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De l’histoire politique et des pouvoirs

par Michèle Riot-Sarcey


Date de mise en ligne : [12-07-2010]



Texte paru dans la revue Futur Antérieur, numéro spécial "Féminismes au présent", avril 1993.


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S’il nous fallait rendre compte des discours d’exclusion des femmes de la cité, cet article n’y suffirait pas ; bien d’autres avant moi ont analysé ces discours, sans cependant infléchir l’écriture de l’histoire politique vers la critique des relations de pouvoir où s’inscrit le devenir historique des femmes. Du point de vue du mode de penser le politique, nous sommes toujours ou presque assignées à « la loi » énoncée par Auguste Comte :

« C’est ainsi que dans toutes sociétés humaines, la vie publique appartient aux hommes et l’existence des femmes est essentiellement domestique. Loin d’effacer cette diversité naturelle, la civilisation la développe sans cesse, en la perfectionnant [1]. »

II suffit de lire les ouvrages consacrés à l’histoire politique [2], y compris dans son renouvellement, pour constater la vigueur de « cette loi ». « Accueillie » par l’histoire des men talités, « devenue refuge des objets historiques exclus par l’histoire normale », l’histoire des femmes aurait trouvé sa place « dans l’écume du bouillon de la marmite de l’histoire quand vous retirez la viande et les légumes ». Selon Alain Boureau, « l’histoire des femmes ("gender studies" s définit, depuis quelques années, comme une discipline indépendante (quelque chose comme l’histoire sociale de la distinction entre hommes et femmes) » [3]. Comme si l’absence des femmes dans les instances du pouvoir commandait la lecture du passé ; comme si l’interprétation de l’histoire événementielle, institutionnelle, diplomatique, celle des partis, des organisations ne pouvait évoluer au-delà d’un cadre de données politiques, dominé par l’unicité ; comme si l’histoire de la liberté, pensée en mode majeur, devait perdurer dans sa masculinité. L’interprétation des événements politiques du passé garde l’essentiel des traits de la philosophie de l’histoire et du positivisme. Et, malgré le grand renouvellement de ses objets, l’histoire politique, en son écriture, est marquée par un monisme fondateur.

Les historiens du politique n’ont pas cessé d’envisager le devenir d’un peuple comme celui d’un individu collectif ; l’humanité une et indivisible reste le référent par excellence. L’histoire inventée au XIXè siècle, et dont la prépondérance fut sacrée par Auguste Comte [4], peut difficilement, en politique, se défaire de sa vision linéaire, progressiste ; c’est ainsi que, longtemps, elle fut identifiée au progrès de la liberté des hommes. Impossible alors d’y insérer celle des femmes qui, du point de vue du Code - ce monument du droit - allait à contresens. Placées en marge des événements, les femmes n’ont pu intervenir « dans ces changements visibles qui affectent la société » [5]. Souvent représentées, beaucoup plus objets de discours qu’actrices de l’histoire, les femmes sont restées tributaires de la façon dont elles ont été pensées dans l’ordre politique. L’image [6], construite par les hommes, s’est imposée dans la lecture -de leur passé.

Pourquoi cet effacement continu, ces images récurrentes ? Comment interpréter cette perpétuation d’une exclusion, malgré le grand renouvellement de l’histoire ? Comment comprendre cette tendance des historiens - en particulier pour la période dite contemporaine - à privilégier les données politiques du passé au détriment de leur production ? L’histoire politique serait-elle une histoire des effets de pouvoirs sans l’analyse des enjeux dont ils sont issus ?

Pour tenter d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions, il m’est apparu nécessaire de faire un détour historiographique, afin d’expliquer cette prégnance de l’histoire linéaire, cumulative, factuelle, héritée du XIXe siècle ; histoire continue des idées triomphantes, des faits vainqueurs ; histoire des institutions, des hommes, des groupes tournés vers le pouvoir politique. Tentative pour circonscrire l’espace à l’intérieur duquel se pense et se limite l’histoire politique, étroitement liée, semble-t-il, au pouvoir dont elle est contemporaine. Regard critique sur une écriture du passé qui n’a cessé de réitérer l’interdit opposé aux femmes d’entrer en politique, hier comme aujourd’hui.

Il est vrai que l’inscription politique des femmes dans l’histoire ne peut se retrouver dans le continu d’un récit univoque ; elle n’est possible que dans une lecture plurielle, où les désirs des uns sont confrontés aux besoins des autres ; ce qui suppose d’analyser la dynamique des rapports de domination, toujours à l’œuvre, entre les autorités politiques et ces autres, individus plus ou moins soumis, parmi lesquels... les femmes. A la fois catégorie sociale et multiplicité d’individus aux intérêts divers, souvent divergents, les femmes, longtemps représentées, ont vu leur place contestée, réglementée, définie - et toujours enjeu de l’ordre social. Comment redécouvrir cet enjeu dans un passé politique oublié ? Quelle dimension lui donner ? Comment ne pas reproduire le mode de penser des contemporains, et, pour ce faire, quelles questions soumettre aux textes, aux traces qu’ils ont laissées ? Cette visible différence, sans cesse redéfinie par la production discursive, toujours magnifiée pour légitimer une exclusion renouvelée, serait-elle encore le signe, la marque d’une mise à l’écart ? Penser l’égalité dans la diversité et la multiplicité des individus, hors des sentiers défrichés par François Guizot - ce maître du libéralisme capacitaire - serait-ce une utopie en histoire ? Cet article voudrait à la fois esquisser quelques analyses, et poser des questions aux historiens du politique.

Le positivisme et le passé recomposé par les historiens de la IIIè République, initiateurs de l’école dite « méthodique »,sera l’objet d’une première réflexion. Détour nécessaire si l’on considère l’hommage rendu à Seignebos par les historiens contemporains. Le renouveau d’influence de cette figure emblématique de « l’histoire historisante » - selon l’expression d’Henri Berr -, est à prendre en compte, malgré l’étonnement qu’elle suscite. L’hommage que lui adressent René Rémond et Jean-Jacques Becker signifie-t-il un retournement de tendance, un désaveu des critiques, longtemps pensées irréversibles, qu’ont formulées les pères fondateurs des Annales ? Cette filiation revendiquée permet-elle, au contraire, de comprendre comment cette histoire échappe à la réflexion sur le pouvoir, malgré l’apport essentiel des travaux de Michel Foucault. Il est vrai que les approches sont différentes ; plus encore, tout un mode de penser sépare ce philosophe des historiens du politique. Surprenante ignorance, cependant quand on sait l’influence de Michel Foucault sur l’écriture de l’histoire des idées, des mentalités. Or lui-même se définissait comme un « positiviste heureux », Paul Veyne a d’ailleurs pu écrire, à juste titre, à mon sens : « qu’il était le premier historien positiviste » [7]. C’est pourquoi j’ai éprouvé le besoin de suivre ce « positivisme » conducteur dans le dédale des écarts qui sépare l’histoire politique de l’histoire des pouvoirs.

On sait qu’en France comme dans les pays anglo-saxons, la méthode d’analyse, les concepts, la critique de l’histoire des idées, la mise au jour des contraintes, des pratiques discursives, leurs effets sur le comportement des individus - bref tout un dispositif - ont imprégné le mode de penser l’histoire des femmes. Or, malgré les avancées considérables permises par cette réflexion novatrice, l’inscription du devenir historique des femmes reste en marge de l’histoire considérée comme noble. A l’issue de cette ébauche d’analyse, j’esquisserai quelques pistes de réflexion susceptibles d’aider à rendre solides ces « morceaux d’histoire » encore proches de « l’écume ». J’ose imaginer que l’idée de faire entrer dans la marmite ces morceaux consolidés est encore possible.

Du positivisme scientifique

Longtemps, l’histoire politique fut privilégiée par les historiens ; « type achevé de l’histoire événementielle » [8], elle sélectionna les actes et les changements visibles qui pouvaient être observés du dehors.

« Actes de violences ou de contraintes (combats, pillage, réquisition, arrestation, détention, exécution), actes symboliques (jugement, ordonnances, votes) [9]. »


L’évidence du choix s’est imposée. Comme le souligne Krzysztof Pomian. « Rien d’étonnant que, pour les historiens, le domaine privilégié entre tous, soit celui de la politique. C’est là que se succèdent les événements. C’est là qu’agissent les individus et surtout ces individus collectifs que sont les nations et les classes. C’est là que se produisent des transformations irréversibles dont le paradigme est la Révolution française. Cette histoire des historiens professionnels prétend être objective [10]. » Depuis le XIXè siècle, d’énormes changements ont été opérés dans la saisie des données, dans leur interprétation, mais la vision globale des événements marquants n’a guère été modifiée ; les outils d’analyse ont été renouvelés, mais le cadre où s’exerce la raison interprétative est le même. Rendre compte d’une évolution reste la clé de voûte de l’écriture de l’histoire politique : dans la mesure où les changements « affectent la société », l’observateur qu’est l’historien « a pour mission d’en proposer des explications » [11]. La visibilité est, en quelque sorte, le garant d’une vérité que tout historien a charge de rechercher. A ce réel, il importe de donner un sens, tout en conservant l’objectivité requise. Sens et objectivité ont longtemps été les maîtres mots de l’histoire. L’un serait dépassé, l’autre conserverait toute sa pertinence.

