THEMES COURS
 ANTI-OEDIPE ET AUTRES RÉFLEXIONS - MAI/JUIN 1980 - DERNIERS COURS À VINCENNES (4 HEURES)
 SPINOZA - DÉC.1980/MARS.1981 - COURS 1 À 13 - (30 HEURES)
 LA PEINTURE ET LA QUESTION DES CONCEPTS - MARS À JUIN 1981 - COURS 14 À 21 - (18 HEURES)
 CINEMA / IMAGE-MOUVEMENT - NOV.1981/JUIN 1982 - COURS 1 À 21 - (41 HEURES)
 CINEMA : UNE CLASSIFICATION DES SIGNES ET DU TEMPS NOV.1982/JUIN.1983 - COURS 22 À 44 - (56 HEURES)
 CINEMA / VÉRITÉ ET TEMPS - LA PUISSANCE DU FAUX NOV.1983/JUIN.1984 - COURS 45 À 66 - (55 HEURES)
 CINEMA / PENSÉE - OCTOBRE 1984/JUIN 1985 - COURS 67 À 89 (64 HEURES)
 - CINEMA / PENSÉE + COURS 90 À 92
 - FOUCAULT - LES FORMATIONS HISTORIQUES - OCTOBRE 1985 / DÉCEMBRE 1985 COURS 1 À 8
 - FOUCAULT - LE POUVOIR - JANVIER 1986 / JUIN 1986 - COURS 9 À 25

1- 02/12/80 - 1

image1
42.6 Mo MP3
 

Gilles Deleuze- Spinoza Université de VINCENNES À Saint Denis 1 - 02/12/1980 - 1

Des vitesses de la pensée -

...que j’avais comme esquissé et qui était un problème comme ça : ce problème des vitesses de la pensée et de l’importance de ces vitesses chez Spinoza, du point de vue de Spinoza lui même. Et je disais après tout, l’intuition intellectuelle - ce que Spinoza présentera comme l’intuition du troisième genre de connaissance, - c’est bien une espèce de pensée comme éclair. C’est bien une pensée à vitesse absolue. C’est à dire qui va à la fois le plus profond et qui embrasse, qui a une amplitude maximum et qui procède comme en un éclair. Il y a un assez beau livre de Romain Rolland qui s’appelle « L’éclair de Spinoza ». Très bien écrit. Or je disais, quand vous lirez "L’Ethique" ou quand vous la relirez, il faut que vous soyez sensible ou au moins que vous pensiez à cette question que je pose uniquement, à savoir qu’il semble bien, comme je disais la dernière fois, que le livre Cinq procède autrement. C’est à dire que dans le dernier livre de "l’Ethique" et surtout à partir d’un certain moment que Spinoza signale lui-même, le moment où il prétend entrer dans le troisième genre de connaissance, les démonstrations n’ont plus du tout le même schéma que dans les autres livres parce que dans les autres livres, les démonstrations étaient et se développaient sous le second ordre de connaissance.

Mais quand il accède au troisième genre ou à une exposition d’après le troisième genre de connaissance, le mode démonstratif change. Les démonstrations subissent des contractions. Il y a de toutes sortes, il y a des pans de démonstration qui, à mon avis, ont disparu. Tout est contracté. Tout va à toute allure. Bon, c’est possible. Mais ça, ce n’est qu’une différence de vitesses entre le livre Cinq et les autres. La vitesse absolue du troisième genre, c’est à dire du livre Cinq, par différence aux vitesses relatives des quatre premiers livres.

Je disais aussi autre chose la dernière fois. Si je m’installe dans le domaine des vitesses relatives de la pensée, une pensée qui va plus ou moins vite. Je m’explique : vous comprenez ce problème. j’y tiens parce que c’est une espèce de problème pratique. Je ne veux pas dire qu’il faille mettre peu de temps à la pensée. Bien sûr la pensée est une chose qui prend extraordinairement de temps. Ca prend beaucoup de temps. Je veux parler des vitesses et des lenteurs produites par la pensée. Tout comme un corps a des effets de vitesse et de lenteur suivant les mouvements qu’il entreprend. Et il y a des moments où il est bon pour le corps d’être lent. Il y a même des moments où il est bon pour le corps d’être immobile. C’est pas des rapports de valeur. Et peut-être que la vitesse absolue et une immobilité absolue, ça se rejoint absolument. S’il est vrai que la philosophie de Spinoza procède comme et par un étalement sur une espèce de plan fixe. Si il y a bien cette espèce de plan fixe spinoziste où toute sa philosophie s’inscrit. C’est évident que à la limite l’immobilité absolue et la vitesse absolue ne font plus qu’un. Mais dans le domaine du relatif des quatre premiers livres, parfois il faut que la pensée produise de la lenteur, la lenteur de son propre développement et parfois, il faut qu’elle aille plus vite, la vitesse relative de son développement relatif à tel ou tel concept, à tel ou tel thème.

Or je disais, si vous regardez l’ensemble alors des quatre premiers livres, il me semble à nouveau, je fais - je faisais une autre hypothèse sur laquelle je ne veux pas trop m’étendre - qui est que, dans l’Ethique, il y a cette chose insolite que Spinoza appelle des "scolies", à côté, en plus des propositions démonstrations, corollaires. Il écrit des scolies, c’est à dire des espèces d’accompagnement des démonstrations. Et je disais, si vous les lisez même à haute voix - il y a pas de raison de traiter un philosophe plus mal qu’on ne traite un poète ... - si vous le lisez à haute voix, vous serez immédiatement sensibles à ceci : c’est que les scolies n’ont pas la même tonalité, n’ont pas le même timbre que l’ensemble des propositions et démonstrations. Et que là le timbre se fait, comment dirais-je, pathos, passion. Et que Spinoza y révèle des espèces d’agressivité, de violence auxquelles un philosophe aussi sobre, aussi sage, aussi réservé, ne nous avait pas forcément habitués. Et que il y a une vitesse des scolies qui est vraiment une vitesse de l’affect. Par différence avec la lenteur relative des démonstrations qui est une lenteur du concept. Comme si dans les scolies des affects étaient projetés, alors que dans les démonstrations des concepts sont développés. Donc ce ton passionnel pratique - peut-être qu’un des secrets de l’Ethique est dans les scolies - et j’opposais à ce moment-là une espèce de chaîne continue des propositions et démonstrations, continuité qui est celle du concept, à la discontinuité des scolies qui opère comme une espèce de ligne brisée et qui est la discontinuité des affects. Bon, supposons ... Tout ça, c’est à vous de - c’est des impressions de lecture. Comprenez que si j’insiste là-dessus c’est peut-être que la forme après tout est tellement adéquate au contenu même de la philosophie que la manière dont Spinoza procède formellement a déjà quelque chose à nous dire sur les concepts du spinozisme.

