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Matérialismes féministes

Avant le 14 septembre - Comment s’en sortir ?


Date de mise en ligne : [06-07-2015]



Mots-clés : marxisme | féminisme


Pour le numéro 4 de la revue Comment s’en sortir ?

Coordination :

Maxime Cervulle et Isabelle Clair.

Argumentaire :

Cet appel à proposition d’articles fait écho à des débats qui se développent depuis quelques années au sein des études féministes ayant trait à l’usage d’une grille d’analyse marxiste ou marxienne pour rendre compte, de façon analogique ou symptomale, des systèmes hiérarchiques organisés par le genre et la sexualité, la race et la classe sociale. Il ne s’agira pas de reproduire ces débats mais de mettre au jour leurs filiations théoriques, les cadres sociaux dans lesquels ils sont produits, les histoires dont ils sont le point d’arrivée provisoire et les frontières (nationales, disciplinaires, épistémologiques) qui les traversent et les circonscrivent. Contre l’idée qu’il existerait un féminisme matérialiste établi une fois pour toutes, nous souhaiterions faire la preuve d’une pluralité de féminismes matérialistes ou de matérialismes féministes : existants ailleurs, existants ici mais marginalisés ou en cours de formulation. L’enjeu est donc d’ouvrir le féminisme matérialiste de langue française, selon plusieurs modalités : 1) en le « dépaysant », par le recours aux théories féministes matérialistes développées ailleurs qu’en France ; 2) en l’historicisant, par le biais d’une généalogie critique donnant à voir les ressorts de sa formation ; 3) en mettant en perspective les enjeux disciplinaires nationaux et leurs possibilités et impossibilités de circulation.

Axes :

. Pour une sociohistoire du « féminisme matérialiste à la française » Il existe en France une bibliothèque du féminisme matérialiste que chacun·e, au sein des études féministes, est censé·e connaître. Fondée sur un outil d’analyse commun, la méthode marxienne, elle a ses auteures de référence : Colette Guillaumin, Monique Wittig, Nicole-Claude Mathieu, Danièle Kergoat, Paola Tabet, Christine Delphy. Cette dernière, trente ans après un article souvent présenté comme fondateur (Delphy, 1998 [1975]), décrit la constitution au fil des années d’une « école féministe matérialiste » (Delphy, 2005, p. 35). Véritable acte d’institution rétrospectif, ce texte rappelle que, pour comprendre les débats et les disputes dont le matérialisme fait aujourd’hui l’objet au sein des études féministes, il est utile de tenir compte de ses cadres de production. Le féminisme matérialiste est en France un courant théorique majeur, avec ses revues, ses collections, ses lieux de transmission, ses mots tabous et ses mots consacrés, ses disciplines amies et ses adversaires « de toujours ».
Une de ses caractéristiques est en effet de s’être construit de façon antagonique : contre les savoirs androcentrés, contre la naturalisation des rapports sociaux, contre l’idéalisme, contre les frontières disciplinaires – en tout cas contre certaines d’entre elles. Cette position originelle a (eu) divers effets au sein des études féministes : l’antagonisme identifie les problèmes, clarifie les positionnements, consolide les savoirs, mais il tend aussi parfois à faire taire les interpellations internes au nom de l’unité théorique (et donc politique), ainsi qu’à reformuler ces interpellations en termes ennemis – en les taxant d’idéalisme, notamment. C’est ainsi que « le féminisme matérialiste » se fait parfois arme défensive à usage interne et marque déposée. Son singulier tend aussi à masquer la pluralité des concepts de l’école : ‘domination’, ‘rapport social’, ‘aliénation’, ‘appropriation’, ‘oppression’, ‘exploitation’, ‘patriarcat’, ‘sexage’, etc. ne sont pas des termes équivalents, ni même aisément compatibles, et leurs définitions peuvent varier selon les auteur·e·s qui se réclament du corpus féministe-matérialiste. Tenir compte de cette pluralité est d’autant plus nécessaire que ces concepts ont connu des destinées diverses : certains se sont imposé durablement quand d’autres ont disparu pour parfois connaître des regains d’intérêt plus tardifs. Révélatrice d’une hétérogénéité théorique présente dans les fondations même de l’école, cette diversité et son histoire doivent être interrogées au moment où s’affrontent diverses définitions et redéfinitions de la matérialité au sein de la recherche féministe. Il nous semble dès lors important d’encourager les propositions à contextualiser et à historiciser la discussion théorique, et même d’en susciter qui soient centralement consacrées à ses cadres de production. Comment s’est constitué ce qui semble être devenu un label de qualité et de radicalité au sein des études féministes françaises/francophones ? Quels effets un tel label a-t-il (eu) sur le développement des objets de recherche au fil des années ? Quel frein (ou quel atout) a-t-il constitué dans la circulation des idées au-delà des frontières nationales ? Quelle diversité d’approches, d’usages lexicaux, de conceptualisations en réalité recouvre-t-il ?

