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3- 24/11/81 - 2

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GILLES DELEUZE : Cinéma Cours 3 du 24/11/1981 - 2 transcription : Claire Pano

...intensif du mouvement dans l’espace alors là oui...peut-être que le mouvement dans l’espace exprimerait un Tout. Exprimerait un Tout, c’est-à-dire exprimerait une idée. Supposez qu’il soit dit ça ou qu’il y ait des gens qui se soient dit ça. C’est pas clair mais enfin on sent, ça peut être une ....on peut toujours essayer mais qu’est-ce que c’est ? Un facteur intensif d’un mouvement extensif ? Vous me direz il y a un facteur extensif du mouvement tout simple, c’est l’accélération. C’est la vitesse et l’accelération. Ça ne va pas, ça ne va pas, ça se serait plutôt pour l’école française. Ça serait plutôt pour le montage accéléré parce que la vitesse et l’accélération, elle présuppose le mouvement, donc ça va pas. Il faudrait inventer un facteur intensif qui soit correspondant à l’image cinématographique qui soit vraiment le facteur intensif du mouvement dans l’espace c’est-à-dire la tension, la tension du mouvement. La réponse peut-être qu’on va pouvoir seulement comprendre la, la...Je vous demande toujours énormément de patience là.

Supposez que la réponse....On essaie de préssentir avant de comprendre, supposez que, ces gens se disent - Eh ben oui, après tout le facteur intensif ou la tension propre au mouvement dans l’espace, c’est la lumière. Quelle drôle d’idée. Il ne faut pas se demander si c’est exact du point de vue de la science physique parce que il faudra se le demander seulement après c’est peut-être exact ou bien il y a peut-être quelque chose d’exact là-dedans, du point de vue de la physique elle-même.
-  Le facteur intensif du mouvement, ce serait la lumière. Alors qu’est-ce qu’on ferait ? La lumière ça voudrait dire quoi ? ça voudrait pas dire la lumière en général, c’est trop vague. Il faudrait dire : Le facteur intensif du mouvement c’est l’infinité des états de l’intensité lumineuse.

Ça deviendrait déjà plus clair car là, l’infini des états de l’intensité lumineuse, on voit bien que c’est du mouvement. Ben, ce serait ça le mouvement intensif ou l’élément intensif de tout mouvement. Et c’est ça qu’il faudrait dégager du mouvement pour rapporter le mouvement au Tout qui l’exprime. Ah c’est ça ! et pourquoi ? Alors reculons, cherchons toujours dans nos préssentiments parce que pourquoi est-ce que... ? Pourquoi est-ce que un facteur intensif rapporterait le mouvement dans l’espace à un Tout ou à l’unité ? Pourquoi ?

Qu’est-ce que ça veut dire un facteur intensif ? Qu’est-ce que ça veut dire une intensité ?
-  Une intensité, la définition est très simple, elle a été donnée par le grand philosophe Kant : "Une intensité c’est une grandeur appréhendée dans l’instant". Voyez que dire ça, ça suffit à distinguer quantité intensive et quantité extensive. En effet une quantité extensive, c’est une grandeur appréhendée successivement. Vous dites : elle a tant de parties. Une quantité intensive, vous dites par exemple : Il fait chaud, il fait froid, il fait 30°. Il est clair que 30 °, c’est pas la somme de 30 fois un degré. Non, une longueur de 30 centimètres, c’est la somme de 30 fois un centimètre. 30 degrés, c’est pas 30 fois un degré. Bon c’est des choses évidentes.

Vous dites donc, le paradoxe de la quantité intensive c’est une grandeur appréhendée dans l’instant. Bon c’est déjà très intéressant du point de vue des concepts : Vous êtes en train de vous former un concept d’intensité. Essayons de préciser grandeur appréhendée dans l’instant ça veut dire quoi ? Alors qu’est-ce que c’est ça ? Qui dit grandeur, dit : multiplicité... Dit pluralité, bien une quantité intensive, je dirais c’est une quantité, c’est une grandeur dont la pluralité ou telle que la pluralité contenue dans cette grandeur - lorsque vous dites il fait 30 ° degré par exemple - la pluralité contenue dans cette grandeur ne peut être représentée que par sa distance indivisible à zéro. La pluralité contenue dans cette grandeur ne peut-être représentée que par sa distance indivisible, c’est-à-dire son rapprochement dans l’instant avec zéro. C’est ça une quantité intensive.

En d’autres termes une quantité intensive implique une chute, ne serait-ce qu’une chute idéale. En effet 30 ° ne passe pas... la pluralité contenue dans 30 ° ne passe pas par une succession où j’irai de un, deux, trois, quatre, jusqu’à 30, ça ce serait traiter la quantité intensive comme une quantité extensive. Et qu’est-ce qui fait ça ? Ce qui fait ça c’est le thermomètre, oui. Mais le thermomètre a pour fonction de substituer une quantité extensive... à savoir la hauteur du mercure à la quantité intensive, la châleur. Donc l’évaluation de 30 ° ne se fait pas à l’état pur, par le thermomètre - c’est-à-dire par tous les intermédiaires qui ramènent la quantité intensive à une quantité extensive - mais se fait par... la distance traitée comme indécomposable entre la quantité intensive considérée et zéro, c’est-à-dire par la chute. Bon ça veut dire quoi, ça ?
-  L’intensité renvoie à une chute...de la chose qu’elle caractérise en intensité. C’est fondamental, cette idée d’une chute, de l’intensité inséparable d’une chute, d’une descente. Et alors quoi, bon, j’ai l’air de m’éloigner mais pas du tout. Le point zéro c’est quoi ? Je disais...C’est la négation ouais...c’est la négation de l’intensité. Et c’est quoi alors le terme de cette chute ? On dira que le facteur intensif est inséparable de sa distance, sa distance à l’état zéro de la matière. Et ce qui le définit, c’est-à-dire sa distance à l’état zéro de la matière comme distance indécomposable lui appartient. Il est inséparable d’elle. C’est-à-dire, il est inséparable de cette chute virtuelle.

En d’autres termes, si je dégage ...Comprenez, on progresse beaucoup. Si je dégage euh l’état intensif ou la tension correspondant au mouvement, j’ai fais un pas dans les deux autres solutions, que j’avais pas : A savoir, j’ai introduit une nécessité de ne pas séparer le mouvement d’une matière. J’ai introduit la nécessité de ne pas séparer le mouvant, d’une matière nue.

Et après tout les autres ils s’occupaient beaucoup du mouvant mais pas beaucoup de la matière nue. Et là, il y a une espèce de choix pratique c’est-à-dire, ils rattrapaient la matière nue bien sûr il la rattrapait. Mais ils la rattrapaient secondairement, ce qui les intéressait d’abord, c’était le mouvant. Et maintenant voilà que, arrive cette troisième espèce d’hommes de cinéma qui vont s’intéresser énormément à la matière nue et à sa possibilité d’être nue ou pas. Or ils ne pouvaient dégager la matière nue dans son caractère essentiel de liaison avec le mouvement. Ils ne pouvaient faire cela que... à l’abri ou grâce à l’hypothèse d’un facteur intensif du mouvement.

-  Or et qu’est-ce que c’est que cette distance indécomposable qui relie le facteur intensif du mouvement à la matière nue comme égale zéro. Comme degré égal zéro. Sentez ce qu’on est en train de ...reconstituer, c’est... vous devez déjà avoir deviner. Eh ben, ça va s’exprimer au plus simple, on va voir que, perpétuellement il faut corriger ce que je dis. Ça va s’exprimer au plus simple sous la forme : "Le mouvement est le processus par lequel quelque chose ne cesse pas de se défaire". Le mouvement est inséparable d’une chute dans la matière. Le mouvement - alors il faudrait sous-entendre "quand vous l’avez rapporté à son facteur intensif est strictement inséparable d’une chute dans la matière". Et si cette chute est indéfinie ou infinie, qu’est-ce que ça peut faire ? Le mouvement ne fait qu’un - quand on en dégage le facteur intensif - ne fait qu’un avec un processus de décomposition possible. Processus de décomposition possible ça veut dire quoi ça ?
-  A savoir que, le mouvement vous allez le rapporter à ce qui se passe dans le plus obscur de la matière. Ce qui se passe de plus obscur dans la matière... Le mouvement rapporté par l’intensité à ce qui se passe de plus obscur dans la matière. Qu’est-ce que ça peut-être ça ? Concrêtement, on le voit bien : les pièces enfumées, les marais pestilentiels, là où la matière s’agite, est à son niveau zéro mais clapote à ce niveau. Et toute intensité rapportera le mouvement dans l’espace, à ce fond marécageux. Oh et les fumées sortiront de ce fond. Et qu’est-ce que ce sera ça ? Le mouvement rapporté à ce fond de la matière....à ce fond ténébreux de la matière. Ah le mouvement... à ce moment je dirais que j’en ai dégagé le facteur intensif du mouvement. Et qu’est-ce que c’est ce fond ? Comment est-ce qu’on pourrait, ce fond abominable ? Ce fond qui n’a pas de nom, nommons le, alors. C’est le contraire de la lumière, d’accord, bon, c’est le contraire de la lumière. C’est l’ombre, c’est l’ombre absolue, c’est les ténèbres. Ah bon oui, puisqu’en effet, si le lumineux c’était l’état intensif du mouvement, la chute du mouvement dans cette matière qui lui est irrémédiablement liée, ça va être les ténèbres. Ah alors voilà les marais vaguement éclairés. Des espèces de lueurs qui sont faites pour mourir. Ça clapote oui. Qu’est-ce que c’est alors ? Ce mouvement là, qui...se repère à cette état clapotant de la matière à ce degré zéro. C’est bien connu...Qu’est-ce que c’est cette décomposition ? Cette euh, je dirai eh oui, c’est très vivant tout ça. Mais c’est une vie essentiellement non-organique. C’est la vie non-organique des choses. Les choses ont une vie. Oui, ah ! vous croyez que pour vivre, il faut avoir un organisme ? pas du tout. Mais pas du tout alors. L’organisme, c’est l’ennemi de la vie. L’organisme c’est ce qui conjure ce qui il y a de terrible dans la vie.
-  Ce qui vit, c’est les choses parce qu’elles ne sont pas asservies à l’organisme.

