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Gilles Deleuze - Spinoza transcription : Thomas HARLAY - Jean-Charles Jarrell

06/01/81 - 1

Un silence de marbre... Alors, on continue à aller très doucement parce que, pour suivre votre propre lecture... (rires). L’idée même que ça vous fasse rire, c’est très très inquiétant... Et aujourd’hui, je voudrais vraiment aller presque par numéros, pour que vous compreniez la succession des problèmes.

Et je dis donc, premièrement, voilà... Premièrement, pour aujourd’hui, et bien... forcément : où en sommes-nous ? Ça va être très rapide, où nous en sommes... Finalement, on a acquis vaguement, au niveau... vous voyez, on est en train de chercher, depuis plusieurs fois, quel est le statut des modes, puisque le statut des modes, c’est vraiment ça qui constitue « l’Éthique ». Bon, et bien, on commence à apercevoir, même confusément, un certain statut de ce que Spinoza appelle les modes, c’est-à-dire vous, ou moi, ou la table, ou n’importe quoi. C’est-à-dire : le mode, c’est ce qui est. C’est « l’étant ». Le statut de tout « étant », finalement, c’est quoi ? Imaginons... Parce qu’on ne sait pas encore si c’est vrai, tout ce que nous dit Spinoza... C’est évident que c’est vrai ! C’est tellement beau, tellement profond, c’est vrai ! Ça ne peut pas être autrement, ça se passe comme il dit, quoi, les choses... Or, comment il dit que ça se passe ? Et bien, il dit que ce qui constitue une chose, c’est finalement un ensemble extrêmement complexe de rapports.

J’insiste sur la nécessité d’aller lentement, parce qu’il faudrait presque qu’à chaque phrase on se dise : Ah bon ? Ben oui, mais ce n’est pas formidable ce qu’il dit, là... ça a été dit, déjà, tout ça... Et puis qu’on pressente aussi que ce n’est pas vrai... Ce qu’il en tire, c’est quelque chose d’absolument nouveau, de très très curieux. Il dit : Vous comprenez, un corps, ou une chose, ou n’importe quoi, ou un animal, ou vous, ou moi, chacun de nous est constitué par un ensemble de rapports. Appelons ces rapports : rapports constitutifs. Là, je le dis par commodité, ce n’est pas un mot qu’il emploie, mais je dis : des rapports constitutifs. Ces rapports -on a vu, et c’était très vague... on les a baptisés d’après les expressions même de Spinoza, mais on ne sait pas encore ce que ça veut dire : rapports de mouvement et de repos. Et de repos. Entre quoi s’établissent ces rapports ? Des rapports impliquent des termes -on reste toujours très dans le vague, pour le moment... Lui dirait : entre particules. Nous, notre vocabulaire s’est enrichi depuis, on pourrait dire : c’est des rapports entre molécules, et puis composantes de molécules, finalement on tomberait aussi sur « rapports entre des particules ». On ne sait pas encore du tout d’où viennent ces particules. Ça, on n’a pas vu, on procède par ordre...

Donc je suis constitué par un ensemble de rapports dits constitutifs, rapports de mouvement et de repos qui s’établissent entre particules.

Qu’est ce que ça veut dire un ensemble de rapports ? Ça veut dire que mes rapports constitutifs sont les miens en quel sens ? Il n’y a pas encore de « moi ». Qu’est ce que ça veut dire, « moi » ? Donc, qu’est-ce qui va définir l’ensemble des rapports constitutifs de telle chose comme un ensemble « un », lorsque je dis un corps. Là, on n’a pas le choix... Il faut bien que d’une certaine manière, ce que j’appelle « mes rapports constitutifs » ne cessent de se composer les uns les autres, et de se décomposer les uns dans les autres, c’est-à-dire : ils ne cessent de passer les uns dans les autres dans les deux sens. Dans le sens d’une plus grande complexité, et dans le sens d’une analyse, d’une décomposition. Et si je peux dire : ce sont mes rapports constitutifs, c’est parce qu’il y a ce mode de pénétration des rapports, d’interpénétration des rapports, tels que mes rapports les plus simples ne cessent de se composer entre eux pour former mes rapports les plus complexes, et mes rapports les plus complexes ne cessent de se décomposer les uns les autres au profit des plus simples. Il y a une espèce de circulation qui va définir ou qui va être définie par l’ensemble des rapports qui me constituent.

Je prends un exemple d’après une lettre de Spinoza, pas une lettre à Blyenbergh, d’après une lettre à quelqu’un d’autre, je crois que c’est la lettre 32 (confusion supprimée). C’est un texte où il va assez loin dans l’analyse des rapports, oui c’est 32 : lettre à Oldenburg. Il prend l’exemple du sang et il dit : Et bien voilà, classiquement, on dit que le sang a deux parties, le chyle et la lymphe. Aujourd’hui, on ne dit plus ça, mais aucune importance. Ce que la biologie du 17ème siècle appelle le chyle et la lymphe, ça n’est plus ce qu’on appelle aujourd’hui le chyle et la lymphe, c’est pas grave. En gros, si vous voulez, pour une grossière analogie, disons que le chyle et la lymphe, c’est un peu comme globule blanc et globule rouge. Alors, très bien, le sang a deux composantes : le chyle et la lymphe. Comprenez ce que ça veut dire... Et là-dessus, il explique... Bien... Je dirais : le chyle et la lymphe sont eux-mêmes deux systèmes de rapports entre particules. C’est pas des corps simples, il n’y a pas de corps simples. Les corps simples, c’est les particules, c’est tout. Mais lorsque je qualifie un ensemble de particules en disant : ça c’est du chyle et ça c’est de la lymphe, c’est que j’ai déjà défini un ensemble de rapports. Donc le chyle et la lymphe, c’est, déjà, deux ensembles de rapports. Ils se composent l’un l’autre, ils sont de telles natures qu’ils se composent, pour former un troisième rapport. Ce troisième rapport, je l’appelle « sang ».

Donc, le sang sera, si vous voulez, un corps de seconde puissance, si j’appelle chyle et lymphe corps de première puissance - c’est arbitraire, parce que je commence là. Je dirai le chyle et la lymphe : corps de première puissance. Ils sont définis par : un rapport de mouvement et de repos chacun. Ces rapports conviennent. Vous voyez ce que ça veut dire : deux rapports conviennent lorsqu’ils se composent directement, l’un avec l’autre. Ces deux rapports conviennent. Bon, s’ils conviennent, ils se composent directement. S’ils se composent directement, ils composent un troisième rapport, plus complexe. Ce troisième rapport plus complexe, appelons-le « corps de seconde puissance ». Ce sera le sang. Mon sang. Après tout, mon sang, c’est pas celui du voisin.

Mon sang à son tour, corps de seconde puissance, se compose directement avec d’autres éléments organiques. Par exemple avec mes tissus qui, eux, sont aussi des corps, les tissus... Ils se composent directement avec des tissus, des corps-tissus, pour donner un corps de troisième puissance, à savoir : mes muscles irrigués -les jours où ils le sont... Vous me suivez ? Et cætera et cætera... Je peux dire que, à la limite, je suis un corps de « n » puissances. Or, qu’est-ce qui assure, finalement, ma durée ? Ce qui assure ma durée, c’est-à-dire ma persistance... Car une telle conception des corps implique qu’ils vont être définis par la persistance. Vous voyez déjà où le thème de la durée peut s’accrocher concrètement... C’est curieux comme c’est très concret, tout ça... C’est une théorie du corps très simple, très sûre d’elle...

