par le Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (CNRS/EPHE), en partenariat avec l’École Doctorale de l’EPHE et l’Institut Émile du Châtelet.
à Paris le vendredi 23 mai 2014
Comité d’organisation :
Romain Carnac (doctorant EPHE-GSRL / Université de Rennes 1-IDPSP) ; Diletta Guidi (doctorante EPHE-GSRL / Université de Fribourg) ; Guillaume Roucoux (doctorant EPHE-GSRL / Université Paris 8-Labtop-CEFEG).
Présentation :
Le renforcement de l’engagement des acteurs religieux dans le débat public autour des questions de genre est une tendance particulièrement marquante de l’actualité nationale. Après une importante mobilisation du monde catholique contre l’introduction de la notion de genre dans les programmes scolaires de Sciences de la Vie et de la Terre en 2011, le projet de loi ouvrant le droit au mariage et à l’adoption aux couples de même sexe se heurte à une réaction religieuse plus importante encore. Si l’Église catholique est toujours en première ligne, elle n’est plus la seule voix religieuse à se faire entendre : des représentants de plusieurs autres confessions ont également exprimé leurs vues dans ce qu’il est convenu d’appeler, dans les médias, la « controverse du genre », et que l’on définira ici comme la discussion portant sur l’ensemble des questions ayant trait à l’identité sexuelle, aux sexualités et aux rôles de sexe.
Le parti pris de cette journée d’étude est d’analyser l’engagement des religions dans ce débat en focalisant l’attention sur les « autorités religieuses ». La définition d’un tel objet ne va pas de soi, en particulier dans le cadre du débat qui nous intéresse ici : les questions de genre, en effet, font apparaître des clivages importants qui donnent lieu à une reconfiguration des rapports de pouvoir dans la sphère religieuse. Il semble indispensable de dépasser la compréhension seulement institutionnelle de la notion d’ « autorités religieuses » pour désigner plus largement par cette locution tous les acteurs du monde religieux qui exercent une autorité, celle-ci pouvant s’appuyer sur des sources de légitimité et des modes de contrainte qui ne tiennent ni à la structure, ni à la tradition. On pourrait aller jusqu’à considérer l’hypothèse de l’obsolescence du concept d’ « autorité » dans un contexte où les discours religieux sont désormais mis en concurrence, sur un plan horizontal, avec d’autres discours religieux ou séculiers, et où la référence à la transcendance ne constitue plus un argument recevable dans la délibération démocratique.
Cette journée d’étude se donne pour objectif de dresser un « état des lieux » des positionnements des autorités religieuses, sans délimitation géographique et sans laisser de côté les religions minoritaires, les « nouveaux mouvements religieux » et les « sectes », qui, très souvent, produisent un discours sur ce sujet, mais rencontrent une faible audience. Il nous apparaît également important de ne pas nous en tenir à la seule actualité, mais au contraire d’éclairer celle-ci à la lumière de l’histoire : quelles sont les permanences et les mutations observables lorsque l’on compare l’attitude des autorités religieuses à l’égard de l’ordre genré – et des transgressions de celui-ci – à différentes périodes et dans différents contextes ? Et en particulier, quelle est l’influence réelle de l’évolution du féminisme, de la condition féminine et homosexuelle, et de la place des femmes et des minorités sexuelles au sein des institutions religieuses sur les discours des autorités religieuses sur les questions de genre ?
Quatre axes principaux sont proposés au sein desquels les intervenants pourront inscrire leur réflexion :
1°) Les objectifs des autorités religieuses dans le « débat du genre »
Recherche des raisons qui poussent les autorités religieuses à s’engager dans ce débat autour du genre et à mobiliser autant d’énergie pour y participer. Pourquoi cette question focalise-t-elle autant leur attention, pourquoi cristallise-t-elle autant d’inquiétudes de leur part ? Quelles sont les autorités religieuses les plus virulentes dans la critique, et quelles sont celles qui, à l’inverse, s’en démarquent par des positions plus bienveillantes à l’égard des mutations contemporaines en matière sexuelle ? Comment interpréter le silence des autres ?
2°) Les autorités religieuses face aux clivages externes et internes
Le débat autour des questions de genre semble, à première vue, faire apparaître une rupture profonde entre religions et modernité. Peut-on, pour autant, parler d’une alliance – ou même d’une simple convergence d’intérêts – des différentes autorités religieuses sur ce thème ? Rien n’est moins sûr. L’analyse des discours révèle en effet des lignes de divisions entre les religions elles-mêmes, et d’autres, peut-être plus importantes encore, au sein même des communautés religieuses.