Ah bon ce qui vit c’est les choses, alors il y a une vie non-organique ? Oui la vie est fondamentalement non-organique. Admirez l’opposition avec Eisenstein. Eisenstein nous disait : le montage et la mise en scène de l’opposition des forces. Cela ne peut se faire que sur fond de la représentation organique de l’image organique. Et l’image-mouvement du cinéma c’est ...la vie organique de la spirale et voilà que ces obscurs allemands surgissent et disent : Pas du tout. L’élément de la vie, le premier élément, le premier élément de l’image-mouvement, ça va être la vie non-organique des choses. Et tout le décor expressionniste y arrive. Une vie non-organique qui soit la vie des choses en tant que choses. Les choses vivent, oui, les choses vivent. Sous quelle forme ? Sous la forme du marais, sous la forme du marécage. Les maisons elles-mêmes sont des marais. Les maisons sont des chemins. Les maisons, la ville est un marais, tout est un marais. Il y a une vie non-organique des choses. Les vivants, les organismes sont des accidents de la vie. Quelle idée, quelle idée ! Et on dirait quel pessimisme ! Quel pessimisme, quel désespoir. Si l’intensité ne s’évalue qu’à sa chute. Si la chute est la chute dans le marais. C’est-à-dire dans cet état de la matière égal zéro. Si tout mouvement doit exprimer la vie non-organique des choses comme ce qui fait notre terreur même, c’est pas un monde joyeux, hein ?

Et vous allez voir à quel point c’est corrigé tout ça. Et en effet c’est tout un aspect de l’expressionnisme et après tout, l’esthéticien qui a baptisé, qui a trouvé le nom "expressionnisme", c’est un concept tellement confus et flou que je voudrais essayer de lui donner un peu de consistance. Il y a mille manières moi je prends un aspect, je prends l’aspect qui m’intéresse hein. Vous, vous pouvez avoir très bien d’autres aspects. Je dirai le premier aspect de l’expressionnisme - comme j’ai trouvé dans les deux autres cas, deux pôles, Vous sentez que pour l’expressionnisme allemand je suis en train de chercher aussi deux pôles pour que ce soit plus clair.

-  Je dirai le premier pôle de l’image expressionniste ou du montage expressioniste, ça va être la vie non-organique des choses. Et encore une fois, la vie non-organique des choses renvoie au facteur intensif du mouvement dans l’espace en tant que ce facteur intensif, n’existe que par sa relation indécomposable avec un état de la matière égale zéro. C’est pas difficile tout ça, ça s’enchaîne très bien. Ah oui bon, ah ben ça c’est très connu tout ça. C’est très connu et je et dans VÖHRINGER l’esthéticien qui invente le mot expressionnisme et qui va l’appliquer tour à tour à toutes sortes de choses mais qui va finir par l’appliquer au cinéma. Comment il le définit lui le baptiseur ? il faut bien puisque c’est lui qui invente, qui se sert du mot. Et ben c’est très curieux, dans tous les textes de VÖHRINGER, il y a quelque chose qu’il ne perd pas de vue enfin dans les plus beaux textes. Il nous dit « La ligne expressionniste c’est la ligne qui exprime une vie non organique ». C’est à la fois du non organique et pourtant c’est du vivant. Et il oppose la ligne expressionniste ou non organique, la ligne vitale non organique, il l’oppose à la ligne organique de l’harmonie classique.

Quel hommage à EISENSTEIN, l’harmonie classique. C’est le grand classique du cinéma EISENSTEIN. Et comment il définit la ligne non-organique ? La ligne organique ce sera le cercle ou la spirale. Et la ligne non organique ? Ah celle-là elle est violente, dit VOHRINGER, c’est la ligne violente. Qu’est-ce que c’est que la ligne violente ? C’est la ligne qui ne cesse pas de changer de direction ou bien la ligne qui se perd en elle-même comme dans un marais. Il dit pas ça, il dit presque ça, hein il dit « comme dans du sable » c’est pareil, du sable mouillé quoi. La ligne qui ne cesse pas de changer de direction c’est ce qu’il appelait et la première forme d’art expressionnisme, selon VÖHRINGER, c’est l’art gothique. C’est l’art gothique avec sa ligne perpétuellement brisée, qui ne cesse de changer de direction. Qui s’oppose perpétuellement à un obstacle pour reprendre force en changeant de direction. Ça, c’est une ligne qu’aucun organisme ne peut faire et qui est pourtant la ligne de la vie elle-même en tant qu’elle déborde tout organisme.
-  Donc à la ligne organique de l’art dit classique, VÖHRINGER oppose la ligne non organique, également vitale pourtant, de l’art dit gothique - par là, ce sera l’expressionnisme.

Cette ligne se brise et ne cesse de changer de direction ou se perd en elle-même. C’est le mouvement même de l’intensité. Bon alors, bien, est-ce que c’est étonnant que dès lors, le mouvement dans l’espace tel que l’expressionnisme allemand va le concevoir, est fondamentalement un mouvement - où paraît être pour le moment, tout va être corrigé, on va voir ... paraît ëtre un mouvement de la décomposition.
-  L’âme va se décomposer, l’âme intensive va se confondre avec le mouvement d’une décomposition qui la ramène à une matière marécageuse.

Mon dieu quel malheur ! et ça va être la promenade dans le marais et ça va être ces décors étouffants et ça va être ces décors étouffants, pas parce que fermés suivant une courbe organique, mais parce que perpétuellement brisés et changeant de direction. Le cabinet CALIGARI, CALIGARI avec ses décors extraordinaires qui sont des décors de plein cinéma et qui introduisent précisément, c’est où il n’y a plus aucune ligne droite, une ligne droite, ça c’est une ligne organique.

La diagonale. Ah la diagonale, c’est louche, c’est ce qui passe entre les deux. De la diagonale à la ligne brisée, il y a des rapports très intimes. La diagonale qui renvoie à une contre diagonale. Oh mais c’est plus du tout l’opposition de mouvements ça. C’est les intensités, c’est les facteurs intensifs qui font pencher la droite. On peut toujours traduire en opposition de mouvements, à ce moment là on perd l’originalité de l’expressionnisme.

C’est pas du tout une pensée de l’opposition, c’est une pensée de l’intensité et c’est très très différent, hein. Ils ont choisi autre chose, une autre direction et c’est comme dans un tableau de SOUTINE où la ville devient folle. La ville devient folle puisqu’il n’y a plus de verticale ni d’horizontale. Il y a des diagonales avec une diagonale qui évoque la contre diagonale.
-  Toutes les choses ont l’air ivres, toutes les choses sont marécageuses et l’âme et l’âme trouve son miroir dans les choses c’est-à-dire son intensité en tant qu’âme du mouvement, est inséparable de la matière nue et cette âme du mouvement, cette âme intensive du mouvement ne peut être saisie que dans le mouvement qui la rapporte à la matière nue, c’est- à-dire aux marécages, aux clapotis. Et là tout l’expressionnisme y passe, je ne dis pas qu’ils se réduisent à ça. Mais que ce soit AURORE de MURNAU, LOULOU de PABST, NOSFERATU de MURNAU ou alors car je crois qu’à certains égards, il est très profondément expressionniste, LA SYMPHONIE NUPTIALE, LES RAPACES de STROHEIM.  En quoi est-ce de l’expressionnisme ? Je peux toujours le dire si je donne un critère d’après lequel pour moi, c’est bien de l’expressionnisme.
-  Pour précisément cette raison, que le mouvement dans l’espace exprime fondamentalement un processus de décomposition qui dépend de l’intensité même du facteur intensif dégagé dans le mouvement.

Seulement , seulement tout le monde sait immédiatement que je ne viens de parler que d’une moitié. Alors en effet à pessimisme à pessimisme, tragédie à tragédie oui, tout cela est affreux, quel monde, quelle angoisse ! Mais euh, mais non, c’est pas ça. Ça peut être ça, ça peut être ça par exemple "LES RAPACES". Il y a rien que le mouvement de décomposition. C’est un chef-d’œuvre mais vous voyez que là, le mouvement dans l’espace, c’est bien une réponse concrête à :"comment le mouvement dans l’espace exprime le Tout" ? Ben évidemment, qu’il exprime le tout. Evidemment qu’il exprime le tout. Il exprime le changement dans le tout. Il fait que ça grâce à cette méthode. C’est une méthode formidable. Si je le traduis en recette de cuisine : dégager le facteur intensif évidemment ça implique tout le jeu de la lumière et des ténèbres. C’est pour ça que le cinéma expressionniste va être fondé là-dessus.
-  Dégagez le facteur intensif, c’est-à-dire le facteur lumineux du mouvement. Saisissez-le comme intensif. Donc dans son rapport avec la matière nue, avec la matière nue qui elle, est le degré zéro det l’obscurité. Tout le mouvement va être qualifié comme mouvement de décomposition. C’est-à-dire comme le mouvement de la chute d’une âme. Comment perdre son âme c’est la leçon de ce premier aspect de cet expressionnisme et tout y passe toute la mythologie que vous voulez sur la perte de l’âme, là trouve toute sa justification concrête et pratique. Seulement voilà, voilà que ce n’était qu’un aspect car toutes les choses ne peuvent pas si mal finir. Ce n’était qu’un aspect. C’était qu’un aspect parce que.. parce que sauf dans quelques cas - on peut se contenter de cet aspect. Ça peut faire des choses admirables, formidables encore une fois, il n’y a pas besoin d’autre chose.