La persistance, c’est quoi ? Le fait que je persévère, la persévérance... Je persévère en moi-même. Je persévère en moi-même pour autant que cet ensemble de rapports de rapports, qui me constitue, est tel que les rapports les plus complexes ne cessent de passer dans les moins complexes, et les moins complexes ne cessent de reconstituer les plus complexes. Il y a une circulation des rapports. Et en effet, ils ne cessent pas de se défaire, de se refaire. Par exemple, je prends des notions vraiment élémentaires de biologie actuelle, je ne cesse pas de refaire de l’os. C’est-à-dire, l’os, c’est un système de rapports de mouvements et de repos. Vous me direz qu’on ne voit pas tellement que ça bouge, sauf dans le mouvement volontaire... Mais oui, si, ça bouge, ça bouge, c’est un système de rapports de mouvements et de repos entre particules.

Mais ce rapport, il ne cesse pas de se défaire. J’emprunte des réserves à mes os, j’emprunte des réserves minérales à mes os, tout le temps... Il faut imaginer l’os en durée, et pas en spatialité. En spatialité, ce n’est rien, c’est un squelette, c’est de la mort... Mais l’os en persévérance, en durée, c’est simplement ceci : c’est que le rapport de mouvement et de repos entre particules que l’os représente ne cesse de se défaire -à savoir : j’emprunte les réserves minérales de mes os pour survivre, et de se refaire -à savoir : les os empruntent aux aliments que j’absorbe des réserves minérales de reconstitution. Donc, l’organisme, c’est un phénomène de durée, beaucoup plus que de spatialité. Et, vous voyez, ce que je vais appeler persévérance, ou durée, au moins j’ai une première définition spinozienne, spinoziste, de la persévérance.

Et c’est pour ça que vous remarquez -ça j’y fais allusion pour ceux qui avaient suivi ce moment-, dans les problèmes que Contesse avait soulevés, moi je disais : mon cheminement serait de comprendre, une fois dit que dans Spinoza apparaît constamment la formule « tendance à persévérer dans l’être », je disais : moi je ne peux comprendre « tendance » que comme survenant en seconde détermination conceptuelle. L’idée de persévérance chez Spinoza est première par rapport à celle de « tendance à persévérer ». Comment la persévérance va-t-elle devenir une « tendance à persévérer », il me semble que c’est comme ça qu’on peut poser le problème.

Mais, si j’avais bien compris -là on y reviendra quand j’en aurais fini avec tout ça-, un autre point de vue peut être le point de vue de Comtesse, qui lui tendrait à dire : ah ben non, dans « conatus », dans « tendre à persévérer », ce qui est fondamental, c’est « tendance », et pas « persévérance ». Ça peut être un point de vue de lecture très légitime, qui donnerait une lecture un peu différente, je suppose pas opposée, mais un peu différente... Mais pour moi, si vous voulez, je suis ainsi fait - je ne sais pas, chacun ses modes de lecture-, que je comprends que dans l’expression « tendre à persévérer dans l’être », je comprends « persévérer » avant d’avoir compris « tendance ». Et je dis, la persévérance, vous voyez bien ce que c’est... C’est autant qu’un organisme dure, si peu qu’il dure, c’est le fait qu’il dure essentiellement. Et pourquoi dure-t-il essentiellement ? Parce qu’il ne peut être défini par un ensemble de rapports de mouvements et de repos que si ces rapports de mouvements et de repos ne cessent de passer les uns dans les autres, de se décomposer et de se recomposer. Et c’est ça la persévérance, c’est cette communication des rapports.

Alors, c’est toujours là où nous en sommes... Mais là-dessus, vous comprenez que je viens d’essayer de définir une espèce de persévérance, ou, je pourrais dire, de « consistance » de chaque chose. Je dirais chaque chose consiste ou persévère dans la mesure où les rapports qui la constituent ne cessent de passer les uns dans les autres, c’est-à-dire de se décomposer du plus complexe au plus simple, et de se recomposer du plus simple au plus complexe. Et voilà ! Du coup, j’ai une certaine autonomie de ce que j’appelle « une chose », j’ai défini le « un » de une chose. En quoi une chose est-elle une ? C’est une définition, il me semble, originale de « une ».

Vous voyez, en effet, pourquoi il est forcé de dire ça, Spinoza ? C’est pour notre joie qu’il fait tout ça ! Mais pourquoi il est forcé ? Il n’a pas le choix, d’une certaine manière... Puisqu’en définissant les choses, les êtres, les « étant », comme des modes, il s’est interdit de les considérer comme des substances. Donc leur unité, l’unité de chaque chose, il ne peut pas la définir de manière substantielle. Donc son issue, c’est qu’il va la définir comme système de rapports, c’est-à-dire le contraire d’une substance. Et sa force, c’est d’arriver si simplement, avec vraiment une grande sobriété, une grande simplicité, à nous dire ce que peut vouloir dire « un » au niveau d’un ensemble de rapports multiples. Chaque chose est constituée par un ensemble de rapports multiples. « Ah bon ! Mais en quoi est-elle une ? » Ce n’est pas difficile, réponse très stricte et très rigoureuse : ses rapports ne cessent de passer les uns dans les autres, c’est-à-dire de se décomposer et de se recomposer. C’est ça qui fait le « un » de « une chose ».

Alors, alors, alors, toujours dans ce premièrement, où nous en sommes ? Mais cette chose, elle baigne dans un milieu lui-même modal, pas substantiel, un milieu modal d’autres choses. Il y a d’autres choses, il n’y a pas une seule chose. Pourquoi il n’y a pas un seul mode ? Vous avez déjà deviné, c’est parce que s’il y avait un seul mode, ce serait la substance. S’il y avait un seul « étant », ce serait l’être. Il faut bien qu’il y ait des "étant", il faut qu’il y ait des modes, une infinité infinie de modes, puisque (confusion supprimée) l’être se dit de l’étant, l’être se dit du mode. Mais le mode, lui, est multiple. Donc, il y a d’autres choses et ces autres choses, il y en a qui me sont complètement étrangères, avec lesquelles j’ai rien à faire, mais il y en a qui agissent sur moi. Et ces autres choses, elles sont exactement comme moi, elles aussi pour leurs comptes, elles sont systèmes de rapports qui passent les uns dans les autres, ce par quoi la chose, toute chose persévère. Que toute chose persévère, c’est vrai de tout. Il n’y a pas que les organismes, c’est vrai de tout : la table persévère. Et la table aussi, elle est système de rapports de mouvements et de repos qui passent les uns dans les autres, ce par quoi je dis « une » table.

Bien... Donc, il y a d’autres choses qui agissent sur moi. Et bien, parmi ces choses, de mon point de vue - vous voyez ce que ça veut dire « mon point de vue », quel est mon point de vue ? Pourquoi je peux parler déjà de mon point de vue ?

Mon point de vue, on vient de le définir, c’est le point de vue de ma persévérance. C’est-à-dire, mon point de vue, c’est le point de vue de l’ensemble des rapports qui me composent, et qui ne cessent de se décomposer les uns dans les autres, et de se recomposer les uns les autres. C’est ça mon point de vue. De mon point de vue, je dirai que certaines de ces choses extérieures me sont bonnes - sont bonnes, ou me sont bonnes c’est pareil -, et que d’autres me sont mauvaises. Ou, mot encore employé par Spinoza, que certaines me conviennent, que d’autres me disconviennent.

Je vis sur le mode de : « Tiens, ça, ça me convient... Ah non, ça, ça ne me convient pas... » Mais qu’est-ce que ça veut dire ? C’est pas des jugements de goût « ça me convient, ça ne me convient pas ». Qu’est-ce qu’une chose mauvaise ? Une chose mauvaise c’est une chose dont le rapport décompose tout ou partie de mes rapports constituants. C’est-à-dire : elle force mes particules à prendre un tout autre rapport qui ne correspond pas à mon ensemble. Ça, c’est mauvais, c’est poison ! J’ai le modèle du poison, là, dès le début : le poison décompose un de mes rapports constituants, il détruit un de mes rapports constituants, par là même il est mauvais.