Et enfin, je fais toujours dans cet ordre des vitesses et des lenteurs relatives, une dernière remarque. C’est que si je prends uniquement l’ordre des démonstrations dans leur développement progressif, l’ordre des démonstrations, il n’y a pas une vitesse relative uniforme. Tantôt ça s’étire et ça se développe. Tantôt ça se contracte et ça s’enveloppe plus ou moins. Il y a donc, dans la succession des démonstrations des quatre premiers livres, non seulement la grande différence de rythme entre les démonstrations et les scolies, mais des différences de rythme dans le courant des démonstrations successives. Elles ne vont pas à la même allure. Et là, je voudrais alors retrouver en plein - c’est par là que c’est pas seulement des remarques formelles - retrouver en plein, pour finir avec ces remarques sur la vitesse, retrouver en plein le problème de ... Hé ben, presque, le problème de l’ontologie. Sous quelle forme ?

Je prends le début de "l’Ethique". Comment est-ce qu’on peut commencer dans une ontologie ? Dans une ontologie, du point de vue de l’immanence où, à la lettre, l’Etre est partout, partout où il y a de l’Etre. Les existants, les étants sont dans l’Etre, c’est ce qui nous a paru définir l’ontologie dans nos trucs précédents. Par quoi et comment peut-on commencer ? Ce problème du commencement de la philosophie qui a traîné dans toute l’histoire de la philosophie et qui semble avoir reçu des réponses très différentes. Par quoi commencer ? D’une certaine manière, là comme ailleurs, suivant l’idée toute faite où on se dit que les philosophes ne sont pas d’accord entre eux, chaque philosophe semble avoir sa réponse. C’est évident que Hegel a une certaine idée sur par quoi et comment commencer en philosophie, Kant en a une autre, Feuerbach en a une autre et prend à partie Hegel à propos de ça. Ben si l’on applique ce problème à Spinoza, lui, comment il commence ? Par quoi il commence ? On semblerait avoir une réponse imposée. Dans une ontologie on ne peut commencer que par l’Etre. Oui, peut-être. Et pourtant ... Et pourtant, Spinoza - le fait est - ne commence pas par l’Etre. Ca devient important pour nous, ça sera un problème. Comment se fait-il que dans une ontologie pure, dans une ontologie radicale, on ne commence pas par là où l’on se serait attendu que le commencement se fasse, à savoir par l’Etre en tant qu’Etre ? On a vu que Spinoza déterminait l’Etre en tant qu’Etre comme substance absolument infinie et que c’est ça qu’il appelle Dieu. Or, le fait est que Spinoza ne commence pas par la substance absolument infinie, il ne commence pas par Dieu. Et pourtant, c’est comme un proverbe tout fait, hein, de dire que Spinoza commence par Dieu. Il y a même une formule toute faite pour distinguer Descartes et Spinoza : « Descartes commence par le moi, Spinoza commence par Dieu. » Hé bien ! c’est pas vrai.

C’est pas vrai. Du moins ce n’est vrai que d’un livre de Spinoza et c’est un livre qui, à la lettre, n’est pas de lui. En effet, Spinoza dans sa jeunesse faisait déjà, suivant la méthode que je vous aie dite - la méthode des collégiants, - faisait des espèces de cours privés à des groupes de types. Et ces cours, on les a. On les a sous forme de notes d’auditeurs. Pas exclu que Spinoza ait rédigé certaines de ces notes. Très obscur. L’étude du manuscrit est très, très compliquée et a toute une histoire. Enfin, l’ensemble de ces notes existe sous le titre de « Le cours traité ». Le cours traité. Or dans "Le cours traité", le chapitre Un est ainsi intitulé : « Que Dieu est ». Je peux dire, à la lettre, "Le cours traité" commence par Dieu. Mais ensuite, pas du tout, ensuite pas du tout ... Et là ça pose un problème. Parce que l’on dit très souvent que l’éthique commence par Dieu et en effet, le "livre Un" est intitulé « De Deo. » De Dieu, au sujet de Dieu. Mais si vous regardez en détail - tout ceci étant des invites pour que vous fassiez très attention à la lettre du texte - si vous regardez en détail, vous verrez que Dieu dans le livre Un, au niveau des définitions n’est atteint qu’à la définition Six - donc il a fallu cinq définitions - et au niveau des démonstrations n’est atteint que vers Neuf, Dix, propositions Neuf et Dix. Il a donc fallu cinq définitions préalables et il a fallu huit propositions/démonstrations préalables. Je peux en conclure que, en gros, l’Ethique commence par Dieu, littéralement, à la lettre, elle ne commence pas par Dieu. Et en effet, elle commence par quoi ? Elle commence par le statut des éléments constituants de la substance, à savoir, les attributs.