. Ce que « matérialité » veut dire Le déplacement althussérien du modèle base/superstructure, qui situe la question de la reproduction idéologique au cœur de la recherche critique, a profondément marqué les théories féministes en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Les apports d’Althusser ont en effet irrigué les travaux féministes se revendiquant du poststructuralisme (Butler, 2002 ; Lauretis, 2007), mais aussi ceux ancrés dans le matérialisme (Barrett, 1988 ; Gibson-Graham, 2006). « ‘‘La matière se dit en plusieurs sens’’ ou plutôt […] elle existe sous différentes modalités, toutes enracinées en dernière instance dans la matière ‘‘physique’’ », écrivait Althusser en 1976 (2011 : 192). Cette phrase qui complexifie sa proposition selon laquelle l’idéologie aurait une existence matérielle, ouvre un espace de trouble quant à la définition même de la « matérialité ». De son côté, le féminisme matérialiste en France s’est bien peu saisi des thèses althussériennes : un point qui explique sans doute certaines des oppositions de ce courant aux approches poststructuralistes ou queer, mais aussi l’ignorance marquée face aux variations matérialistes anglophones les plus hétérodoxes, que l’on pense par exemple aux féminismes inspirés du matérialisme culturel (Women’s Studies Group, 1978), de la théorie matérialiste du discours (Henessy, 1993) et plus largement du « marxisme occidental » (Gramsci, Lukàcs, Adorno, etc.). Faire retour sur les généalogies théoriques qui ont présidé à la cristallisation du modèle du féminisme matérialiste francophone devrait permettre de rendre compte des effets de clôture autour de la définition de la « matérialité ». Le modèle « marxien » du féminisme matérialiste français, notamment tel que défini par Delphy (1998), a progressivement conduit à écarter des programmes de recherche la question de l’idéologie comme levier de la reproduction sociale et, en conséquence, une série d’objets de première importance pour penser la conflictualité, tels que le langage, les représentations ou la subjectivité. Ce modèle féministe matérialiste, désormais transmis sous forme de tradition intellectuelle canonique, a toutefois fait l’objet de tensions internes qui ont constitué autant d’occasions historiques d’en élargir les contours. Aussi peut-on penser que les écrits de Monique Wittig, sa préoccupation pour l’idéologie et son insistance sur la matérialité du discours (2001 : 70), constituent une rupture inaugurale au sein de cette tradition – rupture dont la portée théorique, jusqu’à redéfinir l’approche de la matérialité, ont insuffisamment été soulignées. Wittig (1999) a d’ailleurs évoqué, entre les lignes, le phénomène de recroquevillement de la ligne matérialiste sur une forme aboutie d’orthodoxie (la détermination « en dernière instance » par la base matérielle) qui conduit à délégitimer la prise en compte de l’idéel et du rôle déterminant qu’il peut endosser.
Il s’agira donc, dans le cadre de ce dossier, de s’interroger sur les filiations des différentes théories féministes matérialistes, de leurs conséquences sur la définition de la matérialité et des effets de cette dernière sur la construction des objets de recherche. Les contributions confrontant le féminisme matérialiste français à des courants matérialistes qu’il ne discute pas ou peu sont également les bienvenues, dans la mesure où elles contribueront à déplacer les oppositions classiques que la querelle entretenue en France par le féminisme matérialiste avec les approches poststructuralistes a artificiellement figées : discursivité contre matérialité, fluidité contre conflictualité sociale, subjectivité contre rapports sociaux. Les propositions d’article pourront ainsi, par exemple, relire cette querelle à l’aune du poststructuralisme, en déplaçant donc le point de vue sur la tension entre matérialisme et queer, celle-ci ayant jusque-là été principalement produite par les tenantes de la première option (Mathieu, 1994 ; Agone, 2010 ; Cameron et Scnalon, 2014). Mais elles pourront aussi imaginer de nouvelles hybridations théoriques ou donner à lire certaines redéfinitions en cours de la notion de « matérialité » dans le champ féministe, par exemple en discutant l’émergence de la théorie des affects (Clough et Halley, 2007 ; Gregg et Seigworth, 2009) ou du « néo-matérialisme » (Coole et Frost, 2010 ; Braidotti, 2011).

Modalités :

Les propositions contiennent le titre de l’article et un résumé de 4 000 signes, ainsi qu’une présentation des auteur•e•s comprenant le nom, la discipline, les coordonnées de contact et une biographie de 900 signes maximum. Elles doivent être adressées à redaction@commentsensortir.org. La charte éditoriale complète est disponible sur le site internet : http://commensensortir.org Date limite de réception des propositions d’articles : 14 septembre 2015 Notification de la première phase de sélection : 1er octobre 2015 Date limite d’envoi des articles complets pour double évaluation à l’aveugle : 11 janvier 2016 Publication : Décembre 2016 Les articles ne devront pas dépasser 40.000 signes, références incluses.

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