Le CRAPUL (Centre de Recherche sur l’Action Politique de l’Université de Lausanne) organise une journée d’études intitulée « Observer les rapports sociaux de sexe. Questions de méthode » qui se tiendra le 7 décembre 2011 à l’Université de Lausanne.
Organisation : Martina Avanza (martina.avanza@unil.ch) Olivier Fillieule (olivier.fillieule@unil.ch) Camille Masclet (camille.masclet@unil.ch)
Cette journée sera dédiée à la réflexion sur les enjeux et les problèmes que suscite l’observation ethnographique des rapports sociaux de sexe en sciences sociales.
L’analyse ethnographique, de plus en plus utilisée en sociologie et science politique, a d’ores et déjà produit un grand nombre de résultats dans le domaine des études genre. En tout premier lieu en permettant l’identification des dispositions et socialisations caractéristiques des « transfuges de sexe », pour parler comme Daume-Richard et Marry (1990), que ce soit dans le champ des activités professionnelles (e.g. McDowell 1997, Guichard-Claudic et alii 2008) des activités sportives (Mennesson 2004, 2010 ; Guyon 2007), de l’encadrement religieux (Malogne-Fer 2007) ou encore du militantisme politique (Dunezat 1998 ; Bargel 2009). Mais aussi en s’attachant, à partir du constat de l’existence de carrières différenciées selon les appartenances de genre (le plafond de verre), à montrer les voies subtiles par lesquelles les écarts et les différences assurant les formes de la domination masculine sont mouvantes (Le Feuvre 2005 ; Kergoat 2009) et obéissent à des mécanismes auxquels il est difficile d’accéder autrement que par l’observation. En effet, ni les données objectives ‘déjà là’ (statistiques) ou construites par l’enquête, ni les entretiens ne permettent de bien rendre compte de la manière dont dans des lieux et des situations locales concrets, s’érigent et se déplacent les barrières à l’égalité. C’est du moins ce que suggèrent les travaux qui relèvent la prégnance des phénomènes de double bind chez les femmes (e.g. Menesson 2010, Malogne-Fer, 2007) ou encore l’importance des réseaux de sociabilité hors travail (Guillaume, Pochic 2007 ; Buscatto 2008).
Mais c’est surtout au croisement des développements récents de la sociologie des organisations (à la suite des travaux fondateurs de Connell (1987) qui introduit la notion de « régime genré » pour pointer la construction du genre à l’échelle locale ou de Acker (1990) avec la notion « d’organisation genrée ») et du renouveau des études sur la socialisation (par le déplacement du regard des ‘produits’ de la socialisation vers la socialisation ‘en train de se faire’ et par la concentration sur les socialisations secondaires aux dépends de la seule socialisation primaire) que les méthodes ethnographiques prennent toute leur importance. En effet, l’attention portée au « caractère genré du façonnage organisationnel » (Fillieule, Roux 2009) permet de montrer ce que concrètement les groupements font aux individuEs, dans des contextes situés (Guillaume, Le Feuvre 2007), en même temps que de tenir une exigence théorique cruciale, à savoir ne pas universaliser (et donc rendre fatales) les modalités de fonctionnement des rapports sociaux de sexe. C’est bien parce que ceux-ci s’inscrivent toujours dans des configurations socialement construites et historiquement situées que le passage par l’ethnographie se révèle comme le meilleur remède à tout essentialisme. De ce point de vue, ce que l’enquête par questionnaires ou par entretiens permet d’objectiver des différences genrées de savoir-faire et de savoir-être dans l’exercice d’activités sociales (autrement dit des manières genrées d’habiter les rôles), seule l’observation ethnographique permet de l’expliquer, en montrant comment ces différences se construisent dans des assignations de genre produites dans l’interaction (e.g. Cassell 2000).
Pour autant, et en dépit de ces résultats, on constate que peu de réflexions méthodologiques ont été développées sur l’observation ethnographique des rapports sociaux de sexe. Si la question de ce que le genre fait à l’ethnographie (ses effets sur les conditions et relations d’enquête, sur l’analyse etc.) a été largement soulevée (Warren, 1988 ; Echard, Quiminal, Selim, 1991 ; Blondet 2008), celle des enjeux, intérêts et difficultés de l’observation ethnographique dans l’analyse du genre a plus rarement fait l’objet d’analyses réflexives.
Trois éléments non exclusifs retiendront particulièrement notre attention :
‐ Les modalités d’accès à l’observation des rapports sociaux de sexe in situ. Comment se négocie l’accès aux terrains, qui et quoi observer (des hommes et des femmes, des femmes ou des hommes ? ; choisir des terrains marqués par un égalitarisme de principe ou au contraire par un séparatisme ?), dans quelles circonstances et comment (moments, lieux, dispositifs concrets ou symboliques, types d’interaction, etc.) ?
‐ Avec quels outils analyser les rapports sociaux de sexe ? L’observation se suffit-elle à elle-même ? Comment tenir compte de ce que l’on sait sur le genre, en tant que système de domination, tout en respectant la démarche inductive propre à l’ethnographie ? Ou, pour le dire autrement, si la vérité de l’interaction n’y réside jamais tout entière, que peut-on saisir des rapports sociaux de sexe en observant des pratiques et des interactions ? Dans quelle mesure peut-on vraiment observer les rapports sociaux de sexe à l’oeil nu ? Comment passer, dans l’analyse sociologique, de l’observation des relations sociales dans les interactions à leur conceptualisation en termes de rapport social ? Enfin, en quoi l’observation ethnographique peut-elle être particulièrement heuristique quant à l’analyse du genre ?
‐ Comment restituer l’enquête ? Quels sont les enjeux de la restitution de l’analyse et de l’administration de la preuve ? Comment rendre compte des rapports sociaux de sexe observés et analysés en évitant de (re)produire essentialisation et réification ? Comment restituer le « doing gender » (West, Zimmerman 1998) et la dimension relationnelle des rapports sociaux de sexe ?
Nous invitons des communications originales et inédites fondées sur des enquêtes de terrain ethnographique et qui s’attachent de manière centrale à l’analyse des rapports sociaux de sexe dans divers univers du monde social (famille, formation, travail, loisirs, activités politiques). Nous privilégierons les propositions qui marquent une attention à l’intersectionnalité des rapports de domination. Seul un petit nombre de communications sera retenu afin de laisser du temps et pour la présentation des recherches et pour leur discussion approfondie.
Un comité scientifique est chargé de la sélection des communications. Les propositions émanant de jeunes chercheuses et chercheurs sont bienvenues.
Les abstracts, de deux pages maximum, sont à adresser aux organisateurs avant le 12 septembre 2011.
Les papiers écrits, d’une longueur maximale de 60.000 signes (hors annexes, mais espaces et bibliographie compris) devront parvenir au comité le 20 novembre au plus tard, afin de permettre aux participantEs et aux discutantEs de travailler sur les textes.
Si la qualité et l’originalité des communications le permettent, la journée d’étude fera l’objet d’un numéro de revue.