Auguste Comte avait découvert les lois fondamentales de la société ; annonçant l’ère du positivisme, il énonça les règles de la scientificité, en élaborant ce qu’il appelait la « théorie systématique de l’ordre humain » [12].

« La foi positive expose directement les lois effectives des divers phénomènes observables, tant intérieurs qu’extérieurs. (...) Elle écarte, comme radicalement inaccessible et profondément odieuse, toute recherche sur les causes proprement dites, premières ou finales, des événements quelconques. Dans ses conceptions théoriques, elle explique toujours comment et jamais pourquoi [13]. »


Les faits, seulement les faits vont parler d’eux-mêmes et devenir preuve d’effectivité. Charles Seignobos répugnait à répondre aux questions posées au passé ; le mot « pourquoi » fut banni de la méthode historique, il suffisait de dégager le « comment » des documents, rigoureusement interrogés, pour reconstituer une histoire vraie, restituée sous forme dé récit par l’historien soucieux de rendre lisible des faits, par essence, invisibles. C’est ainsi qu’Ernest Lavisse présenta le modèle de la dissertation sur le thème abstrait de « la patrie » : « établir par les faits et les récits la définition de la patrie » ; en excluant toute démarche théorique, l’historien permettait ainsi à l’élève de découvrir les vrais combats de ses pères [14]. Même si le doute l’emportait, en particulier dans le traitement des documents [15], la volonté d’affirmer une certitude caractérisait la démarche des historiens de cette fin de siècle ; le modèle scientifique devint plus qu’une référence, il se transforma en obsession comme l’a souligné Marc Bloch : « Les générations qui sont venues juste avant la nôtre, dans les dernières décades du XIXè siècle et jusqu’aux premières années du XXè siècle, ont vécu comme hallucinées par une image très rigide, une image vraiment comtienne des sciences du monde physique. Étendant à l’ensemble des acquisitions de l’esprit ce schéma prestigieux, il leur semblait donc ne pouvoir exister de connaissance authentique qui ne dût aboutir, par des démonstrations d’emblée irréfutables à des certitudes formulées sous l’aspect des lois impérieusement universelles [16]. »

Dès la fondation de la Revue historique, en 1876, le projet est clairement établi. Gabriel Monod s’engage à rester « fermé aux théories politiques ou philosophiques » ; afin de se garder de toute subjectivité, la revue devait être « un recueil de science positive ». Ce souci - besoin des hommes, produits du temps -, se comprend par la volonté de renouveler une histoire jusqu’alors « trop attachée aux manifestations brillantes ou éphémères de l’activité humaine » ; « ce qui intéressait désormais - "les lents et grands mouvements des conditions économiques et sociales" - (pouvait)-être analysé, avec quelque certitude et, dans une certaine mesure, ramené à des lois [17]. La réussite des fondateurs de la Revue, fut éclatante. L’autorité dont ils disposaient, la position officielle qu’ils détenaient [18], l’influence pédagogique que leur conférait la rédaction dés manuels scolaires [19], leur permettaient d’imposer leur point dé vue. La rigueur scientifique enseignée aux futurs historiens était censée garantir la valeur dé leur méthode ; tout concourait à transformer une construction discursive en vérité historique. « Vérité » si prégnante qu’elle a laissé des traces dans toutes les mémoires des écoliers français.

Ces travaux datés relatent l’histoire d’un autre temps. Auguste Comte voulait régénérer le monde sur la base d’une compréhension systématique de toutes les pensées humaines ; ses velléités utopiques ont été bien vite recouvertes du voile de la « science ». La volonté de rechercher les règles puis les lois sociales l’ont emporté sur les rêveries religieuses. Dans le traitement des événements historiques tirés des documents, la méthodologie fut la garantie invoquée pour fonder la positivité des faits. Les méthodes ont changé, l’approche est devenue différente, mais l’aspiration première a subsisté ; la quête de scientificité caractérise toujours la recherche historique. On se souvient des critiques formulées par Simiand, reprises par Marc Bloch et Lucien Febvre, à l’encontre d’une histoire par trop factuelle et insuffisamment problématique [20]. Longtemps ignorée des Annales, l’histoire politique renaît, aujourd’hui, des cendres de l’histoire sociale en perte de pratiques et d’audience. La méthode critique chère à Langlois et Seignobos a fait place à l’analyse sérielle. « L’histoire sérielle présente l’avantage décisif du point de vue spécifique, de substituer à l’insaisissable événement de l’histoire positiviste la répétition régulière de données sélectionnées et construites en fonction de leurs caractères comparable [21]. » La supériorité « présumée de l’histoire économique », acquise « par l’exploitation d’imposantes séries de données numérique », se voit reléguée à la seconde place par une histoire politique en pleine régénération. Il est vrai que depuis André Siegfried [22], cette dernière a considérablement affiné la méthode d’analyse ; de nouveaux objets ont été mis à l’étude. Désormais, « au regard du quantitatif, l’histoire politique arrive bonne première » [23]. Science et histoire politiques sont devenues des disciplines voisines, si proches l’une de l’autre qu’il est souvent difficile de les distinguer. Les références sont les mêmes. « Les prolégomènes » de la scientificité sont, d’ailleurs, l’objet de l’ouvrage de Pierre Favre, dont l’auteur est une autorité en matière de science politique. Qu’importe si sa conception de la science est extensible [24], il suffit d’énoncer le modèle comme l’écrivait Taine à Boutmy, pour que les preuves soient effectives. « Nous faisons des sciences politiques comme nous faisons des sciences zoologiques [25]. » La « systématicité dans la clarification des événements » [26], la taxinomie sont des cautions suffisantes pour constituer les premières assises de cette science, sésame de la vérité politico-historique [27]. Le label scientifique accompagne si logiquement la nécessaire rigueur de toute recherche, que les nuances, la complexité, la falsification possible de l’objet construit par le chercheur n’empêchent aucunement d’accéder à une réalité vraie, objectivement démontrée. Parce que les successeurs des positivistes de l’école méthodique n’ont pas mis en question mais, au contraire, affiné la méthode, imperceptiblement, la reconstruction du passé, sollicitée par les enjeux politiques du moment, s’est transformée en faits vérifiables, en réalité attestée.

Du positivisme politique

Les positivistes méthodiques ont privilégié les changements politiques et sociaux « révélés » par les textes. L’humanité une restait indivisible et les événements sélectionnés devaient, pour être crédibles, devenir visibles. Tout phénomène, toute intervention qui n’entrait pas dans une compréhension dirigée du présent étaient écartés. La pédagogie laïque, le combat républicain contre la vivante Église commandaient la lecture du passé. La patrie mise à l’honneur, après l’humiliante défaite de 1870, imposait une rigoureuse éducation civique dont l’histoire était l’instrument [28]. En d’autres termes, le présent politique forgeait les liens qui unissaient les historiens à la république naissante et déterminait l’interprétation historique. L’écriture de l’histoire se transformait en mise en valeur des faits vainqueurs.

Prenons quelques exemples : la révolution de 1848, « brusque, inattendue, même pour ceux qui la firent », annonce le triomphe de la démocratie. « Les concessions, faites sous la menace des ouvriers de Paris » soutenus par les socialistes, ne tiennent pas. Seuls les bouleversements introduits par l’extension des droits politiques, légalement obtenus, acquièrent une solide pertinence.

« Tous les procédés d’action et d’instruction politique réservés jusque-là à la bourgeoisie étaient brusquement mis à la disposition du peuple tout entier ; les ouvriers et les paysans entraient en masse dans la vie politique. (...).

La grande majorité des députés (environ 500) approuvait la république démocratique sans révolution sociale. Une forte minorité formée d’une centaine de légitimistes et de près de 200 anciens opposants dynastiques orléanistes, sans oser demander la monarchie, désirait une politique de conservation sociale, que ses adversaires appelaient la réaction. Le parti républicain démocratique prit la direction du pouvoir et lutta contre les deux partis extrêmes, les socialistes et les réactionnaires. L’assemblée confia le gouvernement à une "commission exécutive" de 5 membres qui devait nommer les ministres. Les socialistes, mécontents de l’Assemblée, essayèrent de refaire une révolution pour établir un gouvernement de réformes sociales ; la lutte se termina par une guerre civile [29]. »

Cette narration, qui a toute les apparences du récit objectif (les jugements de valeur ne sont pas émis par l’auteur, mais émanent de la majorité des citoyens de l’époque) permet à Seignobos, dans son Histoire sincère de la nation française, d’orienter ses lecteurs vers l’évidente approbation du régime politique en place comme conséquence logique de ce qui fut.