Mais bien mieux. Avant l’Ethique, Spinoza avait écrit un livre, « Le traité de la réforme de l’entendement. » Dans ce traité, - ce traité, il ne l’a pas achevé. Pour des raisons mystérieuses dont on pourra parler plus tard, mais enfin là peu importe, il ne l’a pas achevé. Or je lis parce que j’y attache beaucoup d’importance vous allez voir, parce que je voudrais soulever certains problèmes de traduction très rapidement : paragraphe 46 : je lis la traduction - la meilleure traduction du traité de la réforme c’est la traduction de Koyré aux éditions Vrin mais ceux qui ont la Pleîade, vous vous contentez de ce que vous trouvez, c’est pas grave. paragraphe 46 - dans toutes les éditions le numérotage des paragraphes est le même - "si par hasard quelqu’un demande pourquoi moi même, puisque la vérité se manifeste par elle même, je n’ai pas tout d’abord et avant tout exposer dans l’ordre dû, les vérités de la nature, je lui réponds" - et là dessus une série de trois petits points indiquant une lacune - "je lui réponds et en même temps je l’exhorte de ne pas rejeter comme fausses les choses que je viens d’exposer à cause de paradoxes qui peut être se trouvent ça et là".. Comprenez je dis : c’est quand même marrant, les éditeurs ils ne sont pas genés et ils ont raison de ne pas être génés - quand quelque chose ne leur convient pas, ils flanquent une lacune. Là il y a l’indication d’une lacune qui n’est pas du tout dans le manuscrit. et c’est très bizarre ! est ce que vous sentez ce que je veux dire ? Supposez un éditeur qui soit persuadé que Spinoza, même nerveusement persuadé - que Spinoza "doit" commencer par L’Etre, c’est à dire par la substance absolument infinie c’est à dire par Dieu, il rencontre des textes où Spinoza dit le contraire : qu’il ne va pas commencer par Dieu, l’éditeur à ce moment se trouve devant plusieurs possibilités :
-  ou bien dire que c’est un moment de la pensée de Spinoza qui n’est pas encore au point c’est à dire que Spinoza n’a pas atteint sa véritable pensée.
-  ou bien conjecturer une lacune dans le texte qui changerait le sens de la phrase.
-  ou bien troisième possibilité, en un sens c’est la meilleure, trafiquer à peine la traduction Dans ce texte 46 - et je voudrais juste m’étendre sur ce point car cela fait partie de la critique interne des textes, dans ce paragraphe 46, Spinoza nous dit formellement : " il y a bien un ordre dû c’est l’ordre qui commence par Dieu mais je ne peux pas le suivre dés le début. C’est une pensée claire : "il y a un ordre dû, un ordre nécessaire c’est celui qui va de la substance aux modes, c’est celui qui va de Dieu aux choses mais cet ordre nécessaire je ne peux pas le suivre dés le début" : c’est une pensée très claire ! on est tellement persuadés que Spinoza doit le suivre dés le début que quand on rencontre un texte qui ne colle pas, on présuppose une lacune, ça va pas, c’est pas bien. paragraphe 49, je lis - là les éditeurs n’ont pas oser corriger je lis : « Dès le début donc - fin du paragraphe 49 - dès le début donc il nous faudra veiller principalement à ce que nous arrivions le plus rapidement possible - quanto ocius - à ce que nous arrivions le plus rapidement possible à la connaissance de l’Etre. » Alors mon cœur bondit de joie vous comprenez. Il le dit formellement. Il s’agit d’arriver le plus rapidement possible, le plus vite possible à la position de l’Etre et à la connaissance de l’Etre. Mais pas dès le début. L’ontologie aura un début : comme l’Etre est partout, il faut précisément que l’ontologie ait un début distinct de l’Etre lui-même. Si bien que vous comprenez que ça devient un problème technique pour moi. Parce que ce début ça ne peut pas être quelque chose de plus que l’Etre, de supérieur à l’Etre. Il y a pas. Le grand Un supérieur à l’Etre ça n’existe pas du point d’une ontologie, on l’a vu les autres fois. Qu’est-ce que ça va être ce mystérieux début ? Je continue mon recensement du traité. Paragraphe 49, Non, ça je viens de le faire. Paragraphe 75. Non, il y a rien. Ah oui ! « Pour nous, au contraire, si nous procédons de la façon aussi peu abstraite que possible et si nous commençons aussi tôt que faire se peut - en latin, aussi tôt que faire se peut ... quam primum fieri potest ... aussi tôt que faire se peut - si nous commençons aussi tôt que faire se peut par les premiers éléments, par les premiers éléments, c’est à dire par la source et l’origine de la nature. » Voyez ! Nous commençons par les premiers éléments, c’est à dire par la source et l’origine de la nature, la substance absolument infinie avec tous les attributs, mais nous ne commençons par là que "aussitôt que faire se peut". Bon ... Il y a bien... On y arrivera le plus vite possible. C’est l’ordre de la vitesse relative.

Et enfin parce que c’est le plus beau tas, paragraphe 99 où là, la traduction est trafiquée, ce qui est il me semble, le pire ! Voilà ce que dit le texte traduit par Colleret et les traducteurs là, suivent Colleret, je cite colleret parce était un homme très prodigieux d’une science immense - je lis la traduction de Colleret : "Pour que toutes nos perceptions soient ordonnées et unifiées il faut que aussi rapidement que faire se peut" - on le retrouve - "il faut faire aussi rapidement que faire se peut" et Coilleret traduit : "- la raison l’exige - nous recherchions s’il y a un Etre et aussi quel Il est". Voyez la traduction que Colleret donne : "il faut que aussi vite que possible - la raison l’exige - nous recherchions s’il y a un Etre, en d’autres termes il fait porter "la raison l’exige" sur la nécéssité de rechercher s’il y a un Etre. C’est bizarre pour un homme qui savait le latin admirablement car le texte ne dit pas ça du tout. je traduis le texte en mauvais français mais mot à mot : "il faut que, il est requis que aussi vite que possible et que la raison l’exige. Voyez c’est pas grand chose mais c’est énorme ça change tout. En latin : "quam primum fieri potest et ratio postulat" : aussi vite qu’il est possible et que la raison l’exige, en d’autres termes : c’est la raison qui exige que nous ne commencions pas par l’Etre mais que nous y arrivions le plus vite possible. Or pourquoi ça m’importe ça ? C’est qu’alors cette question d’accord. Il y a une vitesse relative. Aussi vite que possible c’est les dix premières démonstrations de l’Ethique, du livre Un. Il va aussi vite que possible. C’est ça la vitesse relative de la pensée. La raison exige qu’il y ait un rythme de la pensée. Vous ne commencerez pas par l’Etre, vous commencerez par ce qui vous donne accès à l’Etre. Mais qu’est-ce qui peut me donner accès à l’Etre ? Alors c’est quelque chose qui "n’est pas". C’est pas l’Un. On a vu que ça ne spouvait pas être l’Un. C’est quoi ? C’est un problème. C’est un problème. Je dirais ma conclusion : si c’est vrai que Spinoza c’est un philosophe pour qui la pensée est tellement productrice de vitesses et de lenteurs, est prise elle-même dans un système de vitesses et de lenteurs. C’est bizarre ça. Encore une fois, ça va beaucoup plus loin que de nous dire : « La pensée prend du temps. » La pensée prend du temps, Descartes l’aurait dit, je l’ai rappelé la dernière fois, Descartes l’aurait dit. Mais la pensée produit des vitesses et des lenteurs et elle-même est inséparable des vitesses et des lenteurs qu’elle produit.
-  Il y a une vitesse du concept, il y a une lenteur du concept. Qu’est-ce que c’est que ça ? Hé ben, bon. De quoi dit-on « vite » ou « lent » d’habitude.