Un processus de décomposition parfait, c’est un chef-d’œuvre mais je crois que ça se passe jamais comme ça. Il n’y a jamais d’œuvre désespérées vous savez hein. Euh L’art même implique tellement un appel à la vie, ne serait-ce qu’à la vie non organique et c’est quand même de la vie, il n’y a pas d’œuvre de mort. Parfois il y a l’air d’en avoir, mais les œuvres de mort, c’est toujours ....On sait ce que c’est ça vaut rien, ça vaut rien c’est de tristes et pauvres œuvres. Ça n’existe pas. Alors je veux pas dire il faut un message d’espoir, j’ai pas besoin de mettre un message d’espoir. Bien que aussi ça peut se passer comme ça, un message d’espoir, ben oui il faut le dire toujours dans une œuvre, allez y les gars, c’est bien tout ça. Euh sinon, ça vaut pas la peine hein, ça vaut pas la peine parce que finalement si c’est pour pleurer comme on ne pleure jamais si vous voulez que sur soi-même, ça donne le pire, ça donne des petites œuvres narcissiques de dégoutation quoi, pas la peine.

Mais je dis c’est pas la peine de ....un message d’espoir encore que souvent ça convienne dans une œuvre. Il n’y a pas de grande œuvre, à mon avis qui ne contiennent ce formidable message d’espoir. Et parfois qui le contiennent d’autant moins que il est pas explicitement dit, mais il est mieux que ça, il est formulé. Il est là, il est comme gravé à travers les lignes. Et alors j’ai l’air de contrebalancer mais vous vous corrigez, tout ça, ça ne fait qu’un - car dans beaucoup de ces films, c’est quoi ? ça peut prendre l’air même d’un espoir purement ironique.

A la fin de LOULOU, de PABST, il y a l’Armée du Salut. L’Armée du Salut, les images très belles qui terminent le film : l’armée du salut, le chant de l’Armée du Salut le salut de l’âme. C’était plus beau dans l’opéra. Dans l’opéra après la mort de Loulou, il n’y a pas l’Armée du salut, il y a quelque chose qui est splendide, il y a l’ami de Loulou, qui lance, qui lance son chant merveilleux qui est un chant merveilleux qui s’élève vers le haut - ne fait rien d’autre que porter l’âme de Loulou au ciel exactement comme l’Armée du Salut, assure le salut de l’âme de Loulou - comme une remontée de l’âme. Ah tiens une remontée de l’âme ! oh oui. Dans la SYMPHONIE NUPTIALE de STROHEIM, il y a une séquence qui passe à juste titre pour une des plus belles séquences admirables chez cet auteur dur, fourbe et cynique. Et qui est une des plus belles parmi les plus belles images d’amour que le cinéma ait jamais fait. Qui est, pour ceux qui se rappellent SYMPHONIE NUPTIALE, qui est le prince Nicolas - je ne sais plus s’il est prince d’ailleurs enfin peu importe - qui entraîne la pauvre petite prolétaire dans le jardin des pommiers où il y a une charrette abandonnée, il s’abrite sous la charrette il y a les pommiers. C’est curieux ça, ça c’est vraîment comme une séquence impressionniste. Et on dit très souvent que l’expressionnisme et l’impressionnisme se réconcilient que très tardivement, que ça s’arrangeait pas. J’en suis pas sur. Moi j’ai le sentiment que l’impressionnisme c’est, c’est une séquence de l’expressionnisme - c’est très curieux, que les communications étaient constantes. Là il y a une scène impressionniste, tellement impressionniste que, ça paraît, comme à la limite presque comme un Renoir d’avance, hein. Euh c’est vraîment un tableau impressionniste, la scène que STROHEIM a faite.

Dans l’Aurore de MURNAU, ah les marais ils y sont, les lacs obscurs ils y sont. La chute de l’âme elle y est, attirée par une mauvaise femme dans les marais. L’homme, l’homme, l’âme de l’homme médite d’assassiner son épouse. Sa jeune épouse. Et il y a le marais, une première traversée dans le lac. Le jeune mari se rend compte de l’horreur de son projet et ils arrivent dans la ville, il y a la reconquête de leur amour - passage purement impressionniste tout en vascillements, tout en petite lueur, tout en touches. Puis il y a le retour à travers le lac noir, il y a l’accident etc...Il y a à nouveau la scène de chute.

Qu’est-ce que je veux dire ? VÖHRINGER le disait très bien finalement mais en même temps pas bien, voilà. Il disait ceci VÖHRINGER, il disait : ben oui, la nature, la vie non-organique, c’est le premier aspect de l’expressionnisme. Ce monde est maudit, ce monde est maudit et les lois de ce monde, sont les lois de la décomposition. Mais l’autre aspect de l’expressionnisme, l’aspect corrélatif : c’est que l’âme garde un rapport, non pas avec la nature. C’est foutu, la Nature c’est la chute. Mais comme il est corrélatif - c’est pas une correction, c’est vraîment le corrélat - l’âme est en rapport avec le divin. L’âme est en rapport avec le divin et reste en rapport avec le divin. Et VÖHRINGER disait l’expressionnisme c’est - en dehors de l’art baroque qui l’a précédé - la seule forme d’art qui considérait que l’affaire de l’art n’était pas avec le sensible, mais était avec le spirituel pur.

Pas mal même si on trouve ça rigolo, cette idée bizarre. L’art en rapport avec le spirituel pur. On peut dire que c’est une idée forte qui a du marquer une époque. En effet tout le monde vivait sauf l’idée de la vie organique. Et le présupposé de la vie organique c’est évidemment ou de la représentation organique c’est : L’art est en rapport fondamentalement avec le sensible et ne peut passer que par le sensible. Mais ceux qui nous disent :" je garde le sensible parce que c’est la matière comme décomposition et parce que c’est le corrélat du rapport de l’âme avec le divin". Ça c’est complètement un changement une redistribution dans tous les éléments de l’art. Alors, qu’est-ce que je veux dire ? Qu’est-ce que je veux dire ? Et ben l’expressionnisme est fait de ces deux mouvements. Quelque chose se fait à travers quelque chose qui se défait. Vous me direz c’est vraîment une platitude ça quelque chose se fait à travers quelque chose qui se défait. C’est que à ce moment là, vous me le dites pas parce que vous seriez vraîment bêtes. Je veux dire, si quelqu’un vit cette idée là, quelque chose se fait à travers quelque chose qui se défait. S’il le vit avec assez d’intensité, il a son œuvre. Il a son œuvre parce que montrer quelque chose comme ça, c’est pas une idée dans la tête. C’est pas quelque chose comme ça, c’est pas une formule toute faite. S’il s’agit de mobiliser les éléments qui vont le montrer qui vont faire une œuvre avec ça. C’est par là que vit le cinéma.
-  C’est en effet d’une certaine manière le cinéma c’est une métaphysique, oui. Euh et c’est pas parce que c’est nul que...qu’ il y a des films nuls parce que il y a des philosophies nulles aussi, il y a la littérature nulle. Le cinéma ça va pas plus mal. Je dis ça pour me remonter, ça va pas plus mal qu’autre chose. C’est comme le reste, c’est pas pire. Ça se voit plus oui, parce que il y a des affiches, oui, mais c’est pas pire.

Alors bon quelque chose se fait à travers ce qui se fait et se défait. Si bien que de deux manières, vous pouvez avoir un pôle un peu pessimiste, un peu :
-  à savoir ce qui se défait est comme premier et ce qui se fait n’est qu’une petite compensation à ce qui se défait
-  ou bien une tendance vraîment mettons optimiste à savoir, l’essentiel c’est ce qui se fait, c’est-à-dire ce rapport de l’âme avec le divin. Voyez je retrouve des termes bergsonniens, se défaire, se faire. C’est ça l’éclosion du nouveau, c’est ça l’Idée : Le rapport de l’âme avec ce qui se fait. L’âme en tant qu’elle se fait dans un rapport avec le divin. Bon et alors, de ce côté un peu optimiste,
-  c’est ce qui se défait qui n’est plus que l’interruption provisoire de ce qui se fait. De toutes manières vous irez de la lumière aux ténèbres et des ténèbres à la lumière par tous les états lumineux. Par la série infinie des états lumineux car c’est ce facteur intensif qui rapportera votre mouvement dans l’espace au Tout et le Tout c’est quoi ? C’est la coexistence de la matière mue qui ne cesse de se défaire. Et de l’âme divine mouvante qui ne cesse de se faire. Si bien que l’expressionnisme allemand c’est l’identité de deux pôles, tout comme j’avais trouvé deux pôles pour le montage russe. Deux pôles pour le montage français, pour l’harmonie des choses. Deux pôles pour le montage euh euh et pour le problème et pour la solution expressionniste de...notre problème, je dirai c’est à la fois et irrémédiablement lié, la vie non organique des choses et la vie non psychologique de l’esprit.

-  Et qu’est-ce que c’est que l’acteur expressionniste ? C’est pas difficile, à ce moment là. Qu’est-ce que c’est "jouer" à la manière expressionniste ? C’est pas donner des signes là comme ça, c’est très précis. C’est une technique d’acteur. Jouer à la manière expressionniste, c’est deux choses, c’est deux choses.
-  C’est faire que l’expression ne soit plus organique, que l’expression excède l’organisme d’où les gestes en effet, les gestes eux mêmes brisés, perpétuellement brisés de l’acteur expressionniste. Les expressions du visage complètement marécageuses, le rôle de la lumière dans le jeu expressionniste etc...
-  Et en même temps c’est-à-dire un jeu qui ne serait ni organique, ni psychologique.

Si bien que, les deux pôles alors du problème expressionniste ce serait le non-organique et le spirituel et la corrélation des deux c’est-à-dire la vie non-organique des choses. Et la vie non-psychologique de l’âme. Est-ce que vous êtes fatigué ou vous êtes pas fatigués ?

-  Etudiant 1 « Oh non pas du tout ». Etudiant 2 - « ça dépend pour qui »

Je termine alors, je vais terminer vite hein euh, mais j’aurais bien voulu est-ce que vous... ?

-  Etudiante 3 « Moi je voudrais parler » . Tu voudrais parler alors très bien, alors on va parler hein et puis s’il y a le temps si vous êtes pas trop fatigués j’ajouterai un petit quelque chose ou j’ajouterai pas, voilà.

