Colloque organisé par le Centre d’étude des littératures d’Ancien Régime
Strasbourg, 28-30 janvier 2016
Argumentaire :
Il n’est sans doute pas innocent qu’en 1647, Vaugelas ouvre ses Remarques sur la langue française par une série de considérations sur la prononciation de héros, différentes d’ héroïne et d’ héroïsme : la famille lexicale est sur toutes les langues, au masculin comme au féminin. Si l’on en croit le lexicographe, le rapport entre les genres est d’équivalence lorsque le siècle s’achève. L’héroïne se définit comme une « fille ou femme qui a des vertus de héros, qui a fait quelque action héroïque » : la Pucelle d’Orléans, Judith, Lucrèce (Furetière, Dictionnaire Universel, 1690). On n’a jamais autant écrit sur les héroïnes et femmes illustres pendant le siècle qu’entre la Renaissance et 1650, où le dérivé féminin du grec herôs connaît une fortune extraordinaire ; tout y concourt, en un temps où la régente Anne d’Autriche fait l’objet d’éloges dithyrambiques, avant que la Fronde n’ait raison de cette inflation, tandis que le XVIIIe siècle s’ouvrira sur l’acte symbolique de la destruction sur ordre de Louis XIV (1711), quatre ans avant la fin du règne, des traces physiques de l’abbaye de Port-Royal des Champs, haut lieu de la geste héroïque collective des religieuses et des Solitaires qui ont vécu jusqu’au sacrifice la revendication de la liberté de conscience pendant toute la seconde moitié du siècle.
Que les XVIe et XVIIe siècles aient été ceux d’une reconnaissance autant que d’une exaltation d’un héroïsme féminin n’est pas une nouveauté : la fin des années 1970 a été marquée par le renouveau d’intérêt pour la vogue centenaire des éloges des femmes, à la suite de la diffusion grâce à l’imprimé du De Casibus de Boccace, ou au succès du De praexcellentia foeminei sexus de Cornelius Agrippa et de ses suiveurs ; les Querelles des femmes qui ponctuent ces deux siècles sont désormais bien documentées, ainsi que la vogue pour les ouvrages consacrés aux femmes fortes et à leur réception en fiction, sur la scène ou en peinture. La recherche en histoire, histoire de l’art et histoire littéraire a mis en valeur le caractère particulièrement marquant de grandes figures féminines, reines, filles et soeurs de roi, grandes aristocrates prêtes à monter sur les barricades, dames de Lettres en leur salon ou saintes aux destinées extraordinaires.
Des illustres aux héroïnes, il n’y a qu’un pas, que la fiction a franchi aisément. Pour autant, il vaut la peine de revenir sur les modalités de qualification d’un héroïsme féminin hors du domaine de l’invention littéraire ou artistique, dans l’hypothèse d’une proximité plus étroite avec la vie morale et ses représentations dans une littérature non fictionnelle, à une période historique où la diffusion du néoplatonisme épurant le sentiment amoureux revivifie à terme les valeurs courtoises, où un augustinisme condamnant la vanité politique dont Charles Quint à l’Escurial reste sans doute l’image la plus frappante et où la crise des valeurs guerrières – celles qui qualifient le « héros » mi-homme, mi-dieu – avec les guerres de Religion a laissé une place inégalée jusqu’alors aux femmes, et non plus seulement à des femmes, sur le devant d’une société en pleine mutation. L’image du héros, au masculin comme au féminin, enregistre les mutations de l’idéal héroïque sur une longue durée. Si le héros est celui qui agit sur le champ de bataille, l’héroïne de la première modernité, quant à elle, ajoute à la prouesse militaire à laquelle elle ne répugne pas toujours, la piété, la sagesse, la culture, la chasteté et la beauté : autant de qualificatifs récurrents sous la plume d’Hilarion de Coste au long de ses Les éloges et les vies des reynes en 1630. Depuis les Guerres de religion, un capitaine (Brantôme), jusque bien au-delà de la Fronde, un sceptique (Montaigne), un augustinien (La Rochefoucauld), les chrétiens du « Petit Concile » (Fleury, Fénelon, La Bruyère), un libertin (Fontenelle), critiquent l’illusion de la gloire et de l’héroïsme guerrier, tandis que chez les mémorialistes la dénonciation de la morale de l’intérêt, des motifs privés et des passions négatives mine l’image héroïque des Grands et n’épargne ni les femmes ni les hommes. Comme un démenti opposé à la leçon générale issue du « monde », c’est dans une confrontation non moins violente avec les événements historiques, une fois qu’après la Fronde le pouvoir fut transféré aux mains d’un monarque absolu, que s’est développée la mise en mémoire de la résistance héroïque du couvent féminin de Port-Royal, sous l’autorité d’abbesses éminentes, à travers une multitude d’écrits conjuguant écriture personnelle et expression collective (Vies, Relations, correspondance).
