Pour un prochain numéro de la revue IRSV International Revue on Sport and Violence
Argumentaire :
Ce numéro d’IRSV propose de placer les études de genre au cœur des analyses portant sur le sport. Ce choix éditorial ne relève pas tant d’une volonté de réactualiser les travaux déjà existants sur ces objets à l’aune des changements engagés dans notre société, que d’une simple nécessité de réaffirmer leur fondement au cœur des problématiques de violences portées par la revue.
Les contributions scientifiques présentées seront soucieuses d’éviter les écueils qui guettent parfois les études sur le genre, en négligeant la domination masculine, en particulier dans le sport, en la considérant à l’inverse comme constitutive de tout rapport social, en l’analysant indépendamment d’autres rapports sociaux, d’âge, d’origine ethnoculturelle, de classe, ou bien encore indépendamment des contextes, notamment sociohistoriques, dans lesquels elle s’institue, se naturalise et se reproduit.
Ce numéro s’articulera par conséquent autour de travaux de sciences sociales portant autant sur l’analyse des inégalités sexuelles, leur persistance et leurs effets, en particulier en termes de violences et de discriminations, que sur l’analyse de leurs mutations, de leur infléchissement, voire de leur réduction, à la lumière des avancées possibles en matière d’égalité entre les femmes et les hommes dans le sport.
Soulignons combien les rapports sociaux de sexes demeurent structurants dans les processus de socialisation, mais aussi au cœur des interactions à l’œuvre au sein du monde sportif. Or, sous couvert d’une prétendue neutralité axiologique, négliger l’influence du genre dans les recherches, notamment sur le sport, revient trop souvent à construire des études partielles et partiales, au service d’une position « normâle » (Chabaud-Rychter et al, 2010) et donc androcentrée de ce monde sportif. Ne cédant pas pour autant à l’élan misérabiliste qui reviendrait à dénoncer incessamment la condition féminine pour reproduire de manière asymétrique un certain mépris à l’égard des études sur l’homme, les réflexions scientifiques rassemblées dans ce numéro proposeront de se consacrer à l’étude des différents genres.
Si l’articulation d’un questionnement genre et sport se révèle de prime abord complexe, elle présente un véritable enjeu scientifique à plusieurs niveaux.
Avant toute chose, le monde sportif, au sein duquel l’entrée progressive et tardive des femmes n’eût été possible sans une lutte (Terret T., 2004), s’est historiquement constitué, et demeure aujourd’hui, place forte d’une masculinité décrite comme hégémonique (Liotard P. et Terret T., 2006).
Ensuite, le corps, à la fois fin et moyen de l’activité sportive, est mobilisé de manière prépondérante et stéréotypée au cours de la socialisation sportive, réactivant le débat naturaliste qui couronne traditionnellement les (re)définitions asymétriques du féminin et du masculin. Le corps, les dispositions, les représentations, les usages, mais aussi les savoirs et le pouvoir qu’il dégage, sont dépositaires de toute une (di)vision binaire et hiérarchisée d’un monde sportif différencié et différenciateur.
Enfin, cette articulation genre et sport relève d’un véritable enjeu dans un champ scientifique où ces deux objets se voient, ou se sont vus, arbitrairement dépréciés dans l’ordre symbolique des pratiques et des productions scientifiques. Si le premier s’est heurté aux résistances à l’égard des courants féministes qui l’ont pensé, le second demeure cet objet jugé culturellement « bas de gamme par excellence » (Erhenberg, 1991). Les études de genre et sur le sport, ainsi privées de légitimité, ont dès lors souffert d’une absence de visibilité, notamment scientifique.
Percevoir les rapports de pouvoir, de domination, les hiérarchies et les inégalités de sexe dans le(s) sport(s ), analyser les trajectoires et les mécanismes de socialisation, comprendre la constitution et les mutations des identités sexuées des sportives et des sportifs, de leurs dirigeant(e)s, objectiver les stéréotypes et les représentations communes qui enserrent les pratiques sociales, dévoiler les formes de violences à l’œuvre dans le sport pour mieux s’en prémunir, sont autant d’enjeux scientifiques, et bien d’autres, justifiant la construction de ce numéro spécial. Ils contribuent finalement à percevoir, déconstruire et divulguer les nouveaux mécanismes à l’œuvre dans les rapports sociaux de sexes et leur complexité.
Si de nombreux travaux se sont depuis longtemps engagés dans ce sens, méritant indéniablement d’enrichir cette revue, beaucoup de voies restent inexplorées et à valoriser dans le choix des terrains d’enquête, dans les champs disciplinaires, les approches et les questionnements empruntés, dans les méthodes utilisées, dans les réflexions théoriques, notamment sur les notions, à commencer par celle de genre, mais aussi épistémologiques, sur les positions et les phénomènes en jeu dans ces recherches.
Se gardant de donner quelque leçon, notamment à l’égard du monde sportif, ce numéro propose de mobiliser les recherches davantage comme des armes (Bourdieu, 1984) de lecture, de réflexion, de compréhension et par conséquent d’explication de rapports sociaux de sexe toujours inégalitaires, souvent discriminants et violents, au demeurant insidieux et par conséquent ignorés.
Contact :
gaelle.sempe@univ-rennes2.fr ; sportsetviolences@club-internet.fr