Alors oui, donc une fois dit que mon souci est réel que mon auto-critique n’est pas du tout euh coquetterie, là vraîment, c’est pas euh s’il y a quelque chose moi qui me contente pas dans tout ça. Euh ! Vous pourriez peut-être m’aider, dire euh pas du tout m’encourager pas me dire aussi : ça va, ça parce que ...non, euh et puis euh vous-mêmes, si vous avez à intervenir euh ...quoi ?

Etudiante 4 ....inaudible ...ça ne paraît pas comme l’application de vos textes à une ...

Gilles Deleuze -« Non aujourd’hui ça ne le faisait pas. C’est curieux, ça ne le faisait pas. Peut-être que ça va mieux que c’est ouais, ouais, »

Etudiante 5 : - Moi, J’ai eu cette impression aussi, euh la dernière fois ... 

Etudiante 6 (inaudible).

Etudiante 5 : - Je ne sais pas, peut être que ça va mieux cette fois. Moi, il me reste toujours quelque chose de très confus enfin qui se rapprocherait de ce que tu dis. C’est-à-dire en quelque sorte j’ai l’impression que euh, ce dont parle Bergson, euh ça pourrait s’appliquer effectivement au cinéma. Mais pas du tout au cinéma dont tu as parlé enfin les trois catégories de cinéma dont tu as parlé aujourd’hui. C’est-à-dire que, effectivement je verrai dans BERGSON, un certain rapport avec le cinéma mais qui s’appliquerait pour moi, à euh certaines catégories de cinéastes extrêmement récents. Je citerai en particulier GODARD, RESNAIS et Chantal ACKERMAN. Et d’une certaine manière, il me semble que euh, le cinéma dont tu as parlé aujourd’hui en rapport avec BERGSON pour moi se rattache euh à cette querelle dont parlait BERSON et dont il essaye de se défaire c’est-à-dire entre les idéalistes et les matérialistes. C’est-à-dire que, il reste dans ces écoles de cinéma, c’est-à-dire le cinéma allemand, le cinéma russe et le cinéma français, euh quelque chose de cette dialectique que BERGSON essayait d’éviter, bon c’est-à-dire quand il part d’un premier chapitre de Matière et Mémoire, bon : Est-ce que le monde extérieur existe en dehors de nous ? Est-ce que nous existons enfin bon toute cette dialectique là et ce qu’il me semble c’est que le cinéma effectivement.. est tout à fait en rapport avec cette durée que BERGSON essaye de déterminer mais à partir du moment où il introduit dans le cinéma, un élément extérieur et en l’occurrence bon, par exemple pour RESNAIS et pour GODARD, ça serait pour moi un certain usage de la voix. Par exemple dans le dernier film de GODARD un certain usage de la musique, c’est-à-dire bon le personnage est dans une pièce on a l’impression qu’il n’entend la musique que dans sa tête quand il sort la musique continue bon et il fait sans arrêt un jeu avec trois genres de musiques qui donnent une certaine durée du temps mais qu’on peut retrouver par exemple, chez des compositeurs comme HAYDN. Enfin bon je sais pas voilà, c’est tout. »

Gilles DELEUZE « Ouais là je réponds tout de suite parce que je mesure, je me demande si une des choses qui font que ça va pas. Est-ce que c’est pas en effet une ambiguïté dont je suis hélas responsable par le choix du sujet que j’ai fait, car ce que tu viens de dire, je conçois très bien que ce serait possible de le faire mais en t’écoutant je me disais : Mon Dieu, c’est ça entre autre que je ne voulais pas faire. Je veux dire pas que ce ne soit pas légitime mais ce point m’intéresserait pour moi. Enfin m’intéresserait si c’était pas quelqu’un d’autre.

Etudiante 5 : Je ne dis pas que ça m’intéresse.

Gilles DELEUZE - Mais ce que tu dis un peu c’est...Eh ben quitte à faire ce que je me proposais de faire, pourquoi ne pas avoir plutôt cherché des auteurs de films et des films que l’on pourrait d’une manière ou d’une autre dire en effet avoir un certain rapport avec BERGSON ? Et là ceux que tu cites, tu as bien choisi tes citations. Mais ça je ne le veux absolûment pas.

Etudiante 5 - Non mais...

Gilles DELEUZE : - Il y a deux choses que je redoutais avant de commencer, ce que je redoutais avant de commencer, ce à quoi je tenais je me disais je vais gagner sur tous les tableaux, c’est-à dire mais en tout honneur, je me disais encore une fois, il faut que je donne à ceux qui ne connaissent pas BERSON et à ceux qui ne sont pas philosophes ou qui viennent pour des raisons de philosophie, une certaine connaissance de BERGSON. Et ça j’y tiens énormément, si bien que si ça continuait à ne pas aller je sacrifierais tout cet aspect, je retiendrais plus que l’aspect commentaire de BERGSON et, ce que je voulais en plus, c’était alors presque pour mon compte et avec vous, essayer de former des concepts cinématographiques presque en oubliant que c’était BERGSON qui nous les fournissait ou qui nous aidait à les fournir et il me fallait que ces concepts, ils vaillent... Je m’intéressais pas à ce moment là à telle tendance dans le cinéma mais vaillent pour le cinéma en général, indépendamment de tel film, indépendamment des films. Et ça, si je rate ça c’est que j’aurais mal réussi, c’est que j’aurais raté.

Etudiante 5 Non mais...

Gilles DELEUZE - Et d’autre part, je ne voulais pas que ces concepts de cinéma soient une application de BERGSON, c’est-à-dire de concepts forgés pour d’autres causes, au cinéma. Alors en effet, ce que tu dis, on aurait pu le faire.

Etudiante 5 : - Non mais....attends moi je voudrais te préciser une chose, c’est que je ne préfèrerais pas que tu parles de BERGSON par rapport à GODARD ou à RESNAIS ou à des gens...Je veux dire, en effet m’intéresse beaucoup plus que tu parles de BERGSON, bon et que que tu essayes de parler du cinéma et de voir quels concepts on pourrait en tirer. Je veux dire c’est j’ai parlé de GODARD ou de BERGSON comme ça, c’est que..c’est pour parler de quelque chose qui confusément jusqu’à présent semblait me manquer qui est que, dans BERGSON, je trouve cette chose dont tu as parlé et qui est l’existence de trois mouvements, enfin de trois niveaux qui doivent obligatoirement exister pour que quelque chose se passe et que pour le moment la chose qui me met sans arrêt en décalage c’est que dans le cinéma dont tu as parlé, je ne vois que deux mouvements.

Gilles DELEUZE - Ah bon ?

Etudiante 5 : - Ah oui c’est ça.

Gilles DELEUZE : « Ah bon ? Michaël....

Etudiante 5 : - Bon, je veux dire, là je suis un petit peu embêtée parce que je ne sais pas si il faut que que je parle, que je m’informe de caractères plus techniques du cinéma là je suis un petit peu embêtée mais c’est ce que je ressens et c’est pour ça que je parlais de GODARD, de RESNAIS et de gens comme ça qui à mon avis avaient fait intervenir dans le cinéma quelque chose d’autre que le cinéma, qui était soit une certaine manière de se servir de la musique, soit une certaine manière de se servir de la voix.

Gilles DELEUZE « Ouais, c’est pas autre chose que le cinéma.

Etudiante 5 - Oui, non... c’est pas autre chose.

Gilles DELEUZE « - Ouais....je vois ce que tu veux dire, ouais, ouais »

Etudiante 5 : - par moments j’ai l’impression qu’il y en a trois et par moments j’ai l’impression qu’il n’y en a que deux. Ce qui me fait penser à chaque fois à ce problème que BERGSON essayait de résoudre c’est-à-dire bon sortir de des deux dialectiques auxquelles il est affronté, c’est-à-dire les idéalistes et les matérialistes ...

Gilles DELEUEZE : Ouais

Etudiante 5 ...à propos du problème de la perception. C’est simplement ça. Mais bon effectivement je préfère ton choix, de toute manière.

Gilles DELEUZE « - Ouais, ouais ouais ouais »

Gilles DELEUZE « C’est bien parce que en effet on nage dans l’ambiguïté

Autre étudiant (inaudible)

Gilles DELEUZE Quoi ? C’est ?

Autre étudiant (inaudible)

Etudiante 5 : - C’est transparent justement

Gilles DELEUZE - Oui, ah oui ça pour causer euh oui....Bon vous avez encore un peu de courage ? Ou pas, on peut arrêter là hein. Vous réfléchissez ici à notre triste situation. Ah un petit mot....Ouais Bon...Bon ben alors je termine sur ça fera une terminaison toute ...après tout pour redoubler les ambiguïtés. De ce que je viens, de ce que...des trois niveaux de l’image de mouvement....que j’ai essayé de dégager - encore une fois c’est pas difficile, c’est des mouvements coexistants et communicants.

-  Déterminer les objets qui entrent dans le plan, c’est ce qu’on appelle le cadrage.
-  Déterminer, deuxièmement, déterminer le plan comme le mouvement relatif, un : Qui réunit ses objets, c’est ce qu’on appelle un plan temporel ou une perspective temporelle. Et enfin déterminer leur rapport du plan entre parenthèses avec d’autres plans avec, déterminer le rapport du plan par l’intermédiaire d’autres plans avec l’idée ou le tout, c’est le montage.

Je me dis, ces trois catégories j’ai pas l’impression qu’on les définisse, ça c’est, c’est ma seule joie, c’est peut-être alors des définitions très insuffisantes mais j’ai pas l’impression qu’on les définisse aussi clairement d’habitude. C’est très clair là il me semble là hein euh eh ben, on peut en tirer là comme juste une conséquence pour finir aujourd’hui une contribution à la question importante.