Vous voyez que déjà, il faudrait dire : Ah bien oui, on prend « décomposer » en deux sens, puisque du point de vue de la persévérance, les rapports qui me constituent ne cessent de se décomposer et de se recomposer. Mais ça veut dire : le rapport complexe passe dans les rapports simples, et les rapports simples redonnent le rapport complexe. Tandis que l’autre décomposition, lorsque le poison agit sur moi, là c’est une décomposition d’un type tout à fait différent. A savoir : un de mes rapports est détruit, ou bien à la limite tous mes rapports sont détruits. C’est-à-dire : mes particules prennent de tout autres rapports. En d’autres termes, je suis malade ou je meurs.

On a donc une définition assez stricte, même très stricte, du « mauvais ». Est mauvais... Une chose ne peut être dite mauvaise que d’un certain point de vue, c’est-à-dire du point de vue du corps dont la chose décompose un rapport. Donc, lorsque Spinoza disait : « Et bien, c’est pas difficile, Dieu n’a absolument rien défendu à Adam, Dieu a simplement révélé à Adam que si Adam mangeait du fruit, Adam serait empoisonné », vous voyez ce que ça veut dire en toute rigueur spinoziste... Ça veut dire : Dieu a révélé à Adam que s’il mangeait du fruit, un de ses rapports, ou même tous ses rapports constituants, seraient décomposés. Ce ne serait plus jamais le même Adam. Ce ne serait plus le même... Comme quand on a subit une épreuve, ou qu’on est passé par un poison violent, et que l’on dit : « ah non ! Je ne serai plus jamais le même ! » Voilà, ça c’est le mauvais !

Vous comprenez du coup ce que c’est que le « bon ». Le bon : sera dite bonne toute chose dont le ou les rapports se composent directement - j’insiste sur l’importance de directement -, directement avec les miens, directement ou avec peu d’intermédiaires. Par exemple, là -mais peut-être cet exemple nous entraînera dans un autre... dans une analyse plus subtile, tout à l’heure -, je respire, l’air est bon pour moi. Quel air d’abord ? Quel air ? Ça dépend. Mettons... En gros, l’air est bon pour moi. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le rapport constituant de l’air se compose - je mets entre guillemets, « directement », avec un de mes rapports constituants. Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? En fait, ce n’est pas si simple que ça ! Mais vous voyez, ce que veut dire, quand même... c’est pour que vous pressentiez ce que veut dire « directement ». Pas si simple que ça, parce que mon rapport constituant en question, par rapport à l’air, c’est quoi ? C’est le rapport constituant qui va définir les poumons.

Par rapport à l’air, ce rapport constituant, ce rapport que j’appelle par commodité "pulmonaire", les poumons, c’est un système de rapports de mouvements et de repos entre particules. Et bien, les poumons respirent, ça veut dire : ils décomposent le rapport constituant de l’air. Ils le décomposent pourquoi ? Pour s’approprier la partie de l’air qui leur convient, mettons, pour ne pas compliquer, l’oxygène. Si je suis un poisson et que j’ai des branchies, là c’est avec de l’eau, c’est l’eau qui me convient. Parce que les branchies, c’est un autre système de rapports de mouvement et de repos, qui est capable de décomposer le rapport constituant de l’eau pour en extraire l’oxygène. Mais moi je ne suis pas capable. Bien plus - là on voit que les choses sont extrêmement individuelles... tout dépend de l’état de vos poumons. Est-ce que vous pouvez supporter un air avec fort oxygène, avec grande proportion d’oxygène ? Il y a des cas où vous ne pouvez pas supporter. Trop d’oxygène, ça veut dire quoi, ça ? Trop d’oxygène, ça va être une chose bizarre... C’est que dans un air trop chargé d’oxygène, vous ne pouvez pas faire -dans certains cas, je dis dans certains cas... vous ne pouvez pas faire votre extraction. Vous voyez, c’est tout un monde des modes qui est extrêmement varié.

Mais vous voyez ce que veut dire « bon », en gros... Est mauvais ce dont le rapport décompose le plus directement possible un de mes rapports. Est bon ce dont le rapport se compose le plus directement possible, assez directement, avec un de mes rapports. Très bien... La différence entre l’aliment et un poison, c’est ça. L’arsenic, mettons - je reviens à cet exemple, puisqu’il y a un texte de Spinoza sur le fruit qui agit comme poison, un autre texte sur le sang... Prenez un poison qui décompose le sang. On voit comment il agit. Je disais, dans l’état de santé vous avez chyle-lymphe, qui ne cessent de composer le sang. Le sang qui ne cesse de se décomposer en chyle-lymphe. Chyle-lymphe qui reconstituent le sang. Très bien... Lorsque vous absorbez un poison qui décompose le sang, voilà que le rapport constituant du sang, il est détruit ! Par exemple, excès de globules blancs, tout ce que vous voulez... Enfin... Vous pouvez vous-même inventer les exemples...

Alors voilà. Il faudrait que ça, ce soit très clair, parce que si ça c’est pas très clair, ça, c’est..... Mais ce n’est que le résumé de ce à quoi on était arrivé comme statut du mode. Vous voyez, c’est très fort de définir une chose comme un... vraiment, un complexe de relations. Vous me direz, d’une certaine manière, ça va de soi. Ça va de soi, mais ça implique un tel choix... Vous comprenez toute l’idée de l’arrière tête, à savoir « les autres », tout ce qu’il y a comme sous-entendus... Les autres philosophes ont cru qu’ils ne pouvaient définir l’individu que comme substantiel. Et Spinoza nous dit : mais pas du tout, l’individu, ce n’est pas une substance... Ça, d’Aristote à Descartes, il y a au moins un point commun. Ils varient tous sur la compréhension et la définition de la substance, mais d’Aristote à Descartes, l’accord est absolu - y compris Leibniz après Descartes... Jusqu’à Leibniz, l’accord de la tradition philosophique - je ne dis pas qu’il n’y avait pas des penseurs étranges qui déjà avaient mis ce point en question - considérait qu’on ne pouvait définir un, un corps, que par référence à la catégorie de substance, un individu que par la substance.

Question : Et chez Spinoza, est-ce qu’on peut dire que la substance ou le substrat supporte les relations, les rapports ( Deleuze : Non ! ), ou bien que les relations sont antérieures à la substance ?

Deleuze : Non, ni l’un ni l’autre. À mon avis, ni l’un ni l’autre. Non. Il faudra une forme de relation complètement originale, qui sera la relation de la substance et des modes. Mais ça, on ne pourra le voir que quand on passera au versant ontologique, puisque là c’est l’Éthique. Oui, ça c’est une bonne question, quel sera le rapport de la substance et des modes ? Mais ça dépasse de loin ce que je suis en train de ...

Question inaudible

Deleuze : 32. Sur le sang, oui... Oui, très belle lettre, où il parle de l’unité de la Nature, puisqu’à la limite, il n’y a qu’une seule et même Nature, la Nature étant l’infinité des rapports qui passent les uns dans les autres. Donc, c’est ça la Nature avec un grand « N ».

Bon, je passe à mon deuxième point. Il va aller très vite, lui... Je viens de dire : il y a deux sortes de décomposition lorsque je dis « un rapport est décomposé ». Il y a une décomposition circulation, qui celle-là est bonne et appartient à la persévérance. Encore une fois, mes rapports complexes ne cessent de se décomposer, en même temps que mes rapports simples ne cessent de recomposer des rapports complexes. Donc c’est une décomposition-recomposition, qui appartient à la persévérance. C’est une décomposition-circulation.

