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3- 24/11/81 - 1

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Deleuze - Cinéma cours 3 du 24/11/81 -1

transcription : Marc Ledannois

Intervenant 1 : - La métaphysique de la durée apparaît comme possible sinon nécessaire avec la prise en compte de la psyché moderne comme science du mouvement, donc on part de ce préalable (section science du mouvement, métaphysique de la durée) mais il me semble que dans les deux cas ; on débouche sur (disons) l’intemporalité ou la neutralisation du temps. Dans le cas non limitatif de la durée, la conception du Tout ouvert nous entraîne dans un sens d’une embrassade sublime à la kantienne si tu veux, dans l’infinité du temps et de l’autre côté par rapport à la science du mouvement, ce que tu as appelé (disons) le temps enregistré nous entraîne encore une fois dans le centre ou dans le lit, que tu as caractérisé par M-E du système ou encore une fois, il me semble, il y a neutralisation du temps. J’en veux pour preuve (si tu veux), l’impossibilité de traiter dans un cas comme dans l’autre de la question de l’évènement. On a parlé de l’instant, on a parlé de plusieurs vecteurs, disons entités de cet ordre, mais pas de l’événement. A mon avis, l’événement semble être un monstre à la fois pour la métaphysique de la durée comme pour la science du mouvement. J’évoque cette question parce que Y Vigné et a ce que tu as évoqué aussi : le statut, disons ambigü du cinéma : science ou art et aussi par rapport à la question de la réalité du cinéma que j’imagine va être posé, en d’autres termes une fois que tu auras traité de ce cas, je vais pas plus loin parce que on ne peut pas tout appeler (si tu veux) les conséquences de ça, que tu développes à propos du cinéma, mais je ne sais pas si c’est juste mais je voudrais avoir ton avis sur cette question.

Deleuze : - Bien, c’est une question, il me semble très intéressante et ça recoupe en partie les soucis que je me fais, qui sont très nombreux, mais cette question, je dirais à la fois qu’elle porte effectivement sur ce que nous faisons et qu’elle préjuge un peu de tout ce qui devrait se passer cette année. Parce que si je traduis - et tu n’as pas tort sous forme d’une espèce d’objection immédiate - et cette objection ça revient à dire : aussi bien du côté de l’instantanéité de l’image, que du côté de la durée prétendument reconstituée :
-  Est-ce qu’il y a vraiment position d’un temps réel et notamment critère d’un temps réel ?
-  Est ce qu’il y a une véritable compréhension de ce qu’il convient d’appeler une instance très bizarre qu’il faut appeler l’événement ? Je dirais presque - je peux dire d’avance oui, moi je crois que oui mais faudrait encore, tu vois je suis incapable de le dire en quelques phrases. C’est le sujet de l’année - alors que tu aies des doutes, à mon avis c’est de très bons doutes - oui ça on en est presque là... et est ce que c’est du temps réel ?
-  Qu’est ce que cette métaphysique de la durée ?
-  Est ce que son ouverture, est ce que l’ouverture dans ce qu’elle se réclame ne nous conduit pas à une nouvelle fermeture ?
-  Est ce que l’événement ne continue pas à lui échapper ?

Tout ça, c’est des questions il me semble parfaites à l’état où on est. Mais dans l’état où on est, je crois qu’il est très prématuré de déjà répondre oui ou non. Mais sur la formulation de tout ça, je me présente. Si je prends tout ce que je viens de dire comme des questions que tu te poses et si tu me demandes mon avis sur ces questions, je dis c’est de très bonnes questions. Faut te les poser, c’est pas dit que c’est toi qui les résoudras - c’est toi qui les pose.

Intervenant 2 :- Moi, c’est des questions beaucoup plus banales et un peu plus compréhensibles, je ne sais pas si tu as bien compris tout ce qu’il voulait dire.

Deleuze :- si, c’était très clair, oui, mais non t’es pas bête. Bref

intervenant 2 :- Il y a deux points qui m’intéressent, le premier point, l’effet du langage

Deleuze : - Le ?

Intervenant 2 : - Le langage, y a t’il un langage au cinéma ? voir Pasolini, il exprime le langage la réalité par la réalité, Pasolini dit un tas de choses, il dit, La réalité par la réalité, l’ambiguïté et de même le langage ou pas de langage.... et deuxième point, c’est pour ça que je suis hégélien ?

