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Genre et droits de propriété

Avant le 31 mai - revue Cahier du genre


Date de mise en ligne : [20-05-2015]



Mots-clés : droit


Pour un prochain numéro des Cahiers du genre sous la direction de Randi Deguilhem et Fatiha Talahite.

Argumentaire :

Dans la littérature, la relation des femmes à la propriété a d’abord été envisagée par rapport à la famille, sous l’angle de l’héritage, les lois et coutumes discriminant les femmes engendrant une inégalité dans leur accès à la propriété. Un autre aspect de la question, traité surtout par les ethnologues et anthropologues, est celui de la propriété sur les femmes elles-mêmes, dans une approche du mariage vu comme échange ou circulation des femmes (Nicole-Claude Mathieu, 2007).
La réflexion féministe sur la propriété a été historiquement marquée par l’opposition entre deux grandes traditions de pensée pour lesquelles cette question a longtemps constitué une pierre d’achoppement : la tradition socialiste, d’une part, la tradition libérale d’autre part. La première, marquée par l’ouvrage de Friedrich Engels (1884) - s’appuyant notamment sur les travaux de l’anthropologue américain Lewis Henry Morgan sur les sociétés « archaïques », il faisait de la propriété et des rapports d’argent la base de l’inégalité entre femmes et hommes au sein de la « famille bourgeoise » -, a longtemps été axée sur la critique de la propriété privée et la recherche d’alternatives collectives ou solidaires, allant de l’abolition de la propriété privée (collectivisation, étatisation) à des formes diverses de limitation ou d’aménagement de ce droit au nom de l’intérêt collectif. La seconde, au contraire, fait de la propriété privée individuelle la base de l’épanouissement de l’individu dans la société moderne (Radin, 1996).
Si par le passé la première approche a connu des heures de gloire, cette perspective s’est beaucoup affaiblie, notamment à la suite des expériences d’abolition totale ou partielle de la propriété privée dans les pays du socialisme réel. Ainsi, la période récente a consacré le triomphe de la propriété privée individuelle. La théorie économique des droits de propriété (Alchian, Demsetz), qui étudie les effets économiques des droits de propriété sous l’angle de leur efficience, est à la base de la doctrine des organisations internationales (NU, BM, FMI,..). L’accès à la propriété privée individuelle est une composante majeure dans le calcul des indicateurs de genre mis en place par ces organisations pour mesurer les inégalités de genre. De même, la notion d’empowerment des femmes vise essentiellement leur accès à l’autonomie financière et à la propriété privée individuelle. Tout comme le gender mainstreaming fait de l’accès à la propriété privée individuelle un critère décisif d’autonomisation des femmes. Cet objectif converge avec l’injonction faite aux pays en développement à renforcer leurs droits de propriété afin d’améliorer la qualité de leurs institutions. Derrière cette injonction, il y a l’idée implicite qu’il y aurait une seule manière efficace et rationnelle de définir la propriété . Dans cette conception, la question de la diversité des systèmes et traditions juridiques qui sous-tendent ces droits de propriété, et des rapports qu’ils entretiennent entre eux est occultée.
De nos jours, ce paradigme est à nouveau ébranlé, sous l’effet essentiellement de deux phénomènes : d’une part, la crise environnementale et les problèmes liés à l’épuisement des ressources mènent à s’interroger sur l’efficacité du système actuel pour la gestion des biens publics ; d’autre part, la crise financière internationale interpelle sur la tendance planétaire à la concentration de la richesse sous forme d’actifs financiers. Les travaux de la politologue Elinor Oström ont ouvert une brèche dans le consensus limitant le cadre de gestion des biens publics à la seule alternative entre droits individuels de propriété (le coût est payé par celui qui tire profit du bien) d’une part, gestion des biens communs par la puissance publique d’autre part. Ce regain d’intérêt pour les commons ne se fait toutefois pas en opposition au droit privé de propriété. Dans sa démonstration, Elinor Oström (1990) s’appuie sur des cas historiques d’arrangements institutionnels dans lesquels la gestion collective des biens publics est adossée à des droits privés de propriété. Par ailleurs, le contexte de faible croissance économique et de creusement des inégalités dans la répartition des revenus et du patrimoine dans le monde (Piketty, 2013, 2008), suscite un regain d’intérêt pour des formes de propriété alternatives au droit individuel de propriété. Ces analyses réhabilitent l’économie politique, c’est-à-dire une démarche intégrant notamment les institutions, l’histoire, les interactions entre individus et les rapports de pouvoir, et permettant de prendre en considération les enjeux politiques autour de la définition des droits de propriété.
Dans le monde occidental, le processus d’unification du droit et sa fixation en deux grandes traditions –continentale (romano-germanique) et anglo-saxonne (common law) - est largement achevé. Dans ce processus, des traditions juridiques locales (droit coutumier), parfois avantageuses pour les femmes - même si elles n’étaient pas « égalitaires » au sens où on l’entend aujourd’hui - ont disparu ou ont été absorbées. Ces systèmes unifiés de droit ont d’abord largement écarté les femmes de l’accès à la propriété. Ils ont été réformés récemment - pour l’essentiel dans la deuxième moitié du XXe siècle - de manière à résorber cette inégalité en faisant accéder les femmes à des droits individuels de propriété conçus au départ comme principalement masculins.
