pour un prochain numéro de la Revue des sciences sociales sur la démocratie et la citoyenneté (2015.2)
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Argumentaire :
S’agissant de la démocratie participative, il y a une sorte de hiatus entre un projet théorique mais aussi politique qui assignent aux femmes une vocation particulière à investir et développer la participation des citoyens et des recherches empiriques assez peu attentives à la prise en compte du genre dans les pratiques et le fonctionnement des dispositifs de participation. C’est à la réduction de cet écart que ce numéro de la revue participation ambitionne de s’atteler.
Le courant participationniste développé par des féministes de la citoyenneté assigne aux femmes une vocation particulière en matière de participation citoyenne à la fois pour elles mêmes et pour l’ensemble des citoyens. Il pose la participation des femmes aux institutions (empowerment) et le développement attendu de la participation par des femmes (la transformation des institutions) comme une nécessité et une disposition. Les femmes sont invitées à déployer une conscience de la démocratie souhaitable en proclamant valeurs et pratiques explicitement participatives (Dietz, 2000). Des théoriciennes féministes ont eu des apports décisifs sur les théories de la démocratie participative ou délibérative. Le livre de Carole Pateman, Participation and Democratic Theory, est généralement considéré comme fondateur des théories contemporaines de la démocratie participative (Hayat 2011). Les critiques féministes de la délibération, notamment celles de Nancy Fraser, ont insisté sur l’illusion d’une délibération rationnelle entre égaux. Beaucoup plus radicale et critique paraît la position par exemple de Chantal Mouffe qui plaide pour une démocratie agonistique , loin d’une démocratie participative instituée (Blondiaux, 2008). Dans un mouvement inverse, les principes de la démocratie délibérative apparaissent à d’autres comme pouvant éviter aux politiques relevant du gender mainstreaming ou du diversity mainstreaming de céder à la bureaucratisation de la lutte contre les inégalités et à la naturalisation des identités (Squires, 2008).
Les changements institutionnels intervenus en France avec les lois sur la parité montrent plutôt la victoire d’un courant féministe qui, au-delà de ses différences, privilégie la citoyenneté par l‘inclusion politique des femmes dans les institutions existantes au détriment des approches partant des pratiques des mouvements sociaux (Giraud 2007). La perspective féministe favorable au développement de la participation n’est pas abandonnée pour autant dans le projet paritaire. Associée à une entreprise de rénovation de la démocratie, le projet politique paritaire revivifie le lien entre femmes et participation populaire (Premat 2005).
A l’aune de ces ambitions théoriques et politiques, les données empiriques sur la dimension genrée de la démocratie participative dans les démocraties occidentales sont singulièrement restreintes, y compris pour les démocraties suisse et américaine. Pourtant, le genre, entendu comme système de bi-catégorisation hiérarchisée entre les sexes et les valeurs ou représentations qui leur sont associées (Bereni et alii 2012), a un impact sur le rapport au politique plutôt bien renseigné qu’il s’agisse de l’intérêt pour la politique, du sentiment de compétence politique, de l’adhésion aux partis politiques ou à d’autres groupements. L’exclusion historique des femmes de la citoyenneté, leur inclusion progressive, les places encore différenciées des hommes et des femmes dans la société continuent de produire des effets dans le rapport au politique. Nous ne manquons pas de données sur la présence des femmes et des hommes dans les différentes institutions de la démocratie représentative et quelques études par observation se sont intéressées aux prises de parole publique dans ces arènes institutionnelles (Dulong/Matonti 2007, Navarre 2013). La prise en compte du genre pour étudier les mobilisations, le militantisme ou les mouvements sociaux est davantage routinisée (Bargel/Dunezat 2009). Certains continents sont davantage explorés, dans une perpsective le plus souvent centrée sur les femmes : ainsi différentes études par exemple au Rwanda (Lewis 2007), en Afrique du Sud (Willimason et al. 2007), au Brésil (Sa vilas boas 2012) ou encore au Mexique (Marquez Muerrieta, 2013) cherchent à comprendre comment des femmes se saisissent des dipositifs participatifs mis à la disposition du public pour structurer et promouvoir des revendications qui leur sont propres . C’est d’autant plus le cas des travaux qui saisissent dans un même mouvement démarches participatives, enjeux de développement, genre et principes de justice, s’inspirant de l‘approche par les capacités dans la lignée des travaux de Sen (2000) et surtout de Nussbaum (2008). Enfin, le développement de recherche sur les NTIC n’est pas aveugle au genre, les espaces politiques en ligne apparaissant finalement peu propices à une dynamique d’indifférenciation (Harp, Tremayne, 2006).
Si tous les aspects de la démocratie participative méritent d’être interrogés avec l’outil du genre, le manque de données concerne en premier lieu les dispositifs institutionnels de participation. Est-ce parce que ces dispositifs, dont l’accès est par principe non restrictif, favorisent l’égalité des sexes à la fois concernant la présence des unes et des autres, les prises de parole, les thèmes portés, leur prise en compte ? En soi, ce résultat ne serait pas négligeable mais mérite pour le moins d’être interrogé. Comment les rapports de genre modèlent-ils la démocratie participative ? Comment en retour les rapports de genre sont-ils travaillés, consolidés, dépassés, déplacés par la démocratie participative, qu’il s’agisse des thèmes portés et retenus, des interactions entre interlocuteurs, des effets individuels et collectifs des prises de parole ? Que produit la démocratie participative en termes d‘(in)égalité entre les hommes et les femmes ? La création de nouveaux espaces de participation dans les projets de démocratie participative et les mouvements sociaux est-elle favorable au dépassement de la différenciation et de la hiérarchisation entre les sexes ? La variation des thèmes soumis au débat a-t-elle une incidence sur le sexe des participants et les modalités de leurs prises de parole ? La présence de femmes en plus grand nombre parmi les élus locaux depuis le vote de la loi sur la parité de 2000 et dans des situations plus égalitaires dans les conseils locaux depuis la loi de 2007 a-t-elle une incidence sur la démocratie participative et les technologies déployées ? Que sait-on du sexe des professionnels de la participation et des fonctionnaires en charge de la participation dans les collectivités locales ?
Envoi des projets d’articles (2/3 pages) : 01/12/13
Remise de la première version des articles (60 000 signes) : 1er novembre 2014.
Contacts :
Loïc Blondiaux (loic.blondiaux@free.fr), Marion Paoletti (paoletti.marion@free.fr ), Sandrine Rui (sandrine_rui@yahoo.fr).