Camille Peugny dans Le Monde

Camille Peugny, maître de conférences en sociologie, était interviewé dans Le Monde :

Génération sacrifiée ? Les non-diplômés n’ont pas de vraie seconde chance (Le Monde) vendredi 8 avril 2011

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 » Les non-diplômés n’ont pas de vraie seconde chance  »

ENTRETIEN

Sociologue, maître de conférences à Paris-VIII, Camille Peugny est l’auteur de Le Déclassement (Grasset, 2009).

L’enquête du Céreq confirme que, crise ou pas, notre société n’arrive pas à aider les non-diplômés à s’insérer correctement sur le marché du travail. Est-ce une fatalité ?

La crise financière de 2008 ne vient qu’exacerber des tendances structurelles. Les difficultés d’insertion des jeunes sur le marché du travail apparaissent dès le début des années 1980, période à laquelle près de 25 % des jeunes actifs sortis de l’école depuis un à quatre ans sont au chômage. Sur toute la période, les non-diplômés sont les plus touchés.

Ce n’est pas une spécificité française : ce rôle protecteur du diplôme, particulièrement en période de crise, s’observe également chez nos voisins européens. Pour autant, le poids déterminant de la formation initiale en France amène les non-diplômés dans une impasse très inquiétante en raison de l’absence de vraie seconde chance. La formation professionnelle, par exemple, profite davantage aux individus qui sortent déjà diplômés de formation initiale.

La différence entre diplômés et non-diplômés s’est fortement accrue ces dernières décennies. Comment l’expliquez-vous ?

La société française est confrontée au chômage de masse depuis plus de trente ans. Dans ce contexte de pénurie d’emplois, les non-diplômés constituent une variable d’ajustement. En période de reprise économique, comme à la fin des années 1980 ou à la fin des années 1990, ils sont employés dans des formes précaires d’emploi (CDD, intérim), mais en période de récession, ils sont les premiers à se retrouver au chômage.

Par ailleurs, au cours des deux dernières décennies, la part des diplômés parmi les jeunes augmente régulièrement : dès lors, la position relative des non-diplômés, au sein de la file d’attente, se détériore. Ajoutons à cela que les diplômés du supérieur sont parfois contraints d’accepter des emplois qui ne correspondent pas à leur niveau de qualification, situation qui présente nombre d’avantages pour les employeurs. On comprend dès lors l’impasse dans laquelle se retrouvent les non-diplômés.

Peut-on parler de  » génération sacrifiée  » ?

Le sort de ceux qui sortent de formation initiale sans diplôme est très inquiétant et devrait constituer une priorité absolue des politiques publiques. Ne pas avoir de diplôme condamne à des carrières marquées par le chômage et les emplois précaires. Ce qui pose une autre question, celle de la reproduction sociale : dans notre société, le diplôme s’hérite encore largement.

Au cours du dernier quart de siècle, la part des diplômés du supérieur a augmenté de plus de 20 points pour les enfants de cadres (plus de 70 % aujourd’hui), mais parmi les enfants d’ouvriers, la hausse n’est que de 15 points (25 %). Parmi les jeunes nés entre 1981 et 1985, 50 % des enfants d’ouvriers n’obtiennent pas leur bac. Si l’on veut éviter que les vaincus ne soient toujours les mêmes, il y a deux urgences.

Lutter contre l’échec scolaire dès les premières années de scolarité en concentrant davantage de moyens sur l’enseignement primaire, et faciliter l’accès à l’enseignement supérieur des enfants des classes populaires ensuite, notamment grâce à la mise en place d’une vraie allocation d’autonomie.

Propos recueillis par B. F (Le Monde)