Comment ces clivages sont-ils gérés par les autorités religieuses ? Dans quelle mesure sont-ils provoqués par elles, dans un souci de se distinguer et d’affirmer, ou réaffirmer, une singularité identitaire ? Comment cette pluralité est-elle instrumentalisée, mise en scène ou masquée, et dans quel but ? Enfin, l’organisation progressive des groupes qui portent une parole religieuse « dissidente » sur ces questions ne dessine-t-elle pas de nouveaux pôles d’autorité ?
3°) Les stratégies discursives et les arguments mobilisés par les autorités religieuses
Pour pouvoir participer au débat de société autour des questions de genre, les autorités religieuses doivent donc tenir compte, dans la production de leur discours, des conditions de l’accès à l’espace de la délibération démocratique dans un espace public sécularisé. Ces contraintes ne sont cependant pas nécessairement subies : on peut aussi penser qu’elles procèdent d’une volonté d’étendre la portée du discours au-delà du cercle des croyants.
On voit ainsi les autorités religieuses déployer de nouveaux dispositifs de communication : aux relais traditionnels du discours (sermons adressés directement aux fidèles, revues et radios confessionnelles…) se sont ajoutés des modes de communication modernes qui le diffusent toujours plus largement (télévision, sites internet, réseaux sociaux, microblogging…). À l’instar des « nouveaux mouvements sociaux », les acteurs religieux font également un usage stratégique des mass-médias, développant de nouvelles modalités d’expression pour démultiplier leur audience grâce au levier médiatique.
Cet impératif lié à l’audience à laquelle le discours est destiné se traduit également par la prédominance d’une argumentation non théologique : est ainsi mobilisée l’autorité de savoirs séculiers (biologie, médecine, anthropologie, psychanalyse…) plutôt que celle de la doctrine, les éléments de foi apparaissant comme relégués au second plan. La règle du jeu du débat « laïc » semble acceptée : aux arguments scientifiques qui leur sont objectés, les religions répondent ainsi par d’autres arguments scientifiques. Cette « alliance » entre les religions et certaines sciences doit cependant être questionnée : il s’agit de savoir si elle va au-delà du vocabulaire… et si elle est réciproque.
4°) La réception du discours des autorités religieuses
L’ « état des lieux » des positionnements des autorités religieuses sur le genre ne saurait se passer d’un travail d’analyse de la réception de ceux-ci. Cela implique d’abord d’étudier la manière dont le discours des autorités religieuses sur les questions de genre est reçu à l’intérieur même de l’institution : comment les clercs s’approprient-ils le discours de la hiérarchie ? Comment les institutions religieuses encadrent-t-elles ce processus, en intégrant en leur sein une nécessaire flexibilité, une marge de manœuvre entre les positions de principe et la pastorale ?
Il est tout aussi indispensable de s’interroger sur l’attitude adoptée par les fidèles à l’égard des discours de ces autorités religieuses sur ces questions de genre qui touchent au domaine de l’intime : quelles sont les conséquences du décalage qui peut s’établir entre le discours des autorités et l’expérience personnelle ou la « sensibilité démocratique » des croyants ? Ce thème doit-il être envisagé comme un vecteur de prise de distance ou de désaffiliation à l’égard de la communauté ? N’est-il pas pertinent, à l’inverse, de mettre l’accent sur son efficacité « biopolitique », en tant qu’il constitue un moyen de reprendre le contrôle sur les domaines privés de la vie des croyants ?
Il convient, enfin, d’interroger la perception du discours des autorités religieuses par l’opinion et par les médias, ces derniers contribuant à donner une vision déformée du débat : il n’est sans doute pas excessif de parler ici d’une caricature, voire d’une « diabolisation » des autorités religieuses. Les médias ne sont-ils pas, paradoxalement, les premiers acteurs de l’homogénéisation interne des positionnements sur les questions de genre que les autorités religieuses cherchent souvent à afficher ? Comment les autorités religieuses utilisent-elles ce traitement médiatique pour le mettre au service de leur argumentation ? Plus généralement, comment surmontent-elles les difficultés spécifiques auxquelles elles se heurtent lorsqu’elles s’expriment publiquement sur ces questions ?
Contact :
autorites.religieuses.genre@gmail.com
http://www.iesr.ephe.sorbonne.fr/index7068.html