Et Ben l’auteur d’un film c’est qui ? Eliminons tout de suite un des .... Bon, la réponse est que, en général l’auteur du film, c’est le metteur en scène. De dire quoi ? C’est que en effet, un metteur en scène, c’est pas quelqu’un qui est étranger ni au cadrage, ni au découpage, ni au montage. Un metteur en scène qui saurait pas ce que signifie monter et qui laisserait le monteur faire le travail si des metteurs en scène célèbres même pour qui le montage n’est pourtant pas si vous voulez l’essentiel de l’essentiel comme STROHEIM par exemple considère que, un film qu’ils n’ont pas monté cesse d’être un film de... euh, ça il répond bien à la question, c’est évident que le metteur en scène n’est l’auteur du film que si c’est lui qui a déterminé les cadres et si c’est lui qui a déterminé le montage. Bon, cette réponse elle est simple. Mais elle revient à dire l’auteur du film, c’est à la fois celui qui constitue les systèmes artificiels d’objets entrant dans le cadre et là c’est évident, que, je fais guère de différences à ce niveau même si dans la pratique on en fait entre le décorateur et le cadreur.

Euh c’est un mérite de plus, là unifier ces deux fonctions, le décorateur et le cadreur est celui qui choisit les objets strictement même si c’est plusieurs personnes ou si c’est une équipe doivent ne faire qu’un c’est-à-dire là vraîment à un niveau de l’image. Le metteur en scène, c’est-à-dire l’organisateur du découpage et des plans lui aussi son niveau avec lequel il communique concrêtement, et puis il y a qui a l’idée du tout, alors évidemment, le metteur en scène il est l’auteur total du film, si c’est lui qui a déterminé directement ou indirectement cadrage, découpage et l’idée du tout.

Mais est-ce qu’il y a des cas, car il n’y a pas une réponse universelle à Qui est l’auteur ? C’est très variable. Là j’ai mes variables ah ben oui, celui qui remplit toutes ces variables est l’auteur du film. S’il y a deux types qui remplissent les variables, eh ben ça existe le travail à deux ou le travail à petitaine à ce moment là, c’est le groupe qui est l’auteur du film. Si, bon, s’il y a une rencontre parfaite entre décorateur et un metteur en scène, ça s’est vu dans l’expressionnisme allemand. Ben il faut dire, il y a deux auteurs du film c’est pas compliqué et il y a des cas relativement compliqués car chacun peut-être le traître de l’autre.

Ah bon, la trahison dans la création, il y a toujours de la trahison. Et je me dis, qui est-ce qui a ? Alors si on essaye de fixer l’idée du tout qui n’existe pas au cinématographe, qui n’existe pas filmiquement, qui n’existe que comme l’exprimé comme un des plans, des plans manqués.

L’idée du tout, qui c’est qui l’a ? Et alors, en quel sens est-il aussi l’auteur du film ? Je me dis toujours dans l’idéal, je peux définir donc le cadreur, le décorateur, le choisisseur d’objets. Le régisseur idéal par mon premier niveau de l’image, le metteur en scène idéal par mon second niveau est l’idée du tout qui sait qu’il a. Je dirais dans l’idéal, celui qui est chargé de l’idée du tout, c’est le producteur. Alors bien sûr il faut que le metteur en scène soit aussi producteur. Ou bien alors qu’ils s’entendent admirablement avec le producteur. Des producteurs comme ça, bon disons-le tout de suite, il n’y en a plus. Mais euh, problème historique très intéressant, problème historique très intéressant. Il y a en a eu ou est-ce qu’il y en a eu ? Là je ne sais pas assez mais reportez-vous aux histoires du cinéma, je ne sais pas Jean MITRI, il parle peut-être de ça. Euh les grands producteurs d’Hollywood, en quel sens ? Est-ce que ça arrivait ? Le type, le producteur qui pouvait se définir ainsi, j’ai l’idée d’un film à faire. Bien sûr, c’est pas moi qui peux le faire. Et à ce moment là, le metteur en scène devenant vraîment comme l’exécutant du producteur. Je crois que c’est souvent arrivé, que c’est beaucoup arrivé ça. Et inversement alors...j’ai l’idée du tout mais je ne suis pas metteur en scène. Alors bon ça peut avoir des inconvénients même des choses monstrueuses comme, le metteur en scène qu’on change comme un chien, à la belle époque d’Hollywood, hein. Euh oh non entre eux ça va pas. T’es en train de trahir mon idée. Est-ce que le producteur a complètement tort si c’est lui qui a eu l’idée.

Et encore une fois l’idée du film, on lui a donné un certain sens, là. Alors moi, comme je connais rien à toute cette situation, je me dis quand même dans nos concepts, on peut déjà situer ce producteur idéal et constater que sans doute le producteur marécageux dont on entend parler de temps en temps et ben c’est un emploi à l’idéal. Mais et on voit bien pourquoi le cinéma indépendamment même des questions d’argent comporte des producteurs. Les producteurs c’est quand même des types qui, dans l’idéal, encore une fois, ont des idées. Ils ont l’idée d’un film à faire. Qui sait qui va pouvoir le faire ? Bon. Alors je tombe sur un texte des cahiers du cinéma qui fait ma joie et ma ...Et je me dis ah bon, alors je me suis renseigné. Il paraît que c’est un producteur. C’est un type qui s’appelle TOSCAN du PLANTIER. C’est un producteur ...

Etudiante 5 (inaudible) Gilles DELEUZE « Hein ? Cahiers du cinéma numéro 325, juin 81. Et alors, je ne sais pas si c’est mensonge ou vérité dans ce texte, mais c’est un très très beau texte. C’est un texte très très beau. Il est clair que euh TOSCAN du PLANTIER en tant que producteur joue un peu, euh, je suppose. Là je dis tout ce que je dis c’est euh sous ma responsabilité, joue un peu euh le grand producteur d’Hollywood, tel BALMER. Il essaie de subjuguer....inaudible...que bon. Et il dit et c’est ça qui m’intéresse. C’est là-dessus que je voudrais finir. Il nous raconte l’histoire suivante dans cette interview des cahiers très très intéressante. Et je pense que les cahiers l’ont publié à cause de ça, ça leur a jchais pas, enfin euh, il dit voilà, récemment j’ai eu deux idées. Notez bien tous les mots, c’est très important. Récemment, j’ai eu deux idées de film à faire. Alors on a exclu la réponse. La réponse euh, la réponse insolente, l’interruption insolente eh ben pourquoi que tu les a pas faites pauvre type. Ce serait idiot, ce serait idiot, en tant que producteur, il a des idées de tout, un tout un tout c’est-à-dire du cinéma et il cherche quelqu’un pour en faire un film. Bon il dit j’ai eu deux idées, elles étaient bonnes mes deux idées. Et je me suis dit, qui sait qui va pouvoir les réaliser ? Et dans les deux cas, j’ai cru. Il ajoute, il se donne beaucoup. Il a l’air très coquet, je ne sais pas bien qui c’est mais il a l’air très coquet. Il dit eh ben, je me méfiais quand même un peu. Et j’avais rien de mieux comme metteur en scène alors j’ai pris des metteurs en scène, je leur ai dit mon idée et je les ai chargés. Donc ça me paraît très vieille technique Hollywood hein. Encore une fois peut être que c’est pas vrai mais ça nous est égal, je développe un exemple idéal.

Et il dit mes deux idées ça fait ceci : Première idée : Montrer comment dans un milieu pire qu’hostile mais absolûment indifférent euh pire qu’hostile vous avez vu mais indifférent à cela qui va se passer, je pense à COURTOIS là l’évènement, quelque chose va se passer d’incroyable à savoir un petit groupe de femmes que rien ne prédestine à cela va s’emparer d’une espèce de parole. Va prendre la parole et d’une certaine manière imposer sa parole dans un milieu qui vraîment a pas l’habitude, à aucun égard. Et il dit, et c’était ça mon idée du film, LES SŒURS BRONTË. C’est deux films récents hein, les SŒURS BRONTË.

C’était ça son idée, c’est-à-dire là, on voit bien, c’est à la lettre l’idée d’un tout, c’est-à-dire l’idée d’un changement dans un tout ou la production dans quelque chose de nouveau, ça marche très bien avec nos concepts. Trois filles, trois filles que rien ne prédestinât, vont prendre la parole et l’imposer dans des conditions où l’Angleterre à ce moment là, est vraîment pas favorable à une pareille chose. C’est comme ça qu’il voit son idée de film. Et d’un.

Deuxième idée de film qu’il a, il dit eh ben voilà. Il dit et là il devient de plus en plus coquet, il dit moi je me sens toujours une femme. J’ai un devenir-femme très profond qu’il dit. On l’a tous , il a tort de s’atttribuer ça on l’a tous, vous comprenez, j’ai un devenir femme très profond alors je suis très sensible à la situation de la femme, moi. Là-dessus, il serait de la situation de la femme un peu rétro, un peu ....pas terrible. Il dit, moi j’avais une idée, une seconde idée. Faire un film sur, mais vous vous rapporterez au texte, faire un film sur ...en gros je résume mais vous vous reporterez au texte faire un film sur la femme et la valeur marchande.

La femme et la valeur marchande. C’est-à-dire là, on voit son idée, les femmes c’est comme le cinéma, c’est tellement pris dans l’argent, tellement pris dans un système d’argent. Est-ce que c’est vrai encore ? Non, non, je dirai, non TOSCAN du PLANTIER, c’est pas vrai. Mais ça l’a été, surement, c’est pris dans un tel récit, c’est comme la peinture quoi. C’est pourri tout ça. Alors pardonnez moi c’est un lapsus, je veux dire pour la peinture, tellement pris dans de l’argent que c’est fini, c’est ....fini c’est l’argent est corrompu, parce que il y a un marché de la peinture jamais, le marché n’a envahi un art comme la peinture. La musique elle est pas envahie par le marché, sauf hélas certaine...du moins la musique euh... et pas à ce point La littérature, elle n’est pas envahie par le marché. C’est pas grave ce qui se passe avec le marché pour la littérature. Mais là, la peinture c’est vraiment envahi, déterminé, dominé par le marché. Eh ben, les femmes c’est comme la peinture selon, suivant TOSCAN du PLANTIER, c’est comme la peinture, c’est-à-dire, la confrontation à la valeur marchande et consciente. Il faut qu’une femme fasse de l’argent voilà, ou qu’elle en suscite, qu’elle fasse tourner de l’argent qu’elle fasse circuler de l’argent, voilà sa triste condition.