Deleuze : - Qu’est ce que tu es ?

Intervenant 2 : - Je suis hégélien (rires) Deleuze :- Mais non tu dis ça pour me contrarier, t’es pas hégélien du tout (rires)

intervenant 2 : - s’insurgeant, Alors oui, nécessités, contraires (rires), alors oui, composition théâtre cinématographique déjà différence de nature, de taille il le dit, en tant que marxiste ... cinématographique, ... il a écrit

Deleuze : - Il le dit, est ce qu’il y croit  ? (rires). Il avait intérêt à le dire.

intervenant 2 : - Pasolini dit un tas d’autres choses, il y a cette belle phrase de K il parle de l’efficacité, légende vis à vis de Bergson. Le cinéma, c’est la plénitude comme chez Bergson et pourtant aussi le manque de réalité au cinéma dramaturgie du néant et en plus la plénitude, est ce que l’on peut ajouter quelque chose au Tout, la dernière fois vous avez parlé, est ce que l’on peut ajouter quelque chose au Tout.

Deleuze : - Une fois dit là, je te coupe, parce que la réponse m’apparaît immédiate cette fois ci, une fois dit et si on arrive à définir le Tout d’une manière aussi bizarre, originale que Bergson, à savoir le Tout c’est l’Ouvert. La question : "est ce que l’on peut ajouter quelque chose au Tout ?" est une question vide.

Intervenant 2 : - Je ne vous pose pas des questions qui sont des pièges, hein (rires) où sont les pièges ?

Deleuze : - Alors quant à l’autre chose que tu as dite, on me l’a déjà demandé, on a déjà souligné ce point, à savoir qu’il ne suffisait pas quand même que je me marre quand je parle de linguistique appliquée au cinéma pour

Intervenant 2 : - mais bon.....

Deleuze : - pour régler le problème, en effet cela va de soi - alors je dis juste là que je réclame une fois de plus toute votre patience c’est que le problème de « le cinéma est-il un langage ? » tout ça, je pourrais l’aborder que bien plus tard. Donc je dis - je ne cache pas non plus, ma seule impression - c’est que le cinéma n’a rien avoir avec un langage au sens des linguistes - d’ailleurs tous le disent finalement - et donc ce problème ne m’apparaît pas urgent du tout.

-  En tout cas les concepts cinématographiques ou les grandes catégories au cinéma n’ont aucun besoin, même y compris quant au caractère sonore de l’image - mais vous remarquerez pour le moment que je m’occupe et je ne suppose que des images visuelles - j’ai pas dit un mot sur ce que seraient des images sonores - tout ça, ça c’est parce que j’ai besoin de prendre les problèmes à part.

Alors eh bien, je suis content moi, de ces premières interventions parce qu’aujourd’hui j’aurai particulièrement besoin de vous à un certain moment car si je ne fais pas une récapitulation mais si je m’interroge sur les deux séances précédentes, c’est la troisième aujourd’hui, je dois commencer par, mais très brièvement parce qu’il faut pas trop, je voudrais commencer par une sorte d’autocritique. Quelque chose se passe, moi, dont je suis très profondément mécontent, alors..

Internvenant 3 : - moi aussi

Deleuze : - ah toi aussi ?

intervenant 3 : - Ben oui (rires)

Deleuze : - Comme le mécontentement porte sur moi, évidemment et non pas sur vous, je le dis parce que j’aurai besoin tout à l’heure que vous voyez. Ce mécontentement. Je crois d’une manière très simple et toute modeste que je suis complètement en train - mais tout peut s’arranger mais je suis en train de rater ce que je me proposais. Je vous rappelle une chose que ce que je me proposais - je recommence pas - mais c’était un peu compliqué mais très simple en fait. A savoir c’était la possibilité de - suivant un public assez divers qui est le vôtre - c’était la possibilité de vous apprendre à la fois quelque chose sur Bergson, en essayant de vous montrer que c’est quand même un philosophe très, très prodigieux quand même.