C’est très libre ce que je dis là. C’est pour vous donner envie d’aller voir cet auteur. Je sais pas si je réussis, peut-être que j’obtiens le contraire. Donc je fais pas encore du commentaire lettre à lettre. J’en fais parfois comme je viens d’en faire mais .. Vous me comprenez ... De quoi est-ce qu’on dit « Ca va vite, ça va pas vite », « Ca se ralentit, ça se précipite, ça s’accélère » ? On dit ça des corps. On dit ça des corps. Et je vous ai dit déjà, quitte à ne le commenter que plus tard, que Spinoza se fait une conception très extraordinaire des corps c’est à dire une conception vraiment cinétique. En effet, il définit le corps, chaque corps, et bien plus, il en fait dépendre l’individualité du corps. L’individualité du corps, pour lui, de chaque corps, c’est un rapport de vitesses et de lenteurs entre éléments. Et j’insistais : entre éléments non formés. Pourquoi ? Puisque l’individualité d’un corps c’est sa forme, et s’il nous dit la forme du corps - il emploiera lui-même le mot forme en ce sens - la forme du corps, c’est un rapport de vitesses et de lenteurs entre ses éléments, il faut que les éléments n’aient pas de forme, sinon la définition n’aurait aucun sens. Donc il faut que ce soient des éléments matériels non formés, qui n’ont pas de forme par eux-mêmes. Ce sera leur rapport de vitesses ou de lenteurs qui constituera la forme du corps. Mais en eux-mêmes, ces éléments entre lesquels s’établissent les rapports de vitesse et de lenteur sont sans forme, non formés. Non formés et informels. Qu’est-ce que je peux vouloir dire, on remet à plus tard. Mais pour lui c’est ça un corps.

Et je vous disais une table, Hé ben c’est ça. Bon, pensez à la physique. La physique nous dira système de molécules en mouvement les unes par rapport aux autres, système d’atomes. C’est le bureau d’Edington, le bureau du physicien. Bon. Or il a cette vision. Encore une fois, c’est pas du tout qu’il précède la physique atomique ou électronique. C’est pas ça. C’est pas ça ! C’est que, en tant que philosophe, il a un concept du corps tel que La philosophie produit à ce moment là une détermination du corps que la physique avec de tout autres moyens retrouvera ou produira pour son propre compte. Ca arrive tout le temps ces trucs là. Et donc, c’est très curieux. Car ça me fait penser à des textes particulièrement beaux de Spinoza. Vous trouverez par exemple au début du livre du livre Trois de l’Ethique. Spinoza lance vraiment des choses qui ressemblent - L’année dernière j’avais essayé de trouver ou d’indiquer - pas de trouver, j’avais pas trouvé - un certain rapport entre les concepts d’un philosophe et des espèces de cris - de cris de base, des espèces de cris - de cris de la pensée. Hé ben, il y a comme ça, de temps en temps, il y a des cris qui sortent de Spinoza. C’est d’autant plus intéressant que encore une fois ce philosophe qui passe pour une image de sérénité, curieux, quand est-ce qu’il se met à crier ? Il crie beaucoup justement dans les Scolies. Ou bien dans les introductions à un livre. Il crie pas dans les démonstrations. La démonstration c’est pas un endroit ou un lieu où on peut crier.
-  Et qu’est-ce que c’est les cris de Spinoza ? J’en cite un. Il dit : il parle du petit bébé, du somnambule et de l’ivrogne ... Voilà, voilà ... Ah ! Le petit bébé, le somnambule. Le petit bébé à quatre pattes. Le somnambule qui se lève la nuit en dormant et qui va m’assassiner. Et puis l’ivrogne qui se lance dans un grand discours. Bon. Et il dit - parfois il est très comique, vous savez, il a l’humour juif, Spinoza. - Il dit : « Oh ! Finalement, on ne sait pas ce que peut le corps. » On ne sait pas ce que peut le corps. Il faut dans votre lecture, quand vous tomberez sur ce genre de phrase chez Spinoza, il ne faut pas passer comme si .. D’abord il faut beaucoup rire, c’est des moments comiques. Il n’y a pas de raison que la philosophie n’ait pas son comique à elle. "On ne sait pas ce que peut le corps". Voyez ... un bébé là qui rampe. Voyez un alcoolique qui vous parle, qui est complètement ivre. Et puis vous voyez un somnambule qui passe là. Oh oui ! C’est vrai, on ne sait pas "ce que peut le corps". Après tout, ça prépare singulièrement à un autre cri qui retentira longtemps après et qui sera comme la même chose en plus contracté lorsque Nietsche lance : « L’étonnant c’est le corps. » Ce qui veut dire quoi ? Ce qui est une réaction de certains philosophes qui disent : écoutez, arrêtez avec l’âme, avec la conscience, etc. Vous devriez plutôt essayer de voir un peu d’abord "ce que peut le corps". Qu’est-ce que ... Vous ne savez même pas ce que c’est le corps et vous venez nous parler de l’âme. Alors non, il faut passer là. Bon qu’est-ce qu’il veut dire là ? L’étonnant c’est le corps, dira l’autre. Et Spinoza dit déjà littéralement : "vous ne savez pas encore ce que peut un corps". Ils ont bien une idée pour dire ça. C’est curieux ils nous proposent un "modèle" du corps, evidemment c’est d’une grande méchanceté pour les autres philosophes qui encore une fois n’ont pas cessé de parler de la conscience et de l’âme. Eux ils disent et aprés ça.. - quand on traite Spinoza de matérialiste, qu’on dit c’est du matérialiste ! - bien sûr ce n’est pas à la lettre, il cesse pas lui aussi de parler de l’âme mais comment il en parle de l’âme ? il en parle d’une drôle de façon et ça se comprend très bien