Bon il disait j’avais cette idée et c’est comme ça que je voulais reprendre car c’aurait pas été une idée suffisante euh merde j’ai oublié le nom euh LA DAME AUX CAMELIAS. C’est comme ça dans ...c’est bien une idée...là on peut pas lutter. Si c’est vrai ce qu’il dit il a bien eu une idée. Car considérez LA DAME AUX CAMELIAS sujet très classique, jusqu’à maintenant, ça a pas été considéré comme cela. Considérez la dame aux Camélias comme renvoyant à l’idée de la confrontation de la femme avec perpétuellement de la valeur marchande. A savoir il dit et il dit très bien, et il dit et ben oui, son père la viole. Pour lui, c’est sa version LA DAME AUX CAMELIAS. Son père la viole mais ça lui rapporte de l’argent. Là-dessus il la distribue aux hommes. Il la vend, ça lui re-rapporte de l’argent. Les hommes eux, ils vont se la passer tout ça ; avec des affaires qui en même temps se font en même temps. Tout ça ça rapporte encore de l’argent. Elle a la phtisie, c’est quoi pour elle la phtisie ? Elle c’est trop vraîment il dit spirituellement TOSCAN du PLANTIER, c’est une maladie du travail.

C’est la maladie du travail. Bon et puis elle-même elle a beaucoup d’argent et là-dessus Qu’est-ce qui se passe ? Un petit gars, Alexandre DUMAS fils qui tombe vaguement amoureux d’elle et qui fait quoi ? Qu’est-ce qu’il va faire ? Une pièce, une pièce qui va rapporter de l’argent. La pauvre elle en crève. Tout l’argent qui tourne autour d’elle, qu’elle suscite etc... Donc c’est la femme et la valeur marchande. La femme qui n’echappe pas à une valeur marchande. C’est une idée, c’est vrai, LES SŒURS BRONTË et LA DAME AUX CAMELIAS. Et voilà qu’il dit mon Dieu qu’est-ce qu’il s’est passé ? Je vais choisir mes metteurs en scène. Je leur dis : Voilà l’idée. Voilà le tout. Et moi j’y vois rien de choquant là, c’est toujours dans mon problème Qui est l’auteur du film ? Et qu’est-ce qu’ils font dans le dos ? En effet, j’ai vu l’un des deux films, et c’est vrai ça ce qu’il dit, c’est moins sur que il eut l’idée aussi purement qu’ il le prétend mais surement après tout, non non, il y a toute raison de lui faire confiance. Il dit ben vous ne savez pas ce qu’il m’a fait le metteur en scène des SŒURS BRONTË ? Il m’a transformé ça en histoire de trois soeurs qui ne pensent qu’à une chose : La castration du frère. Il dit quand même j’étais effaré. Alors est-ce que c’est vrai j’ai pas vu le film alors je vais pas.... Etudiante 7 « oui c’est vrai » Gilles DELEUZE « Euh alors vous voyez, l’idée du tout, le tout c’était quoi ? Tel que le producteur idéal le concevait. C’était trois femmes vont à l’extérieur, rompent les barrières, prennent la parole. Bon on peut dire, c’est une mauvaise idée, on peut dire tout ce que vous voulez, c’est une idée. Au contraire, trois femmes se ressèrent autour du frère et le castrent. Je peux dire c’est une autre idée : Tout à fait autrement orienté et si c’est ça en effet, bon, on peut dire une fois de plus c’est pour la, oui enfin la psychanalyse a frappé.

Etudiante 5 « Elles prennent la parole contre l’homme euh... »

Gille DELEUZE « La DAME AUX CAMELIAS, je l’ai vu, là, c’est absolument vrai ce qu’il dit. Le tout a été complètement trahi car ce qu’on voit et ce qui est suggéré constamment et montré dans les images, c’est que la phtisie n’est pas du tout une maladie du travail, mais que c’est une maladie psychosomatique. Maladie psychosomatique qui vient de ceci, de la culpabilité que, la pauvre fille éprouve des relations coupables qu’elle a avec son père. Donc Là à nouveau la psychanalyse a frappé une seconde fois. C’est-à-dire à transformer une bonne idée filmique en lamentable idée psychanalytique. Alors dans un tel cas vous voyez que, en raison de nos critères on peut la poser en effet la question Qui est l’auteur du film ? avec à la fois une réponse relativement constante et les variations correspondant à cette réponse.

Je dis : Est l’auteur du film, celui qui conçoit l’idée, une fois données mes trois instances, celui qui conçoit l’idée et qui détermine les mouvements, c’est-à-dire les mouvements temporels c’est-à-dire les blancs qui vont exprimer l’idée et qui opèrent le cadrage des objets dans lequel une idée se (inaudible) 1 : 02 : 54 ? Mais n’est pas exclu du tout que il y ait soit rencontre entre plusieurs personnes, le cadreur décorateur régisseur que je mettrai encore une fois dans un bloc, le metteur en scène, le producteur. Le producteur idéal, les trois peuvent être réunis dans la même personne. Je dirai le producteur idéal, c’est celui qui conçois l’idée, c’est-à-dire le tout, qui n’a d’existence que conçu. Le metteur en scène, c’est le grand agenceur des plans. Le cadreur-décorateur-régisseur, c’est celui qui détermine pour chaque plan les objets qui entrent. Quand les trois personnes font un, il n’y a pas de problèmes à qui est l’auteur du film. Et je crois qu’il y a un problème possible par exemple entre « Producteur » et « Metteur en scène ».

Dans les cas privilégiés idéaux comme celui que je viens de citer avec toutes les trahisons que vous voulez ...parce que parfois, la trahisons, se fait dans le sens inverse. Evidemment le producteur qui a une idée de merde quoi qui a une idée vraîment nulle, mauvaise et il suffit d’un metteur en scène génial pour engrosser l’idée. Alors c’est à ce niveau qu’on se poserait la question : Qui est l’auteur du film ? La prochaine fois nous continuerons et je vous demanderai instamment de penser à mes soucis et au besoin vous direz ce que vous avez à dire là-dessus.

Etudiante 7 Moravia raconte cette histoire

Gilles DELEUZE oui oui, du producteur, oui mais là c’est un producteur oui, en effet.

me reste toujours quelque chose de très confus en fait qui se rapprocherait de ce que tu dis.C’est-à-dire en quelque sorte j’ai l’impression que euh, ce dont parle Bergson euh ça pourrait s’appliquer effectivement au cinéma. Mais pas du tout au cinéma dont tu as parlé les trois catégories de cinéma dont tu as parlé aujourd’hui. C’est-à-dire que effectivement je verrai dans BERGSON, un certain rapport avec le cinéma mais qui s’appliquerait pour moi, à euh certaines catégories de cinéastes extrêmement récents. Je citerai en particulier GODARD, RESNAIS et Chantal ACKERMAN. Et d’une certaine manière, il me semble que euh, le cinéma dont tu as parlé aujourd’hui en rapport avec BERGSON pour moi se rattache à ce dont parlait BERGSON et dont il essaye de se défaire entre les idéalistes et les matérialistes. C’est-à-dire que, il reste dans ses écoles de cinéma. Il y a le cinéma allemand, le cinéma russe et le cinéma français. Quelque chose de cette dialectique que BERGSON essayait d’éviter euh, bon quand il part d’un premier chapitre de Matière et Mémoire, bon est-ce que le monde extérieur existe en dehors de nous euh. Est-ce que nous existons enfin toute cette dialectique là et ce qu’il me semble c’est que le cinéma effectivement euh est tout à fait en rapport avec cette durée que BERGSON essaye de déterminer mais à partir du moment où il introduit dans le cinéma un élément extérieur et en l’occurrence pour par exemple pour RESNAIS et pour GODARD, ça serait pour moi un certain usage de la voix. Par exemple dans le dernier film de GODARD un certain usage de la musique, c’est-à-dire le personnage et dans une pièce on a l’impression qu’il n’entend la musique que dans sa tête quand il sort la musique continue et il fait sans arrêt un jeu avec trois genres de musiques qui donne une certaine durée du temps mais qu’on peut retrouver par exemple chez des compositeurs comme HAYDN. Enfin bon je sais pas voilà, c’est tout. Gilles DELEUZE « Enfin, là je réponds tout de suite parce que je mesure, je me demande si une des choses qui....ça va pas est-ce que c’est pas une ambiguité dont je suis hélas responsable par le choix du sujet que j’ai fait car ce que tu viens de dire, je conçois très bien que ce serait possible de le faire mais en t’écoutant je me dis, c’est justement ce que je ne voulais pas faire. Je veux dire pas que ce ne soit pas légitime mais ce point m’intéresserait pour moi. Je crois que ça m’intéresserait si c’était quelqu’un d’autre. Etudiante 4 : Je ne dis pas que ça m’intéresse Gilles DELEUZE mais ce que tu dis un peu c’est quitte à faire ce que je me proposais de faire, pourquoi ne pas avoir plutôt cherché des auteurs de films et des films que l’on pourrait d’une manière ou d’une autre dire en effet avoir un certain rapport avec BERGSON et là ceux que tu cites, tu as bien choisi tes citations. Mais ça je ne le veux absolûment pas. Il y a deux choses que je redoutais avant de commencer, ce que je redoutais avant de commencer, ce à quoi je me disais je me disais : Je vais gagner sur tout les tableaux, c’est-à dire mais en tout honneur, je me disais encore une fois, il faut que je donne à ceux qui ne sont pas BERSON et à ceux qui ne sont pas philosophes ou qui viennent pour des raisons de philosophies, une certaine connaissance de BERGSON et ça j’y tiens énormément si bien que je me dis que si ça continue à ne pas aller, je sacrifierai tout à cet aspect, l’aspect commentaire de BERGSON et ce que je voulais en plus, c’était alors presque pour mon compte et avec vous, essayer de former des concepts cinématographiques presque en oubliant que c’était BERGSON qui nous les fournissait ou qui nous les aidait à les fournir et il fallait que ces concepts, ils valent à telle tendance dans le cinéma mais pour le cinéma en général. Un indépendamment de tel film, indépendamment des films. Et ça, si je rate ça c’est que j’ai mal réussi, c’est que j’aurai raté. Et d’autrepart,je ne voulais pas que ces concepts de cinéma soient une applicationde BERGSON, c’est-à-dire de concepts forgés pour d’autres causes au cinéma. Alors en effet, ce que tu dis, on aurait pu le faire.