Mais on a vu que lorsque je dis : « le poison décompose un de mes rapports », il ne s’agit plus de ça du tout, il s’agit d’une décomposition destruction. Un de mes rapports est détruit par le rapport constitutif du poison. Par exemple, mon sang qui est défini par un rapport, et bien... voila ! Vous me suivez ? Qu’est ce que ça veut dire « un rapport est détruit » ? Hein, qu’est ce que ça veut dire ? Et bien, c’est très rigolo, chez Spinoza, c’est... il ne le dit pas, mais c’est comme si il le disait. Il y a des choses, il faut les savoir par cœur. Ce serait très bon de savoir par cœur l’Éthique. Apprenez-là par cœur (rires). Si, s’il y a des textes qu’on apprend par cœur, s’il y en a un en philosophie, c’est l’Éthique. Apprendre Kant par cœur, aucun sens ! Ça sert à rien. Apprendre par cœur Spinoza, ça sert pour la vie. Vous vous dites, dans chaque condition de la vie, vous vous dîtes « ah bon... à quelle proposition ça renvoie, ça ? » Et il y en a toujours une, dans Spinoza. Donc, ça peut vous servir beaucoup.

Alors, bon ! Un de mes rapports est détruit, qu’est-ce que ça veut dire ? Très rigoureusement, ça veut dire ceci. Comment un rapport peut-il être détruit ? Je ne vois pas, après tout... Et en effet, là on va faire quand même une remarque très importante, peut-être... Un rapport... Ce qui peut être détruit, c’est les termes d’un rapport. Mais un rapport, où c’est ? Comment ça pourrait être détruit ? Où c’est un rapport ? Si je dis : Pierre est plus petit que Paul... c’est un rapport, « Pierre est plus petit que Paul », hein ? Je vois bien que Pierre ou Paul, ils peuvent être détruits, à supposer qu’ils ne sont pas eux-mêmes des rapports. Mais « plus petit que », comment ça pourrait être détruit un truc comme ça ? Comment une relation pourrait-elle être détruite ?

Vous voyez, c’est un abîme, ça... Ça ne peut pas être détruit une relation. Pourquoi une relation, ça ne peut pas être détruit ? Réponse très simple, c’est parce que comme chacun de vous le sait et le vit : une relation, un rapport, c’est une vérité éternelle. Une vérité éternelle, ça ne peut pas être détruit... 2 + 2 = 4, ça c’est un rapport. 2 + 2 = 4 c’est un complexe de rapports, puisque 2 + 2 = 4 c’est l’affirmation qu’il y a un rapport d’égalité entre deux rapports : le rapport de 2 + 2 et le rapport de 4. Donc c’est un rapport entre deux rapports. Ça ne peut pas être détruit ! Les vérités éternelles sont indestructibles ! Pierre et Paul peuvent mourir, il n’en reste pas moins éternellement vrai que Pierre aura été plus petit que Paul. Alors, qu’est ce que ça peut vouloir dire ? Une chose très simple... ça veut dire, nécessairement... C’est par commodité qu’on dit qu’un rapport est détruit. Manière de parler... Il faut bien parler comme ça, sinon on s’encombre.

Mais en réalité, ça veut dire « un rapport cesse d’être effectué ». Il n’est pas détruit, il cesse d’être effectué. C’est très important pour ce que Spinoza appellera la vie éternelle, quand il nous apprendra que nous sommes éternels. Ce que je suis en train de dire, c’est donc uniquement pour lancer un certain thème de l’éternité.

En fait, lorsque je dis « un de mes rapports est détruit », ça veut uniquement dire, ça ne peut pas vouloir dire autre chose que : un de mes rapports cesse d’être effectué. Ça veut dire quoi, effectuer un rapport ? Effectuer un rapport, c’est très simple... Un rapport est effectué lorsque sont présents, lorsque se présentent les termes entre lesquels le rapport s’établit avec vérité. Si je dis « plus petit que », j’ai énoncé un rapport, mais c’est un rapport vide. J’effectue le rapport lorsque je trouve ou présente deux termes qui sont l’un avec l’autre dans la relation conforme au rapport « plus petit que ». C’est pourquoi l’on peut faire une logique des relations. Une logique des relations a toujours été considérée comme distincte de ce qu’on appelle une logique de l’attribution, la logique de l’attribution étant le rapport de la qualité à la substance. Je dis « le ciel est bleu », à première vue... -je ne suis pas sûr qu’il y ait une logique de l’attribution, peut-être il n’y en a pas... Mais à première vue, lorsque je dis « le ciel est bleu », j’attribue une qualité ou un prédicat à un sujet. Le sujet, c’est le ciel, bleu c’est la qualité, ou le prédicat. Et, comment est-ce que je peux dire « le ciel est bleu » ? Ça c’est le problème de la logique de l’attribution. Qu’est ce que ça veut dire : comment est-ce que je peux dire « le ciel est bleu » ? C’est que ça ne va pas de soi. D’une certaine manière, quand je dis « le ciel est bleu », je dis « A est B ». C’est bizarre, comment, de quel droit puis-je dire « A est B » ? C’est un problème... Je veux dire que toutes sortes de logiques sont des logiques de l’attribution, dans la mesure où c’est ça le problème qu’elle posent. Mais comprenez que lorsque je dis « Pierre est plus petit que Paul », « plus petit que » n’est pas une qualité de Pierre. La preuve, c’est que Pierre qui est plus petit que Paul, il est plus grand que Jules. La relation n’est pas une qualité attribuable à la chose. Même au niveau du sentiment, vous sentez bien que c’est un autre domaine, le domaine des relations. D’où : la possibilité d’une logique des relations n’a jamais cessé historiquement dans l’histoire de la logique de la philosophie, n’a jamais cessé historiquement de taquiner, de tourmenter la logique de la substance ou de l’attribution.

Que faire des relations du point de vue d’une logique de la substance ? C’est que les relations, elles vont poser des problèmes ... Je ne peux pas dire, encore une fois, que « plus petit que Pierre » soit un attribut ou une qualité de Paul. C’est autre chose... Irréductibilité des relations "égalité"... C’est un drame ! Dès lors, comment penser ? C’est ça qui a porté un grand coup à ce qu’on pourrait appeler le substantialisme. Vous comprenez, au contraire, que Spinoza, il serait particulièrement à l’aise dans une logique des relations, puisque justement, il n’a pas défini les corps comme substance. Lorsque j’ai défini les corps comme substance, je me trouve devant un sacré problème.

Comment penser les relations entre les corps ? Au moins, Spinoza, il s’est mis dans des problèmes très étranges, en refusant que les corps soient des substances, mais, dès lors, il s’évite certains problèmes. Les relations pour lui, c’est au contraire le domaine qui va le plus de soi. Nous sommes des paquets de relations, chacun de nous est un paquet de relations. Donc, c’est pas les relations qui l’étonnent, lui... Dès lors, encore une fois, « un de mes rapports est détruit », ça veut dire « il cesse d’être effectué ». Qu’est-ce qui effectue mes rapports ? On a vu la réponse, encore très insuffisante puisque je n’ai pas analysé - et c’est pas pour aujourd’hui que je vais analyser ça. De toute manière, il nous dit quelque chose pour le moment d’aussi vague que : ce qui effectue des rapports, de toute manière, c’est des particules. Des particules plus ou moins complexes. Et les particules, qu’est-ce qu’elles sont ? Vous sentez, elles-mêmes, que alors ce n’est rien d’autre, à la limite, que des supports de relations. Évidemment, elles n’ont pas d’intériorité, les particules, elles sont uniquement supports de relations, termes de relations, termes de relations variables. Si bien qu’on pourrait presque faire une logique très formelle de la relation chez Spinoza. Mais enfin, ce serait autre chose... Et bien, et bien, qu’est-ce que ça veut dire ? Des particules qui effectuaient un de mes rapports ne l’effectuent plus... Qu’est-ce que ça peut vouloir dire ça ? Ça devient limpide ! Elles ne l’effectuent plus, évidemment, évidemment qu’elles ne l’effectuent plus... Pourquoi elles ne l’effectuent plus ? Elles ne l’effectuent plus parce qu’elles ont été déterminées à rentrer sous un autre rapport, incompatible avec le mien.