C’est cette construction d’un héroïsme féminin et de ses critères à travers les textes, hors des seuls codes de la fiction, en particulier romanesques, et à travers les mémoires, les biographies, les ouvrages traitant d’histoire ou de morale, les correspondances, qui pourrait retenir l’attention à l’occasion du présent colloque. Cette problématique, signifiante dans l’histoire des représentations, questionne notre modernité. Il se propose de reformuler une lecture féminine, mais pas nécessairement féministe, de l’engouement pour la figure féminine aux XVIe et XVIIe siècles, non seulement dans les représentations (femmes fortes, personnalités féminines historiques ou privées), mais aussi dans la réception de ces représentations, aussi bien à travers les faits et gestes qu’à travers un imaginaire collectif, en synchronie autant qu’en diachronie longue.
Les communications pourront concerner les champs suivants :
Constellation lexicale et constellation imaginaire : naissance et usages du mot « héroïne », et ses variations, ses synonymes, les évolutions de ses emplois (héroïsme et gloire, héroïsme et vertu, héroïsme et mérite, héroïsme et divinisation des valeurs féminines, héroïsme et courage, héroïsme et grandeur, héroïsme et magnanimité...)
Critères d’un héroïsme féminin v/s critères d’un héroïsme masculin : un héroïsme sans action d’éclat et sans gloire dans le monde ? Un héroïsme du quotidien et de l’humilité, sans coup d’éclat exceptionnel ? Un héroïsme de la prudence ? Comment la beauté se concilie-t-elle avec la notion d’héroïsme ?
Inconscient et non-dits : Y a-t-il un discours moral particulier attaché à de telles constructions mentales ? Existe-t-il une démarcation masculin/féminin dans le combat contre les passions que recommandent les moralistes ou les grandes figures spirituelles ?
Paradigmes et modèles : Comment, aux XVIe et XVIIe siècles, se constitue un modèle féminin d’héroïsme et de culture lettrée et mondaine ? Quelles sont les modalités d’élaboration d’un héroïsme féminin de plume ? Peut-on identifier un Panthéon des figures historiques de l’héroïsme féminin, littéraires et plastiques, Jeanne d’Arc, Marie Stuart ? Quelle part l’histoire contemporaine accorde-t-elle à la figure féminine héroïque ? Quels paradigmes la vie spirituelle et religieuse propose-t-elle, dans les confessions catholique et réformée, quel usage l’autorité, le fidèle en font-il ?
Héroïsme et politique : peut-on parler d’un usage politique des héroïnes, comment se constituent leurs légendes, blanche ou noire selon les besoins, pour quelle fortune ?
Héroïsme et genre littéraires : comment se construire en héroïne, existe-t-il des stratégies discursives de l’écriture mémorialiste, épistolaire ou diariste chez les écrivaines des XVIe et XVIIe siècles ?
Réception : Comment envisager en réception longue les tendances hagiographiques d’une historiographie de ces figures à l’époque contemporaine ? Quels sont les pièges et les points aveugles de l’héroïsme féminin de la première modernité ?
Modalités :
Les propositions (300 mots) sont à envoyer avant le 15 février 2015 à
Gilbert Schrenck (gschrenck@wanadoo.fr)
Pascale Thouvenin (thouve@unistra.fr)
Anne Spica (anne-elisabeth.spica@univ-lorraine.fr)