Organisé par la Fédération des Sociétés historiques et archéologiques de Normandie, avec le concours des Amis du Perche, de la ville de Bellême et du Conseil général de l’Orne
Bellême (Orne), 17, 18 et 19 octobre 2013
Présentation :
En 1984 se tenait à Lisieux le XIXe congrès des Sociétés historiques et archéologiques de Normandie qui portait sur La femme en Normandie. Les actes, riches de 33 contributions (dont on trouvera la liste à la fin de cette présentation), parurent deux ans plus tard, à la fin de l’année 1986, au moment même où, curieux hasard, Yvette Roudy, Ministre des Droits de la Femme, devenait maire de Lisieux. L’histoire des femmes n’était en France que peu développée, une dizaine d’années seulement après que Michelle Perrot ouvrit son séminaire intitulé « L’histoire des femmes est-elle possible ? ». La synthèse en cinq volumes, publiée entre 1990 et 1992 par Georges Duby et Michelle Perrot, L’Histoire des femmes en Occident, n’était encore qu’un projet, et le concept de « genre », traduction du terme anglo-saxon gender, était encore quasi inconnu en France. Presque trente années se sont écoulées depuis le congrès de Lisieux, et l’historiographie de la question en a été profondément renouvelée, en France comme à l’étranger, le « genre » posant des questions méthodologiques aussi bien à l’histoire qu’à l’archéologie.
Lors du congrès de 1984, de nombreuses communications portaient un titre comme Les femmes dans..., semblant découvrir leur rôle dans la vie politique, économique ou culturelle, à travers une formulation qui, en même temps, sous-entendait que cette contribution n’était que secondaire.
S’intéresser aujourd’hui aux femmes dans l’histoire de la Normandie, c’est bien sûr s’interroger sur les conditions de vie des femmes, mais aussi sur la construction des identités féminines. Il ne s’agit pas d’un regard venu uniquement de l’extérieur – celui des hommes sur les femmes – mais d’une réflexion historique sur ce que c’est qu’être femme, en Normandie, à travers toutes les époques. Pour y parvenir, il serait intéressant de privilégier les sources produites et élaborées par les femmes elles-mêmes (échanges épistolaires, livres de raison, agendas, comptabilités, discours, œuvres littéraires, actes de la pratique, testaments, etc.), sources au travers desquelles elles manifestent leur identité. Il faut donc s’interroger aussi sur la manière et les raisons pour lesquelles certaines de leurs actions sont occultées, parfois par les hommes, parfois par les femmes elles-mêmes.
Si, en effet, il paraît illusoire de répondre abruptement à la question du consentement des femmes à la domination masculine, il est incontestable du moins que certaines d’entre elles adhérent, de bon ou de mauvais cœur, à cette norme et la transmettent.
Les apprentissages divers grâce auxquels les femmes accèdent à des savoirs ou à des techniques, parfois partagés avec les hommes, parfois réservés à leur sexe, seront un des sujets centraux que nous voudrions voir traiter par les intervenants à ce colloque. Peut-on parler d’une culture féminine spécifique, peut-on aussi évaluer les pouvoirs qui reviennent par ce biais dans les mains des femmes ? Des travaux pourraient être menés sur les ouvrages, les journaux, et les magazines destinés aux femmes de Normandie, ainsi que sur les formations professionnelles et les cursus d’études perçus comme « féminins » (institutrices, infirmières, etc.). Leurs divertissements comme leurs devoirs constituent-ils des agents de cloisonnement ou, au contraire, d’émancipation ?
Travaillant depuis la nuit des temps à côté des hommes, mais souvent autrement, comment ont-elles envisagé leur vie professionnelle ? À l’heure des débats sur l’égalité des salaires et l’accession à des postes semblables à ceux des hommes alors qu’elles sont en moyenne plus diplômées, l’histoire du travail féminin, aux champs comme dans l’industrie et les services, bat en brèche toute perception d’une évolution linéaire. Les questions liées aux conditions de travail, aux rémunérations, mais aussi à leurs participations aux mouvements syndicaux et aux luttes sociales pourront être abordées dans le cadre normand.