Donc, elles n’effectuent plus mon rapport, elles en ont pris un autre. Et le nouveau rapport qu’elles ont pris n’est pas compatible, c’est-à-dire, il ne circule pas avec les miens. Exemple : l’arsenic, toujours. L’arsenic décompose mon sang... Bon, ça veut dire quoi ? Les particules de mon sang, qui constituaient mon sang en tant que elles entraient sous tel rapport - le rapport constitutif de mon sang, qui était lui-même un rapport de mouvement et de repos entre ces particules -, et bien voilà que, sous l’action de l’arsenic, ces particules sont déterminées à prendre un autre rapport. Or, le nouveau rapport qu’elles ont pris ne circule pas avec les miens, ne se compose pas avec les miens. Et je peux dire : « Oh mon Dieu, je n’ai plus de sang ! » Peu après, je meurs. J’ai mangé la pomme. Vous voyez... Bon, cette deuxième remarque avait uniquement pour but de dire « attention ! » Qu’est-ce que veut dire « un rapport est détruit » ?

Et bien, ça n’empêche pas que les rapports ont des vérités éternelles. Mais, « un rapport est détruit », ça veut dire qu’il n’est plus effectué. Il n’y a plus de particules pour actualiser le rapport, c’est-à-dire pour fournir des termes au rapport. Actualiser le rapport, effectuer le rapport, c’est fournir des termes au rapport. Termes tout relatifs, puisque ces termes seront des rapports à leur tour, mais des rapports d’une autre sorte. Si bien que tout rapport est rapport de rapports à l’infini. Les termes étant simplement les termes relatifs à tel niveau de rapport. C’est une belle vision, belle vision du monde ! Ça manque de substance, précisément. Plus de substance là-dedans. Voilà, mon deuxième point. Donc, lorsque je dirai par commodité « un de mes rapports est décomposé ou détruit », il n’y aura plus de problème. Je le dirai par commodité, parce que c’est plus rapide que dire « ce rapport n’est plus effectué par des particules ». Bon, jusque là ça va, hein ? Jusque là c’est limpide. Très bien !

Troisième remarque. Ça va se compliquer... Ça va se compliquer, et ce n’est pas ma faute, il faut vraiment que ça se complique... Il faut que ça se complique, parce que je reviens à mon point de vue : ce qui définit ma persévérance, c’est l’ensemble des communications de rapports, à savoir que entre mes rapports constituants, ça ne cesse de communiquer. Et ça ne cesse de communiquer, ça veut dire que ça ne cesse de se décomposer du plus complexe au plus simple, et de se recomposer du plus simple au plus complexe. Je ne cesse de défaire mes os et de les refaire. Il y a une chronologie osseuse, beaucoup plus importante que la spatialité osseuse.

Et bien, qu’est-ce que ça implique ça ? Ce système de la persévérance ou de la consistance, qu’est-ce que ça implique ? C’est là que ça implique une drôle de chose, parce que, je fais une parenthèse... Vous vous rappelez que, dans la longue introduction que j’ai faite pour situer ce problème, j’ai parlé d’une doctrine de Spinoza, le parallélisme. Et que j’avais dit des choses très simples sur le parallélisme, je ne voulais pas le considérer pour lui-même, j’avais dit des choses très très élémentaires, du type : « et bien, vous comprenez, un corps est un mode d’un attribut de la substance, cet attribut de la substance étant l’étendue. Un corps, c’est un mode de l’étendue ».

Or, vous ou moi, ou toutes les choses que nous connaissons d’ailleurs, selon Spinoza, nous ne sommes pas seulement des corps. En fait, nous sommes des modes doubles. Nous sommes aussi des âmes. Et qu’est-ce que ça veut dire, une âme ? Ce n’est pas difficile, chez Spinoza, une âme, c’est un mode de la pensée. Un corps, c’est un mode de l’étendue, une âme, c’est un mode de la pensée. Et nous sommes indissolublement corps et âme. Spinoza va même jusqu’à dire « toute chose est animée », c’est-à-dire : tout corps a une âme.

Qu’est-ce que ça veut dire, tout corps a une âme ? Ça veut dire que, à tout mode de l’étendue « corps », correspond un mode de la pensée « âme ». Donc, je suis un corps dans l’étendue, mais je suis une âme dans la pensée. Et la pensée est un attribut de Dieu, non moins que l’étendue est un attribut de Dieu. Donc, je suis âme et corps. Vous voyez, vous voyez par parenthèse la très belle vision de Spinoza, à savoir qu’il n’y a aucun problème de l’union de l’âme et du corps. Pourquoi ? Parce que l’âme et le corps, c’est strictement la même chose, sous deux attributs différents. L’âme et le corps, c’est la même, en deux modes. L’âme et le corps, c’est la même modification de la substance, en deux modes d’attributs différents. Ils se distinguent par l’attribut, mais c’est la même modification.

J’appellerai âme une modification rapportée à l’attribut « pensée », et corps la même modification rapportée à l’attribut « étendue ». D’où l’idée d’un parallélisme de l’âme et du corps. Ce que le corps exprime dans l’attribut « étendue », l’âme l’exprime dans l’attribut « pensée ». Si vous comprenez le moins du monde ça, à peine on comprend... C’est ça ce qu’il y a de gai dans la vie : c’est que dès que l’on comprend quelque chose, dès qu’on a évité un contresens, on risque de tomber dans un autre contresens ! Car à peine on a compris ça, que pour Spinoza l’âme et le corps, c’était la même chose, et que l’âme et le corps exprimaient strictement la même chose, on risque d’avoir des difficultés à nouveau. Parce que, on a presque envie de dire : Ah bon ! Et bien puisque un corps se définit par un ensemble de rapports de mouvement et de repos, une âme, elle aussi, aura des rapports de mouvement et de repos... Ecoutez-moi bien... On a très envie de dire ça !

Bien plus, Spinoza le dit parfois. Il le dit parfois. « Et ben oui, il y a des parties de l’âme comme il y a des parties du corps, et les parties de l’âme entrent dans des rapports tout comme les parties du corps entrent dans des rapports ». Et il a raison de le dire, parce qu’il faut parler le plus simplement possible. Il y a des moments où il faut parler comme ça, quand c’est pas exactement ça le problème qu’on se pose... Ça va plus vite, ça permet de mieux cerner un autre problème. Mais pourquoi est-ce que sérieusement, en toute rigueur, il ne peut pas le dire ? Au point que même s’il le dit... Alors certes, on ne va pas se permettre de corriger Spinoza et de dire : là, il se trompe, il se trompe sur sa propre pensée... Je dis tout à fait autre chose, je dis : il peut avoir l’air de dire ça, il ne le dit pas vraiment. Il peut avoir l’air de dire ça pour une raison très simple, c’est pour aller plus vite, parce que le vrai problème qu’il pose dans ce texte-là est un autre problème. Mais en fait, il ne peut pas le dire en toute rigueur, pour une raison très simple - là vous devriez déjà me donner la réponse d’avance... Il ne peut pas le dire pour une raison très simple, c’est que mouvement et repos, c’est des modes de l’étendue. Ça appartient à l’étendue. Bien plus, je peux parler d’un mouvement de l’âme, mais c’est par métaphore... L’affaire de l’âme, c’est pas le mouvement. Le mouvement et le repos, c’est une pulsion des corps.

