Colloque Interdisciplinaire et International organisé par le groupe « Vieillissements » du Réseau des Jeunes Chercheurs Santé et Société et le Réseau Thématique 7 « Vieillesses, vieillissement et parcours de vie »
de l’Association Française de Sociologie
Paris, 12-13 Novembre 2014
Argumentaire :
Depuis une vingtaine d’années, il est admis que le vieillissement ne se réduit pas à la dégradation physiologique, tout comme la vieillesse n’est pas synonyme de maladie. Les sciences humaines et sociales sont à l’origine de ces changements de paradigmes. Ces disciplines insistent, par exemple, sur le fait que le vieillissement est un processus tant biologique que psychologique ou social (Lock, 1993), qui affecte l’ensemble des mondes sociaux (travail, famille, santé, loisirs, etc.) (Caradec, 2001, 2004 ; Lalive-d’Epinay et al., 2008). Elles défendent également l’idée que la vieillesse et le vieillissement ne relèvent pas tant d’une question d’âge numérique que d’un remaniement des positionnements au sein de la société, vis-à-vis de soi- même et vis-à-vis d’autrui (Bourdelais, 1993 ; Caradec, 2004). La mise en évidence des dimensions sociales du vieillissement a conduit les chercheurs à délaisser la question du corps, et en particulier du corps vieillissant. Pourtant, le corps apparaît comme un lieu privilégié de cristallisation des luttes de domination, des processus d’identification et des logiques de recompositions identitaires (Bourdieu, 1977), en reflétant et en dénonçant en même temps les clivages entre le biologique et le social. Ce sont les fragilisations du corps vieillissant qui mobilisent aujourd’hui tout particulièrement les politiques publiques de la vieillesse (Renault, 2004 ; Brechat et al., 2008) – en termes d’aménagement des soins, de l’habitat ou des transports – et la silver economy en pleine expansion. Enfin, le corps comme réceptacle de l’empreinte du temps et marqueur des signes du vieillissement est aujourd’hui plus que jamais au centre des enjeux du « bien vieillir » (Crignon-De Oliveira, 2010) et de ses controverses. Ainsi, si le corps s’affirme comme une réalité biologique du vieillissement, c’est une réalité construite et normée par le social.
Dans la volonté de réaffirmer la place du corps dans le processus de vieillissement comme objet d’études pour les sciences humaines et sociales, nous souhaitons mener une réflexion à la fois sur les effets des métamorphoses du corps au cours de l’avancée en âge et sur la production sociale d’un corps vieillissant. A l’inverse des théories naturalistes, nous opterons pour un questionnement des effets du social sur les théories/représentations/appréhensions du biologique (dans la ligné des travaux de Gardey et Löwy, 2000) et soulignerons les articulations qui existent entre le social et le biologique. Comment le processus de vieillissement (pris au sens large) travaille-t-il le corps, dans ses dimensions biologiques, sociales, physiologique, politiques, etc. ? Autrement dit, il ne s’agit plus simplement d’aller dans le sens d’une déconstruction de la réalité naturelle et biologique du corps (tel que l’ont proposée des auteurs comme M. Mauss, 1934), mais de réfléchir également aux déterminations biologiques qui sont elles-mêmes (on le voit dans le cadre de la maladie d’Alzheimer, par exemple) informées socialement (Vincent, 2008).
Au travers de trois axes de travail, il s’agira :
1. d’une part, de définir le « corps vieillissant » et la manière dont il peut être appréhendé dans nos recherches. Cette définition est problématique car dans nos sociétés, aucun rite de passage ni âge précis ne marque le début des processus de vieillissements ni l’entrée dans la(es) vieillesse(s). Néanmoins c’est le corps qui bien souvent porte les marques de la vieillesse, et par conséquent fait l’objet d’enjeux de contrôle et de maîtrise de la part des individus vieillissants ou des médecins (Bourdelais, 1993 ; Drulhe, 2003) ;
2. d’autre part, de saisir les normes d’usages sociaux de ce corps vieillissant, leur production dans la tension entre le biologique et le social, et les conséquences de ces normes sur le vécu individuel des processus de vieillissements ;
3. enfin, un dernier axe s’attachera à décrire les pratiques du corps vieillissant – celles de la vie quotidienne - et leurs évolutions au fur et à mesure que le corps se transforme ainsi que celles causant des transformations du corps vieillissant. Il conviendra de revenir notamment sur les processus de recomposition biographique et de redéfinition de soi impulsés par les transformations corporelles au cours du vieillissement. Il paraît ainsi indispensable d’analyser non seulement les pratiques, institutionnalisées et individualisées, par lesquelles le ralentissement d’une dégradation physique et mentale est recherché, que les manières, socialement distribuées, dont les transformations corporelles sont perçues, accompagnées, appropriées, et sur le sens qu’elles prennent pour les personnes qui en font l’expérience.
Nous avons pour ambition d’articuler dans chacun de ces axes, trois niveaux d’analyse : l’expérience des personnes vieillissantes ; celle de leur entourage (sociabilités familiale, amicale, professionnelle...) ; et la manière dont les pouvoirs publics appréhendent chacune des questions abordées dans ce colloque.
