Colloque international
Paris, 11-13 avril 2012
Comité d’organisation :
Anne-Claude Ambroise-Rendu (Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense ; CHCSC Université de St Quentin en Yvelines) ;
Claire Blandin (Université Paris-Est Créteil Val de Marne) ;
Anne-Emmanuelle Demartini (Université Paris Diderot-Paris7) ;
Hélène Eck (IFP/Université Panthéon-Assas) ;
Nicole Edelman (Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense).
Présentation :
La valorisation de l’émotion dans la société d’aujourd’hui, l’importance qu’elle a prise dans l’espace public, son identification récurrente à l’indignation, son reflux de pans entiers du champ artistique – son domaine traditionnel d’ expression – interrogent l’historien du culturel.
Les travaux récents et abondants des historiens, notamment médiévistes, en matière d’histoire des émotions témoignent du dynamisme de l’historiographie en la matière et du renouvellement ou de l’affinement des questionnements méthodologiques (Barbara Rosenwein et Ute Frevert). Que les deux premiers numéros de la jeune revue Ecrire l’histoire aient été consacrés à l’émotion n’est pas non plus tout à fait sans signification, les auteurs invoquant du reste et l’actualité et la « diffusion d’une sentimentalité victimaire qui poisse notre rapport au passé ». Cet engouement, qui reprend à son compte nombre d’interrogations classiques en histoire, a été présenté avec une certaine ironie comme un « emotional turn » (Arnaud Fossier).
Ironie qui a poussé Piroska Nagy et Damien Boquet à préciser qu’ils cherchaient surtout à restituer sa part sensible à l’histoire et qu’ils avaient l’ambition de proposer un nouveau paradigme de la cognition qui soit désormais pris en compte dans le champ historique. Avant eux, William Reddy avait montré déjà, à travers l’exemple de la Révolution française, de quelle manière les régimes politiques sont prescripteurs de la vie émotionnelle et de son _expression_.
Par ailleurs, l’ensemble des recherches récentes conteste l’opposition, ancrée dans la culture occidentale, entre émotion et raison, et une conception « hydraulique » des émotions, suivant laquelle les émotions, tel un liquide sous pression, doivent être contenues grâce à la raison. Une conception illustrée en particulier par Norbert Elias, dont la thèse du processus de civilisation est critiquée, qui ferait évoluer progressivement la civilisation occidentale d’un état affectif, infantile, à un état de raison, un âge adulte où les émotions sont contrôlées et réfrénées.
Cette double critique conduit à considérer, dans la lignée des théories de la psychologie cognitive et de la sociologie constructiviste, les émotions comme des réactions liées à l’évaluation d’une situation vécue et se traduisant par des manifestations physiques passagères.
Cette perspective met l’accent sur la dimension socialement construite des émotions, dépendant de pratiques et de représentations culturelles et insiste sur la réciprocité qui caractérise la circulation des émotions entre l’individu et le monde.
La saisie des émotions individuelles demeure un front pionnier, ouvert au défrichement mais encore largement inexploré. Elle pose une série de questions : comment distinguer les émotions d’autres manifestations sensibles telles que l’inclination, mouvement provoqué par une tendance interne, ou le sentiment, qui relève d’un état, ou encore le penchant ? Vouloir faire l’histoire des émotions, est-ce s’en tenir à celle des paroxysmes, à celle de scansions au caractère plus ou moins explosif ou est-ce tâcher de saisir les émotions dans leur durée et leur profondeur, comme éléments structurants mais historiques des affects ? Cette démarche-ci renvoie aux travaux de Philippe Ariès et Michel Vovelle sur la mort, les craintes que suscite celle-ci et les représentations du deuil, mais également à tout ou partie de l’historiographie de l’enfance, de la famille, de la maternité, de l’amour et du flirt, de l’animal de compagnie, bref à tout ce qui regarde une intimité informée par le social.
Ce colloque s’inscrit dans le projet d’une histoire des sensibilités, ce vaste continent encore peu exploré par les historiens malgré les appels déjà anciens de Lucien Febvre et l’oeuvre d’Alain Corbin. Il prend pour objet les émotions comme des constructions sociales et culturelles. En prenant en compte les acquis de l’histoire des émotions politiques (William Reddy, Christophe Prochasson), il entend néanmoins s’en démarquer en élaborant une chronologie des manifestations et des représentations des émotions non directement politiques aux XIXe et XXe siècles. Il s’agit d’observer les flux et les reflux de l’émotion tels qu’ils s’expriment et circulent de la sphère de l’intime (correspondance, littérature personnelle, etc.) à la sphère publique (manuels de savoir vivre, fictions, médias). Peut-on dégager un régime contemporain des émotions en relation notamment avec l’essor des médias ? Peut-on, plus précisément, repérer des variations chronologiques dans l’appréciation des différentes émotions ? Quels seraient les apports de ces instruments conceptuels forgés par d’autres que sont les notions de communautés émotionnelles et de refuges émotionnels ? Comment les différents discours normatifs rendent-ils compte, suscitent, mettent en forme, encadrent et utilisent les émotions ?
Les communications proposées porteront sur tous les types d’émotion, à l’exception des émotions politiques collectives. On pourra s’interroger sur :
. Les causes et les motifs de l’émotion
. Le langage de l’émotion : des modes d’_expression_ individuels, intimes, physiques, verbaux à leurs transcriptions dans tous les domaines (livresque, cinématographique, musical, pictural, etc.)
. Les usages sociaux et les instrumentalisations des émotions (les sociabilités, les interdits, les tabous, les licences)
Envoi des propositions :
Les propositions de communication (2000 signes maximum) doivent être adressées avant le 1er juin 2011, par courrier électronique, aux adresses suivantes : acambre@orange.fr ; demartini@univ-paris-diderot.fr ;
nicole.edelman@wanadoo.fr