« Après quatre essais avortés (trois révolution parisiennes et un coup d’État militaire), il s’établit enfin, en 1875, un régime politique durable, sous la forme nouvelle d’une république à la fois parlementaire et démocratique à laquelle, en un demi siècle, toute la nation finit par se rallier [30]. »

Les échecs révolutionnaires ou politiques sont dus pour l’essentiel à (influence étrangère, ou à l’incapacité des leaders à s’identifier à l’esprit du peuple, tel Napoléon Bonaparte, « élevé en Corse » dont « la manière de gouverner ne fut pas conforme à la tradition française » [31]. La Commune de Paris, soutenue par la tendance socialiste, marquée par l’influence allemande, « resta une assemblée insurrectionnelle regardée en France comme un ramassis d’aventuriers, sans caractère politique, ses partisans qui s’appelaient eux-mêmes Fédérés, restèrent connus sous le nom de communards. Ils ne furent même pas reconnus comme belligérants » [32]. Impossible d’échapper à cette vision téléologique de l’histoire. Si le mouvement ouvrier a droit de cité, quelles que soient ses erreurs ou ses références - au « juif Marx » par exemple -, c’est grâce à ses organisations soucieuses de reconstituer un passé fondateur ; grâce aussi à ses représentants profondément liés au système politique en place : constitués en parti, ils aspirent au pouvoir dans le cadre d’un dispositif politique à l’intérieur duquel le passé est recomposé.

Que viendrait faire l’aspiration des femmes au droit de cité dans cette vision du monde politique dont le sens est donné par les instances visiblement présentes ; les féministes sous la IIIè République sont minoritaires - selon Seignebos, leur mouvement fut d’ailleurs initié par des hommes -, et les femmes dans leur majorité sont satisfaites de leur sort. De surcroît, aucun parti féminin n’aspire à s’emparer des rênes du pouvoir. Quant à celles de 1848, qui réclamèrent bruyamment l’accès au suffrage universel, les contemporains les ignorèrent, et du même coup le silence des documents atteste leur non-existence.

Cette relation des faits est connue, mais il m’a semblé nécessaire de montrer concrètement comment et pourquoi la sélection s’opère dans la mesure où la prédilection pour les idées triomphantes perdure, et où les antagonismes politiques sont toujours pensés dans un langage hérité du passé [33]. En effet, l’approche actuelle n’est guère différente. Le sens de l’histoire reste pensé en fonction des acquis de la liberté des hommes ; il demeure le fruit d’une vision traditionnellement linéaire des événements passés. Par exemple, Claude Nicolet rend compte admirablement bien du triomphe de l’idée républicaine - où démocratie représentative et République se fondent -, et François Furet, en renouvelant la philosophie de l’histoire, pense la révolution dans sa longue durée, jusqu’au triomphe de la démocratie représentative imaginée par les pères fondateurs de 1789-1791. La mise en question de cette démocratie, somme toute singulière, sa production, comme moyen d’exercice du pouvoir, n’est guère évoquée dans les travaux actuels.

Si l’on en juge par les thèmes abordés dans l’ouvrage dirigé par René Rémond, la nouvelle école, stimulée par la méthode quantitative, tend à privilégier les lieux de pouvoir : « Une histoire présente, les élections, les partis, l’association en politique, les protagonistes : de la biographie, l’opinion, les médias, les intellectuels, les idées politiques, les mots, religion et politique, politique extérieure et politique étrangère, la guerre, du politique » [34] sont les objets d’étude en réformation. Une seule femme parmi les auteurs. Le mode de penser l’histoire est toujours univoque, le neutre l’emporte, un neutre dont le genre est parfaitement défini : « Un parti est avant tout un rassemblement d’hommes regroupés en vue d’un but commun et c’est d’abord sur ceux qu’il réunit qu’il est susceptible de nous éclairer. » La justesse et l’intérêt du propos ne sont pas en cause ; un parti est effectivement un rassemblement d’hommes, mais le modèle reproduit demeure non interrogé, la dynamique interne de l’organisation n’est pas analysée. L’auteur rend compte d’une formation évidemment présente, il pratique une description critique de ce que donne à voir l’organisation, mais il manque l’analyse de la production/reproduction de ces partis, et du même coup, le modèle fondateur, référence implicite d’une démocratie représentative exclusive, n’entre pas dans la réflexion de ce qu’il est convenu d’appeler l’histoire politique. L’exclusion puis la minorisation des femmes restent impensées. Ainsi, pour la grande majorité des historiens, le suffrage universel, dont la France s’enorgueillit d’être le premier pays à l’avoir adopté en 1848, n’est pas réévalué en fonction des acquis d’octobre 1944 ; les droits des femmes, tardivement obtenus, ne changent rien à l’écriture de l’histoire ; l’universalité atteinte en 1848 garde le sens donné par les hommes de cette époque. Le suffrage reste un universel masculin. Tout au plus est-il pensé comme une anomalie [35], mais il n’intervient pas dans le renouvellement de l’histoire politique qui devrait être repensée en fonction des questions dictées par les évolutions récentes et les problèmes présents - faible représentation des femmes, crise de la démocratie représentative, etc.

Tous ces historiens, dans leur grande majorité, sont les héritiers de Michelet ; à la recherche du « mouvement vital » qui donnait sens aux faits humains, ce dernier tendait, lui aussi, à privilégier l’histoire événementielle :

« D’abord nous avons insisté sur l’histoire des événements, plus que sur l’histoire de la religion, des institutions, du commerce, des lettres et des arts. Nous n’ignorons pas que la seconde est plus importante que la première, mais c’est par l’étude de la première que l’on doit commencer, parce que c’est l’étude de la première qui nous rend compte de la réalité [36]. »


Michelet cherchait à redonner sens à l’histoire en rendant compte « du triomphe progressif de la liberté » [37], il disait sa foi en la nation française, parce qu’il croyait au rôle « historique » du peuple français :

« La France agit et raisonne, décrète et combat ; elle remue le monde ; elle fait l’histoire et la raconte. L’histoire est le compte rendu de l’action [38]. »


Lourd héritage, qu’aucun historien n’a soumis à l’analyse critique. La plupart se réfère, plus encore aujourd’hui qu’hier, à celui qu’on a appelé « l’inventeur de l’histoire ». Cette quête de l’esprit d’un peuple, si difficile à circonscrire, inspire toujours la réflexion des historiens d’aujourd’hui. « Ce qu’on appelle parfois la culture politique et qui résume la singularité du comportement d’un peuple n’est pas un élément entre autres du paysage politique ; c’est un puissant révélateur de l’ethos d’une nation et du génie d’un peuple [39]. Telle est la conclusion de l’ouvrage de René Rémond, sorte de manifeste pour une histoire politique.

Or, Michelet attribuait aux femmes un pouvoir politique maléfique ; il mesurait l’ordre social à l’aune des rapports entre les sexes. Immanquablement le chaos régnait lorsque les femmes occupaient le pouvoir politique « apanage des hommes » [40]. Certes, cette lecture dichotomique de l’histoire n’a plus cours ; l’exceptionnalité a remplacé l’anathème, mais rien n’a véritablement changé dans l’analyse historique. La place des femmes, énoncée en termes d’évidence en référence à une nature mythique, reste impensée du point de vue de la critique historique ; la construction sociale, présentée comme une donnée de l’histoire, n’est pas interrogée, et du même coup, les fonctions « naturellement » réparties entre les genres dans l’ordre discursif perdurent dans l’écriture de l’histoire, quels que soient les dires et faire des femmes du temps. Ainsi, l’enjeu politique de la place de l’autre sexe n’est pas analysé. C’est pourquoi, le constat de François Furet est doublement infondé lorsqu’il affirme que : « L’histoire aujourd’hui, a (...) pour caractéristique de n’être plus investie d’un sens préalable et implicite donné au temps, et d’avoir rompu avec cette vision linéaire qui la constituait en discipline royale chargée de peser les mérites des différentes périodes du passé [41]. » Le sens historique, toujours inspiré d’une victoire, est encore largement commandé par la réalité des rapports de forces du présent politique, et la mise en marge des rapports sociaux de sexes n’est qu’un des aspects d’une mise à l’écart plus globale des rapports de domination. Les colloques et manifestations organisées à l’occasion du bicentenaire de la Révolution et de la République en témoignent. La célébration l’a emporté le plus souvent sur le questionnement critique.

