Résumé de la thèse de Cyriaque Akomo-Zoghe, "L’évangélisation des esclaves bantu et les résistances en Colombie 1602-1774"
La nécessité d’évangéliser les esclaves bantu au port de Carthagène répondait aux exigences de faire de l’Amérique hispanique un territoire chrétien pur et orthodoxe. Cette mission fut lancée par les rois catholiques, notamment Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon au sortir de la reconquista en 1492. C’est dans cette optique que le pape Alejandro VI, au travers des bulles dénommées Inter coetera I et II de 1493, firent des rois catholiques des fidèles messagers de la propagation de la foi chrétienne dans le monde en général et particulièrement en Amérique. C’est alors qu’en 1580, le Portugal reçut le droit d’importer massivement les esclaves bantu, grâce à l’asiento qui fut un contrat d’exportation des esclaves d’Afrique via l’Amérique. Pour mener à bon port ce trafic négrier, les Portugais eurent l’obligation de baptiser les esclaves avant leur embarquement dans les ports négriers afin de les christianiser. Le cas de Carthagène des Indes au XVIIe, comme principal port d’escale et de distribution des esclaves dans toute l’Amérique hispanique, attira notre attention. Voila pourquoi nous avons montré comment les esclaves bantu ont été évangélisés du XVIIe au XVIIIe siècle par la compagnie de Jésus au sein dudit port. Car, l’objectif dans ce travail était de montrer le processus qui conduisit les descendants des bantu à conserver les pans de leur culture et tradition en dépit du contrôle mené par l’Inquisition à partir de 1610. Ainsi, la présence culturelle d’origine bantu sur la côte atlantique colombienne est la preuve irréfutable que l’évangélisation de ces populations a été défaillante. Le souci de se rapproprier leur humanité, de préserver leur identité et de la transmettre à la postérité fut l’objectif principal des esclaves marrons. Ces derniers, habitant dans les palenques, furent à l’avant-garde des rémanences culturelles bantu en Colombie et anticipèrent, en même temps, les mouvements de révolte antiesclavagiste.
Mots-clés : Colombie- Esclave bantu-Esclavage-Évangélisation-Marronnage-Nègre marron-Nouvelle Grenade-Palenques-Résistance-Traite négrière
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"Mouvement syndical et tourisme populaire en France. 1945 - années 1980. Le cas de Tourisme et Travail".
Sylvain Pattieu
Thèse soutenue le 14/12/2007 à l’Université Paris 8
sous la direction de Mme Danielle Tartakowsky.
Résumé :
La rencontre des confédérations syndicales françaises et du tourisme, par le biais des associations de tourisme social qui leur sont liées, représente un élément de l’instauration de la société salariale qui a connu son apogée au cours des Trente Glorieuses. Les protections nouvelles garanties par un Etat social entraînent pour les milieux populaires un mouvement de promotion, l’accès à des positions et opportunités nouvelles, parmi lesquelles le tourisme. De 1945 aux années 1980, les syndicats répondent à l’essor de ce besoin nouveau pour les salariés en mettant en place un dispositif vacancier appuyé sur des associations, influencées par l’expérience de Tourisme et travail, proche de la CGT. Ils tentent de donner au tourisme un sens dépassant la simple activité de loisir et se dotent, en lien avec les comités d’entreprise, d’installations et d’équipements en France comme à l’étranger, soutenus dans cette entreprise par un investissement grandissant des pouvoirs publics. Envisagées dans une visée d’éducation populaire, ces vacances contribuent à l’acquisition d’un capital culturel et de gains symboliques, à travers l’accès à des lieux et à des activités auparavant réservées aux élites sociales. Elles participent à une histoire sociale du politique, celle des conditions de production et de réception d’un projet touristique, qui nécessite de mobiliser les ressources de l’interdisciplinarité, de faire appel à la sociologie de la culture, des milieux populaires et des organisations.
