Réseau Asie – Pacifique / Fondation Maison des Sciences de l’Homme
190, avenue de France – 75013 Paris
4 juin 2012
Avec le soutien de : Réseau Asie-Pacifique (CNRS - FMSH), UMR Mondes Indien – Iranien (CNRS), Centre d’Etudes, de Documentation et de Recherches en Etudes Féministes (CEDREF – Université Paris-Diderot), Institut Français d’Etudes sur l’Asie Centrale (IFEAC).
Présentation :
Depuis une vingtaine d’années, les Républiques nées de l’éclatement de l’URSS connaissent de nouvelles configurations politiques, sociales et économiques. La création de ces Etats-nations indépendants de la tutelle soviétique s’est effectuée en même temps qu’une entrée dans l’économie libérale et la mise en place de nouveaux partenariats diplomatiques et économiques (Europe, Etats-Unis, Iran, Turquie, Chine, etc.). On assiste alors à une recomposition des élites, à un nouveau rapport aux religions et à l’histoire, à de nouvelles dynamiques de migrations, à la diversification des acteurs politiques (institutions internationales, ONG étrangères et associations locales). En France, les études socio-anthropologiques, historiques, économiques et de science politique ont privilégié différentes thématiques : les héritages soviétiques et les recompositions identitaires et religieuses (B. Balci ; M. Laruelle et S. Peyrouse ; C. Poujol ; Y. Rytkhéou ; T. Zarcone), les évolutions du fait étatique et du cadre national (I. Ditchev ; I. Ohayon ; A. Thircuir ; J. Thorez ; S. Tordjman ), les crises économiques, les recompositions des groupes de solidarité et des sociabilités politiques et culturelles (S. Dudoignon ; O. Roy ; A. Zevaco), les nouvelles donnes géopolitiques (M. Djalili ; O. Roy), les phénomènes d’ONGisation (N. Guilhot ; B. Hours et M. Sélim ; A. Moscaritolo ; B. Petric).
Les reconfigurations des rapports sociaux de sexe sont transversales à l’ensemble de ces thématiques et des travaux anglophones sur le genre analysent le rapport au religieux (A. Chenoy ; M. Kamp ; R. Sultanova), les reconfigurations familiales (C. Harris ; M. E. Hegland), l’évolution du marché de l’emploi (E. Faezullaeva ; N. Kanji ; K. Kuehnast), la participation des femmes en politique et au sein des associations (D. Kandiyoti ; N. Tohidi ; Z. Tursunova et N. Azizova), la construction de l’Etat et de la nation (N. Megoran ) et les phénomènes migratoires (U. Hashimova). Quelques travaux francophones ont amorcé les études sur la question des femmes et sur le genre en Asie Centrale (S. Atlani-Duault ; L. Bazin ; L. Direnberger ; A. Ducloux ; H. Fathi ; S. Hohmann ; A. Jarry-Omarova ; M. Sélim ; S. Tadjbakhsh).
Cette journée d’étude entend poursuivre cette démarche, plus précisément en mettant en perspective les rapports de pouvoir entre hommes et femmes dans le cadre des reconstitutions nationales. Dans le sillage des recherches sur la thématique « genre et nation » (E. Gapova ; R. Ivekovic ; D. Kandiyoti ; J. Nagel ; N. Yuval-Davis), nous analyserons comment les histoires ethno-nationales contribuent à la production de représentations de genre. Nous nous intéresserons également à l’articulation entre « genre et nation » dans le contexte de circulation internationale de politiques et de normes de genre. Il s’agit donc d’aborder les pratiques sociales et les institutions politiques à travers le prisme du genre : Etats et politiques publiques, nations et nationalismes, mobilisations collectives de femmes et LGBT, masculinités et construction du pouvoir, nouvelles économies et leurs impacts sur les femmes, etc. Le genre et la domination masculine étant imbriqués aux rapports de classe et de race (E. Dorlin ; D. Kergoat), nous souhaitons mettre en avant l’imbrication de ces rapports de pouvoir en Asie Centrale et la manière dont ils structurent la société et les projets de construction des nouvelles nations. Sont ainsi attendues des communications portant principalement sur l’Asie Centrale et, dans une démarche comparative, sur l’ensemble des pays inscrits dans un rapport post-colonial avec « Moscou » : Républiques de Sibérie, pays baltes, pays du Caucase, Europe de l’Est et Orientale.
Trois axes de travail retiendront particulièrement notre attention.