Historiquement, partout où il a été adopté, le droit individuel de propriété a été l’instrument d’expropriations massives, qui débutent avec l’expropriation des Commons et le mouvement des enclosures dans l’Angleterre de la fin du XIIe jusqu’aux XVIe et XVIIe siècles. On peut citer de nombreux exemples de ces expropriations dans l’histoire, comme celui des amérindiens (Roberston, 2005), de l’apartheid en Afrique du Sud, de la colonisation française en Algérie (Weber, 2010), de la colonisation en Palestine. Elles se poursuivent de nos jours, que ce soit par la force et l’arbitraire et/ou en prenant prétexte de l’absence de titres de propriétés en « bonne et due forme », en référence au système juridique en vigueur.
Ce modèle, dans ses différentes variantes, s’est diffusé dans le monde non-occidental, de plusieurs manières, imposé par la colonisation ou adopté par certains pays dans le cadre de réformes visant à moderniser leur système juridique (Turquie, Iran..). Les derniers en date sont les ex-pays socialistes, qui ont remplacé la propriété collective et/ou étatique par la propriété privée individuelle, en procédant notamment à des privatisations. Cette diffusion se poursuit aujourd’hui à travers l’action des institutions internationales, allant des injonctions évoquées plus haut à des formes plus contraignantes, comme par exemple l’accord sur les droits de propriété intellectuelle (ADPI) dans le cadre de l’OMC.
Cette hégémonie signifie la mise à l’écart et l’abandon des juridictions locales, qu’elles relèvent du droit coutumier ou de systèmes juridiques à vocation universelle autres que le droit occidental. C’est le cas en particulier du droit musulman, qui contient une doctrine générale en matière de propriété et qui a largement intégré des éléments de droits coutumiers, lesquels diffèrent selon les pays et les communautés.
Dans ce numéro des Cahiers du genre, nous voudrions éclairer précisément cette dimension de la relation entre genre et propriété, en mettant l’accent non sur la propriété elle-même, mais sur les droits de propriété, ce qui renvoie aux différents systèmes de droit auxquels ceux-ci sont rattachés. Cet aspect de la question a été relativement peu abordé. Il existe pourtant aujourd’hui une importante littérature sur l’accès à la propriété selon le genre, qui inscrit celui-ci dans le cadre plus général de la distribution de la richesse selon le genre (Varley, 2007 ; Deere, Doss, 2007, 2006 ; Meinzen-Dick et al., 1997). Cette littérature fait un constat global d’inégalité. L’inégalité selon le genre se combine à des inégalités entre pays, et au sein d’un même pays, entre catégories sociales ainsi qu’entre communautés, ce qui amène à aborder la question en termes d’intersectionnalité. Les sources de ces inégalités sont recherchées dans différentes causes, au centre desquelles sont les relations de pouvoir tant au sein de la famille que de la société.
On pourra revisiter cette littérature en envisageant ces inégalités sous l’angle des droits de propriété et des systèmes de droit. Aborder la question de l’accès différenciée des hommes et des femmes à la propriété, non dans l’absolu, en référence à une conception unique hégémonique de la propriété et de l’égalité des sexes dans ce cadre, mais en intégrant à l’analyse les rapports postcoloniaux liés à cette hégémonie planétaire de la conception occidentale du droit et des systèmes juridiques.
Il s’agit d’ouvrir à la diversité la réflexion sur les droits de propriété, par l’étude de cas puisés soit dans l’histoire, soit dans des situations contemporaines où plusieurs systèmes de droits coexistent de manière plus ou moins harmonieuse ou conflictuelle (Chemillier-Gendreau, 2001), observer et caractériser, sans les caricaturer, les différents types de droits de propriété, sous l’angle des rapports de genre. Approcher cette complexité suppose de restituer leur diversité et leur densité historique aux formes de propriété et aux pratiques qui les entourent, tout en les replaçant dans le cadre des systèmes auxquels elles se réfèrent, par la description des pratiques et traditions à travers lesquelles ces rapports de propriété se définissent, perdurent, se transmettent, s’adaptent et/ou disparaissent ou sont mis en péril ; l’étude des normes et règles qui les sous-tendent ; la prise en compte des dynamiques sociales et politiques dans lesquelles ils s’inscrivent.
Les contributions pourront
. s’inscrire dans différentes disciplines - histoire, anthropologie, sociologie, économie, droit - abordant chacune de manière différente la question du genre et des droits de propriété ;
. avoir un contenu théorique et/ou empirique (études de cas) ;
. utiliser différentes méthodes, selon la discipline (travail sur archives, enquêtes de terrain, entretiens, méthodes qualitatives ou quantitatives, …) ;
. porter sur le passé ou sur des situations récentes voire contemporaines ;
. avoir une dimension comparative (entre différents pays, systèmes juridiques, religions). 

Modalités :

Les propositions devront être envoyées à Fatiha Talahite fatiha.talahite@gtm.cnrs.fr et Randi Deguilhem randi.deguilhem@gmail.com
Elles devront comporter un titre ainsi qu’un résumé de 100 mots environ. 
Délai pour l’envoi des propositions : 31 mai 2015
Délai pour l’envoi de l’article : 31 octobre 2015

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