Ce n’est pas un hasard si nous assistons à une certaine forme de renaissance du positivisme historique. Comme nous rivons vu, ses nouveaux outils autorisent l’histoire politique à s’inscrire dans les disciplines nobles, forte désormais de cette scientificité si laborieusement recherchée. Or, pendant quelques années, la problématique sociologique crut l’emporter en rigueur scientifique sur l’histoire, discipline si peu conforme aux canons énoncés par Durkheim. L’histoire politique tout particulièrement échappait à la recherche d’un passé réellement existant. L’événement, privilégié jusqu’alors, singulier par définition, à la fois brusque et éphémère, ne ressemblait à aucun autre ; il pouvait peut-être bouleverser les rapports sociaux, mais n’aidait pas à les penser. Sa répétition et donc sa mise en série était impossible. « C’est la capacité de l’histoire à se constituer en mode de connaissance positive que (Simiand) met en question [42]. » Évincée par la sociologie - d’ailleurs très vite, les deux disciplines s’ignorent - mise à l’écart de l’histoire dans la revue des Annales - elle-même marquée par une pensée structurale -, l’histoire politique peu à peu fut reléguée au second plan. Bientôt, en histoire comme dans d’autres disciplines, le soubassement des idées véhiculées par les hommes, les contraintes invisibles qui dictent leurs actes font l’objet des nouveaux travaux. Vouloir cerner le cadre social dans lequel vivent les hommes imposait d’en décrypter les fondements. Déjà Lucien Febvre remarquait que Michelet avait eu l’idée d’un « climat commun » entre les hommes d’un même temps [43]. L’important, de son point de vue, était de savoir que « l’homme est prisonnier non pas de la nature, mais de l’humanité (...), ses vraies murailles s’appellent les lois du nombre, les passions collectives et les contraintes sociales de l’humanité [44] ». Les historiens cherchèrent à rendre compte de ces contraintes, voire à découvrir les lois de structure [45] qui règlent le devenir des hommes. La longue durée l’emporta aux dépens de l’histoire dite événementielle [46] ; l’économique présidait aux bouleversements politiques et l’unité fictive, reconstituée par le récit d’événements liés par l’idéologie, fit place à la découverte des discontinuités, des ruptures. Les déterminations de type structurel vont l’emporter sur les hasards historiques, et les profondeurs invisibles vont être sondées. L’histoire quantitative règnera en maître. Mais l’histoire politique affectée, à peine entendue, théoriquement déconsidérée, ne cessa d’exister, ne serait-ce que sous la forme du récit dont il est difficile, comme le souligne Krzysztof Pomian, de faire l’économie en histoire, quelque forme qu’il prenne (biographies ou autres). C’est dans ce contexte que Foucault va « révolutionner l’histoire ».

Des pratiques de pouvoirs comme positivité

Révolution, certes, mais dans une commune « épistémè qui définit les conditions de possibilité de tout savoir » - actes et paroles de chacun. Dans cette recherche d’une positivité d’une période, nombreux sont ceux qui en ont sondé le socle [47]. En d’autres termes, Michel Foucault, philosophe, pose un regard critique sur l’histoire et ses méthodes ; le surplomb des choses l’intéresse davantage que les mots qui les forment :

« Histoire n’est pas à entendre comme le recueil des successions de faits, telles qu’elles ont pu être constituées ; c’est le mode d’être fondamental des empiricités, ce à partir de quoi, elles sont affirmées, posées, disposées et réparties dans l’espace du savoir pour d’éventuelles connaissances, et pour des sciences possibles [48]. »

L’individu, tout particulièrement l’homme moderne, dans ses formes d’assujettissement, fera l’objet d’une analyse poussée bien au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler la conjoncture historique. Ainsi que le notent Hubert Dreyfus et Paul Rabinow, « l’émergence de l’individu moderne en tant qu’objet préoccupation politique et scientifique et les ramifications de ce phénomène de la vie sociale constitue la problématique majeure de Foucault » [49].

« On voit que les sciences humaines ne sont pas analyse de ce que l’homme est par nature ; mais plutôt analyse qui s’étend entre ce qu’est l’homme en sa positivité (être vivant, travaillant, parlant) et ce qui permet à ce même être de savoir (ou de chercher à savoir) ce que c’est que la vie, en quoi consiste l’essence du travail et ses lois, et de quelle manière il peut parler [50]. »

Impossible de rendre compte de la totalité de la démarche de Michel Foucault. Ce qui nous intéresse ici, c’est le rapport de Foucault à l’histoire ; tout particulièrement l’analyse des stratégies déployées par un système, ou plus exactement la manière dont ON a voulu rationaliser le pouvoir. Intérêt d’autant plus grand que Michel Foucault a considérablement élargi le champ du politique. Comme le remarque Jacques Léonard, « impossible de se dérober ; l’hygiénisme social, la médicalisation des campagnes, l’organisation de l’assistance épidémiologique au XVIIIè siècle, puis au XlXè siècle sont des tâches politiques, elles font partie du bien public » [51]. L’exercice du pouvoir et ses effets, les pratiques, l’objectivation, analysés par Foucault, ont permis de mettre au jour des règles, des codes, en bref, tout un dispositif qui affecte les gens, dirait Paul Veyne. C’est dans son mode de penser que Foucault révolutionne l’histoire. « Ce que Foucault attend de l’histoire, c’est cette détermination des visibles et des énonçables à chaque époque qui dépasse les comportements et les mentalités, les idées puisqu’elle les rend possibles [52]. » Ce regard critique, Foucault, l’a exercé tout particulièrement sur cette période charnière du XVIllè-XIXè siècle. « Des segments de discours, formant système de proche en proche » [53], ont été disséqués. Ainsi est apparu tout un dispositif dans le cadre duquel tous parlent et agissent. Le discours que l’on croyait apanage des dominants est devenu un discours d’ensemble à partir duquel les opposants s’expriment.

J’ai été personnellement sensible à cette approche, en travaillant sur la première moitié du XIXè siècle, sur 1848 en particulier (exemple pris à propos de Seignobos). J’ai pu constater que les mêmes arguments étaient employés par les libéraux que par les socialistes, tous candidats au pouvoir ; chacun revendiquait la propriété et la famille, ces gages de l’ordre social, mots clés d’intégration au régime politique de la démocratie représentative, mais aussi mots nécessaires à la reconnaissance comme force politique. L’effet de ce rapport commun à la propriété et à la famille, de cette commune pensée, c’est l’exclusion des femmes. Ainsi Michel Foucault a autorisé une réflexion sur le pouvoir par-delà l’analyse traditionnelle des groupes sociaux qui le détiennent et des institutions qu’il engendre. Les féministes se sont inspirées de cette démarche pour rendre compte de la reproduction d’un pouvoir masculin qui transcende les idéologies et surplombe les classes ; c’est pourquoi, Michel Foucault peut justement affirmer que là où il y a pouvoir, « tout un champ de rapport de forces » se déploie, à l’intérieur duquel enfermement, déviation, déplacement opposition sont possibles.

« Le pouvoir, ce n’est pas une institution, et ce n’est pas une structure, ce n’est pas une certaine puissance dont certains seraient dotés : c’est le nom qu’on prête à une situation stratégique complexe dans une société donnée [54]. »

Examinant « le sous-sol des libertés formelles et juridiques » [55], principal objet d’étude des historiens soucieux de rendre compte des progrès de la liberté, Foucault, se penche sur les pratiques réelles du pouvoir, la prison, l’hôpital, l’atelier, autant de « matières formées » [56] pour discipliner les corps, autant d’objets créés par le pouvoir, parallèles aux discours sur la liberté, pour rendre malléables et dépendants des individus rebelles. Sur ces objets, nombreuses sont les déclarations d’intention. L’école tout particulièrement a focalisé les intérêts, en cette première moitié du XIXe siècle. Là encore, libéraux au pouvoir, républicains dans l’opposition, tous se sont préoccupés la formation du futur citoyen. Analysant les discours, y ai pu constater qu’en ce qui concerne la discipline, pièce tresse de la formation, les objectifs des deux partis étaient les mêmes. De François Guizot, ministre de la Monarchie de Juillet à la Société des droits de l’homme, organisation radicale s’il en était, un semblable projet : soumettre les enfants à une loi commune ; au service de la patrie ou du roi, le programme prévu est le mêmes [57].

Foucault interroge l’histoire dans sa longue durée afin de faire émerger les contraintes, résultat non pas de l’exercice d’un pouvoir central, mais de tout un réseau qui enserre les individus, quelle que soit leur place au sein de la société ; c’est l’ensemble de ce dispositif qui est l’objet principal de ses recherches.

