Appel à communication du réseau thématique « Sociologie clinique » (RT 16) pour le Vème Congrès de l’AFS à Nantes (2-5 septembre 2013)
Présentation :
L’approche clinique dans les sciences sociales porte un souci particulier pour l’étude des déplacements subjectifs par lesquels les individus s’efforcent de se dégager des processus de domination qui les assujettissent. Les dispositifs de recherche et la méthodologie que mettent en œuvre les sociologues cliniciens, dans des groupes d’analyse des pratiques professionnelles, des groupes d’implication et de recherche ou encore des ateliers d’écriture, permettent l’émergence d’un savoir émancipatoire, co-construit par le sociologue et les participants. Pourtant, si l’approche clinique dans les sciences sociales est compréhensive et critique, elle ne vise pas à dénoncer les diverses formes de domination produites par les interactions et rapports sociaux, mais plutôt à accompagner les individus qui se heurtent à des situations sociales auxquelles ils peuvent participer à travers des processus d’assujettissement comme la servitude volontaire (La Boétie), l’hégémonie culturelle (Gramsci) ou encore la violence symbolique (Bourdieu). Il est cependant impératif de ne pas considérer comme allant de soi l’existence de tels processus d’assujettissement. Il faut préciser non seulement par quelles modalités socio-psychiques des individus peuvent se retrouver sous leur emprise, mais aussi quelles sont leurs conditions sociales d’émergence. Il est donc important de questionner les expériences de la domination qui ne reposent pas sur de tels mécanismes d’adhésion et de soumission volontaires. Étudier le rôle et la place des affects dans le renforcement aussi bien que l’altération, voire la défaillance de tels mécanismes s’avère aussi essentiel. De même, puisque l’approche clinique dans les sciences sociales privilégiant l’échelle d’observation mésociologique afin d’étudier les articulations entre l’individu et le social, « l’être de l’homme » et « l’être de la société », il s’agit de déterminer les mécanismes de production des différentes formes de domination et la manière dont elles sont médiatisées au sein des groupes restreints et des organisations.
L’approche clinique en sciences sociales n’oppose pas le déterminisme social à la liberté des acteurs, mais s’attache plutôt à étudier leurs mouvements dialectiques. Par conséquent, elle ne réduit pas l’analyse sociologique des dominations à l’étude de son intériorisation et de son incorporation. En ce sens, nous serons attachés aux recherches qui établissent comment toute forme de domination suscite des résistances, et réciproquement, comment toute forme de résistance comporte une dimension contraignante ou coercitive. Cela peut nous mener à mettre à jour les différentes ‘‘failles’’ et autres ‘‘ratés’’ par lesquels les processus de domination se trouvent, relativement, mis en échec. C’est une sociologie clinique du quotidien qui se trouve ici mobilisée, attentive à la diversité des actes quotidiens par lesquels les sujets résistent aux dominations, en s’efforçant de se dégager de ce dans quoi ils sont assujettis.
En explorant les théories et pratiques managériales hypermodernes, la sociologie clinique a déjà mis en évidence quel est le « coût de l’excellence ». Dans cette optique, on peut se demander quel est le coût subjectif de la domination (réelle et symbolique) ? Autre manière d’approcher la problématique selon laquelle les dominants sont dominés par leur propre domination. Par ailleurs, l’emprise que les pratiques managériales ont sur les salariés peut se comprendre comme une forme de dépendance subjective, liée à la manière dont les individus investissent, affectivement et même libidinalement, leur entreprise, association ou organisation. Nous suivons ici les pas de la contribution pionnière qu’ont apportée les auteurs de L’emprise de l’organisation, en mettant en évidence les ressorts socio-mentaux de la domination managériale, parvenant à obtenir l’adhésion active des salariés en captant leur énergie psychique et leurs activités désirantes inconscientes, tout en constituant une formation de compromis à leurs complexes psychiques ainsi qu’aux contradictions et paradoxes qui apparaissent entre eux et leur organisation. Or, c’est notamment sur la médiation de telles contradictions (par exemple entre autonomie et contrôle) que les entreprises hypermodernes fondent leur mode de domination.
Une attention spécifique peut être portée à la domination de l’idéologie managériale, afin de comprendre de quelle manière des individus sommés de ‘‘se réaliser’’ par le travail se trouvent réduits au statut de ‘‘ressources’’, qu’il s’agit de gérer et d’optimiser, quitte à ce que les salariés finissent par s’épuiser et se consumer (donnant naissance au syndrome du burn-out). Enfin, l’étude d’univers sociaux aussi différents que les entreprises, les associations et la fonction publique, de plus en plus assujettis à la rationalité instrumentale, permettent d’étudier en quoi le verbal constitue plus que jamais un instrument de domination et de normalisation ? De même qu’il est urgent d’interroger comment le savoir savant, produit par des sujets supposés savoir, domine et instrumentalise d’autres formes de savoir, comme les savoirs techniques et ceux issus de l’expérience existentielle ?
Les interrogations peuvent aussi être d’ordre méthodologique. Globalement, il s’agit de mettre en évidence quel apport à la connaissance des processus de domination permettent les méthodologies, les dispositifs de recherche et les techniques d’enquête mobilisés par les sociologues cliniciens ? En quoi l’approche clinique dans les sciences sociales donne-t-elle accès à certaines dimensions particulières des processus d’assujettissement ? De quelle manière les dispositifs de recherche clinique, en s’appuyant sur la consistance dialectique du social, contribuent à transmuer les forces coercitives et inhibitrices du social en supports d’actions ? En quoi les dispositifs cliniques permettent-ils de reconnaître, d’entendre et de nourrir une parole spécifique, distincte de celle prélevée par d’autres approches sociologiques ? Cela nous conduit in fine à interroger l’accompagnement que les sociologues cliniciens effectuent afin que les individus adviennent comme sujets, en convertissant en capital leurs souffrances et handicaps culturels, incorporés sous la forme d’un habitus.
Voici quelques-uns des axes et pistes de recherche que pourront aborder les communications, donnant à voir quelles contributions, théoriques autant que méthodologiques, l’approche clinique dans les sciences sociales apporte à la problématique de la domination.
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