sur l’âme et ses rapports sur le corps il a une doctrine qui sera connue sous le nom - le mot n’est pas de lui - qui sera connue sous le nom de parrallelisme. Or le parrallélisme c’est quoi ? je dis c’est curieux parce que le mot il ne vient pas de lui, il vient de Leibnitz qui s’en sert dans un tout autre contexte et pourtant ce mot même conviendrait très bien à Spinoza. revenons à sa proposition ontologique de base, c’est l’Etre - elle comporte plusieurs articulations
-  c’est premièrement : "l’Etre est substance mais substance absolument infinie ayant, possédant - là je laisse un mot très vague - tous les attributs". "Substance absolue possédant tous les attributs infinis". Il se trouve pour des raisons que l’on verra plus tard que "nous", qui ne sommes pas la substance absolue, nous ne connaissons que deux attributs, nous n’avons connaissance que de deux attributs :
-  l’étendue
-  et la pensée et en effet ce sont des attributs de Dieu. Il y a beaucoup de "pourquoi" là dedans mais ce n’est pas ce que je traite pour le moment, on verra plus tard. Pourquoi l’étendue et la pensée sont-ils des attributs de Dieu ? Je vous en informe comme ça mais ce n’est pas ce que je traite aujourd’hui. Ca n’empêche pas que la substance absolue a une infinité d’attributs, elle n’en a pas que deux, elle, nous n’en connaissons que deux, mais elle, elle en a une infinité. Nous, qu’est ce que nous sommes ? nous ne sommes pas substance. Pourquoi ? là on va retomber en plein dans un problème que j’ai déjà essayer d’agiter la dernière fois. Si nous aussi nous étions substance, la substance se dirait en deux sens au moins, elle se dirait en plusieurs sens : elle se dirait
-  en un premier sens : Dieu, la substance infinie.
-  elle se dirait en un second sens : Moi, être fini. En effet au premier sens : Dieu, la substance ce serait quelque chose comme ce qui existe par soi même. Mais si j’étais une substance, ce serait en un sens très différent puisque je n’existe pas par moi même etant une créature finie, étant un être fini, j’existe supposons par Dieu, je n’existe pas par moi même. Donc je ne suis pas substance au même sens que Dieu est substance.
-  troisième sens : si mon corps lui même est "substance" c’est encore en un autre sens, puisque le corps est divisible tandis que l’âme n’est censée pas l’être. etc.. En d’autres termes, comprenez : si je suis substance, c’est tout simple : je ne suis substance que dans un sens du mot substance dès lors le mot "substance" à plusieurs sens, en d’autres termes, le mot substance est "équivoque". Il est forcément équivoque. Substance se dira par "analogie". Si vous vous rappelez les notions que j’ai essayé vaguement de définir les autres fois, substance se dira par analogie puisque l’analogie c’est le statut du concept en tant qu’il a plusieurs sens : c’est l’équivocité. Substance sera un mot équivoque ayant plusieurs sens. Ces sens auront des rapports d’analogie. "De même que Dieu n’a besoin que de soi pour exister" - premier sens de substance - "moi, être fini je n’ai besoin que de Dieu pour exister" - deuxième sens - il y a analogie entre les sens et à ce moment là substance est un mot équivoque. Voyez et en effet Descartes le dit explicitement : Descartes reste au moins thomiste quelque soit les ruptures de Descartes avec Saint Thomas - il reste absolument thomiste sur un point fondamental à savoir : l’être n’est pas univoque. En d’autres termes il y a plusieurs sens du mot substance et comme dit Descartes qui reprend là le vocabulaire du moyen âge, la substance se dit par analogie. Voyez ce que ces termes mystérieux veulent dire en fait cela veut dire des choses très rigoureuses.