Alors là, Bergson valant pour lui-même et puis aussi de poser un certain problème sur l’image et le cinéma, et que ça valait pour soi même aussi. Et puis que pourtant les deux se rapportent l’un à, l’autre mais à une condition. Il fallait que les concepts que j’essayais de tirer ou d’extraire comme concept cinématographique, que d’autre part les concepts bergsoniens que j’essaie d’extraire, soient vraiment comme "extraits" chacun de leur territoire.

-  Or au lieu de ça, j’ai le sentiment alors très, très pénible que je vous parle de Bergson et puis que j’applique ce que je dis concernant Bergson au cinéma. Or autant quant aux concepts et quant à la philosophie, tout mouvement d’extraction - extraire un concept - est un mouvement indispensable et nécessaire - autant l’application définit le travail médiocre ou le travail raté. Si j’applique un concept venu d’un point à l’autre domaine (de toute façon) c’est raté. Bon, ce qui me mécontente - c’est que je frôle au lieu de faire le surgissement de concepts que j’espérais - je fais de la plate application de concepts ou je risque de tomber là dedans. Alors ce sera à voir si ça continue, ben, il faudra, je vous dirai tout à l’heure si ce que je souhaite, que vous corrigiez cet aspect. Alors, bon je me dis parfois pour me consoler, c’est pas de la faute du cinéma, que le cinéma c’est une matière tellement inconsistante que je finalement - ah si j’ose dire, ça va pas loin, que y’ a pas de matière - seulement là, ce serait accuser le cinéma et pas moi, alors c’est gênant. La seule chose que j’y gagne à ce cours de cette année, c’est que maintenant, quand je vais au cinéma, je me dis, j’ai bien travaillé : je vais au travail. Finalement, je continue à y retourner, ça fait rien.

-  Je suis très abattu aujourd’hui. C’est ça qui augmente l’intensité de mon autocritique, et parce que j’ai vu un film dimanche, pour aller au travail (rires), dont j’attendais beaucoup, c’est : « Tendre est la nuit » Or, « Tendre est la nuit » est un des plus beaux romans du monde. C’est un roman auquel on ne devrait pas pouvoir toucher si on a pas une espèce de génie ou une compréhension de ce roman. Et voilà que j’ai vu un film qui a été une honte, alors je me dis, tout ça.. Bon, mais enfin à d’autres moments, je me dis, c’est pas la faute du cinéma, c’est ma faute à moi. Or, c’est pour ça que j’éprouve le besoin - pas de recommencer ce que j’ai fait la dernière fois - mais de revenir sur certains points et de développer ce que j’avais pas développé.

-  Et je commence tout de suite là, plein d’entrain, et puis j’aurai besoin de vous, je vous dirai. Je voudrais donc finir aujourd’hui là cette première tranche qu’on avait commencé deux fois. Cette première tranche qui se présentait comme une étude des grandes thèses bergsoniennes sur le mouvement. Eh bien, vous vous rappelez que la dernière fois je partais d’une première formule : à savoir, dans l’image mouvement - puisqu’on est en train toujours, tous au premier pan, c’est une recherche de la définition - de ce qu’on pourrait appeler image-mouvement avec un petit trait d’union, et je disais, dans l’image-mouvement, il se trouve que le mouvement de translation exprime la durée, est censé exprimer la durée, c’est à dire un changement dans un Tout !

Si vous, comprenez bien et là je reviens pas sur tout ce que j’ai dit, je me le donne pour acquis mais si vous comprenez bien cette formule telle que j’ai essayé de la développer la dernière fois, je dis que c’est un concept cinématographique très important : en découle comme immédiatement, ce serait celui - et il a été forgé ou il a été avancé par un grand cinéaste, à savoir Epstein - c’est celui de perspective temporelle.