1. Les représentations des rapports sociaux de sexe
La domination soviétique encadrait les identités citoyennes et « ethniques », et avait construit une idéologie de genre spécifique. Ces identités étaient strictement imbriquées et pensées en termes de « classe soviétique ». Aujourd’hui, comment les gouvernements, désormais indépendants, ont-ils maintenu ou restructuré les rapports de pouvoir entre les sexes ? Quelles sont les nouvelles féminités et masculinités, et dans quelle mesure peut-on parler de rupture avec l’image de la « femme et de l’homme soviétiques » ? Comment ces représentations participent-elles à la création des identités nationales ? Il s’agit ici d’analyser la production discursive et idéologique sur les « droits des femmes » et sur la place des femmes dans la société actuelle, de la part des différents acteurs : élites politiques et religieuses, partenaires internationaux, mais aussi acteurs et actrices locaux n’appartenant pas aux institutions officielles.
Dans le même temps, les gouvernements centre asiatiques sont entrés sur l’échiquier international tout en ratifiant les traités internationaux sur les droits des femmes et en acceptant la présence d’organisations internationales porteuses de programmes de développement accompagnés de la notion de « genre ». Comment se sont-ils appropriés cette nouvelle injonction d’égalité entre hommes et femmes ? Quelles législations et politiques ont été mises en place et quelles en sont les pratiques ? Enfin, les influences étrangères empruntent différents canaux comme les médias, Internet, le cinéma et les téléproductions. Mais elles s’observent également de façon plus institutionnalisée dans les écoles privées turques, coraniques, américaines et évangéliques ou encore par les expériences des migrant.e.s vers la Russie, les Etats-Unis, la Chine, l’Europe. Quelles sont les représentations des rapports familiaux, de la sexualité, de la maternité issues de ces nouvelles pratiques et comment les discours recomposent-ils les nouvelles identités ?
2. Participation des femmes dans les espaces économique, éducatif et culturel
La perestroïka a été suivie d’une libéralisation de l’économie qui a provoqué un séisme économique et social dont l’impact sur les rapports sociaux de sexe a été peu mesuré. Sont attendues ici des communications qui analysent ces répercussions sur la participation des femmes dans les domaines de l’économie, de l’éducation, de la culture, mais aussi de la santé et des loisirs. Quelles différentes stratégies les femmes peuvent-elles mobiliser (réseaux sociaux, capital politique, etc.) ? Et à quels obstacles font-elles face pendant leur parcours (discriminations fondées sur l’âge, ségrégation professionnelle, poids de l’assignation à l’espace domestique, etc.) ?
3. Mobilisations politiques
Avec l’adoption de constitutions démocratiques, le Comité des femmes au sein du Parti communiste qui constituait un espace d’action collective non-mixte, s’est délité et le nombre de femmes élues et participant aux nouvelles institutions politiques a notoirement diminué. Pourtant les femmes intellectuelles composant l’élite sociale n’ont pas « disparu » de leur société. En outre, les indépendances se sont accompagnées de l’ouverture, du moins en principe, de l’espace public aux associations indépendantes des autorités politiques. Quels rôles ces femmes ont-elles joués dans les processus de reconstruction nationale et au sein de quelles structures : politique institutionnelle, élites dirigeantes, associations, média ? Quels référents mobilisent-elles, celui de mère, épouse, intellectuelle, travailleuse, adhérente à un parti, membre d’une communauté ou autre groupe identitaire, appartenance religieuse ou à une classe sociale ? Nous souhaitons analyser les pratiques politiques, le capital militant, le soutien électoral et les programmes politiques de ces femmes en politique. Dans quel contexte le genre peut-il être une ressource politique ? Quels sont les obstacles rencontrés à leur mobilisation ?
Enfin, qu’en est-il de la pensée et des actions féministes en Asie Centrale et au sein des autres sociétés post-soviétiques aujourd’hui ? La recherche scientifique ne les évoque guère : cela signifie-t-il qu’il n’existe pas de mouvement féministe, ni aucun groupe de femmes (associations, groupes de quartier, réseaux d’intellectuelles) qui dénonce les inégalités entre hommes et femmes ? Comment se déclinent les revendications des droits des femmes dans les différents contextes sociaux et politiques en Asie Centrale ? « Le genre » étant désormais une dimension incontournable des programmes de développement portés par les organisations internationales, nous analyserons les relations entre les femmes militantes, les partenaires étrangers et les gouvernements.
Les propositions de communications – en anglais ou en français - pourront être envoyées avant le lundi 15 janvier sous la forme d’un résumé de 1000 mots maximum aux organisatrices :
Lucia Direnberger, Université Paris Diderot, CSPRP, CEDREF, IEC : lucia.direnberger@gmail.com
Anna Jarry-Omarova, docteure en sociologie, EHESS, CEDREF : anna.jarry@free.fr
Iman Karzabi, Science Po, CERI, IEC : iman.karzabi@gmail.com
Cette journée d’étude qui se déroulera le 4 juin 2012 se veut également l’occasion de créer un réseau de chercheur.e.s sur cette thématique du genre en Asie Centrale.