On a vu et je ne reviens pas là dessus que, au contraire Spinoza developpe, déploie le plan fixe de l’univocité de l’être, de l’être univoque. Si l’être est substance c’est la substance absolument infinie et il n’y a rien d’autre que cette substance, cette substance est la seule ! en d’autres termes univocité de la substance. Pas d’autres substances que l’être absolument infini c’est à dire pas d’autre substance que l’être en tant qu’être. L’être en tant qu’être est substance ce qui implique immédiatement que rien d’autre ne soit substance. Rien d’autre ? qu’est ce qu’il y a d’autre que l’être ? On l’a vu les dernières fois et c’est peut être ça le point de départ de l’ontologie qu’on cherchait. Donc on va peut être avoir une réponse possible à notre question ! Qu’est ce qu’il d’autre que l’être, que l’être en tant qu’être du point de vue d’une ontologie même ? On l’a vu depuis le début ; ce qu’il y a d’autre que l’être en tant qu’être, du point de vue de l’ontologie même c’est ce dont l’être se dit c’est à dire l’étant, l’existant. l’être se dit de ce qui "est", de l’étant, de l’existant. Voyez la conséquence immédiate ce qui est : l’étant n’est pas substance. Evidemment c’est scandaleux d’un certain point de vue, scandaleux pour Descartes, pour toute la pensée chrétienne, pour toute la pensée de la création. Alors c’est quoi ? on n’a même plus le choix ! ce qui "est" n’est ni substance ni attribut puisque la substance c’est l’être, les attributs c’est les éléments de l’être.
-  Tous les attributs sont égaux : il n’y aura pas de supériorité d’un attribut sur un autre. Et en effet vous voyez bien que Spinoza creuse au maximum son opposition à toute une tradition philosophique c’est la tradition de l’Un supérieur à l’être. Ce qu’il va faire - je crois que c’est une caractéristiquedeSpinozalaphilosophiela plus anti-hiérarchique qu’on n’ait jamaisfait.Il y a peu de philosophes qui d’une manière ou d’une autre, mais ou bien explicitement dit ou bien suggèré, au moins mais en général explicitement dit, que l’âme valait mieux que le corps, que la pensée valait mieux que l’étendue et tout ça, fait partie des niveaux de l’être à partir de l’un. C’est inséparable la différence hiérarchique, est inséparable des théories ou des conceptions de l’émanation, de la cause emanative. je dois vous rappeler, les effets sortent de la cause, il a un ordre hiérarchique de la cause à l’effet.
-  L’Un est supérieur à l’être,
-  l’être à son tour, est supérieur à l’âme,
-  l’âme est supérieure au corps. C’est une descente. Le monde de Spinoza est très curieux, en effet. C’est vraiment le monde le plus anti-hiérarchique qu’ait jamais produit la philosophie ! En effet, s’il y a univocité de l’être, si c’est l’un qui dépend de l’être et pas l’être qui dépend de l’un, qui découle de l’être, s’il n’y a que l’être et ce dont l’être se dit et si ce dont l’être se dit, est dans l’être, si l’être comprend ce dont elle se dit, le contient du point de vue de l’immanence, d’une certaine manière qu’il faudra arriver à déterminer, tous les êtres sont égaux. Simplement, je laisse en blanc, tous les êtres sont égaux, en tant que quoi ? De quel point de vue ? En tant que quoi ? Qu’est ce que cela veut dire alors, une pierre et un sage, un cochon et un philosophe ça se vaut ? Il suffit de dire en tant que quoi. Bien sûr, ça se vaut. En tant qu’existence, ça se vaut ; ça se vaut. Et là, Spinoza ne renoncera jamais à ça. Il le dira formellement, le sage et le dément, il y a bien un point de vue, "un en tant que", où l’on voit de toute évidence que l’un n’est pas supérieur à l’autre. Très curieux, très étonnant, ça, ce truc là ! J’essaierai de l’expliquer, là, je ne prétends pas de l’expliquer encore, hein ! Alors, bon, l’être, l’être univoque, c’est forcément un être égal. Celles-là pas forcément que tous les étants se valent mais que l’être, l’être se dit également de tous les étants, l’être se dit également de tout ce qui est, que ce soit un caillot ou un philosophe, hein ! De toute manière, l’être n’a qu’un seul sens. Une belle idée, hein ! Mais il ne suffit pas d’avoir l’idée. Il faut construire le paysage où elle fonctionne l’idée, et ça, il sait le faire, Spinoza !
-  Et l’être univoque, c’est forcément un être égaré. Jamais on a poussé plus loin, la critique de toute hiérarchie. L’étendue est comme la pensée, c’est un attribut de la substance et vous ne pouvez pas dire qu’un attribut est supérieur à l’autre : égalité parfaite de tous les attributs.

Alors, simplement, s’il y a égalité parfaite, qu’est ce qu’il faut dire ? Qu’est c’est le parallélisme ? Nous sommes des modes, hein ! Nous sommes des modes, nous ne sommes pas des substances, c’est-à-dire nous sommes des manières d’être, nous sommes modes, ça veut dire manières d’être, nous sommes des manières d’être, nous sommes des modes, en d’autres termes, l’être se dit, de quoi ? Il se dit de l’étant, mais qu’est ce que l’étant ? L’étant, c’est la manière d’être, vous êtes des manières d’être, c’est bien ça ! Vous n’êtes pas des personnes, vous êtes des manières d’être, vous êtes des modes. Est-ce que ça veut dire comme Leibniz fait semblant de le croire, comme beaucoup de commentateurs ont dit que finalement Spinoza ne croyait pas à l’individualité, au contraire, je crois qu’il y a peu d’auteurs qui ont autant cru et saisi l’individualité, mais on a l’individualité d’une manière d’être. Et vous vallez ce que vaut votre manière d’être. Oh ! Comme c’est rigolo tout ça ! Alors, je suis une manière d’être ? Bein oui, je suis une manière d’être. Ça veut dire une manière de l’être, un mode de l’être. Une manière d’être, c’est un mode de l’être. Je ne suis pas une substance. Vous comprenez, une substance, c’est une personne. Eh bien, non, je ne suis pas une substance. Je suis une manière d’être. C’est peut-être bien mieux... ! On ne sait pas ! Alors forcément, je suis dans l’être puisque je suis une manière d’être. Forcément, il y a l’immanence, il y a immanence de toutes les manières à l’être. Il est en train de faire une pensée, mais on se dit à la fois, mais évidemment, en fin on se dit, si vous avez le goût de ça on se dit, bien évidemment, il a raison mais c’est tout biscornu, cette histoire ; C’est tout étonnant ! Il nous introduit dans un truc tout à fait bizarre ! Essayez de penser un instant comme ça ; il faut que vous le répétiez beaucoup. Non, non, je ne suis pas une substance ; je suis une manière d’être. Hein... ouais, Tiens ! Ah bon ! Une manière de quoi ? Bein ouais, une manière de l’être. Tiens... ! Alors ça dure une manière d’être, ça a une personnalité, une individualité ? Ça ne peut être pas de personnalité, ça une très forte individualité, une manière de l’être, une manière d’être. Alors, ça engage à quoi ? Eh bein, ça veut dire que je suis dedans. Je suis dans quoi ? Je suis dans l’être dont je suis la manière. Et l’autre ? L’autre aussi, il est dans l’être dont il est la manière. Mais alors, si on se tape dessus, c’est deux manières d’être qui se battent ? Oui, c’est deux manières d’être qui se battent.
-  Pourquoi ? Sans doute qu’elles ne sont pas compatibles.
-  Pour quoi ? Peut-être qu’il y a une incompatibilité de la vitesse et de la lenteur. Tiens !
-  Pour quoi je ramène de la vitesse et des lenteurs ? Parce que manière d’être ou manière de l’être, mode d’être... C’est ça... ! C’est ça... ! C’est un rapport de vitesse et de lenteur ; c’est des rapports de vitesse et de lenteur sur le plan fixe de la substance absolument infinie.