-  A savoir l’image cinéma n’opère pas malgré les apparences avec deux simples perspectives spatiales, il nous donne des perspectives temporelles. C’est curieux cette notion de perspective temporelle. Epstein, pour essayer de fonder son concept de perspective temporelle, cite un texte d’un peintre mais d’un peintre qui a été particulièrement mêlé au cinéma. A savoir Fernand Léger ; Fernand Léger a travaillé avec l’Herbier, il a fait des décors pour l’Herbier, et voilà ce que dit Léger : « Toutes les surfaces se divisent, se tronquent, se décomposent, se brisent, comme on imagine qu’elles font dans l’œil à mille facettes de l’insecte. C’est une géométrie descriptive ou projective mais au lieu, mais au lieu de subir la perspective ce peintre - ajoutez cet homme de cinéma - la forme, entre en elle, l’analyse et la dénoue, illusion par illusion, à la perspective du dehors, il substitue ainsi une perspective du dedans, une perspective multiple, chatoyante, onduleuse, variable et contractile comme un cheveu hydromètre. Elle n’est pas la même à ; droite qu’à gauche, ni en haut qu’en bas. C’est dire - c’est très important par exemple pour le décor expressionniste, voilà ce qu’il dit là. - c’est dire que les fractions que le peintre - ajoutons : et l’homme de cinéma - présentent de la réalité ne sont pas toutes au même dénominateur de distance et de relief, ni de lumière. » Bon, il nous donne d’une manière très littéraire, le texte est beau.. C’est un beau texte, il nous donne un sentiment de ce qu’il appelle "perspective temporelle", la perspective interne ou perspective active et en effet quelle est la différence ? je me dis prenons quelques exemples très, rapides, hein, une fois dit que je me trompe toujours dans mes exemples mais vous me corrigerez vous-même. Prenons des grands plans, des grands plans dans l’histoire du cinéma.

-  Premier grand plan de King Vidor : La foule. Image de la cité, espèce d’image d’ensemble de la cité, image d’un gratte ciel dans la cité, image d’un étage du gratte ciel, d’un bureau dans l’étage et d’un petit homme dans le bureau (ça fait partie des grandes images qui ouvrent des films classiques)

-  Deuxième exemple, c’est une image je dirai typiquement, c’est ça l’image- mouvement. Deuxième exemple, le dernier homme de Murnau : la fameuse image du début aussi, caméra dans l’ascenseur descendant, caméra et enchaîné par caméra sur bicyclette qui traverse le hall de l’hôtel et qui arrive dans la rue.. cartes deviennent visibles et puis nous entrons dans la foule et nous mêlons aux manifestants. Titre, voir à celui qui est plus près de moi, voir un manifestant ou deux manifestants particuliers (là aussi splendide image profonde)

-  Je dis, ces trois exemples ce sont des perspectives temporelles, en quoi, eh bien pas seulement des perspectives spatiales, c’est perspectives temporelles, là où le concept il semble prendre une consistance parce que en effet c’est très différent de la perception naturelle, Poudovkine nous dit c’est comme si, c’est comme si je m’installai sur le toit et puis je me mêlai aux manifestants. Ce (comme si) indique que c’est une référence à la perception naturelle et en même temps que nous ne sommes pas dans un cadre de perception naturelle. Je prépare là quelque chose qui me reste encore à faire : en quoi la perception de cinéma est complètement différente de la perception naturelle, on peut déjà saisir un petit point de départ.

-  Dans la perception naturelle, vous avez à chacun de ses stades j’ose dire ce qu’on pouvait appeler - et après tout les phénoménologues ont parlé comme ça, - vous avez à chaque fois un ancrage : je suis en haut de l’immeuble et je vois l’ensemble de la manifestation, je suis au premier étage et je lis les pancartes, je suis dans la foule et je vois les manifestants à côté de moi. Vous avez chaque fois un ancrage et entre deux ancrages vous avez un mouvement déterminé particulier, un mouvement qualifié.