« Si j’ai étudié des pratiques comme celle de la séquestration des fous, ou de la médecine clinique, ou de l’organisation des sciences empiriques, ou de la punition légale, c’était pour étudier ce jeu entre un "code qui règle des manières de faire (qui prescrit comment trier les gens, comment les examiner, comment classer les choses et les signes, comment dresser les individus, etc.) et une production de discours vrais qui servent de fondement, de justification, de raisons d’être et de principes de transformation à ces mêmes manières de faire. Pour dire les choses clairement mon problème est de savoir comment les hommes se gouvernent [58]... »

A travers ce « comment », question clé dans l’œuvre de Michel Foucault, ce sont les « lois de possibilité », les « règles d’existence », les techniques d’assujettissement, en bref, les rapports de pouvoir à l’œuvre dans un faisceau complexe de déterminations qui sont ainsi mis au jour [59]. Faire apparaître ces déterminations en desserrant l’étreinte des mots et des choses, telle est la méthode de Michel Foucault, si radicalement exposée dans l’Archéologie du savoir.

« (L’archéologie) définit des types et des règles de pratiques discursives qui traversent les oeuvres individuelles, qui parfois les commandent entièrement et les dominent sans que rien ne leur échappe [60]. »

C’est précisément cette analyse des pratiques, formatrices d’objets, comme la prison, la délinquance, la population (il aurait pu dire aussi « la femme », mais il ne l’a pas dit), qui a intéressé l’historien Paul Veyne. Sa lecture de Foucault le conduit à mettre en valeur les seules déterminations qui rendent possible l’existence des individus ; dans les actes et les dires des dominants comme des dominés, il « n’existe, dit-il, que du déterminé ». Démontrant, à propos du gouvernement des empereurs romains, que les objets - choses étendues aux gens dans leur relations avec le pouvoir - ne sont que les « corrélats des pratiques correspondantes », plus clairement, il n’y aurait ni État, ni idéologie, ni actes véritablement conscients, tout est objet construit par des pratiques discursives ou non. Logiquement, il en conclut que « les choses sont ce qu’elles sont » [61]. Comme le souligne Gilles Deleuze, « il n’y a que des pratiques ou des positivités constitutives du savoir : pratiques discursives d’énoncés, pratiques non discursives de visibilités. Mais ces pratiques existent toujours sous des seuils archéologiques dont les répartitions mouvantes constituent les différences historiques entre strates. Tel est le positivisme, où le pragmatisme de Foucault » [62].

Incontestablement, par la mise au jour des seuils archéologiques, des soubassements qui commandent les pratiques, fondent les mots et les choses, en deçà mais aussi au-delà de la visibilité des événements, par la mise en valeur de la rareté, mais aussi de la répétition des énoncés, Michel Foucault peut se dire positiviste [63]. Comment ne pas mettre en relation ce positivisme-là avec celui d’Auguste Comte qui, à propos de la « loi générale de l’ordre réel », affirmait :

« En effet, cette règle universelle établit d’abord la subordination totale de l’homme envers le monde, comme celle de chaque être vivant envers le milieu correspondant [64]. »

Michel Foucault, préoccupé des effets de pouvoir sur les individus « transis par le langage », objectivés par des pratiques, enserrés dans un réseau de relations de pouvoir, privilégie « le comment » aux dépens « du pourquoi ». Comment punit-on ? Comment gouverne-t-on ? Comment invente-t-on la folie ? « Comment des formes de rationalisations s’inscrivent dans des pratiques ou des systèmes de pratique [65]. » Même s’il se distingue de l’historien « normal », en faisant « l’analyse d’un problème et non l’étude d’une période » [66], la méthode de Michel Foucault n’autorise pas la prise en compte du temps court, souvent objet propre de l’histoire politique. En mettant l’accent sur les contraintes, il éclaire le dispositif d’ensemble, mais ne permet pas l’analyse des ruptures dans leur avènement, ces moments-clés <créateurs de discontinuités. Comme, en dernière instance, les déterminations l’emportent, impossible de réintroduire les tensions de l’histoire, moins encore l’expression de la volonté consciente ou inconsciente des dominants, ni le vivant des individus. Or, j’ose penser que les événements auraient pu prendre un autre cours ; les choses ne sont pas seulement ce qu’elles devaient être, mais sont aussi le produit de rapports de forces. Au-delà de la description positive, il importe, me semble-t-il, d’analyser les enjeux de pouvoirs qui mettent aux prises des individus, conscients ou non des règles qui les commandent, mais dont la volonté s’exprime au détriment d’autres individus. Même du point de vue des obscurs, des sans-nom où se place Michel Foucault, c’est un système qu’il décrit et, du même coup, il fait valoir les idées et les faits vainqueurs

« Là où il y a pouvoir, il y a résistance et que pourtant ou plutôt par la même, celle-ci n’est jamais en position d’extériorité par rapport au pouvoir [67]. »

Pris dans son propre dispositif, Foucault a longtemps pensé l’histoire des individus dans « un anonymat uniforme » [68]. « C’est un ON PARLE, murmure anonyme dans lequel des emplacements sont aménagés pour des sujets possibles » [69], c’est à l’intérieur DU discours qu’il est possible de « miner, de barrer, de renforcer, de reproduire », que les individus s’expriment. La dynamique interne n’apparaît pas, dans la mesure où les enjeux disparaissent au profit des règles qui les commandent, puisque « la répression n’explique rien mais suppose l’agencement » [70]. Ainsi, dans La volonté de savoir, la dynamique interne d’un groupe échappe à l’analyse de Michel Foucault. A propos de la bourgeoisie, prise comme un tout, sans distinguer les hommes des femmes - il est vrai, formule couramment employée, objet d’étude privilégié des années 1960-1970 :

« C’est un agencement politique de la vie qui s’est constitué, non dans un asservissement d’autrui, mais dans une affirmation de soi [71]. »

Le soi des hommes dont il est question va de soi, la bourgeoisie se dit par ses hommes. Or cette affirmation d’eux-mêmes, dont les effets se répercutent sur les épouses, au regard de cette classe ouvrière assujettie, passe par une forme d’asservissement des femmes. Combien sont-ils ces bourgeois du XIXè siècle à vilipender les mœurs légères des femmes de l’aristocratie ; la liberté sexuelle dont faisait preuve les Mme de Staël, Marie d’Agoult les effrayait, aussi ils inventèrent cette « famille bourgeoise », à l’intérieur de laquelle la sexualité féminine était contrôlée et du même coup la descendance bourgeoise légitimement assurée. Ces relations de pouvoir des êtres sexués au sein d’un groupe social, qui échappe à Foucault, - appartiennent également à l’histoire. Comme le remarque Nancy Hartsock, « en premier lieu, en dépit de son évidente sympathie pour ceux qui, sous des formes diverses, sont assujettis, il (Foucault) écrit du point de vue des dominants, "la majorité auto-proclamée". Il en découle, en second lieu (peut-être parce que les rapports de pouvoir sont moins visibles pour ceux qui sont en position de domination) que l’analyse du pouvoir à laquelle se livre Foucault fait disparaître, en dernière instance, les rapports de pouvoir systématiquement inégaux - accusation étrange et ironique à l’encontre de quelqu’un qui tente de mettre en lumière ces mêmes rapports » [72].

En effet, à suivre la méthode de Michel Foucault, c’est-à-dire à privilégier l’analyse des formations discursives afin de dépister le discours, « femme » par exemple - construction discursive par excellence [73] - on risque, de privilégier les segments de ce qu’il faut bien appeler à défaut du discours dominant, le discours de contrainte. L’énoncé critique, n’apparaît alors que sous forme de discours en retour, l’avers du même, puisqu’il n’est que répétition à partir des mêmes règles. L’inversion, le dépassement, le retournement, l’opposition, toutes ses formes détectables dans des pratiques et des luttes, sont ainsi ramenées à une dispositif de pouvoir à l’intérieur duquel les individus s’expriment et agissent [74]. Par exemple, on découvrira le discours des femmes sur la différence, énonçant des arguments identiques à ceux des hommes avec l’inversion des objectifs ; au lieu d’être facteur d’infériorité, la nature féminine, la maternité seront magnifiées au détriment d’une virilité fauteuse de troubles. De ce point de vue Foucault peut affirmer qu’il faut chercher comment les relations d’assujettissement peuvent fabriquer des sujets. Recherche nécessaire en effet si l’historien est attentif aux effets de la domination, ou plus exactement à l’interdépendance des relations de pouvoir dans le cadre d’un système donné. Comme l’écrit Michelle Perrot « l’action des femmes, au XIXè siècle, a consisté surtout à aménager le pouvoir privé, familial et maternel auquel on les vouait » [75] ou plus encore « dans la soumission comme dans l’émancipation, la femme saura jouer de cette maternité comme d’un pouvoir où se réfugier, ou comme d’un moyen. pour obtenir d’autres pouvoirs dans l’espace social » [76]. Mais analyse insuffisante pour rendre compte de l’émergence d’une subjectivité critique à l’égard des pouvoirs qui, dans l’histoire des individus, n’a cessé de s’exprimer, le plus souvent hors des sentiers balisés par les groupes sociaux - catégories privilégiées par les historiens.