La première partie de la thèse est consacrée à l’histoire des stratégies syndicales. Elle se fonde sur les archives confédérales des syndicats CFTC puis CFDT, CGT et CGT-FO : presse, documents internes relatifs au tourisme. L’entrée dans l’histoire des confédérations par un champ d’activité, le tourisme et les loisirs en l’occurrence, permet de penser des formes de similarité dans leurs rapports avec les associations de tourisme populaire, dans la perspective d’une étude transversale du syndicalisme français. L’étude fait apparaître que les chronologies sociale, politique et syndicale, celles du développement du tourisme, des orientations des pouvoirs publics et de l’action des syndicats, se recoupent sans se superposer.
La deuxième partie de la thèse se consacre à une seule organisation, Tourisme et travail, pour laquelle on a pu disposer d’archives sensiblement plus abondantes que pour les autres associations : revue éponyme mensuelle, documents iconographiques, documents internes de la fédération et des associations locales et une douzaine d’entretiens avec d’anciens dirigeants, salariés ou vacanciers. Elles touchent au fonctionnement de l’association, à l’histoire de ses adhérents et militants, cadres et dirigeants, permettant d’accéder aux pratiques et aux usagers avec des informations sur les centres de vacances, les séjours à l’étranger, le quotidien des vacances. L’analyse fournit toutefois des clefs pour la compréhension des autres dispositifs vacanciers confédéraux. A la fois prestataires de service et mouvements revendicatifs, à l’intersection entre le champ du syndicalisme et le marché du tourisme, ces associations, marquées par la spécialisation d’une élite militante, sont aux prises avec des contradictions entre projets d’éducation populaire initiaux et réappropriation des usagers. Dès l’origine, elles sont soumises à une tension entre logiques militantes et logiques professionnelles, malgré l’affirmation d’une différence irréductible avec le secteur marchand dont la concurrence va en s’accroissant.
Ce tourisme du pauvre n’a pas été pour autant un pauvre tourisme. Les dirigeants de Tourisme et travail ont conçu le tourisme populaire par rapport à la culture vacancière dominante et légitime, pour la contester ou en revendiquer l’accès. Mais ses usagers se sont appropriés ces vacances selon des modalités propres aux catégories populaires, en faisant leur propre espace de symbolisation, dans une relative autonomie. Elles ont été un élément constitutif, parmi bien d’autres, de l’identité sociale des salariés durant les « Trente Glorieuses ». Dans un domaine souvent présenté comme dominé par la subjectivité et les goûts individuels, l’encadrement par les confédérations syndicales, l’insertion forte, par le biais du travail salarié et des comités d’entreprise, dans un statut et dans un groupe social identifié, entraînent l’affirmation d’un individualisme collectif. Ce phénomène constitue un moment de l’histoire du loisir populaire, passage d’une dimension d’expérimentation sociale à une intégration progressive au marché et à ses mécanismes. Il correspond à la prospérité économique des « Trente Glorieuses », quand la puissance des confédérations ouvrières, même moindre en France que dans d’autres pays européens, leur a permis de constituer des forces de proposition et d’expérimentation.
A travers la grave crise de ces dispositifs vacanciers, les années 1980 apparaissent comme une rupture sociale, en lien avec la persistance de la crise économique. La rupture est aussi politique à un double titre, celui de la victoire électorale de la gauche et des espoirs qu’elle suscite, et celui du changement d’orientation des pouvoirs publics en matière de tourisme social. Ce ne sont pas tant de supposés changements de moeurs, bien plus profonds entre 1945 et les années 1970 que durant les années 1980, que des modifications de la situation sociale, politique et économique, qui provoquent des ruptures. La redéfinition des fonctions associatives autour de la sous-traitance de l’impuissance publique entraîne une mutation des grands projets éducatifs. Sommées de choisir entre projet culturel, au prix de l’abandon du social, ou rôle d’assistance pour les plus démunis, les associations doivent délaisser leurs objectifs d’éducation populaire. Dans ce nouveau cadre, les vacances dépendant du statut salarial, par l’intermédiaire des comités d’entreprise, sont très minoritaires, et ne donnent plus lieu au même travail idéologique de construction par le syndicalisme d’un univers théorique et symbolique propre, quand bien même il n’avait jamais concerné la majorité des vacanciers populaires. Si les vacances populaires apparaissent toujours comme un dû, ce n’est plus comme un droit, un élément de la dignité salariale, mais comme un service, dans le cadre du marché, ou comme une aide aux exclus de la société salariale. Tourisme et travail, en faillite, se transforme en société commerciale. Le marché, dans le cadre de l’économie sociale ou solidaire, constitue alors une voie de reconversion pour des individus ou des organisations issus du mouvement syndical et du tourisme social.