-  Dans la perception de cinéma, vous n’avez pas ça et lorsque vous dites : la caméra a d’abord été mise en haut et puis s’est arrêtée au premier étage et puis s’est mise dans la foule. C’est absolument - c’est pas que ça soit faux, c’est qu’à ce moment là vous traitez la caméra comme un œil c’est à dire vous préjugez déjà de ce qui est complètement en question - à savoir l’identité de la perception cinématographique et de la perception naturelle. Même si elle s’est arrêtée en fait, c’est pas ça qu’elle nous donne. Ce qu’elle nous donne c’est la continuité et l’hétérogénéité d’un seul et même mouvement. Un seul mouvement a conquis continuité et hétérogénéité, à quelles conditions ? Bizarrement, à condition de, comme diraient ou comme devraient dire les phénoménologues, à condition de rompre avec tout ancrage. De se désancrer, d’une certaine manière l’image cinématographique comme mouvement cinématographique est déterritorialisée. Par-là, le mouvement acquiert continuité et hétérogénéité - il me semble si je reviens à un exemple dont on a très vite parlé la dernière fois - c’est bien c’est ça que d’une certaine manière nous montre Wenders, Wenders nous montre si vous voulez, des ancrages différents séparés par quoi ? un moyen de transport qualifié. Par exemple l’autocar succède à l’avion, l’auto à l’autocar, la marche dans la ville à l’auto, etc.... Vous avez une série de "stages" - je dirai ça : c’est le contenu de l’image chez Wenders - Tous les moyens de transport mis au service du mouvement, et ça : c’est le jeu de la perception naturelle. Et ce que Wenders fait, si vous voulez, c’est ça le contenu de l’image mais au niveau de l’image ce n’est plus ça, au niveau de l’image au contraire : vous avez le correlat cinématographique : à savoir un mouvement posé comme "un" qui a conquis pour soi, continuité et hétérogénéité et qui vaut - et c’est bien ça l’idée de Wenders - et qui comme tel, comme mouvement cinématographique vaut, et pour l’avion, et pour l’auto et pour la marche et pour etc. précisément par ce qu’il est, et parce qu’il a conquis l’hétérogénéité.

-  Alors peut être que là on comprend mieux, je dirai : c’est ça une perspective temporelle. Alors que dans la perception naturelle, vous allez d’une perspective spatiale à une autre perspective spatiale. Dans l’image cinématographique, vous élaborez une perspective temporelle.

Bon, c’est pas important, je veux dire c’est pas très important de comprendre ou pas comprendre, d’être d’accord ou pas d’accord, c’est juste, je dis, c’est juste la possibilité d’ancrer le concept et de lui donner plus de consistance que Epstein qui en parle encore d’une manière très littéraire, il me semble.

-  Or dire encore une fois l’image-mouvement c’est une perspective temporelle et non pas une perspective spatiale, alors que finalement les Arts, les autres arts - sauf peut être la musique - ils nous donnent que des perspectives spatiales. Dire parler de perspectives temporelles, c’est uniquement dire - et c’est pas dire autre chose que - le mouvement dans l’espace est dans de telles conditions que maintenant il exprime la durée c’est à dire un changement dans un Tout.

-  Bon, ceci je voulais l’ajouter à ce qu’on avait vu la dernière fois et j’ajoute encore autre chose : Vous vous rappelez que la dernière fois et c’était tout l’objet de notre séance précédente, j’avais essayé de montrer comment il fallait nécessairement passer d’une formule à une autre : il fallait nécéssairement passer de la première formule : "le mouvement dans l’espace exprime de la durée" c’est à dire un changement dans le Tout, à une autre formule plus complexe mais qui est la même, qui est plus simplement la même, plus simplement formulée..

Et que la même formule développée c’était : "le mouvement dans l’espace s’établit entre des choses - c’est le mouvement relatif - s’établit entre des choses et rapporte ces choses, et consiste en ceci : qu’il rapporte ces choses à un Tout, lequel Tout va dès lors se diviser dans les choses en même temps que les choses se réunissent dans ce Tout" - si bien qu’on avait comme trois niveaux de l’image, de l’image- mouvement, trois niveaux communiquant perpétuellement l’un avec l’autre, l’un avec les autres, donc le mouvement dans l’espace s’établit entre des choses de telle manière qu’il rapporte ces choses à un Tout, lequel Tout se divise dans les choses en même temps que les choses se réunissent dans ce Tout.