Sans doute conscients des apories de certains traits de sa méthode, toujours en quête de vérité dans cette tension qui lie et oppose le sujet au pouvoir, Michel Foucault, dans les années 1980, a pratiqué un déplacement théorique « pour analyser ce qui est désigné comme "le sujet" » [77]. Ce qui l’a intéressé alors, c’est de rendre compte « d’un mode d’être qui peut être défini par la pleine jouissance de soi-même ou la parfaite souveraineté de soi sur soi » [78]. Démarche éthique, plus philosophique qu’historique, qu’il expose très clairement dans un article consacré aux Lumières. « Je définirai donc l’éthique philosophique propre à l’ontologie critique de nous-mêmes comme un test historico-pratique des limites qu’il nous est permis de dépasser, et donc comme un travail que les êtres libres que nous sommes effectuons par nous-mêmes, sur nous-mêmes [79]. » C’est précisément ce travail sur soi de sujets libres de l’antiquité grecque - recherche sur la maîtrise de soi - qui fait l’objet de ses deux derniers ouvrages.

L’émergence du sujet autonome, soit les tentatives de désassujettissement des individus sous contraintes, est plus chez Foucault inscrit dans un futur que dans une démarche historique.

Des femmes dans l’histoire

Pour l’heure, ne serait-il pas possible d’aller au-delà du constat descriptif. Dépasser ce qui est, questionner la force des choses. Rendre compte d’une dynamique, du processus de domination à l’œuvre, des réactions qu’il suscite. Soumettre à la question le pouvoir en jeu et par là même en révéler les enjeux. Mais, saisir l’enjeu d’un conflit tel qu’il se révèle suppose la confrontation de positions plurielles, différentes, et cela implique de sortir de l’anonymat. Une histoire sans acteurs est difficile à restituer. Le pouvoir s’incarne dans des personnes vivantes, parlantes et agissantes et, s’il ne peut être réduit à sa possession, c’est ainsi qu’il est perçu par les protagonistes. Comme le souligne E. Cassirer, « la vérité ne peut être érigée sur des purs concepts ; elle doit être fondée sur des perceptions car c’est par la perception seule que nous pouvons entrer en contact avec la réalité » [80]. Les uns s’identifient aux individus qui possèdent du pouvoir, d’autres au contraire le combattent par impossibilité d’être ce à quoi la règle les assigne, par refus ou par utopie, c’est-à-dire par désir conscient ou inconscient d’un autre monde, d’autres relations sociales.

S’il est vrai que « Le sujet n’est pas donné comme tel à l’origine, déjà tout constitué, (qu’)il est le résultat d’une procédure de transformation qui le constitue... » [81], il me semble qu’une subjectivité tout entière pensée dans cette dérive ne permet pas de rendre compte du processus de subjectivation d’individus qui se posent contre les règles d’un système donné. Et, ce n’est pas seulement « aujourd’hui que la lutte contre les formes d’assujettissement - contre la soumission de la subjectivité » [82] se déroule ; peut-être, prévaut-elle, mais ses traces sont nombreuses dans le passé, invisibles, souvent effacées par la relation des faits vainqueurs. C’est au prix de leurs redécouvertes que les rapports de sexes, rapports de pouvoir s’il en est, pourront s’inscrire de plain-pied dans l’écriture de l’histoire politique et sortir du statisme des mentalités, si longtemps assimilées à la force des choses. Pour ce faire, l’analyse sérielle, la répétition, qui ont la faveur des historiens - Foucault d’ailleurs a rendu hommage à cette méthode d’analyse -, est inadéquate, car précisément, cette recherche ne peut s’effectuer qu’en marge d’une norme, soit dans les interstices de l’histoire de l’ordre, soit du point de vue d’individus singuliers.

Enfin cela suppose de dépasser cette longue habitude positiviste qui consiste à ne poser des questions au passé que sous la forme de « comment ? ». « En vain, le positivisme a prétendu éliminer de la science l’idée de cause. Bon gré, mal gré, tout physicien, tout biologiste pense par "pourquoi" et "parce que". A cette commune loi de l’esprit, les historiens ne sauraient échapper. Les uns comme Michelet enchaînent dans un grand "mouvement vital", plutôt qu’ils n’expliquent en forme logique ; d’autres étalent leur appareil d’inductions (...), si la métaphysique de la causalité est ici hors de notre horizon, l’emploi de la relation causale, comme outil de la connaissance historique, exige incontestablement une prise de conscience critique [83]. » Par exemple, pourquoi, au XIXè siècle, les statues féminines de Marianne se sont-elles multipliées [84]. Pourquoi, la femme n’existe-t-elle lamais sans son image ? Pourquoi, l’exclusion des femmes dans la recension des événements politiques apparaît-elle comme un corrélat de la démocratie représentative ?

Ne serait-il pas possible de penser une histoire politique, en formulant des hypothèses sur cette chaîne de pouvoir à laquelle aucune organisation n’échappe, je dirais du parti libéral, de la première moitié du XIXe siècle, au parti maoïste ou trotskyste de la fin de ce siècle, tous majoritairement masculins, tous fonctionnant dans un rapport d’identification. Cela impliquerait, bien sûr, d’interroger les modèles dans leur formation mais aussi dans leur reproduction, à condition de repenser l’histoire politique dans une dimension sociale, dans un rapport dialectique. Je pense en particulier à cette démocratie représentative élaborée en 1789, qui perdure et s’étend aujourd’hui en même temps qu’une désaffection du politique est constatée. Mêler l’histoire de la longue durée des relations de pouvoirs au temps court des critiques formulées au présent, dans l’événement, est-ce réalisable ?

En d’autres termes, poser un autre regard sur l’histoire politique afin de rendre compte des processus où se confrontent des pratiques, des idées, où s’élaborent des utopies, où des individus se posent en sujets rebelles... Cela conduit à se détourner de l’inévitable récit linéaire et cumulatif, et de s’intéresser à l’actualité des phénomènes, répétitifs ou non. En somme tenter, comme le préconise Walter Benjamin de « réactualiser le passé » [85] dans le temps court de son expression, ou encore mieux, « sauver un passé occulté » à partir du questionnement présent de l’historien et, cela va de soi, de sa subjectivité. Dans cet optique, j’aurais tendance à privilégier ces moments de désordres où se joue l’ordre social à venir, ces moments où les hommes ne savent plus où ils vont, ces temps d’après les révolutions, 1791, 1793, 1831, 1848, 1970 ou ces périodes d’intenses débats, quand les règles s’élaborent, 1870-1880, parce que la critique la plus radicale, en marge des groupes aspirant au pouvoir, est souvent révélatrice des systèmes en reconstruction : en quelque sorte, retrouver en partie ce passé pluriel, conflictuel, jamais définitivement établi, toujours en formation, cette humanité ni une ni indivisible. Non pas déconstruire les textes, mais redonner vie aux écrits du passé ; être attentive tout particulièrement aux propos et actes de ces vaincus de l’histoire qui, dans un mouvement d’individuation et de subjectivation, qui les pose hors des catégories, hors du système dont ils sont victimes, disent que le roi est nu comme le fait par exemple en 1831 Jeanne Deroin, première candidate aux élections législatives de 1849 : « Les révolutions ne sont que des marche-pieds pour tous ceux qui veulent accéder au pouvoir. » Mais cette démarche est possible en tout temps, à condition de ne pas privilégier les positivités révélatrices d’un système et d’en distinguer les singularités ; autant de pratiques et de dénonciations d’un ordre qui permettent d’en écrire l’histoire à travers ses failles, ses interstices qui, lui échappant en révèlent la structure, ses conditions de possibilité, les exclusions qu’il engendre. Comme le souligne Stéphane Moses, « la mémoire des vaincus est celle qui révèle la vérité même de l’histoire, puisqu’elle est vouée à ne rien oublier, ni le règne des puissants dont elle est la victime, ni la tradition des victimes qu’elle a pour fonction de perpétuer [86] ». Parce que ces dires et faire ne sont ni renouvelables, ni massivement répétés, et donc peu représentatifs des mentalités, des catégories sociales, du mouvement de l’histoire dans sa vision téléologique, ils ne peuvent être mis en séries. Bien au contraire, c’est leur singularité qui aide à rendre compte des mécanismes qui fondent un ordre social.

Cette singularité, me semble importante à considérer, un peu à la manière du récit biographique tel que Carlo Ginzburg l’a mené, en rendant représentatif son meunier Menochio, « cas extrême » s’il en est. Je valoriserais cependant davantage la dimension événementielle, dans la confrontation de l’individu à l’ordre dont il est issu et contre lequel il s’insurge.