I. Penser le corps vieillissant
Cet axe interrogera les représentations d’un corps transformé par le temps qui passe. Plusieurs questions pourront être discutées. Tout d’abord, notre travail s’attachera à déconstruire et à dénaturaliser le corps vieillissant. Il s’agira ici de questionner les définitions socialement construites de la vieillesse et du vieillissement corporel. Les seuils d’âge définissant l’entrée et la progression dans le vieillissement seront analysés du point de vue du vécu subjectif et des types d’institutionnalisation.
D’où l’intérêt d’une réflexion située à un niveau anthropologique pour saisir les dimensions culturelles du vieillissement et les représentations sociales qu’elles produisent. En effet, selon les sociétés observées, le poids des années peut forger différemment les corps : un corps répugnant, décrépi, affaibli ou, au contraire, un corps anobli par l’âge, un corps de sorcier puissant qui force le respect, incarne la sagesse, le savoir, le pouvoir (Arcand, 1982). De la même manière, la dimension historique est particulièrement intéressante : comment les évolutions démographiques et sociales influent-elles sur les images de corps vieillissant ? Comment les perceptions des âges de la vie (entre respect pour les aînés, généralisation du jeunisme, ou encore, attitudes et jugements âgistes) à des époques différentes structurent-elles les représentations sociales des corps ? Comment la médicalisation contemporaine et la professionnalisation du soin accompagnant l’avancée en âge ont-elles modifié l’image profane d’un corps vieillissant par rapport aux époques précédentes ?
Le corps marqué par le temps et la vieillesse soulève également des questions d’ordre philosophiques et éthiques. Il s’agit alors de penser le corps en fin de vie, sa prise en charge (soins palliatifs, acharnement thérapeutique, droits des patients...). Autant d’aspects qui exacerbent la tension entre les dimensions biologiques et sociales des corps situés à la frontière entre la vie et la mort.
Plus généralement, il s’agit d’appréhender les trajectoires de métamorphoses du corps, prises dans leurs contextes, afin de comprendre les divers processus sociaux engagés par l’avancée en âge. Peut-on parler d’une trajectoire type du vieillissement corporel ? Quels sont les moments charnières à travers lesquels ces métamorphoses se révèlent (par exemple, la ménopause, l’andropause...) ? Quelle est la place du corps dans la définition de la dépendance et de l’autonomie ? Sur quelles définitions du corps reposent-elles implicitement ?
Généralement, le corps en sciences humaines et sociales est pris dans sa dimension globale et entière. Cependant, l’appréhension de l’unité bio-psycho-sociale de l’individu et de son corps est souvent perdue au profit d’une dimension privilégiée. Ce type de clivage, perceptible dans la recherche, se fait fortement ressentir en écho sur le terrain, auprès des professionnels comme auprès des personnes interrogées. Nous questionnerons les conditions de possibilité d’un rapprochement multidisciplinaire autour de ce problème.
Enfin, il sera nécessaire de situer les définitions et les images du corps vieillissant qui émergent dans des contextes sociaux différents. Nous proposons de nous attarder ici sur les métiers dans lesquels le corps constitue le principal outil de travail, comme les métiers qui engagent fortement l’esthétique du corps (mannequins, comédiens) ou la force physique (ouvriers, artisans, sportifs, militaires).
II. « Encadrer » le corps vieillissant
Dans cette partie, nous proposons d’analyser les normes corporelles liées aux différentes étapes du processus de vieillissement, leur production, leurs conséquences sur les expériences individuelles.
Qu’est-ce que le « bien vieillir » ? Quelle place occupe le corps dans la conceptualisation du vieillissement réussi ? Que nous apprend l’encadrement hygiéniste des corps vieillissants ? Quel regard portent les individus sur ce discours médiatique ? Dans quelle mesure ce discours contribue à forger un rapport à un corps vieillissant ?
Nous souhaitons également interroger les effets des normes sociales différenciées sur les transformations du corps avec l’âge. L’empreinte du temps sur le corps a-t-elle le même effet pour tous (selon l’âge, le genre, le niveau de diplôme, la profession, le niveau de revenu et le milieu social en général) ? Comment prendre en compte cette diversité de normalisation des métamorphoses corporelles au cours du vieillissement ? Quelles modalités de réponses appelle- t-elle ? La question du genre se présente également comme incontournable (Arber, Ginn, 2002). Ilana Löwy (2006) questionne ainsi la persistance d’inégalités de genre au cours du vieillissement, qui introduisent un traitement social différencié du corps masculin et du corps féminin.
Par ailleurs, les politiques publiques de différents niveaux s’orientent vers la prévention des risques spécifiques liés à l’avancée en âge (chutes, fragilité face à la canicule, maladies chroniques, grippe, etc.). En quoi consistent ces dispositifs ? A qui s’adressent-ils ? Quelles en sont les conséquences sur la vie quotidienne, tant au niveau des pratiques médicales, alimentaires, sportives, etc.?
III. « Faire avec » le corps vieillissant
Ce dernier axe sera focalisé sur les pratiques, celles des acteurs vieillissants et de leur entourage informel et institutionnel.
