Un entretien avec Thomas Sauvadet

Suite à la publication de sa thèse — Le Capital guerrier : Solidarité et concurrence entre jeunes de cité (Editions Armand Colin, 2006) — Thomas Sauvadet a été invité sur Radio Aligre pour un entretien dense et très intéressant avec Bernard Girard (réalisé le 2 février 2006) :
Entretien avec Thomas Sauvadet (MP3 – 40 méga)

Dans le journal Le Monde, Luc Bronner écrit :

Plongées dans un monde ultra-concurrentiel
LE MONDE DES LIVRES | 15.02.07 | 12h27 • Mis à jour le 15.02.07 | 12h27

édiatiquement comme politiquement, les « jeunes de banlieue » constituent une nouvelle figure des « classes dangereuses ». Avec les polémiques autour de l’insécurité et les émeutes d’octobre-novembre 2005, cette image s’est encore accentuée, plaçant les « cités sensibles » au coeur des débats électoraux. Enjeu social fort mais recherche scientifique limitée : dans l’avalanche des ouvrages sur les quartiers, les auteurs en sont le plus souvent restés aux analyses théoriques sur les politiques publiques, la ségrégation urbaine ou le traitement médiatique.

Des « jeunes des cités », il est rarement question de près, dans leur quotidien, leurs valeurs. Deux ouvrages montrent pourtant que lorsque des sociologues prennent le risque, physique et intellectuel, d’aller au contact des populations et d’accomplir un patient travail de terrain, le résultat est incomparable.

Cet engagement est par exemple le fait de deux jeunes chercheurs, Thomas Sauvadet et Nasser Tafferant, issus eux-mêmes des quartiers populaires et donc capables d’ouvrir les portes invisibles des cités pour s’y faire accepter.

Première leçon de leur immersion : la catégorie « jeunes de banlieue » n’est pas vraiment pertinente. A partir d’une enquête effectuée à Marseille et en région parisienne, Thomas Sauvadet décrit en effet une jeunesse beaucoup plus hétérogène. D’abord parce que les garçons qui occupent l’espace public – ceux qui « tiennent les murs » ou font « chauffer le béton » – sont une centaine seulement sur les 800 hommes de 18 à 30 ans recensés par l’Insee dans l’une des cités étudiées : les autres sont « invisibles » car repliés sur la sphère privée, à l’école ou au travail. Ensuite parce que cette partie émergée de la jeunesse masculine, celle que l’on assimile facilement à des « bandes », est loin d’être homogène : Sauvadet ne s’arrête pas à l’uniformité de façade (attitude, langage…) mais dresse le portrait d’une génération disparate : « Le milieu populaire rencontré laisse rapidement apparaître des puissantes logiques de distinction et de division d’ordre économique (entre les plus riches et les plus pauvres), générationnel (entre les plus vieux et les plus jeunes), national (entre Français et étrangers) et même ethnique (entre « Blancs », « Arabes » et « Noirs ») », écrit-il en insistant sur l’importance des rapports de forces entre jeunes.

Dans ces territoires fortement hiérarchisés, Thomas Sauvadet s’arrête en particulier sur les « leaders », souvent désignés comme des « chauds » au sein des cités. Le chercheur parle d‘ »accumulation du capital guerrier » pour décrire le processus de leur prise de pouvoir : dans un espace aussi conflictuel, la force physique, la « tchatche », le « vice » sont autant d’armes pour asseoir leur position. L’affichage de leur richesse (portable neuf, lecteur MP3, vêtements de marque) participe aussi de cette stratégie : exposer sa fortune au monde extérieur, c’est signifier à l’entourage et au quartier que l’on dispose de la puissance nécessaire pour le protéger. Autant d’avantages liés au statut de « chaud » qui invalident, pour l’auteur, l’idée d’une « violence gratuite » dans les banlieues : le recours à la force sert à asseoir ou à défendre son statut aux yeux du groupe et permet de viser des activités plus rentables dans le « bizness » local.
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Un compte-rendu de ce livre (et d’un autre, Jeunes dangereux, jeunes en danger, Dilecta, 2006) a été réalisé par Igor Martinache, sur Liens-Socio :

Tout au long de ses deux ouvrages, Thomas Sauvadet rend finalement bien compte de la diversité et de la complexité des habitants des quartiers dits « sensibles ». Il apporte un regard relativement neuf sur les logiques propres aux pratiques des jeunes qui y occupent l’espace public, du fait notamment de sa position d’observateur « privilégiée », et sait les présenter à la fois ni tout à fait comme des « coupables », ni seulement comme des victimes. Ce faisant, il évite les écueils opposés de ce type d’analyses sociologiques, à savoir le misérabilisme et le populisme. Dans Jeunes dangereux, jeunes en danger, qui se présente davantage un ouvrage de vulgarisation à tonalité politique, il dénonce la montée des idéologies sécuritaires, et plaide pour une réelle prise en compte des logiques spécifiques qu’il s’emploie à éclairer. Il y montre notamment la relation ambiguë entre certaines logiques animant les jeunes de cité et l’idéologie néolibérale et consumériste ambiante, ce dont certains responsables politiques ont d’ailleurs bien conscience. Mais, comme il le rappelle, l’ « insécurité » des jeunes de cité est aussi infiniment moins coûteuse à la société que la « délinquance en col blanc ». De quoi y lire plus qu’une bonne enquête de sociologie, une preuve à charge de l’inadaptation des politiques successives « de la ville », incapables (ou refusant ?) de prendre la mesure de la complexité des « cités ». En fin de compte, cela valait sans doute bien deux livres.
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Et le magazine Sciences Humaines propose aussi un compte-rendu du Capital Guerrier :

On parle beaucoup des jeunes des banlieues, mais on les connaît mal. D’où l’intérêt de cette enquête exceptionnelle au cœur des bandes de jeunes, un microcosme avec ses liens de solidarités, ses codes mais aussi ses lois implacables.
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