Mais comment faire émerger, en histoire, cette subjectivité, par définition dépassée. Thomson, fait de « l’expérience » le creuset de la conscience ouvrière ou plus exactement populaire, Joan Scott, attentive à cette question, analyse dans un article récent, les travaux historiques traitant de la constitution du sujet par « l’expérience ». Sceptique, elle s’interroge : « De nombreuses questions sont laissées de côté : quelle est la part de construction de l’expérience ? Comment les sujets sont-ils constitués comme différents ? Comment se structure la vision d’un individu - à propos du langage (ou du discours) et de l’histoire ? Le témoignage de l’expérience devient alors un témoignage factuel plutôt qu’un moyen d’analyser comment naît l’expérience, comment elle produit un effet, et de quelle façon elle constitue les sujets qui sont les témoins et les acteurs de l’histoire [87] ? » Si la critique est juste, elle me paraît, cependant, vouloir privilégier ce qui détermine le sujet. Or, il n’est pas possible, nous l’avons vu, de manquer l’analyse de cette forme d’être soi, non pas dans l’expression d’une conscience d’un sujet maître de lui-même, mais dans celle d’un rapport critique, expression d’un refus, d’une impossibilité ou d’une utopie. C’est pourquoi, à l’expérience, je substituerais la perception critique, lisible dans les faits et dires des individus rebelles ou vaincus, ces oubliés de l’histoire politique parce que visiblement absents du ou des discours énoncés à partir des règles qui les excluent... Objet d’un autre article. (Août 1992)

[1] Auguste Comte, Discours sur l’ensemble du positivisme, Paris, juillet 1848, p. 205.

[2] Cet article, rédigé en août 1992, n’a pu tenir compte de deux ouvrages, importants à des degrés divers ; celui de Pierre Rosanvallon, Le sacre du citoyen. histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, 1992, et celui de Jacques Rancièce, Les mots de l’histoire. essai de poétique du savoir. Paris, Seuil, 1992, tous deux parus. en septembre. Je me propose d’en faire la critique dans un prochain numéro de la revue.

[3] Alain Boureau, Discours, énonciations. Mentalités, Annales E.S.C. 44e année, n° 6, Paris, nov.-déc. 1989.

[4] « Le siècle actuel sera principalement caractérisé par l’irrévocable prépondérance de l’histoire, en philosophie, en politique, et même en poésie. Cette universelle suprématie du point de vue historique constitue à la fois le principe essentiel du positivisme et son résultat général » Auguste Comte, Système de politique positive, ou traité de sociologie instituant la religion de l’humanité, Tome 3, La dynamique sociale ou traité général du progrès humain, Paris, août 1853, p. 1.

[5] René Rémond, Une histoire présente, in Pour une histoire politique, sous la direction de René Rémond, Paris, Seuil, 1988, p. 11.

[6] « Il semble que cela soit inhérent à l’histoire des femmes que de toujours être sur ce plan de la figure, car la femme n’existe jamais sans son image » Michelle Perrot, Geneviève Fraisse, Introduction à l’Histoire des femmes du XIXè siècle, vol. 4 de L’Histoire des femmes sous la direction de Michelle Perrot et Georges Duby, Paris, Plon, 1991, p. 17.

[7] Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire suivi de Foucault révolutionne l’histoire. Paris, Seuil, 1978, p. 204.

[8] René Rémond, op. cit., p. 14.

[9] Charles Seignobos, Études de politique et d’histoire, Paris, P U.F, 1934. (Reprise d’un article paru dans Journal de psychologie, n° 6-7, 15 juin, 15 juillet 1920.)

[10] Krzysztof Pomian, L’Ordre du temps. Paris, Gallimard, 1984, p. 71.

[11] René Rémond, op. cit., p. 11.

[12] Auguste Comte, Catéchisme positiviste, Paris, octobre 1852, p. VI.

[13] Ibid., p. 11. Il est intéressant d’observer le curieux déplacement du « pourquoi » au « comment » de la réflexion anglo-saxonne dans le domaine de l’histoire des femmes et du « gender » ; voir J.W. Scott, Gender and the politics of history, Columbia University Press, New York, 1988 ; et le débat dans Radical History n° 43, 1989.

[14] Ernest Lavisse, 1ère année d’histoire de France. nouvelle édition augmentée par E. Lavisse, maître de conférences à l’E.N.S., professeur suppléant à la faculté de lettres de Paris, « Dissertation et développement de la patrie contemporaine », Paris, Armand Colin, 1882.

[15] Charles O. Carbonnell, dans son ouvrage (Histoire et historiens, une mutation idéologique des historiens français, 1865-1885, Paris, Privat, 1976), démontre que ce courant dominant de l’historiographie française a été assimilé à tort au positivisme d’Auguste Comte. « Au mot positivisme correspondent deux adjectifs positif et positiviste ; or, ces deux adjectifs recouvrent des significations différentes, voire opposées. Si « positiviste » qualifie un système philosophique, une théorie - et a pour synonyme « comtien » ou « comtiste » -, positif qualifie une attitude inversée. Un esprit positif s’en tient aux faits, une intelligence positiviste a dégagé des faits une théorie qui leur donne un sens et va aux faits avec cette théorie. D’un côté la prudence, l’amour du concret, la crainte de la non-objectivité ; de l’autre une vision du monde, l’usage des concepts abstraits... (p. 407).

[16] Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien. Cahiers des Annales, 3, 5° édition, Paris, Armand Colin, 1964, p. XV.

[17] Gabriel Monod, Revue historique, juillet-août 1896, p. 325, cité par Madeleine Rebérioux, Le débat de 1903 : Historiens et sociologues. pp. 219-230 in Au berceau des Annales, Actes du colloque de Strasbourg (I1-13 octobre 1979), Presses de l’I.E.P de Toulouse, 1983.

[18] Voir Alice Gérard, A l’origine du combat des Annales in Au berceau des Annales, op. cit., « les historiens d’alors détenaient, depuis les années 1880, tous les postes clés qui fondent l’autorité d’un savoir ».

[19] Voir Gérard Noiriel, Naissance du métier d’historien, Dossier, Genèses, Les Voies de l’histoire, n° 1, Paris, septembre 1990 ; « Le contrôle exercé par la génération de Lavisse et Seignobos sur tout l’univers scolaire, en redéfinissant les programmes depuis l’école primaire jusqu’à l’agrégation, en régnant sur l’édition des manuels et des grandes collections de vulgarisation, est un autre élément essentiel qui contribue à l’inculcation des « programmes de pensées » dès le plus jeune àge, p. 79.

[20] Voir à ce propos l’article de Madeleine Rebérioux cité plus haut.

[21] François Furet, L’Atelier de l’histoire, Paris, Flammarion, 1982, p. 56.

[22] Le tableau politique de la France de l’ouest sous la troisième république, Paris, 1913.

[23] René Rémond, op. cit., pp. 28-29.

[24] Pierre Favre, Naissances de la science politique en France 1870-1914, Paris, Fayard, 1989. Selon l’auteur la discipline historique serait devenue « discipline scientifique dans la première moitié du XIXè siècle avec Michelet, avec Guizot, historien et ministre, avec Quinet... ».

[25] cité par Pierre Favre, p. 36.

[26] Naissances de la Science politique, op. cit., p. 229.

[27] Rappelons ce que disait Marc Bloch à ce propos : « C’est d’abord l’idée même que le passé, en tant que tel, puisse être l’objet de science qui est absurde », Apologie pour l’histoire. op. cit., p. 2.

[28] Charles Seignobos, cherchait à « utiliser les exemples » historiques afin de « rendre représentables les faits invisibles ».
« L’intelligence de l’élève, familiarisée avec les exemples politiques que l’histoire lui a fournis, devient capable de se représenter les faits politiques. » Charles Seignobos, L’enseignement de l’histoire comme instrument d’éducation politique, conférences du Musée Pédagogique, 1907, in Études de politique et d’histoire, Paris, 1834, p. 117.

[29] Charles Seignobos, Histoire politique de l’Europe contemporaine, 1814-1914, Paris, 1897, Armand Colin, 1924, 7è édition, vol. 1, pp. 187-190.

[30] Charles Seignobos, Histoire sincère de la nation française, essai d’une histoire de l’évolution du peuple français, Paris, Rieder, 38e édition, 1934, p. 502.

[31] Histoire sincère.... op. cit., p. 390.

[32] Histoire politique de l’Europe contemporaine. op. cit., p. 223.

[33] Par exemple, la défense de la République est toujours à l’œuvre chez les historiens, comme si le fait de mettre au jour les exclusions pratiquées par les républicains d’hier menaçait la république démocratique actuelle.

[34] Je cite intégralement le sommaire de l’ouvrage dirigé par René Rémond, cité plus haut.

[35] « L’anomalie par laquelle la France, qui avait été le premier grand pays d’Europe à adopter le suffrage universel masculin, étant aussi le dernier à le refuser aux femmes, est enfin effacée grâce à la guerre » René Rémond, Histoire de France 1918-1987, Notre siècle, t. VI, Favier, Paris, p. 375. Je remercie William Guerraich de m’avoir signalé cette information.