Etudiante 4 Non mais....attends je ne préfèrerais pas que tu parle de BERGSON par rapport à GODARD ou des gens...Je veux dire, en effet m’intéresse beaucoup plus que tu parles de BERGSON et que bon que tu essaye de parler du cinéma et de voir quels concepts on pourrait en tirer. Je veux dire c’est j’ai parlé de GODARD ou de BERGSON comme ça, c’est que..C’est pour parler de quelque chose qui confusément jusqu’à présent semblait me manquer qui est que, dans BERSON, je trouve cette chose dont tu as parlé et qui est l’existence de trois mouvements, enfin de trois niveaux qui doivent obligatoirement exister pour que quelque chose se passe et que pour le moment la chose qui me met sans arrêt en décalage c’est que dans le cinéma dont tu as parlé, je ne vois que deux mouvements. Ah oui c’est ça.

Gilles DELEUZE : « Ah bon ? Michaël....

Etudiante 4 Comment vous dire là je suis un petit peu embêtée parce que je ne sais pas si il faut que je m’informe de caractères plus techniques du cinéma là je suis un petit peu embêté mais c’est ce que je ressens et c’est pour ça que je parlais de GODARD, de RESNAIS et de gens comme ça qui à mon avis avaient fait intervenir dans le cinéma quelque chose d’autre que le cinéma qui était soit une certaine manière de se servir de la musique, soit une certaine manière de se servir de la voix.

Gilles DELEUZE « Ouais, c’est pas autre chose que le cinéma. Mais que oui, non, c’est pas autre chose

Gilles DELEUZE « - Ouais.... »

Etudiante 4 : - par moments j’ai l’impression qu’il y en a trois et par moments j’ai l’impression qu’il n’y en a que deux. Ce qui me fait penser à chaque fois à ce problème que BERGSON essayait de résoudre c’est-à-dire sortir euh sortir bon des deux dialectiques auquel il est affronté, c’est-à-dire les idéalistes et les matérialistes à propos du problème de la perception. C’est simplement ça. Mais bon effectivement je préfère ton choix de toute manière.

Gilles DELEUZE « - Ouais, ouais ouais ouais »

Gilles DELEUZE « C’est bien parce que en effet on nage dans l’ambiguïté..

Autre étudiant (inaudible)

Gilles DELEUZE oui, ça pour causer oui....Vous réflechissez à notre triste situation. Ah un petit mot. Bon ben alors je termine sur bon ben alors ça fera une terminaison après tout pour redoubler les ambiguïtés. De ce que je viens, des trois niveaux de l’imagerie ....que j’ai essayé de dégager encore une fois c’est pas difficile, c’est des mouvements coexistants et communicants.

-  Déterminer les objets qui entrent dans le plan, c’est ce qu’on appelle le cadrage.
-  Deuxièmement, déterminer le plan comme le mouvement relatif, un qui réunit ses objets, c’est ce qu’on appelle un plan temporel ou une perspective temporelle.
-  Et enfin déterminer leur rapport du plan entre parenthèse avec d’autres plans avec, déterminer le rapport du plan par l’intermédiaire d’autres plans avec l’idée ou le Tout c’est le montage.

Je me dis, ces trois catégories j’ai pas l’impression qu’on les définisse, c’est, c’est ma seule joie, c’est peut-être ma définition très insuffisante mais j’ai pas l’impression qu’on les décrive aussi clairement d’habitude. C’est très clair là le euh eh ben, on peut en tirer juste comme conséquence pour finir aujourd’hui une contribution à la question importante : l’auteur d’un film c’est qui ? Eliminons tout de suite un détail ....Bon, la réponse est que, en général l’auteur du film, c’est le metteur en scène. De dire quoi ?
-  C’est que en effet, un metteur en scène, c’est pas quelqu’un qui est étranger ni au cadrage, ni au découpage, ni au montage. Un metteur en scène qui saurait pas ce que signifie monter et qui laisserait le monteur faire le travail - si des metteurs en scène célèbres même pour qui le montage l’essentiel de l’essentiel, comme STROHEIM par exemple considèrent que, un film qu’ils n’ont pas monté, cesse d’être un film d’eux, ça il répond bien à la question, c’est évident que le metteur en scène n’est l’auteur du film que si c’est lui qui a déterminé les cadres et si c’est lui qui a déterminé le montage.

Bon cette réponse elle est simple. Mais elle revient à dire, l’auteur du film c’est à la fois celui qui constitue les systèmes artificiels d’objets entrant dans le cadre et là, c’est évident que je fais guère de différence à ce niveau, même si dans la pratique, on en fait entre le décorateur et le cadreur. Euh c’est un mérite de plus, là unifier ces deux fonctions, le décorateur et le cadreur et celui qui choisit les objets strictement - même si c’est plusieurs personnes ou si c’est une équipe - doit même ne fait qu’un c’est-à-dire vraîment à un niveau de l’image.

Le metteur en scène, c’est-à-dire l’organisateur du découpage et des plans lui aussi son niveau avec lequel il communique concrêtement, et puis il y a qui a l’idée du Tout, alors évidemment, le metteur en scène il est l’auteur total du film, si c’est lui qui a déterminé directement ou indirectement : cadrage, découpage et l’idée du Tout. Mais est-ce qu’il y a des cas, car il n’y a pas de réponses universelles : à qui est l’auteur ?

C’est très variable. Là j’ai mes variables ah ben oui, celui qui remplit toutes ces variables est l’auteur du film. S’il y a deux types qui remplissent les variables, eh ben ça existe le travail à deux ou le travail à petit n à ce moment là, c’est le groupe qui est l’auteur du film. S’il y a une rencontre parfaite entre un metteur en scène, ben il faut dire, il y a deux auteurs du film c’est pas compliqué et il y a des cas relativement compliqués car chacun peut-être le traître de l’autre. Ah bon, la trahison dans la création, il y a toujours de la trahison. Et je me dis, qui est-ce qui a ? Alors si on essaye, l’idée du Tout qui n’existe pas au cinématographe, qui n’existe pas filmiquement, qui n’existe que comme l’exprimé comme l’un des plans, des plans manqués. L’idée du tout, qui c’est qui l’a ? Et alors, en quel sens est-il ainsi obtenu ? Je me dis toujours dans l’idéal, je peux découvrir le cadreur, décorateur, régisseur idéal par mon premier niveau de l’image, le metteur en scène idéal par mon premier niveau et l’idée du Tout qui sait qu’il l’a ?

Je dirai que dans l’idéal, celui qui est chargé du Tout, c’est le producteur. Alors bien sûr il faut que le metteur en scène soit aussi producteur. Ou bien alors qu’il s’entende admirablement avec le producteur. Des producteurs comme ça, bon disons-le tout de suite, il n’y en a plus. Mais euh, problème historique très intéressant, il y a en a eu ou est-ce qu’il y en a eu, je sais pas assez reportez-vous aux histoires du cinéma, je ne sais pas Jean MITRY, il parle peut-être de ça. Euh les grands producteurs d’Hollywood, en quel sens ? Est-ce que ça arrivait ? Le producteur qui pouvait se définir ainsi :" j’ai l’idée d’un film à faire". Bien sûr, c’est pas moi qui peut le faire. Et à ce moment là, le metteur en scène devenant comme l’exécutant du producteur. Je crois que c’est souvent arrivé, c’est beaucoup arrivé et inversement alors j’ai l’idée du Tout mais je ne suis pas metteur en scène. Bon ça peut avoir des inconvénients même des choses monstrueuses comme le metteur en scène qu’on change comme un chien, à la belle époque d’Hollywood, hein. Euh oh non entre eux ça va pas. T’es en train de trahir mon idée. Est-ce que le metteur en scène c’est lui qui a complètement tort si c’est lui qui a eu l’idée. Et encore une fois l’idée du film, on lui a donné un certain sens, là alors moi, comme je connais rien à toute cette situation, je me dis quand même dans nos concepts, on peut déjà situer ce producteur idéal et constater que sans doute le producteur marécageux dont on entend parler de temps en temps c’est un manquement à l’idéal. Et on voit bien pourquoi le cinéma indépendamment des questions d’argent comporte des producteurs. Les producteurs c’est encore une fois des types qui dans l’idéal ont des idées. Ils ont l’idée d’un film à faire. Qui sait qui va pouvoir le faire ? Alors je tombe sur un texte des cahiers du cinéma qui fait ma joie et ma ...euh et je me dis ah bon, alors je me suis renseigné. Il paraît que c’est un producteur. C’est un type qui s’appelle TOSCAN du PLANTIER. C’est un producteur ...