Bon, alors, si c’est d’une manière d’être, d’accord, on avance un peu, là, et je ne suis rien d’autre ! Je suis un rapport de vitesse et de lenteur entre les molécules qui me composent. Quel monde ! Je pensais qu’évidemment, tout croyant, tout chrétien, bondissait quand il lisait du Spinoza, il se disait mais c’est quoi ça ? Même tout juif, je ne sais pas... tout homme de religion... lui, il continuait... il s’en faisait pas ! Il continuait... Alors donc, quelle manière de l’être, d’être, je suis, si je suis une manière d’être ? On va dire, ce n’est pas compliqué ! Voilà, vous comprenez... J’ai un corps et une âme ; là, il semble dire... il semble retomber en plus, sur le pied de tout le monde... J’ai un corps et une âme ; enfin, on s’y trouvera enfin, il dit quelque chose comme tout le monde, ça ne va pas durer longtemps. Il dit c’est très vrai ça, J’ai un corps et une âme et même Je n’ai que ça ! Et là, d’un certain côté, c’est embêtant. C’est embêtant puisqu’il y a une infinité d’attributs de la substance absolue ; et moi, j’ai simplement un corps et une âme ; et en effet qu’est ce c’est un corps ?
-  Un corps, c’est un mode de l’étendue ;
-  une âme, c’est un mode de la pensée. Peut être ici, il y a déjà, une réponse ou une première réponse à la question pour quoi de tous les attributs de la substance absolue je n’en connais que deux ? Ça, c’est un fait. C’est le fait de ma limitation. Je suis ainsi fait. Vous me direz : si t’es fait tu es une substance. Non, je suis fait comme une manière. Eh bein, je suis fait à la manière suivante : Corps et âme, c’est à dire je suis à la fois un mode de l’étendue par mon corps et un mode de la pensée par mon âme, c’est à dire mon âme, c’est une manière de penser ; mon corps, c’est une manière d’étendre, d’être étendu. Alors, dans les attributs que je ne connais pas, dont je ne peux même pas dire le nom, puisqu’il y en a une infinité ; il y a d’autres manières d’être ; Là, il y a tout le domaine d’une large science fiction spinoziste : qu’est ce qui se passe dans les autres attributs qu’on ne connaît pas ? mais d’accord, il est très discret là-dessus. Il dit en dehors de ça, on ne peut rien dire. Il y a un fait de la limitation de la connaissance. Je n’en connais que deux attributs, parce que, moi-même, je suis un mode de l’étendue et de la pensée, un point, c’est tout. Mais les attributs sont strictement égaux. C’est par-là, vous voyez que à peine il a dit, comme tout le monde : j’ai un corps et une âme, il a déjà dit autre chose que tout le monde : je suis le double mode des deux attributs que je connais.
-  Je suis un corps,
-  je suis une âme mais tous les attributs sont égaux, aucune supériorité d’un attribut sur un autre. Donc, jamais on ne pourra dire mon corps, c’est moins bien que mon âme ; Non. Bien plus, c’est strictement pareil, c’est la même manière d’être. Mon corps et mon âme sont la même manière d’être. Pourquoi ? Là, je vais trop vite mais je vais préciser... là, vous pouvez avoir en un éclair, la vision de pensée la plus profonde, une des pensées la plus profonde de Spinoza à savoir que... oui, comment se distinguent mon corps et mon âme ? Ils se distinguent par l’attribut qu’ils impliquent :
-  le corps est le mode de l’étendue,
-  l’âme est mode de la pensée ; c’est ça, la distinction de l’âme et du corps. Ils se distinguent par l’attribut qu’ils impliquent. Ce sont deux modes, deux manières d’être d’attributs différents mais les attributs sont strictement égaux, si bien qu’au moment même où je dis j’ai une âme et j’ai un corps qui se distinguent par l’attribut auxquels ils renvoient, je dis aussi bien je suis un.
-  Pourquoi je suis un ? Parce que je suis un par la substance unique, puisque, tous les attributs égaux sont les attributs d’une seule et même substance absolument infinie.

Donc, je suis deux modes de deux attributs, corps : mode de l’étendue, âme : mode de la pensée mais je suis une seule et même modification de la substance. Je suis une seule et même modification de la substance qui s’exprime dans deux attributs, dans l’attribut étendue comme corps, dans l’attribut pensée comme âme. Je suis deux par les attributs que j’implique, je suis un par la substance qui m’enveloppe.
-  En d’autres termes, Je suis une modification de la substance, en tant qu’exprimée, c’est-à-dire une manière d’être, une manière d’être de l’être... Je suis une modification de la substance, c’est-à-dire, une manière d’être de l’être en tant que cette modification est exprimée comme corps dans l’attribut étendue et exprimé comme âme dans l’attribut pensée ; si bien que l’âme et le corps, c’est la même chose. C’est une seule et même chose, non pas une substance, c’est une seule et même manière ou modification rapportée à deux attributs distincts qui donc apparaît comme corps et est corps dans l’attribut étendue et âme dans l’attribut pensée. Quelle curieuse vision ! Alors ça supprime tout privilège possible de l’âme sur le corps ou inversement, et là, en un sens, c’est la première fois que l’on peut comprendre en quoi une éthique, ce n’est pas la même chose qu’une morale.