Donc, je peux dire -comprenez-moi... Je peux dire : en vertu du parallélisme, il doit y avoir dans la pensée quelque chose qui est à la pensée ce que le mouvement et le repos est à l’étendue. Mais je ne peux pas dire : il y a un mouvement et repos dans la pensée comme il y a un mouvement et repos dans l’étendue. Car mouvement et repos ne se disent pas de la pensée, ça se dit de l’étendue. En toute rigueur, je ne peux pas conclure du mouvement et du repos, des rapports de mouvement et de repos tels qu’ils se présentent dans les corps situés dans l’étendue, je ne peux pas en conclure, en inférer, qu’il y a donc aussi des mouvements et des repos, des rapports de mouvements et de repos dans l’âme qui est située dans la pensée. Alors, même s’il le dit, même s’il a l’air de le dire, il ne le dit que pour rire - enfin, vous me comprenez... Pour aller vite quand c’est pas le problème. Quand c’est le problème, il faudra bien qu’il dise autre chose. Et qu’est-ce qu’il va pouvoir dire ? Et bien, il nous dit une chose bien intéressante. Car je trouve dans le livre... dans l’Éthique, livre II, proposition 13, scholie (la partie qui s’appelle Scholie), je lis ceci : « Je dis en général »... Il précise... « Je dis en général », c’est une proposition générale. Qu’est-ce qu’il dit en général ? « Je dis en général que, plus un corps est apte par rapport aux autres à être actif ou passif... ». « Plus un corps est apte par rapport aux autres à être actif ou passif... ». Accordez-moi que ça veut dire : plus un corps est apte à être avec d’autres, dans des relations -avec d’autres corps...-, dans des relations de mouvement et de repos. C’est-à-dire plus un corps est apte à subir les effets d’un autre corps et d’être cause d’un effet sur les autres corps.

Je suis actif si j’agis sur un autre corps, je suis passif si je reçois l’action d’un autre corps. Donc, d’après ce qu’on a vu, cette aptitude à être actif ou passif, c’est exactement l’aptitude que j’ai à entrer en rapport avec des corps extérieurs, rapports de mouvement et de repos. Donc, je peux transformer la phrase sans aucune modification de fond : je dis en général que plus un corps est apte à avoir des relations de mouvement et de repos avec d’autres corps... « Plus son esprit... », plus son esprit, c’est-à-dire son âme... Plus son esprit... -en effet chez Spinoza, c’est deux termes identiques, il préfère employer le terme latin "esprit", « mens », plutôt que le terme « anima »... Plus un corps est apte à être actif ou passif, c’est-à-dire à avoir des rapports avec d’autres, « plus son esprit est apte par rapport aux autres esprits à... », il ne dit pas être actif ou passif, il dit : « à percevoir plus de choses à la fois ». A percevoir plus de choses à la fois. Là, c’est un vrai problème, il me semble...

Il nous dit formellement : ce qui correspond à action-passion dans le corps - ou si vous préférez mouvement-repos... Dans l’âme c’est quoi ? C’est même pas action-passion, c’est « perception ». Plus un corps, en toute rigueur... - et ça, je crois que c’est vraiment le fond... là je crois que Spinoza dit le fond de sa pensée... Ce qui correspond à l’ensemble des actions et des passions d’un corps dans l’étendue, c’est les perceptions de l’âme. Ce qui correspond donc aux rapports de mouvements et de repos dans le corps, ce sont des perceptions de l’âme. Du coup, on se dit : bon, qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce que ça veut dire, ça... ?

Vous voyez, le parallélisme ne met pas en rapport mouvement et repos dans l’étendue et mouvement et repos dans l’âme, mais mouvement et repos dans l’étendue - mouvement et repos étant des modes de l’étendue - et perception dans l’âme. Si bien que le parallélisme n’a rien à voir avec un... Déjà, on a plus le choix, c’est ça qui est bien... Le parallélisme n’a rien à voir avec la manière dont on l’interprète d’habitude. Quand on pense qu’il y a des mouvements de l’âme qui correspondent aux mouvements du corps. Spinoza ne dit pas ça du tout.

Ce qui correspond aux mouvements du corps, c’est des perceptions. Vous me direz : mais ces perceptions, elles sont en mouvement... Peut-être que ça nous permettra de donner un sens à un mouvement propre à l’âme, la perception... Mais c’est parce que c’est des perceptions d’abord. C’est pas des mouvements d’abord, c’est des perceptions. Qu’il y ait un dynamisme de la perception, ça, c’est autre chose... Alors... Mais en même temps, là-dessus, j’imagine, quelqu’un peut m’objecter : mais qu’est-ce que tu as déjà... trituré ce texte ? Parce que le texte dit une chose très simple, semble-t-il : « Plus mon corps a des rapports de mouvements et de repos, par lesquels il entre en rapport avec les corps extérieurs, plus il perçoit de choses ». C’est très simple ça, on va me dire... C’est tellement simple, tellement simple... Ça veut dire : et ben forcément, quand un corps a un effet sur le mien, je perçois le corps extérieur. C’est pas plus compliqué que ça, je veux dire, presque, c’est une évidence... La table agit sur moi, je me cogne là, je heurte la table, je perçois la table comme me heurtant. D’accord, où est le problème ? Et ben, bon, d’accord, le problème il est là... Ce qui correspond à un mouvement/repos dans le corps, encore une fois c’est une perception dans l’âme. Bien, ça a l’air tout simple, mais non ! Parce que, c’est tout comme tout à l’heure, si j’ai des rapports complexes du point de vue de mon corps, c’est aussi parce que j’ai des rapports très simples. Le rapport complexe est composé par des rapports plus simples, et cætera, à l’infini... Il y a un système de circulation. Si j’ai des perceptions globales qui correspondent aux rapports complexes, à savoir « je perçois la table », il faut bien que j’aie des perceptions comme élémentaires, ou plus simples. Qu’est-ce que c’est que ces perceptions élémentaires et plus simples ? Il faudra qu’il y ait aussi un circuit de communications des perceptions entre elles, et ce circuit de communications définira la persévérance de l’âme.

Qu’est-ce que je veux dire ? Faites encore attention très fort et on va se reposer après, parce que vous n’en pouvez plus. Et bien, sentez ce que ça veut dire... Revenons au sang. Et puis on va voir qu’il s’agit de bien autre chose que de la perception au sens ordinaire du terme. Le chyle et la lymphe ont des rapports qui se conviennent. Qu’est-ce que ça veut dire le chyle et la lymphe ont des rapports qui se conviennent, cela veut dire que ces rapports se composent directement. Ils se composent directement pour quoi faire ? Pour constituer un troisième rapport : le sang. Bien... Tous ces rapports en tant que je persévère, sont effectués par des particules. S’ils cessaient d’être effectués, je serais détruit, et mon sang serait détruit. Bien... Imaginez un instant, vous êtes une particule de lymphe, ça veut dire vous effectuez un rapport ou vous entrez dans l’effectuation d’un rapport, qui se compose directement avec le rapport qu’effectuent les particules de chyle - ou l’inverse, je ne sais plus ce que j’ai dit. Vous me suivez ?

Ça implique quoi ça ? C’est que le chyle ait un pouvoir de discerner la lymphe, que la lymphe ait un pouvoir de discerner le chyle. Les particules de chyle et les particules de lymphe s’unissent pour constituer le sang. Comment s’uniraient-ils s’ils ne se distinguaient pas ? Si le chyle n’avait aucun pouvoir de discernement, qu’est-ce qui empêcherait ces particules de s’unir aux particules de l’arsenic, tandis que l’arsenic détruit le rapport constitutif du chyle ? Il faut que les particules de chyle et les particules de lymphe aient un pouvoir de discernement réciproque.

l’étonnent,lui.Dès lors, encore une fois, « un de mes rapports est détruit », cela veut dire « il cesse d’être effectué ». Qu’est-ce qui effectue mes rapports ? On a vu la réponse, encore très insuffisante puisque je n’ai pas analysé - et ce n’est pas pour aujourd’hui que je vais analyser cela - De toute manière, il nous dit quelque chose pour le moment d’aussi vague que « ce qui effectue des rapports, de toute manière, ce sont des particules », des particules plus ou moins complexes ; et les particules, qu’est-ce qu’elles sont ? Vous sentez elles-mêmes qu’alors, ce n’est rien d’autre à la limite que des supports de relation. Évidemment, elles n’ont pas d’intériorité les particules, elles sont uniquement supports de relations, termes de relations, termes de relations variables ; si bien qu’on pourrait presque faire une logique très formelle de la relation chez Spinoza. Mais enfin, ce serait autre chose. Et bien, et bien, qu’est-ce que cela veut dire ? Des particules qui effectuaient un de mes rapports ne l’effectuent plus, qu’est-ce que cela peut vouloir dire cela ? Ça devient limpide. Elles ne l’effectuent plus, évidemment qu’elles ne l’effectuent plus, pourquoi elles ne l’effectuent plus ? Elles ne l’effectuent plus parce qu’elles ont été déterminées à rentrer sous un autre rapport, incompatible avec le mien.