Si la société d’aujourd’hui peut être qualifiée de réflexive (Giddens, 1991), les individus sont incités à se projeter dans l’avenir. Comment, dès lors, les personnes vieillissantes entrevoient- elles ce dernier ? La dégradation corporelle est-elle perçue comme inévitable ? Quelles stratégies anticipatrices et défensives mobilisent-elles ? Dans quelles mesures les trajectoires biographiques orientent-elles l’appréhension du corps vieillissant et son évolution au fil de l’âge ? Dans cette perspective, nous nous interrogerons sur les rapports au corps des personnes vieillissantes, en fonction de leur genre mais également de leur âge. Comment travaillent-elles leur corporéité au fil des années ? Nous nous pencherons également sur la place du corps vieillissant dans les transformations de la sexualité des personnes âgées (Bessin, Blidon, 2011) et les normes qui lui sont prescrites.
Les fragilisations du corps survenant au cours du vieillissement posent la question des aménagements de l’environnement proximal du sujet vieillissant. Comment les « adaptations » plus ou moins majeures du cadre de l’habitat (domicile, habitat intermédiaire, établissement médicalisé) qui accompagnent les pertes de mobilités/fonctionnalités transforment les habitudes de vie du sujet ? Mais aussi comment les personnes vieillissantes s’adaptent à des environnements inadaptables ou inadaptés ? Quelles stratégies, logiques sont mises en œuvre afin que les corps puissent continuer à se mouvoir ? Finalement, comment ces diverses modalités d’habiter médiatisent les relations que la personne entretient avec son corps et son espace de vie (Mallon, 2004) ? Comment les pratiques individuelles d’adaptation s’inscrivent- elles (si elles le font) dans les cadres conçus dans les institutions responsables des logements ? Enfin, il s’agira d’analyser les effets du lieu de vie sur la santé et l’autonomie fonctionnelle des résidents. En quoi ces habitats définissent, du fait de leurs configurations spécifiques, différentes figures de parcours de vieillissement corporel ?
Au-delà de l’environnement matériel, comment les relations avec les proches, mais également avec les professionnels, influencent-elles à la fois l’appréhension du corps et le « travail de soi » (Darmon, 2003) des personnes âgées ? Comment les aspects physiques du vieillissement sont- ils travaillés, c’est-à-dire soulignés, mis en scène, minimisés voire effacés, tant par les personnes âgées que par les professionnels ou par les proches, qui les aident, les accompagnent, les conseillent ? Comment ce travail varie-t-il selon les trajectoires de vie, les milieux sociaux, les contextes institutionnels des personnes âgées ? Des professionnels ? Des proches ? Comment l’appréhension du vieillissement physique de l’autre, des défaillances du corps, des douleurs, mais également des transformations de la présentation de soi, contribue-t-elle à donner un âge, à qualifier la vieillesse et le vieillissement, dans un rapport dialectique avec les âges numériques, les représentations sociales des âges et les normes qui leur sont attachées ?
Des stratégies compensatrices peuvent être développées afin de faire face à des limitations fonctionnelles. Nous invitons les intervenants à questionner les inégalités susceptibles d’intervenir dans ces stratégies et les façons dont elles se mettent en œuvre. Et sans parler de limitations fonctionnelles, l’avancée en âge peut engendrer un processus de « déprise » de certaines activités au profit d’autres qui sont plus accessibles aux sujets, tout en conservant celles qui sont à leurs yeux les plus signifiantes (Barthe, Clément, Drulhe, 1988 ; Caradec, 2004). Nous souhaiterions questionner le rôle du vécu du corps vieillissant dans ces « déprises », ainsi que les limites qu’il impose aux choix des relations et des pratiques à maintenir ou à cesser. Comment « faire avec » son corps vieillissant dans un contexte où l’individu a de moins en moins de prise sur celui-ci ? Lorsque, par exemple, dans le cas de la maladie d’Alzheimer, le rapport au corps, à soi, à l’esprit échappe à l’individu, se fait plus labile. Comment faire « avec » un corps qui ne rend pas visible une pathologie qui affecte l’un de ses organes moteurs ? Mais, plus généralement, comment les individus vieillissants « jouent-ils » avec leur corps, ou, au contraire, affichent-ils leur vieillissement et l’assument ? Quel « travail du vieillir » se révèle dans les pratiques des individus vieillissants ?
Les propositions de communication (2000 à 3000 caractères) sont à envoyer avant le 30 juillet 2014 à l’adresse : colloque2014@vieillissementsetsociete.org
Le colloque est co-organisé par le groupe « Vieillissements » du Réseau des Jeunes Chercheurs Santé et Société et le RT7 de l’Association Française de Sociologie, avec le soutien du Centre Max Weber (UMR 5283). Il vise à rassembler des contributions ne relevant pas nécessairement de la sociologie du vieillissement.
Pour toutes questions, veuillez vous adresser à : colloque2014@vieillissementsetsociete.org
Nous annoncerons les propositions retenues le 1er septembre 2014. Nous réceptionnerons les textes des communications le 1er novembre 2014.