent mise en avant d’utiliser l’homosexualité comme épouvantail pour détourner l’attention des populations de problèmes plus graves, il s’agirait de montrer ce qui rend possible les mobilisations populaires contre les homosexuel-le-s, tant au niveau des formes de nationalisme culturel régulièrement mobilisées pour dénigrer les pratiques homosexuelles (d’importation supposément étrangère), qu’à celui des influences extérieures telles que celles exercées par exemple dans différents pays par la droite religieuse américaine ou encore par le soutien des États-Unis à certaines politiques de lutte contre le sida visant à influer sur les comportements sexuels et leurs représentations.
Les recherches qui se sont développées au cours de la dernière décennie, notamment dans le contexte du sida, ont généralement porté sur les personnes homosexuel-le-s elles-mêmes, mais insuffisamment sur la façon dont elles sont considérées. En effet, en dépit des discours toujours plus nombreux sur l’homophobie en Afrique, tenus en particulier par les commentateurs occidentaux, rares sont encore les travaux qui analysent avec précision les conceptions contemporaines de l’homosexualité et les discours qui la prennent pour objet sur le continent. Cela permettrait pourtant de mieux comprendre les conditions de possibilité des pratiques homosexuelles et les modes de vie des personnes concernées dans des contextes supposément hostiles. Des contributions sur ce thème pourraient en même temps être l’occasion de montrer la diversité des conceptions de l’homosexualité en Afrique. Par exemple, dans certains contextes, elle est fortement associée à l’univers de la possession, à la sorcellerie, ou encore fortement considérée comme un instrument d’accession au pouvoir. Dans d’autres ou dans les mêmes, elle renvoie à des catégories d’inversion de genre qui occupent une place reconnue dans la société, mais qui se trouvent resignifiées au contact des définitions occidentales de l’homosexualité qui de plus en plus circulent et traversent les frontières. Des analyses de la façon dont le thème de l’homosexualité est abordé aujourd’hui dans la littérature ou les arts africains pourraient être éclairantes.

Au delà des controverses qui focalisent toutes les attentions, la publicisation récente de l’homosexualité en Afrique est liée à l’émergence de mobilisations collectives. En effet, au cours des années 1990 et 2000, des organisations (plus ou moins officiellement) homosexuelles ont été créées dans bien des pays africains, cependant beaucoup plus nombreuses dans le monde anglophone que dans le monde francophone, où la plupart sont apparues dans les années 2000 à la faveur du contexte de la lutte contre le sida, mais en poursuivant parfois en même temps un objectif de lutte contre la stigmatisation voire de défense des droits humains. Il existe d’ailleurs un lien étroit entre, d’un côté, les mobilisations collectives et, de l’autre, les positions hostiles à l’homosexualité soutenues par diverses autorités, politiques ou religieuses par exemple. Souvent, lorsque l’homosexualité apparait dans le débat public, la rupture du silence s’opère selon un double processus d’affirmation et de condamnation.

Des contributions pourront donc porter sur la construction de la cause homosexuelle en Afrique et sur les acteurs qui la soutiennent, en s’attachant tout d’abord à définir son historicité, par l’analyse de la façon dont on parlait d’homosexualité dans les années 1960 à 1980, notamment dans les mobilisations sociales et politiques, ou par l’examen précis des points d’inflexion des années 1990 et 2000. Il s’agira de s’intéresser à la fois aux mobilisations locales et aux réseaux transnationaux dans lesquels elles s’insèrent souvent. On observe en effet depuis la décennie 2000 une internationalisation progressive de la cause, symbolisée par la création d’une Journée mondiale de lutte contre l’homophobie, dans le cadre de laquelle l’Afrique suscite une attention croissante. Dans ce contexte globalisé, où la définition même de la cause devient un enjeu central soumis à de multiples fluctuations, les mobilisations africaines puisent souvent au registre des catégories occidentales, provoquant l’effacement de désignations locales au profit de sigles tels que LGBTI (Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, Intersex) ou MSM (Men who have Sex with Men). L’un des axes de réflexion pourrait concerner la production des catégories de genre ou de sexualité impliquées dans les luttes ou produites par elles. Ou encore les registres de mobilisation au travers desquels est construite la cause des minorités sexuelles (lutte contre le sida, combat pour les droits humains, etc.). De manière liée, il serait intéressant de montrer la circulation (ou l’étanchéité) des modèles de mobilisation non seulement entre l’Afrique et le Nord, mais aussi entre pays africains.

Les propositions d’une page maximum sont à envoyer à Christophe Broqua (broquachristophe@yahoo.fr) jusqu’au 30 septembre 2011. Les articles acceptés seront attendus pour le 15 décembre 2011 et le dossier paraîtra en juin 2012.

http://www.politique-africaine.com/larevue.htm

Haut de page

Fichiers de syndication :


Statistiques :


Le site contient 4383 articles

Info / contacts :


Navigation / Syndication :