Il ne s’agit pas pour autant d’oublier la matérialité des corps. Le contrôle du corps des femmes, de l’exercice de leur sexualité, de leur fécondité, constitue un enjeu considérable pour la solidité de la société. La virginité des filles, la fidélité des femmes, la gestion des grossesses préoccupent ainsi l’ensemble des communautés ; de même certains comportements non conformes sont-ils dénoncés par la population, tant féminine que masculine. Cependant, en Normandie, comme ailleurs, les femmes ont tenté de limiter le nombre des enfants qu’elles mettaient au monde. Il serait intéressant de rendre compte, autant que possible, des usages de la contraception, usages peut-être différents selon que les femmes habitent la ville ou la campagne, qu’elles sont de familles riches ou pauvres, qu’elles sont seules ou en couple.
Quelles réactions a suscité en Normandie la mise en place des lois Neuwirth de 1967 et Veil de 1975 ? Le droit de jouir de son corps ne s’arrête d’ailleurs pas à la potentialité maternelle. De récentes et foisonnantes études encouragent à distinguer le sexe, le genre, la sexualité et à questionner les rapports qu’ils entretiennent entre eux dans la vie d’un individu. Étant femme, on peut aussi vouloir ne plus l’être ou le devenir après avoir été un garçon. Une attention particulière sera donc portée aux phénomènes de travestissement et de transsexualité (cf. notamment les travaux de Sylvie Steinberg) et à leurs conséquences sur le rapport avec le monde extérieur.
Le corps des femmes existe autant dans le temps de l’histoire que dans le temps de leur vie : comment les accueille-t-on lors de leur venue au monde, comment perçoit-on leur puberté et leur vieillesse ? Ce sont là aussi des sujets d’interrogation possibles.
Être femme, c’est aussi vouloir exercer des droits de mère ou d’épouse ou d’héritière. Les questions de droit liées à l’application de la coutume de Normandie ou de celle du Perche, entre textes et pratique, puis plus tard du Code civil sont au cœur des problématiques du Congrès.
Quand on est femme, quelles relations entretient-on avec le pouvoir politique, économique, culturel, que ce soit au sein de la cellule familiale, du village, à l’échelon régional ou national ? La partition sexuée des activités domestiques et professionnelles, et les conditions de sa perpétuation trouveront évidemment leur place dans ce congrès, mais on souhaite aussi s’interroger sur les réactions des femmes face à cette partition genrée du travail, et sur les manières dont certaines ont su contourner les obstacles de la tradition sociale. Quelles solidarités, quelles stratégies mettent-elles en œuvre pour y parvenir ? Les traditions culturelles, sociales et politiques de la Normandie ont-elles amené les Normandes à écrire une histoire particulière des mouvements féministes ?
L’identité des femmes et leur participation à l’histoire commune s’affirment aussi à travers les aventures spirituelles dans lesquelles elles peuvent entrer, visibles ou clandestines. Les suivre dans ces démarches peut également être un sujet de réflexion.
L’historiographie récente a interrogé le rôle des femmes dans les conflits : pacificatrices ou guerrières, tricoteuses au pied de la guillotine pendant la Terreur ou contre-révolutionnaires montant courageusement à l’échafaud, collaboratrices tondues à la Libération ou résistantes risquant leur vie bien vite oubliées, elles ne manquent jamais d’être des actrices que l’histoire relègue au second plan. Encore faut-il, dès lors que l’on a réussi à montrer leur engagement, en restituer la signification en la débarrassant de la gangue des schémas misogynes.
Ces quelques pistes de recherche, non exclusives, permettent d’envisager les femmes en Normandie dans la diversité de leurs actions, de leurs personnalités, mais aussi des représentations d’elles-mêmes qu’elles ont choisies ou, peut-être, subies, et sans doute détournées : les discours savants et populaires, l’art, la littérature, la photographie, la publicité constituent ainsi des sources privilégiées pour tenter de percevoir comment, d’Arlette à Violette Morris en passant par Marie Harel, l’histoire de la Normandie est parcourue de figures féminines.
Infos complètes :
http://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/files/Etre%20femme(s)%20Bellême%202013.pdf