-  Donc, elles n’effectuent plus mon rapport, elles en ont pris un autre. Et le nouveau rapport qu’elles ont pris n’est pas compatible, c’est-à-dire il ne circule pas avec les miens. Exemple : l’arsenic, toujours. L’arsenic décompose mon sang, cela veut dire quoi ? Les particules de mon sang, qui constituaient mon sang en tant qu’elles entraient sous tel rapport - le rapport constitutif de mon sang, qui était lui-même un rapport de mouvement et de repos entre ces particules - et bien voilà que, sous l’action de l’arsenic, ces particules sont déterminées à prendre un autre rapport. Or, le nouveau rapport qu’elles ont pris ne circule pas avec les miens, ne se composent pas avec les miens. Et je peux dire : « Oh mon Dieu, je n’ai plus de sang ! » Peu après, je meurs ; j’ai mangé la pomme. Voyez ! Bon, cette deuxième remarque avait uniquement pour but de dire « attention ! » Qu’est-ce que veut dire « un rapport est détruit » ?

-  Et bien, cela n’empêche pas que les rapports ont des Vérités éternelles ; mais, « un rapport est détruit », cela veut dire qu’il n’est plus effectué. Il n’y a plus de particules pour actualiser le rapport, c’est-à-dire pour fournir des termes au rapport. Actualiser le rapport, effectuer le rapport, c’est fournir des termes au rapport. Termes tout relatifs, puisque ces termes seront des rapports à leur tour, mais des rapports d’une autre sorte ; si bien que tout rapport est rapport de rapports à l’infini. Les termes étant simplement les termes relatifs à tel niveau de rapport. C’est une belle vision, belle vision du monde ! Ça manque de substance précisément. Plus de substance là-dedans. Voilà, mon deuxième point. Donc, lorsque je dirai par commodité « un de mes rapports est décomposé ou détruit », il n’y aura plus de problème, je le dirai par commodité, parce que c’est plus rapide que de dire « ce rapport n’est plus effectué par des particules ». Bon, jusque là ça va, jusque là c’est limpide. Très bien !

-  Troisième remarque. Ça va se compliquer et ce n’est pas ma faute ; il faut vraiment que ça se complique. Il faut que ça se complique parce que je reviens à mon point de vue : ce qui définit ma persévérance, c’est l’ensemble des communications de rapports, à savoir que entre mes rapports constituants, cela ne cesse de communiquer et cela ne cesse de communiquer ; cela veut dire que cela ne cesse de se décomposer du plus complexe au plus simple et de se recomposer du plus simple au plus complexe. Je ne cesse de défaire mes os et de les refaire ; il y a une chronologie osseuse beaucoup plus importante que la spatialité osseuse.

-  Et bien, qu’est-ce que cela implique cela ? Ce système de la persévérance ou de la consistance, qu’est-ce que cela implique ? C’est là que ça implique une drôle de chose, parce que, je fais une parenthèse : Vous vous rappelez que dans la longue introduction que j’ai faite pour situer ce problème, j’ai parlé d’une doctrine de Spinoza - le « parallélisme » - et que j’avais dit des choses très simples sur le parallélisme - je ne voulais pas le considérer pour lui-même -, j’avais dit des choses très élémentaires du type : « et bien, vous comprenez, un corps est un mode d’un attribut de la substance, cet attribut de la substance étant l’étendue ; un corps, c’est un mode de l’étendue . »
-  Or, vous ou moi, ou toutes les choses que nous connaissons d’ailleurs, selon Spinoza, nous ne sommes pas seulement des corps ; en fait, nous sommes des modes doubles, nous sommes aussi des âmes, et qu’est-ce que cela veut dire une âme ? Ce n’est pas difficile, chez Spinoza, une âme, c’est un mode de la pensée ; un corps est un mode de l’étendue, une âme est un mode de la pensée. Et nous sommes indissolublement corps et âme. Spinoza va même jusqu’à dire « toute chose est animée », c’est-à-dire « tout corps a une âme ».

-  Qu’est-ce que cela veut dire « tout corps a une âme », cela veut dire que, à tout mode de l’étendue « corps », correspond un mode de la pensée « âme ». Donc, je suis un corps dans l’étendue, mais je suis une âme dans la pensée. Et la pensée est un attribut "Dieu" non moins que l’étendue est un attribut (...)). Donc, je suis âme et corps. Voyez par parenthèse la très belle vision de Spinoza, à savoir qu’il n’y a aucun problème de l’union de l’âme et du corps, pourquoi ? Parce que l’âme et le corps, c’est strictement la même chose, sous deux attributs différents. L’âme et le corps, c’est la même modification en deux modes ; l’âme et le corps, c’est la même modification de la substance en deux modes d’attributs différents. Ils se distinguent par l’attribut, mais c’est la même modification.

- J’appellerai « âme » une modification rapportée à l’attribut « pensée », et « corps », la même modification rapportée à l’attribut « étendue ». D’où l’idée d’un parallélisme de l’âme et du corps. Ce que le corps exprime dans l’attribut « étendue », l’âme l’exprime dans l’attribut de « pensée ». Si vous comprenez le moins du monde ça à peine on comprend c’est ça qu’il y a de gai dans la vie , c’est que dès que l’on comprend quelque chose, dès qu’on a évité un contresens, on risque de tomber dans un autre contresens. Car à peine qu’on a compris cela que l’âme et le corps, chez Spinoza, c’était la même chose, et que l’âme et le corps exprimaient strictement la même chose, on risque d’avoir des difficultés à nouveau ; parce qu’on a presque envie de dire : « ah bon, et bien puisqu’un corps se définit par un ensemble de rapports de mouvement et de repos, une âme, elle aussi, aura des rapports de mouvement et de repos ». On a très envie de dire cela !

-  Bien plus, Spinoza le dit parfois ; il le dit parfois. « Il y a des parties de l’âme comme il y a des parties du corps, et les parties de l’âme entrent dans des rapports tout comme les parties du corps entrent dans des rapports ». Et il a raison de le dire, parce qu’il faut parler le plus simplement possible. Il y a des moments où il faut parler comme cela, quand ce n’est pas exactement cela le problème qu’on se pose. Cela va plus vite, cela permet de cerner un autre problème. Mais pourquoi est-ce que sérieusement, en toute rigueur, il ne peut pas le dire, au point que même s’il le dit... ? Alors certes, on ne va pas se permettre de corriger Spinoza et de se dire « là, il se trompe, il se trompe sur sa propre pensée » ; je dis tout à fait autre chose, je dis : « il peut avoir l’air de dire cela, mais il ne le dit pas vraiment ». Il peut avoir l’air de dire cela pour une raison très simple, c’est pour aller plus vite, parce que le vrai problème qu’il se pose dans ce cadre-là est un autre problème. Mais en fait, il ne peut pas dire en toute rigueur, pour une raison très simple - vous devriez déjà me donner la réponse d’avance -, pour une raison très simple que « mouvement » et « repos », ce sont des modes de l’étendue, cela appartient à l’étendue. Bien plus, je peux parler d’un mouvement de l’âme, mais c’est par métaphore. L’affaire de l’âme n’est pas le mouvement ; le mouvement et le repos, c’est une pulsion des corps.