[36] Jules Michelet, Précis d’histoire moderne, Paris, 1827.

[37] Jules Michelet, Introduction à l’histoire universelle, Paris, 1831, p. 26.

[38] Ibid., p. 54.

[39] Pour une histoire politique, op. cit., p. 387.

[40] Voir à ce propos, Thérèse Moreau, Le sang de l’histoire, et Michelle Perrot, Les femmes, le pouvoir, l’histoire, in Une histoire des femmes est-elle possible ? sous la direction de M. Perrot, Paris, Rivages, 1984. La critique de Michelet est d’autant plus malaisée pour les historiens de tradition républicaine qu’il fut un des rares historiens de son époque à se préoccuper du sort des femmes, tout en respectant la partition des rôles dans la société. « Élever une fille, c’est élever la société elle-même. La société procède de la famille, dont l’harmonie est la femme. Élever une fille, c’est une oeuvre sublime et désintéressée. » La Femme, Paris, Flammarion, 1981, p. 120.

[41] Voir à ce propos, Denis Berger, Michèle Riot-Sarcey, François Furet, Francois Furet : l’histoire comme idéologie., Aout 1991 : Le gai renoncement , Paris, L’Harmattan, 1991, n° spécial de Futur Antérieur.

[42] Madeleine Rebérioux, op. cit., p. 224.

[43] Lucien Febvre, Combats pour l’histoire, Vivre l’histoire, Cours E.N.S. 19,41, Paris, réédition Armand Colin, 1992, p. 26.

[44] Lucien Febvre, Annales, E.S.C., 1951, pp. 381-382, cité par Hans Dieter-Mann, Lucien Febvre la pensée vivante d’un historien, Cahiers des Annales, n° 31, Paris 1971, pp. 35-36.

[45] « Les événements sont engendrés par les structures et les conjonctures. Ils sont les manifestations visibles des ruptures de l’équilibre où des rétablissements de celui-ci. » Fernand Braudel, cité par Pomian, p. 87.

[46] « Au lieu de replacer l’événement dans la dynamique des structures qui l’ont fait naître, Fernand Braudel préfère renvoyer l’événementiel à l’ordre de la superficialité. » François Dosse, L’Histoire en miettes, des annales à la nouvelle histoire, Paris, La Découverte, 1987, p. 113.

[47] « Dans une culture et à un moment donné, il n’y a jamais qu’une épistémé qui définit les conditions de possibilité de tout savoir. » Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 179. Cf. également Michel de Certeau, Histoire et psychanalyse, entre science et fiction, Paris, Gallimard, 1987.

[48] Les mots et les choses, op. cit., p. 231.

[49] Hubert Dreyfus et Paul Rabinow, Michel Foucault, un parcours philosophique, Paris, Gallimard, 1984, p. 207.

[50] Les mots et les choses, op. cit., pp. 364-365.

[51] L’impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire au XIXè siècle réunies par Michelle Perrot, Paris, Seuil, 1980, p. 21.

[52] Gilles Deleuze, Foucault, Paris, Minuit, 1986, p. 56.

[53] Michel Foucault, Naissance de la clinique, Paris, PU.F, 1963, collection Quadrige, 1988, préface, p. XIII.

[54] Michel Foucault, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 123.

[55] H. Dreyfus, P Rabinow, op. cit., p. 299.

[56] Gilles Deleuze, op. cit., p. 41.

[57] . Cf. Michèle Riot-Sarcey, Parcours de femmes dans l’apprentissage de la démocratie. Désirée Gay, Jeanne Deroin et Eugénie Niboyet, thèse de doctorat, Paris 1, octobre 1990, à paraître chez Albin Michel.

[58] Michel Foucault, L’impossible prison. op. cit., p. 47.

[59] Cf. L’archéologie du savoir, Gallimard, Paris, 1969 : « le jeu de règles qui rendent possible l’apparition d’objets », p. 46.

[60] Michel Foucault, L’archéologie du savoir, op. cit., p. 183.

[61] Paul Veyne, op. cit., pp. 212, 215, 223.

[62] Gilles Deleuze, op. cit., p. 59.

[63] « Si en substituant, l’analyse de la rareté à la recherche des totalités, la description des rapports d’extériorité au thème du fondement transcendantal, l’analyse des cumuls à la quête des origines, on est un positiviste, eh bien je suis un positiviste heureux. » L’archéologie du savoir, op. cit., p. 164

[64] Auguste Comte, Système de politique positive. op. cit., p. 18.

[65] Michel Foucault, L’impossible prison, op. cit., p. 47.

[66] Ibid., p. 30.

[67] La volonté de savoir, op. cit., p. 127.

[68] L’Archéologie du savoir, op. cit., p. 83.

[69] Gilles Deleuze, op. cit., p. 62. Si l’analyse critique des énoncés permet de découvrir le sujet singulier, la subjectivité n’apparaît qu’au sein d’un réseau de contraintes qui l’autorise et la détermine.

[70] Ibid., p. 30.

[71] La volonté de savoir, op. cit., p. 163.

[72] Nancy Hartsock, Foucault on power : A theory for Women ?, in The gender of power, ed. Monique Ledinaar, Kathy Davis, Claudine Hellemann, Jantine Oldersma, Dini Vos Leiden : University of Leiden, 1987, voir également Jana Sawicki, Foucault and feminism : Toward a politics of difference, in Feminisi interpretations and political theory, ed. Mary Lyodon Shanley & Carole Patemen, Polity press, Cambridge, G.B.

[73] Je rappelle le sens du mot discours donné par Foucault : « On appellera discours, un ensemble d’énoncés en tant qu’ils relèvent de la même formation discursive », L’archéologie du savoir. op. cit., p .154.

[74] Il ne s’agit pas de critiquer une méthode, mais d’en retenir les limites pour rendre compte des rapports de pouvoirs à l’œuvre entre hommes et femmes. Cela ne retire rien au bien fondé de l’analyse de Foucault, remarquablement exposée par exemple, dans Surveiller et punir, à propos de la délinquance, manière de gérer les illégalismes : « La pénalité ne "réprimerait" pas purement et simplement les illégalismes ; elle les "différencierait", elle en assurerait "l’économie" générale (...), toute la gestion différentielle des illégalismes par l’intermédiaire de la pénalité fait partie de ces mécanismes de domination. » Surveiller et punir, naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975, p.277. Il serait possible de faire la même analyse de la « mère », modèle de référence magnifié afin de rendre impossible socialement d’autres formes d’existence féminine.

[75] Michelle Perrot, Les femmes, le pouvoir, l’histoire, L’Histoire des femmes est-elle possible ?, op. cit., p. 217. Voir également : Bonnie Smith, The ladies of the leisure class. The bourgeoises of Northern France in the XIXth century, Princeton, 1981.

[76] Geneviève Fraisse et Michelle Perrot, L’Histoire des femmes, vol. 4, Le XIXè siècle, op. cit., p. 17.

[77] Histoire de la sexualité. L’Usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984, p. 12.

[78] Ibid., p. 38.

[79] Qu’est-ce que les Lumières ?, Berkeley, avril 1983, traduit de l’anglais par Fabienne Durand-Bogaert. Je remercie Denise Modigliani de m’avoir communiqué la traduction de cet article.

[80] Ernest Cassirer, L’Idée de l’histoire, Paris, Cerf, 1988, p. 3.

[81] Pierre Macherey, Foucault, éthique et subjectivité, Autrement, no 102, nov. 1988, p. 93.

[82] Cf. Michel Foucault, deux essais sur le sujet et le pouvoir in Michel Foucault, un parcours philosophique, op. cit., pp. 297-321.

[83] Marc Bloch, Apologie pour l’histoire, op. cit., p. 8.

[84] Maurice Agulhon esquisse quelques réponses encore bien timides, Marianne au pouvoir, Paris, Flammarion, 1989 ; et avec Pierre Bonte Marianne, les visages de la République, Paris, Découvertes Gallimard, 1992.

[85] Cf. Walter Benjamin, Thèses sur la philosophie de l’histoire, Essais 2, 1935-1940, Paris, Denoél Gonthier, 1966.

[86] Stéphane Moses à propos de Benjamin, L’Ange de l’histoire, Rozenzweig, Benjamin, Scholem, Paris, Seuil, 1992, p. 157.

[87] Joan W. Scott, « Expérience », Feminists theorize the political, ed. by Judith Butler and Joan W. Scott, New York, Routledge, 1992, p. 25.


       Pour citer cet article :

       Michèle Riot-Sarcey , « De l’histoire politique et des pouvoirs », Fédération de recherche sur le genre RING, 12 juillet 2010. URL : http://www2.univ-paris8.fr/RING/spip.php?article1081

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