PU de Franche-Comté, 2007, 128 p., 15 euros. ISBN : 978-2-84867-210-6
Si l’étude des pratiques de l’ascèse est une manière utile d’aborder la question du sentiment religieux et l’histoire des formes de piété, on peut aussi considérer le fait et les enjeux de la dévotion, et les représentations variées de l’imitatio Christi, à la lumière d’autres sortes d’altérations du corps, celles qui apparaissent aux « saints » et « saintes » qui en sont le sujet d’exception, ou bien au public de leurs admirateurs contemporains et posthumes, comme relevant d’une volonté extérieure et providentielle : « épreuve » de la maladie, « don » des stigmates, « privilège » du corps incorrompu (paradoxale altération où un corps immuablement sain poursuit la vie d’un corps détérioré). Au moment de la Contre-Réforme, alors que Rome met au centre l’événement de la Passion pensé sous toutes ses faces, ce thème du « corps modifié » prend un tour et une signification très remarquables dans le cas des femmes saintes, en raison de la diffusion d’un fort courant de pensée eschatologique qui accorde aux femmes (suivant la perspective d’un proche achèvement de l’histoire comme temps de violence) le rôle majeur et incessible de manifester à l’évidence l’état de Rédemption et la réalité d’une humanité meilleure.
Fixée par leurs témoins et biographes dans le temps et l’esprit de l’Europe chrétienne, l’expérience des quelques dévotes italiennes évoquées dans cet essai reflète emblématiquement la rencontre entre un désir individuel de libre création et une institution, l’Eglise, qui - en vertu de sa nature de Concordia discors - nourrit d’un côté la sensibilité religieuse où cette liberté peut s’exercer mais, favorisant en même temps des aspirations et des choix différents, ne la respecte de ce côté-là qu’autant qu’elle sert un autre idéal que celui que les dévotes voudraient faire prévaloir. N’étant pas elles-mêmes indemnes de ces doctrines et tendances spirituelles qui les enveloppent et dont elles intériorisent plus ou moins consciemment les exigences et attentes disparates, ni de la volonté que le Saint-Siège impose par ses Constitutions, c’est aussi dans un débat avec soi qu’elles tentent, en inventant une relation unique avec le seul divin, d’élaborer un art de s’inventer en propre.
Le personnage de la « femme de douleur » est l’occasion de comprendre – dans le cadre d’une histoire des croyances et de l’imaginaire religieux, des styles de comportement et de leur mode de représentation – un aspect singulier du rapport au corps et à la mort dans la société catholique de l’Age baroque.
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