Ce n’est pas du tout la même chose qu’une morale, forcément, pour une raison très simple, il y a quelque chose qui appartient fondamentalement à la morale ; c’est l’idée d’une raison inverse, une règle inverse dans le rapport de l’âme et le corps.
-  Forcément, puisque la morale, elle est inséparable d’une espèce de hiérarchie, ne serait ce que la hiérarchie des valeurs. Il faut que quelque chose... il n’y pas de morale si quelque chose ne vaut pas mieux qu’autre chose. Il n’y a pas de morale de "tout se vaut" ; il n’y a pas la morale de "tout est égal". Bizarrement, je dirais, il y a une éthique de tout est égal. Et là, on le verra bien après. Il dit il n’y a pas la morale de "tout se vaut", de "tout est égal". Il faut une hiérarchie des valeurs pour la morale. Et l’expression la plus simple de la hiérarchie des valeurs, c’est...l’espèce de tension, de rapport inversement proportionnel, à savoir, si c’est le corps qui agit, c’est l’âme qui pâtit et si l’âme agit, c’est le corps qui pâtit. L’un agit sur l’autre et l’un pâtit quand l’autre agit si bien que l’effort du sage, c’est faire obéir le corps. Ça va tellement loin ça que c’est presque un axiome de toutes les morales de l’époque, au 17ème siècle ; par exemple Descartes, il écrit un gros livre qui s’appelle "Le traité des passions" et Le traité des passions commence par l’affirmation suivante : quand le corps agit, c’est l’âme qui a une passion, qui pâtit ; quand l’âme agit, c’est le corps qui a une passion, qui pâtit. Vous comprenez qu’au point où on en est du point de vue de Spinoza, c’est inintelligible, cette proposition. Si je suis une manière d’être qui s’exprime également comme manière de l’étendue et comme manière de la pensée, c’est-à-dire comme corps et comme âme, ou bien mon corps et mon âme pâtissent également ou bien ils agissent également. Jamais on a mieux soudé le destin de l’homme au corps. Si mon corps est rapide, avec toute nuance de la rapidité puisque ça peut être une rapidité purement intérieure, ça peut être... c’est une rapidité, on a vu, c’est une rapidité moléculaire, c’est une vitesse moléculaire, si mon corps est rapide mon âme est rapide, si mon corps est lent, mon âme est lente ; et peut-être il est bon, tantôt que mon âme soit lente, tantôt rapide mais en tout cas l’un ira avec l’autre. Mon âme ne sera pas rapide ou lente sans que mon corps soit aussi rapide ou lent.

En d’autres termes vous avez toujours les deux à la fois ! Jamais ! Jamais ! Vous ne pouvez jamais jouer votre âme sur votre corps et votre corps sur votre âme ! Jamais ! L’un et l’autre sont la même manière exprimée dans deux attributs. Donc renoncer à parier sur l’un contre l’autre ! Ce n’est pas la peine d’essayer ! En fin... Ça ne marchera jamais comme ça ! Alors j’en reviens à ceci : d’où vient ce cri : "l’étonnant c’est le corps" qui a bien l’air de démentir le parallélisme ; vous voyez pourquoi ça s’appelle le parallélisme ! En effet deux modes d’attributs différents, corps de l’étendue, âme dans la pensée, les attributs sont strictement indépendants et égaux donc parallèles et c’est la même modification qui s’exprime dans un mode ou dans l’autre ; Bon, alors comment est-ce qu’il peut nous dire l’étonnant c’est le corps... qui semble ériger un modèle du corps... ? "Vous ne savez même pas ce que peut un corps" ! Qu’est ce qui peut... vous ne savez même pas ça ! On ne sait pas ! En effet, les choses prodigieuses qu’un bébé, un alcoolique ou un somnambule peuvent faire quand leur raison est assoupie, quand leur conscience est endormie... vous ne savez même pas ce que peut un corps ! Ça ne va pas ! ... avec tout ce qui précède ! Si, ça va évidement très bien ! Il est en train de nous dire, vous voyez, quelque chose de très important, il est en train de nous dire : le corps dépasse la connaissance que vous croyez en avoir. Votre corps dépasse infiniment la connaissance que vous croyez en avoir... évidemment, puisque vous ne savez même pas que le corps est une manière d’être de l’étendue... et qu’à titre de manière d’être de l’étendue, il est constitué par toutes sortes de rapports de vitesses et de lenteurs transformables les uns dans les autres et vous ne savez rien de tout ça, on ne sait rien de tout ça, dit-il.

On peut le dire encore aujourd’hui qu’on ne sait rien de tout ça. On fait des progrès... c’est curieux, je suis frappé que la biologie actuelle va tellement dans un certain spinozisme mais ça, on verra, on verra plus tard. Eh bein, eh bein, eh bein... Il dit : votre corps dépasse la connaissance que vous en avez et de même - c’est ça qu’il faut ajouter- et de même - essayons puisqu’il y a le parallélisme, puisque le corps et l’âme c’est la même chose et bien - de même votre âme dépasse infiniment la conscience que vous en avez ; tout ça, c’est dirigé tout droit contre Descartes, évidemment. De même que votre corps, il fallait passer par le corps pour comprendre ce qu’il va dire, d’où la phrase : "l’étonnant, c’est le corps qui"... "on ne sait même pas ce que peut un corps", vous voyez, ce qu’il veut dire complètement c’est : "de même que votre corps dépasse la conscience que vous en avez, votre âme et votre pensée dépassent la conscience que vous en avez", si bien que la tâche de la philosophie comme éthique, ça sera quoi ? Ça sera accéder à cette connaissance de l’âme et à cette conscience du corps... non ! Zut alors ! ... à cette connaissance du corps et à cette conscience de l’âme qui dépassent la connaissance dite naturelle que nous avons de notre corps et la conscience naturelle que nous ayons de notre âme. Il faudra aller jusqu’à découvrir cette inconscience de la pensée et cette inconnue du corps et les deux ne font qu’un. L’inconnue du corps...

 1- 02/12/80 - 1


 1- 02/12/80 - 2


 2- 09/12/80 - 2


 2- 09/12/80 - 1


 3- 16/12/80 -1


 3- 16/12/80 - 2


 4- 06/01/81 - 1


 4- 06/01/81 - 2
 

 4- 06/01/81 - 3


 5- 13/01/81 - 1


 5- 13/01/81 - 2


 6- 20/01/81 - 1


 6- 20/01/81 - 2


 6- 20/01/81 - 3


 7- 27/01/81 - 2


 7- 27/01/81 - 1


 7- 27/01/81 - 3


 8- 03/02/81 - 1


 8- 03/02/81 - 2


 8- 03/02/81 - 3


 9- 10/02/81/ - 1


 9- 10/02/81 - 2


 9- 10/02/81 - 3


 9- 10/02/81 - 4


 10- 17/02/81 - 1


 10- 17/02/81 - 2


 11- 10/03/81 - 1


 11- 10/03/81 - 3


 11- 10/03/81 - 2


 12- 17/03/81 - 2


 12- 17/03/81 - 3


 12- 17/03/81 - 4


 12- 17/03/81 - 1


 13- 24/03/81 - 3


 13- 24/03/81 - 1


 13- 24/03/81 - 2


La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien