Pour un prochain numéro de la revue Nouvelles Pratiques Sociales (NPS) codirigé par Isabelle Côté (Professeure travail social), Janik Bastien-Charlebois (sociologie, UQAM) et Gabrielle Bouchard (Centre de lutte contre l’oppression des genres, U. Concordia)
Argumentaire :
Lʼaction collective des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transsexuelles/transgenres (trans*), queers et intersexes (LGBTQI), qui remonte pour plusieurs dʼentre elles au tournant des années 1970, sʼest déployée depuis sous diverses formes et finalités. Elle est notamment « passée dʼune position plus contestataire, basée sur un discours articulé autour dʼune visée de libération et de remise en cause des institutions à une stratégie dʼutilisation des filières institutionnelles en vue dʼaccéder à la reconnaissance sociale » (Côté et Boucher, 2008 : 97). Au cours des deux dernières décennies, des luttes ont été menées sur le terrain des droits et lʼégalité juridique a été obtenue pour les personnes gaies, lesbiennes et bisexuelles (Groupe de travail mixte contre l’homophobie, 2007). Plus récemment, des voix nouvelles reflétant la pluralité des expériences vécues par les personnes de la diversité sexuelle se sont ajoutées, mettant en lumière certaines des inégalités juridiques et de droit encore présentes spécifiquement pour des personnes trans* et intersexes (Méndez, 2013). Comme celles de groupes vivant des oppressions croisées, telles que les personnes LGBTQI de minorités culturelles, sourdes ou en situation de handicap, tous ces groupes ont développé des réflexions critiques sur le monde au sein duquel ils évoluent, soucieux de saisir la source des discriminations quʼils subissent, que celles-ci soient dʼordre matériel ou symbolique. Ainsi soulignent- ils lʼhétérosexisme et lʼhétéronormativité à lʼorigine de lʼhomophobie, lʼinfluence du sexisme et du cissexisme1, du racisme et du capacitisme dans leur vécu, puis dénoncent-ils la pathologisation trans* ou intersexe.
Comme le souligne Nancy Fraser (2005), la non-reconnaissance constitue une forme dʼinjustice sociale et non une simple entrave à lʼestime de soi quʼil convient de surmonter individuellement. Elle a pour conséquence de miner les conditions matérielles (ex. : difficultés dʼaccès à lʼemploi ou risque de le perdre ; violences psychologique, sexuelle et physique ; temps et ressources économiques investies dans les procédures de transition et de changement de sexe à lʼétat civil) et de restreindre la possibilité de participer à la vie sociale et politique. Or, la parité de participation sʼavère être un défi, puisque certains groupes sociaux ont un accès déficitaire aux moyens dʼinterprétation et de communication disponibles au sein dʼune société, tandis que dʼautres en disposent de façon disproportionnée ou exclusive. Ceci se traduit notamment par la tendance des groupes dominants à « projet[er] leur expérience comme [étant] représentative de lʼhumanité en soi » (Young, 1990 : 59), invalidant lʼexistence des membres de groupes marginalisés ou opprimés.
Contrer cette injustice sociale implique à la fois dʼapporter des changements législatifs et politiques – la loi 35 pour les populations trans* en est un exemple, comme lʼest la résolution européenne 1952 condamnant les chirurgies non consensuelles sur les enfants intersexués – et de changer les symboles et les valeurs dominantes, de travailler sur les représentations sociales. Cʼest dans cette logique que sʼengage désormais une large part des groupes communautaires LGBTQI qui ont dʼailleurs obtenu du gouvernement provincial quʼil crée son Plan dʼaction gouvernemental de lutte contre lʼhomophobie2011-2016. Les projets qui y sont développés visent non seulement à contrer les gestes homophobes, mais ciblent également lʼhétérosexisme et lʼhétéronormativité à leur source. Dans la conjoncture, cʼest à ce type dʼengagement que les différentes professions dʼintervention sont conviées.
Ce numéro de Nouvelles pratiques sociales propose de réfléchir aux transformations politiques, sociales et culturelles qui approfondiraient lʼinclusion sociale des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans* et intersexes. Nous invitons donc les auteures et les auteurs à soumettre des textes réflexifs, théoriques ou de recherche qui tiennent compte de ces enjeux. Ceci suppose de prendre en considération les capacités de réflexion et dʼaction que détiennent déjà les groupes LGBTQI, depuis longtemps constitués et mobilisés par eux- mêmes. Quels sont les savoirs expérientiels et théoriques émergents produits par ces groupes sociaux ? En quoi les avancées socio-législatives que lʼon constate depuis les dernières décennies concernant les personnes LGBTQI participent-elles – ou non – aux changements des représentations les concernant et de ce fait, à leur inscription sociale ?
Nous souhaitons également, par ce numéro, interpeller les pratiques dʼintervention. Cela dʼautant plus que les personnes LGBTQI participent activement à la déconstruction des « savoirs » sociaux et médicaux qui pathologisent leurs réalités et qui perpétuent les représentations voulant que lʼhétérosexualité, ainsi que la normativité des genres masculin/féminin et de ses représentations corporelles binaires homme/femme soient les voies optimales du développement humain (Bastien Charlebois, 2011). Dans quelles mesures les pratiques évitent-elles les écueils des modes dʼintervention non réflexifs où des intervenantEs ont adopté des approches ou conçu des programmes invitant à lʼintégration plutôt quʼà la remise en question des injustices sociales, contribuant ainsi non seulement aux blessures subies et au maintien des discriminations (c.f. Peers et Demczuk, 1998), mais également au développement dʼattitudes de méfiance à leur endroit ? De quelle façon peut-on appuyer le développement de pratiques novatrices sans se substituer aux expertises développées par les acteurs terrain, mais bien en accompagnant ou en amplifiant leurs capacités dʼagir, notamment sur le plan des transformations des rapports sociaux et des représentations culturelles ? Comment la diversité sexuelle sʼinscrit-elle – ou non – dans les pratiques dʼintervention en santé, en éducation ou dans le champ du social ? Compte tenu des contraintes de temps et de ressources souvent imposées sur son travail, est-il possible pour une personne intervenante de sʼinformer adéquatement de ces cadres dʼanalyse critique de même que des oppressions croisées conjuguant hétérosexisme et capacitisme ou hétérosexisme et racisme ? Est-il possible de recevoir les informations appropriées sur des réalités méconnues telles que lʼintersexualité, dont lʼactivisme est très récent dans lʼespace public ? Enfin, comment les acteurs sociaux membres des groupes dominants hétérosexuel ou cisgenre [ou non- transsexuel] peuvent-ils arrimer plutôt quʼimposer leurs propres capacités aux aspirations des groupes LGBTQI ? Comment composent-ils et elles avec les remises en question et les critiques radicales de lʼhétérosexisme, de lʼhétéronormativité, du cissexisme et du binarisme sexuel, qui les mettent devant un devoir de décentrement ? Voici donc quelques questions auxquels pourraient répondre les articles que nous vous invitons à soumettre.
Envoi à :
Isabel.cote@uqo.ca
Bastien- charlebois.janik@uqam.ca
psa@genderadvocacy.org