Etudiante 4 (inaudible)

Gilles DELEUZE « Cahiers du cinéma numéro 325, juin 81. Et alors, je ne sais pas si c’est mensonge ou vérité dans ce texte, mais c’est un très très beau texte. C’est un texte très très beau. Il est clair que TOSCAN DUPLANTIER en tant que producteur joue un peu, je suppose. Là je dis tout ce que je dis c’est sous ma responsabilité, joue un peu le grand producteur d’Hollywood, tel BALMER. Il essaie de subjuguer. Et il dit et c’est ça qui m’intéresse. C’est là-dessus que je voudrais finir. Il nous raconte l’histoire suivante dans cette interview des cahiers très très intéressante. Et je pense que les cahiers l’ont publié à cause de ça, ça leur a.. je sais pas, enfin euh, il dit : "voilà, récemment j’ai eu deux idées". retenez bien tous les mots, c’est très important. Récemment, j’ai eu deux idées de film à faire. Alors on a exclu la réponse. La réponse euh, la réponse insolente, l’interruption insolente : "eh bien pourquoi tu les a pas faites, pauvre type ! Ce serait idiot, ce serait idiot, en tant que producteur, il a des idées de Tout, un Tout c’est-à-dire du cinéma et il cherche quelqu’un pour en faire un film. Bon il dit j’ai eu deux idées, elles étaient bonnes, mes deux idées. Et je me suis dit, qui sait qui va pouvoir les réaliser et dans les deux cas, j’ai cru. Il ajoute il se donne beaucoup. Il a l’air très coquet, je ne sais pas qui c’est mais il a l’air très coquet. Il dit : "eh ben, je me méfiais quand même un peu ! Mais j’avais rien de mieux comme metteur en scène alors j’ai pris des metteurs en scène, je leur ai dit mon idée et je les ai chargés". Donc ça me paraît très vieille technique Hollywood hein. Au fond peut-être que c’est pas vrai mais ça nous est égal, je vais donc un exemple ici idéal. Et il dit mes deux idées ça fait ceci.
-  Première idée : Montrer comment dans un milieu pire qu’hostile, mais absolument indifférent euh pire qu’hostile vous indifférent à cela qui va se passer, je pense à toi là, " évènement", quelque chose va se passer d’incroyable à savoir un petit groupe de femmes que rien ne prédestine à cela va s’emparer d’une espèce de parole. Va prendre la parole et d’une certaine manière imposer sa parole dans un milieu qui vraîment n’a pas l’habitude, à aucun égard. Et il dit, et c’était ça mon idée du film, "les sœurs Bronté". C’est deux films récents, "les sœurs Bronté". C’était ça son idée, on voit bien, c’est à la lettre, l’idée d’un Tout, c’est-à-dire l’idée d’un changement dans un Tout ou la production d’un quelque chose de nouveau, ça marche pas bien avec nos concepts. Trois filles, trois filles que rien ne prédestine, vont prendre la parole et l’imposer dans des conditions où l’Angleterre à ce moment là n’est vraîment pas favorable à une pareille chose, c’est comme ça qu’il voit son idée de film.

-  deuxième idée de film qu’il a, il dit : eh ben voilà. Il dit et là il devient de plus en plus coquet, il dit moi je me sens toujours une femme. J’ai un devenir-femme très profond - on l’a tous, il a tort de s’atttribuer ça on l’a tous - il dit j’ai un devenir femme très profond alors je suis très sensible à la situation de la femme. Là-dessus, il serait de la situation de la femme un peu rétro, un peu ....pas terrible. Il dit, moi j’avais une idée, une seconde idée. Faire un film sur, en gros je résume mais vous vous rapporterez au texte - faire un film sur la femme et la valeur marchande. La femme et la valeur marchande. C’est-à-dire là, on voit son idée, les femmes c’est comme le cinéma, c’est tellement pris dans l’argent, tellement pris dans un système d’argent. Est-ce que c’est vrai encore ? Non, non, je dirai, non TOSCAN du PLANTIER, c’est pas vrai ! Mais ça l’a été, surement - c’est pris dans un tel récit, c’est comme la peinture quoi. C’est pourri tout ça. Alors pardonnez moi c’est un lapsus, je veux dire pour la peinture - tellement pris dans de l’argent que c’est fini, c’est ....fini - l’argent a corrompu - parce que il y a un marché de la peinture jamais, le marché n’a envahi un art comme la peinture. La musique elle est pas envahie par le marché - sauf hélas du moins la musique et pas à ce point la littérature. La littérature elle est pas envahie par le marché. C’est pas grave ce qui se passe avec le marché. Mais la peinture c’est vraiment envahi, déterminé par le marché. Eh ben, les femmes c’est comme la peinture suivant TOSCAN du PLANTIER, c’est comme la peinture, c’est-à-dire, la confrontation à la valeur marchande et consciente.

Il faut qu’une femme fasse de l’argent ou qu’elle en suscite, qu’elle fasse tourner de l’argent, qu’elle fasse circuler l’argent, voilà sa triste condition. Bon il disait j’avais cette idée et c’est comme ça que je voulais reprendre car c’aurait pas été une idée suffisante euh merde j’ai oublié le nom euh "La Dame aux Camélias". C’est comme ça dans ...c’est bien une idée...là on peut pas lutter. Si c’est vrai ce qu’il dit il a bien eu une idée.

Car considérez la dame aux Camélias, sujet très classique, jusqu’à maintenant, ça n’a pas été considéré comme cela. Considérez la dame aux Camélias comme renvoyant à l’idée de la confrontation de la femme avec perpétuellement de la valeur marchande. A savoir il dit et il dit très bien, et il dit ben oui : son père la viole. Pour lui, c’est sa version de "La Dame aux Camélias". Son père la viole mais ça lui rapporte de l’argent. Là-dessus il la distribue aux hommes. Il la vend, ça lui re-rapporte de l’argent. Les hommes eux, ils vont se la passer, tout ça - avec des affaires qui en même temps.. se font en même temps. Tout ça ça rapporte encore de l’argent. Elle a la phtisie, c’est quoi pour elle la phtisie ? Elle, c’est trop vraîment il dit spitrituellement Toscan du plantier, c’est une maladie du travail. C’est une maladie du travail. Bon et puis elle-même elle a beaucoup d’argent et là-dessus qu’est-ce qui se passe ? Un petit gars, Alexandre DUMAS fils qui tombe vaguement amoureux d’elle et qui fait quoi ? Qu’est-ce qu’il va faire ? Une pièce, une pièce qui va rapporter de l’argent. La pauvre elle en crève. Tout l’argent qui tourne autour d’elle, qu’elle suscite. Donc c’est la femme et la valeur marchande. La femme qui n’echappe pas à une valeur marchande.

C’est une idée, si ce qu’il dit est vrai il a eu deux idées : les sœurs Bronté et La Dame aux Camélias. Et voilà qu’il dit mon Dieu qu’est-ce qu’il s’est passé. Je vais choisir mes metteurs en scène. Je leur dis : Voilà l’idée. Voilà le Tout. Moi j’y vois rien de choquant là,
-  c’est toujours dans mon problème qui est l’auteur du film. Et qu’est-ce qu’ils font dans le dos ? En effet, j’ai vu l’un des deux films, et c’est vrai ça ce qu’il dit, c’est moins sur qu’ il eut l’idée comme il le prétend mais surement après tout, non non, il y a toute raison de lui faire confiance. Il dit ben vous ne savez pas ce qu’il m’a fait le metteur en scène des Sœurs Brontë ? Il m’a transformé ça en histoire de trois heures qui ne pensent qu’à une chose : La castration du frère. Il dit quand même j’étais effaré. Alors est-ce que c’est vrai j’ai pas vu le film alors je veux pas....

Etudiante 4 « oui c’est vrai »

Gilles DELEUZE « Euh vous voyez, l’idée du Tout, le Tout c’était quoi ? Tel que le producteur idéal le concevait. C’était trois femmes vont à l’extérieur, rompent les barrières, prennent la parole. Bon on peut dire, c’est une mauvaise idée, on peut dire tout ce que vous voulez, c’est une idée. Au contraire, trois femmes se ressèrent autour du frère et le castrent. Je peux dire c’est une autre idée : tout à fait autrement orientée et si c’est ça en effet, bon une fois de plus : la psychanalyse a frappé. Etudiante 4 « Oui la femme contre l’homme euh... »

Gille DELEUZE « La Dame aux Camélias, je l’ai vu, là, c’est absolument vrai ce qu’il dit. Le Tout a été complètement trahi car ce qu’on voit et qui a été suggéré constamment et montré dans les images, c’est que la phtisie n’est pas du tout une maladie du travail, mais que c’est une maladie psychosomatique. Maladie psychosomatique qui vient de ceci : qui vient de la culpabilité que la pauvre fille éprouve des relations coupables qu’elle a avec son père. Là à nouveau la psychanalyse a frappé une seconde fois. C’est-à-dire à transformer une bonne idée filmique en lamentable idée psychanalytique. Alors dans un tel cas vous voyez que, en raison de nos critères, on peut en effet poser la question : qui est l’auteur du film ? avec à la fois une réponse relativement constante et les variations correspondant à cette réponse.

Je dis : Est l’auteur du film, celui qui conçoit l’idée - une fois données mes trois instances - celui qui conçoit l’idée et qui détermine les mouvements c’est-à-dire les mouvements temporels c’est-à-dire les blancs qui vont exprimer l’idée et qui opèrent le cadrage des objets dans lequel une idée se réalisera ? Mais n’est pas exclu du tout que il y ait soit rencontre entre plusieurs personnes, le cadreur décorateur régisseur que je mettrai encore une fois dans un bloc, le metteur en scène, le producteur. Le producteur idéal, les trois peuvent être réunis dans la même personne, je dirai le producteur idéal, c’est celui qui conçoit l’idée, c’est-à-dire le Tout, qui n’a d’existence que conçu.
-  Le metteur en scène, c’est le grand agenceur des plans.
-  Le cadreur-décorateur-régisseur, c’est celui qui détermine pour chaque plan, les objets qui y entrent.

Quand les trois personnes font un, il n’y a pas de problème quel est l’auteur du film. Et je crois qu’il y a un problème possible par exemple entre producteur et metteur en scène. Dans les cas privilégiés idéaux comme celui que je viens de citer, avec toutes les trahisons que vous voulez parce que parfois la trahison se fait dans le sens inverse. Evidemment le producteur qui a une idée de merde quoi, qui a une idée vraîment nulle, mauvaise et il suffit d’un metteur en scène génial pour engrosser l’idée. Alors c’est à ce niveau qu’on se poserait la question : Qui est l’auteur du film ? La prochaine fois nous continuerons et je vous demanderaiinstamment de penser à mes soucis et au besoin vous direz ce que vous avez à dire là-dessus.

Etudiante : Moravia raconte cette histoire du producteur. Gilles DELEUZE oui oui, mais là c’est ...

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