Journée “Prendre la route. Approches sociales de la mobilité (II) ” du 11 déc. 2017
Les hommes ont-ils été égaux sur la route ? Outre les contraintes techniques et logistiques qui pesaient lourdement avant la révolution des transports du XVIIIe siècle, existait-il d’une époque à l’autre ou d’un rang social à l’autre des différences dans les manières de se déplacer ? Nous voudrions proposer une approche sociale de la route, ce qui suppose d’étudier non seulement les infrastructures qui conditionnent le déplacement (réseau de routes, péages, contrôles), mais aussi les itinéraires, les destinations, l’organisation de la mobilité, les sociabilités. Il s’agira en somme d’interroger les conditions sociales du mouvement des hommes, en insistant sur les variations (selon les périodes, et dans chaque période selon le rang et le statut) pour dégager la variété des usages de la route par-delà l’apparente inertie des conditions matérielles du déplacement à pied, à cheval ou en chariot. Aussi, nous nous intéresserons aux circulations plutôt qu’aux voyages, c’est-à-dire aux déplacements ordinaires, répétés, voire quotidiens, plutôt qu’aux trajets exceptionnels. Une telle enquête s’inscrit dans une réflexion plus large sur les usages sociaux de l’espace.
Cette journée fait suite à une première qui s’est déroulée le 7 noc. 2016 à Paris 8. Toutes deux sont le fruit de la rencontre de deux programmes de recherche: le projet Bassin Parisien d’ARSCAN et le programme de recherche Vivre en mobilité de l’EA 1571 de Paris 8. Le programme Bassin Parisien a pour vocation de collecter des données archéo-géographiques sur une aire régionale, et la journée est l’occasion de faire valoir des données collectées récemment à propos des itinéraires des rois, tandis que le programme Vivre en mobilité vise à proposer une anthropologie des mobilités depuis l’Antiquité, selon une approche qui privilégie l’expérience même des migrants, leur précarité sur les routes et les mers, et dans les lieux d’accueil. Cette journée constitue la 4e de ce programme de recherche. Le thème Prendre la route. Approches sociales de la mobilité, permet ainsi de croiser les problématiques des deux programmes, tout autant que les problèmes méthodologiques qu’elles soulèvent.
Contact : moatti@usc.edu, boris.bove@univ-paris8.fr
Programme
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Boris BOVE et Claudia MOATTI, « Introduction »
Sylvie CROGIER (Université François-Rabelais de Tours) : Les bénéficiaires du cursus publicus : des privilégiés ?
Le service de transport officiel de l’Empire romain, le cursus publicus, est pendant cinq siècles un service administratif réservé à l’État. Seul un petit nombre de personnes bénéficient de l’autorisation d’en utiliser ses infrastructures. Ces personnes sont-elles des privilégiées ? À partir des sources écrites, inscriptions, textes littéraires ou codes juridiques à notre disposition, on étudiera qui sont les bénéficiaires des voyages effectués dans ce cadre, comment ces voyages sont vécus par les utilisateurs, et enfin quel jugement portent les populations provinciales sur le service de transport et ses bénéficiaires ? Le droit de voyager par le cursus publicus est-il l’expression de la faveur impériale, la marque de l’importance du personnage qui l’utilise ou un instrument de domination et de contrôle du pouvoir politique ?
Claire FAUCHON-CLAUDON (ENS de Lyon – HiSoMA UMR 5189), Marie-Adeline LE GUENNEC (École française de Rome – HiSoMA UMR 5189), « Mobilités, accueil et hiérarchies sociales dans l’Occident romain antique (IIIe s. av. J.-C. – Ve apr. J. -C.) »
L’objectif de cette communication à deux voix est de proposer une approche sociale de la mobilité dans le contexte de l’Occident romain antique, en abordant cette question par le prisme de l’accueil. Aux périodes classique et tardive, le monde romain connaît des formes d’accueil variées (hospitalité privée et publique, prise en charge par les communautés politiques ou religieuses, accueil mercantile…), bien implantées en ville comme le long des routes ; mais tous les lieux et modalités d’accueil étaient-ils identiquement accessibles aux voyageurs ? À la période classique, le statut social déterminait directement leur capacité à avoir recours à ces différentes formes d’accueil, même si les normes pouvaient être contredites par les pratiques : les comportements attendus des élites étaient ainsi particulièrement contraints, leur fermant en théorie la porte des auberges tout en exigeant d’eux qu’ils disposent d’un réseau d’hospitalité étendu. On envisagera ensuite la manière dont cette répartition sociale de l’accueil se recompose à l’époque tardo-antique, notamment à partir du moment où le christianisme devient la religion officielle de l’Empire romain d’Occident et où l’accueil de l’autre est érigée en règle universelle. L’évolution, réelle ou apparente, des mentalités s’accompagne-t-elle de réels changements dans les pratiques, ou des contradictions affleurent-elles entre ces exigences nouvelles de la morale chrétienne et le maintien des cadres traditionnels de la société romaine ? Le temps long constitue ainsi un cadre particulièrement fructueux pour cette approche sociale de l’accueil et des mobilités dans l’Occident romain antique.