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"Balzac, journaliste et penseur du politique".
Patricia BAUDOUIN
Thèse soutenue le 11/12/2006 à l’Université Paris 8
sous la direction de Mme Michèle RIOT-SARCEY.
Composition du jury :
M. Jean-Clément MARTIN, président
M. José Luis DIAZ, rapporteurs
Mme Michèle RIOT-SARCEY, directrice de la thèse
MM. Jean-Claude CARON et Gérard GENGEMBRE, membres.
Homme de lettres, journaliste, penseur du politique : les trois activités s’avèrent indissociables chez Balzac de 1830 à 1848. Son oeuvre et sa vie révèlent un auteur habité par le politique, dont il a une conception unitaire, englobant à la fois le social, le religieux et l’économique. A l’heure de la division post-révolutionnaire, Balzac cherche, avec ses contemporains, à conjurer l’éclatement et à retrouver les fondements d’un ordre stable en repensant le politique, c’est-à-dire non seulement le pouvoir, ses formes, ses moyens et ses enjeux, mais aussi la société qui en constitue le terrain d’exercice.
L’auteur exerce sous la monarchie de Juillet un rôle majeur dans la cité, celui d’acteur et de témoin critique de son temps, en décalage voire en dissidence avec la pensée dominante. Ainsi exprime-t-il par ses textes et ses engagements l’affirmation et les paradoxes de l’espace public sous la monarchie de Juillet.
Homme et écrivain de l’inconfort, Balzac écrit tout à la fois sur son siècle et contre son siècle. Refusant l’enfermement dans un parti, le ralliement aux hommes et aux idées du siècle, l’auteur a cherché à synthétiser les différents courants de pensée du présent et du passé ; il en a fait un système qui échappe aux classifications et maintient une tension permanente entre les contraires. La vision balzacienne du politique s’avère un questionnement sur le politique, qui n’impose pas de réponse, suspend les certitudes et conserve toute son actualité.
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" LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000 : de l’organisation de masse à l’association de solidarité, histoire d’engagements ".
Axelle BRODIEZ
Thèse soutenue le 19/11/2004 à l’Université Paris 8
sous la direction de Mme le Professeur Danielle TARTAKOWSKY, équipe d’accueil EA 1571.
Composition du jury :
M. Antoine PROST, président
MM. Marc LAZAR et Denis PELLETIER, rapporteurs
Mme Danielle TARTAKOWSKY, directrice de la thèse
Mme Dan FERRAND-BECHMANN et M. Jean-Pierre LE CROM, membres.
Héritier du Secours rouge international section française, décimé durant la guerre, le Secours populaire français renaît à la Libération. Organisation de masse du Parti communiste français ayant pour spécialisation fonctionnelle la solidarité aux victimes de la répression, il est alors pleinement inséré dans le " conglomérat " [1] communiste (1945-1955) et inféodé au parti. En France, ses activités résident principalement en lutte pour la libération des résistants toujours emprisonnés et pour " le châtiment des traîtres ", en solidarité aux militants communistes syndicalistes lors des grèves ou aux Combattants de la Paix inculpés ; ses activités sociales, réactivées à la Libération, sont dès le début 1947 mises sous le boisseau. A l’étranger, il s’agit avant tout de solidarité " antifasciste " (aide à " l’Espagne républicaine " et à la " Grèce démocratique ") et anticolonialiste (à l’Afrique noire et du Nord, à Madagascar, à l’Indochine), ainsi que de participation aux grandes campagnes communistes internationales.
Au sortir de la phase glaciale de Guerre froide, le fonctionnement du conglomérat communiste subit un aggiornamento et les liens internes tendent à se distendre ; le Secours populaire, dirigé depuis 1955 par un nouveau secrétaire général [2]
, se dote alors d’une progressive autonomie d’action. L’association opère parallèlement une " mue identitaire " vers des actions apolitiques (solidarité aux sinistrés, aux personnes âgées, aux handicapés, aux enfants défavorisés) et humanitaires, d’urgence comme de développement ; la guerre d’Algérie scelle ce retournement d’ampleur, où il ne s’agit désormais plus de prendre positions sur les causes des drames, mais plus consensuellement de pallier juridiquement, moralement et matériellement leurs conséquences. Les liens avec le PCF se maintiennent cependant, tant par les militants que par les campagnes menées (poursuite de la solidarité à l’Espagne et à la Grèce, au Portugal, au Vietnam, au Chili, aux Palestiniens, etc.). L’association entre concomitamment dans une phase de croissance spectaculaire, de ses effectifs comme de ses bilans financiers, due à une politique volontariste de développement, de recrutement, de structuration des implantations et de médiatisation.
Les mutations enclenchées vers l’apolitisme et la rupture des liens avec le PCF se poursuivent et s’accélèrent depuis les années 1980. L’association accède à des financements majeurs, des différents pouvoirs publics français comme des instances européennes. L’investissement massif à partir du milieu des années 1980 dans la lutte contre la pauvreté-précarité en fait une association institutionnalisée, reconnue des pouvoirs publics, des médias, des autres associations et des donateurs, ayant depuis 1991 à plusieurs reprises obtenu le label Grande cause nationale. Elle accède parallèlement à une reconnaissance importante comme association humanitaire intervenant à l’étranger, dans l’urgence et le développement, sur fond d’achèvement de la normalisation des terrains d’intervention depuis la chute du communisme au tournant des années 1990.
L’histoire de cette association s’insère aux confins de trois grands champs.
Elle participe d’abord de l’histoire du communisme. Nous avons tenté une appréhension élargie via le conglomérat, qui constitue un prisme d’observation encore très peu usité. Nous montrons qu’il convient d’affiner le fonctionnement en " couronnes " décrit par Annie Kriegel [3] : l’ensemble des organisations constitue certes un tout mais sans homogénéité, avec des pondérations internes très inégales et des équilibres qui ne cessent de varier ; la création constante de multiples comités ad hoc vient de surcroît faire écran entre les organisations de masse et la société, obérant leur fonction première, celle d’être reliées aux " masses " et de servir de sas. Cette structuration en " conglomérat " ne vaut de surcroît que jusqu’au milieu des années 1950 : l’entrée dans une nouvelle phase d’ouverture induit ensuite une réorganisation durable, qui passe par de potentielles autonomisations et une hétérogénéisation des rapports au parti ; il y a alors passage progressif d’un " conglomérat " structuré à une " nébuleuse " de plus en plus éclatée. A partir du début des années 1980, cette fois sous les coups de la crise du communisme, la " nébuleuse " se généralise comme nouveau système et l’organisation de masse, à l’origine conçue comme une porte d’entrée en communisme, doit désormais être également appréhendée autant comme " structure de rémanence " que comme porte de sortie.
Le second volet est celui de l’histoire des associations de solidarité et de l’humanitaire. Alors que la naissance de ce dernier est datée tantôt de la charité chrétienne, tantôt d’Henry Dunant et tantôt des french doctors, l’étude du Secours populaire permet d’apporter des jalons supplémentaires, en montrant le rôle du communisme dans la genèse tant du sans-frontiérisme que de l’humanitaire contemporain. Elle permet également d’appréhender la confrontation constructive entre associations laïques et confessionnelles dans la structuration du champ associatif français de solidarité.
Le troisième volet enfin, l’engagement, puise largement à la sociologie et à la science politique. A l’étude, la dichotomie diachronique militants/bénévoles et le modèle proposé par Jacques Ion nous paraissent historiquement moins structurants que nombre de travaux en sciences sociales ne le laissent penser : même dans le monde communiste, et particulièrement dans les organisations de masse, le militantisme sacrificiel à la cause était loin d’être une généralité, et est loin d’avoir disparu aujourd’hui ; tandis que le bénévolat doit y être revalorisé au moins dès la fin des années 1950. Il convient donc vraisemblablement d’appréhender l’engagement sur un mode plus cyclique que linéaire.