-  Donc, je peux dire - comprenez-moi - je peux dire : « en vertu du parallélisme, il doit y avoir dans la pensée quelque chose qui est à la pensée ce que le mouvement et le repos est à l’étendue », mais je ne peux pas dire : « il y a un mouvement et repos dans la pensée comme il y a un mouvement et repos dans l’étendue ». Car mouvement et repos ne se disent pas de la pensée, cela se dit de l’étendue. En toute rigueur, je ne peux pas conclure du mouvement et du repos, des rapports de mouvement et de repos tels qu’ils se présentent dans les corps situés dans l’étendue ; je ne peux pas en conclure, en inférer qu’il y a donc aussi des mouvements et des repos, des rapports de mouvements et de repos dans l’âme qui est située dans la pensée. Alors, même s’il le dit, même s’il a l’air de le dire, il ne le dit que pour rire - enfin, vous me comprenez -, pour aller vite quand ce n’est pas le problème. Quand c’est le problème, il faudra bien qu’il dise autre chose. Et qu’est-ce qu’il va pouvoir dire ? Et bien, il nous dit une chose bien intéressante.

-  Car je trouve dans le livre, dans " l’Éthique", livre II, proposition 13, scholie (la partie qui s’appelle Scholie), je lis ceci : « Je dis en général »... Il précise ; « Je dis en général », c’est une proposition générale. Qu’est-ce qu’il dit en général ? « Je dis en général que plus un corps est apte par rapport aux autres à être actif ou passif »... Accordez-moi que cela veut dire : plus un corps est apte à être avec d’autres, dans des relations avec d’autres corps, dans des relations de mouvement et de repos ; c’est-à-dire plus un corps est apte à subir les effets d’un autre corps et d’être cause d’un effet sur les autres corps.
-  Je suis actif si j’agis sur un autre corps,
-  je suis passif si je reçois l’action d’un autre corps. Donc, d’après ce que l’on a vu, cette aptitude à être actif ou passif, c’est exactement l’aptitude que j’ai à entrer en rapport avec des corps extérieurs, rapports de mouvement et de repos. Donc, je peux transformer la phrase sans aucune modification de fond : je dis en général que plus un corps est apte à avoir des relations de mouvement et de repos avec d’autres corps, « plus son esprit », c’est-à-dire son âme - en effet chez Spinoza, ce sont deux termes identiques, il préfère employer le terme latin "esprit", « mens », plutôt que le terme « anima » -, plus un corps est apte à être actif ou passif, c’est-à-dire à avoir des rapports avec d’autres, plus son esprit est apte par rapport aux autres esprits à, il ne dit pas être actif ou passif, il dit, à percevoir plus de choses à la fois. Là, c’est un vrai problème, il me semble.

-  Il nous dit formellement que ce qui correspond à "action, passion" dans le corps - ou si vous préférez "mouvement, repos" -, dans l’âme c’est quoi ? C’est même pas action, passion, c’est « perception ». Plus un corps en toute rigueur - et là je crois que Spinoza dit le fond de sa pensée -, ce qui correspond à l’ensemble des actions et des passions d’un corps dans l’étendue, ce sont des perceptions de l’âme. Ce qui correspond donc aux rapports de mouvements et de repos dans le corps, ce sont des perceptions de l’âme. Du coup, on se dit « bon, qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce que cela veut dire cela ? »

-  Voyez, le parallélisme ne met pas en rapport mouvement et repos dans l’étendue et mouvement et repos dans l’âme, mais mouvement et repos dans l’étendue - mouvement et repos étant des modes de l’étendue - et perception dans l’âme. Si bien que le parallélisme n’a rien à voir avec un déjà. On a plus le choix, c’est cela qui est bien. Un parallélisme n’arien à voir avec la manière dont on l’interprète d’habitude. Quand on pense qu’il y a des mouvements de l’âme qui correspondent aux mouvements du corps. Spinoza ne dit pas cela du tout !

-  Ce qui correspond aux mouvements du corps, ce sont des perceptions. Vous me direz que ces perceptions, elles sont en mouvement et que cela nous donnera un sens d’un mouvement propre à l’âme la perception, mais c’est parce que ce sont des perceptions d’abord. Ce ne sont pas des mouvements d’abord, ce sont des perceptions. Qu’il y ait un dynamisme de la perception, cela est autre chose. Alors, mais en même temps, là-dessus, j’imagine, quelqu’un peut m’objecter : « Mais qu’est-ce que tu as déjà trituré ce texte ? » Parce que le texte dit une chose très simple, semble-t-il : « Plus mon corps a des rapports de mouvements et de repos, par lesquels il entre en rapport avec les corps extérieurs, plus il perçoit de choses » ; c’est très simple ça, on va me dire. C’est tellement simple, cela veut dire « et bien forcément, quand un corps a un effet sur le mien, je perçois le corps extérieur ; c’est pas plus compliqué que cela, c’est une évidence. La table agit sur moi, je me cogne là, je heurte la table, je perçois la table comme me heurtant, d’accord.

-  Où est le problème ? et bien d’accord Le problème il est là, ce qui correspond à un mouvement/repos dans le corps, encore une fois c’est une perception dans l’âme. Cela a l’air tout simple, mais non ! Parce que, c’est tout comme tout à l’heure, si j’ai des rapports complexes du point de vue de mon corps, c’est aussi parce que j’ai des rapports très simples. Le rapport complexe est composé par des rapports plus simples, etc., à l’infini. Il y a un système de circulation. Si j’ai des perceptions globales qui correspondent aux rapports complexes, à savoir « je perçois la table », il faut bien que j’aie des perceptions comme élémentaires ou plus simples ; qu’est-ce que c’est que ces perceptions élémentaires et plus simples ? Il faudra aussi qu’il y ait un circuit de communications des perceptions entre elles, et ce circuit de communications définira la persévérance de l’âme.

-  Qu’est-ce que je veux dire ? Faites encore attention très fort et on va se reposer après, parce que vous n’en pouvez plus. Et bien, sentez ce que cela veut dire. Revenons au sang. Puis on va voir qu’il s’agit de bien autre chose que de la perception au sens ordinaire du terme. Le chyle et la lymphe ont des rapports qui se conviennent. Qu’est-ce que cela veut dire le chyle et la lymphe ont des rapports qui se conviennent, cela veut dire que ces rapports se composent directement ; ils se composent directement pour quoi faire ? Pour constituer un troisième rapport « le sang ». Bien, tous ces rapports en tant que je persévère, sont effectués par des particules ; s’ils cessaient d’être effectués, je serais détruit, et mon sang serait détruit. Bien, imaginez un instant, vous êtes une particule de lymphe, cela veut dire vous effectuez un rapport ou vous entrez dans l’effectuation d’un rapport, qui se compose directement avec le rapport qu’effectuent les particules de chyle - ou l’inverse, je ne sais plus ce que j’ai dit. Vous me suivez.

-  Cela implique quoi cela ? C’est que le chyle est un pouvoir de discerner la lymphe, que la lymphe est un pouvoir de discerner le chyle. Les particules de chyle et les particules de lymphe s’unissent pour constituer le sang ; comment s’uniraient-ils s’ils ne se distinguaient pas ? Si le chyle n’avait aucun pouvoir de discernement, qu’est-ce qui empêcherait ces particules de s’unir aux particules de l’arsenic ? Tandis que l’arsenic détruit le rapport constitutif du chyle. Il faut que les particules de chyle et les particules de lymphe aient un pouvoir de discernement réciproque.

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