Elodie CAPET, « Migrer pour travailler : l’exemple de la ville de Perpignan au XVe siècle »
Le principe de mobilité est au cœur du fonctionnement des sociétés médiévales. Des villes telles que Perpignan ont un certain pouvoir d’attraction sur des individus prêts à parcourir des centaines de kilomètres pour s’y installer. Les actes notariés conservés pour la fin de l’époque médiévale révèlent des déplacements nombreux et relativement lointains. Des flux de mobilité se dessinent aisément à la lecture de ces documents.
Ces déplacements de population sont liés à la recherche d’une activité professionnelle dans la ville, qu’elle relève d’une qualification particulière ou non. L’étude de ces migrations du travail permet de relever quelques modalités de circulation des hommes : départ groupé de plusieurs individus d’un même village, départ temporaire avec des liens conservés avec la région d’origine… Les limites des actes notariés sont alors atteintes et il est souvent bien difficile de connaître les raisons et l’organisation de ces migrations.
Enfin, la question de l’accueil de ces migrants dans la ville pourra être soulevée. Ces migrations sont souvent basées sur des réseaux qui permettent une arrivée et une intégration réussie dans la ville.
Catherine VINCENT, « La circulation des pèlerins au Moyen Âge (XIIIe – XVe siècle) »
Sur un sujet qui a été longuement abordé depuis que l’historiographie s’est penchée sur l’histoire du geste de pèlerinage, on s’efforcera d’apporter quelques éléments de mise au point fondés sur les plus récentes publications et sur des recueils de sources des XIIIe-XVe siècle, moins mobilisés par l’historiographie que les corpus des XIe et XIIe siècles, en tenant compte de la difficulté, pour l’approche du phénomène à l’époque médiévale, de combler le fossé qui sépare le discours normatif de la pratique.
Pour ce qui est des axes de circulation, faut-il revenir sur le cliché, qui a la vie dure, des « routes de pèlerinage » ? Celui-ci s’est construit à partir d’un document, par ailleurs fort intéressant, qui fut monté en épingle sans proportion avec sa diffusion médiévale : le Guide du pèlerin du Codex callixtinus, vaste collection hagiographique et historiographique élaborée par le sanctuaire de Saint-Jacques de Compostelle. Il est désormais admis que nombreux furent les chemins qui ont mené à Compostelle !
Alors que les premières générations d’historiens du pèlerinage ont mis l’accent sur les voyages au long cours, en direction de Jérusalem, Rome ou Compostelle, les recherches récentes mettent en évidence une pratique à beaucoup plus courte distance. Autant qu’on puisse le percevoir, faute de registres de fréquentation tenus par les sanctuaires, ces pèlerinages de proximité ont intéressé un nombre important de personnes et affectés les milieux sociaux les plus variés.
En conséquence, se pose autrement la question du statut canonique propre au pèlerin, accueilli comme une figure du Christ et protégé en sa personne et ses biens. Autant celui-ci vaut pour les destinations lointaines qui se distinguent par une véritable rupture avec les solidarités quotidiennes, autant il reste sujet à caution pour les plus brefs déplacements. Ce statut n’a pas pour autant fait disparaître les distinctions sociales : les puissants voyagent en grand apparat et dans des conditions plus confortables. De même, le caractère pénitentiel de nombreuses visites aux sanctuaires n’a pas empêché que se profilent derrière les récits des curiosités touristiques qui n’avaient pas échappé aux analyses d’Alphonse Dupront.
Plus que les itinéraires, ce sont les hommes qui, par leur fréquentation variable des divers lieux de culte, contribuèrent à modeler un « territoire de la grâce » aux contours mouvants.
Nicolas VERDIER, La poste aux lettres au XVIIIe siècle : la domination de la route ?
Entre le début du XVIIIe siècle et le début du XXIe siècle l’implantation des bureaux de poste aux lettres en France offre des indices forts des principes d’équipement et d’aménagement du territoire suivis par l’institution postale. Dans les faits la mutation la plus forte commence en 1830 avec la mise en place de la distribution à domicile du courrier qui sera à l’origine d’un aménagement du territoire par la multiplication des bureaux de poste sur le territoire national. Le long XVIIIe siècle qui précède relève bien plus d’un lent équipement du territoire dans lequel semble plus importer l’existence du réseau routier, qui rend possible le flux, que des populations productrices de lettres. On verra cependant que la question de l’aménagement du territoire par la route, en aval, est, elle, directement liée à l’urbanisation de la France. On verra aussi qu’en changeant d’échelle, il est possible d’observer des répartitions moins tranchées.
Juliette BOURDIN (Université de Paris 8) : « Tous égaux devant la piste ? Organisation sociale, démocratie et justice sur les pistes de l’Ouest américain dans les années 1840 »
Cette communication se propose d’étudier l’organisation et le fonctionnement des convois d’émigrants sur les pistes de l’Oregon et de la Californie dans les années 1840, en particulier au travers des institutions démocratiques adaptées à la vie en mobilité. Il s’agira également d’explorer l’idée (véridique ? illusoire ?) que les conditions de cette migration permettait l’émergence d’une société égalitaire (a classless society).
Vous pouvez également télécharger le compte rendu de la première rencontre du projet