-  C’était donc ma formule développée de la perspective temporelle et on en tirait donc comme trois niveaux à distinguer de l’image-mouvement. Ces trois niveaux, je pourrai les appeler là de noms différents, j’essaie de fixer la terminologie que je vous proposerai. Ces trois niveaux, je pouvais les, l’appeler
-  le premier : contenu de l’image ;
-  le deuxième : l’image ;
-  le troisième : l’idée ou bien je pouvais les appeler, je vous rappelle, en termes plus techniques,
-  le premier : le cadre ;
-  le deuxième : le plan ;
-  le troisième : le montage et je vous rappelle juste les définitions

( vous voulez bien fermer la porte ?.. vous voulez bien allumer la lumière ?)

et je rappelle juste les définitions auxquelles on était arrivé parce qu’on en aura besoin toute l’année compte tenu de vos interventions à venir tout à l’heure. Je disais le cadre ou le contenu de l’image c’est quoi ? c’est exactement la détermination des choses en tant qu’elles forment et doivent former un système artificiellement clos. Vous sentez déjà que ces choses, c’est celles qui vont appartenir au plan. Le plan ou l’image c’est quoi ? C’est la détermination d’un mouvement complexe et relatif qui saisit ces choses en Un. Il saisit ces choses en Un en tant que même s’il est supporté particulièrement par une chose, il s’établit entre l’ensemble des choses du cadre. Donc c’est la détermination du mouvement en tant qu’il saisit les choses en Un, inutile de dire qu’il s’agit non pas du plan spatial mais du plan temporel. Enfin, le montage c’est la détermination du rapport du mouvement ou du plan avec le Tout qui l’exprime. Pourquoi est ce que cette détermination du plan ou du mouvement avec le Tout que le plan ou le mouvement exprime, implique nécessairement d’autres plans ? on a vu pour telles raisons immédiates : parce que le Tout n’est jamais donné.

-  C’est parce que le Tout n’est pas donné, y compris n’est pas donné dans un plan alors que le mouvement, lui est donné. C’est parce que le Tout n’est pas donné et que bien plus, en un sens, il n’a pas d’existence, en dehors des plans qui l’exprime, c’est pour cela que ce Tout on pourra l’appeler l’Idée avec un grand I. Et en effet, Eisenstein l’appelait l’Idée ou parfois, mot étrange mais que, heu, on aura à commenter, il l’appelait "l’image synthétique", pour la distinguer des images plans, pour le distinguer des images plans. Ou bien Pasolini l’appelle : "continuité cinématographique idéelle" ou "plan séquence idéal" qui n’existe que dans les plans réels.

A partir de là, donc si vous m’accordiez donc ces trois concepts, je crois que nous restait un certain nombre de problèmes que j’avais commencé.

-  Et le premier problème c’est que en effet on voyait bien le rapport entre cadrage, découpage, heu, montage, cadrage découpage des plans c’est à dire détermination des plans et puis le montage c’est à dire le rapport des plans avec le Tout ! Mais encore une fois ces opérations techniques étaient absolument fondées presque dans "l’être même du cinéma" et je disais bon, eh ben, heu, si on appelle "montage" cette opération qui consiste à rapporter le plan mouvement, l’image-mouvement au Tout qu’elle exprime, qu’elle est censée exprimer - puisque dans tout son être le mouvement consiste à rapporter les choses, les objets, consiste à rapporter les objets en même temps que les objets se réunissent dans etc... - donc c’est évident qu’on peut déjà concevoir bien des manières : comment un mouvement dans l’espace va t’il exprimer un Tout ?

Et je disais : c’est un aspect du problème du montage - encore une fois j’insiste beaucoup là dessus parce que sinon vous me feriez dire des graves insuffisances et même des bêtises - je dis pas du tout : c’est le problème du montage, je dis : un des aspects des problèmes du montage et à cet égard je crois que je disais, historiquement il me semble qu’il y a eu trois grandes réponses c’est à dire trois grandes réponses, ça sera trois grandes manières de concevoir concrètement le rapport du mouvement dans l’espace c’est à dire de l’image-mouvement ou du plan avec le Tout c’est à dire avec l’Idée.

-  Car le problème devient celui-ci : comment, comment une image-mouvement peut-elle donner une idée ? Et s’il y a un rapport ou s’il y a une première position du problème cinéma-pensée puisse se préciser c’est bien ici. Car enfin dans les autres arts, l’image-mouvement, on sait toujours pas. Dans le cinéma, il semble que il y a une espèce de spécificité : l’image- mouvement est censée susciter l’Idée. Mais quelle Idée et comment elle suscite l’Idée ? Or je disais il me semble que là, le montage a quelque chose à nous dire parce que il y a eu trois très grandes manières de concevoir comment des mouvements dans l’espace peuvent renvoyer à une Idée c’est à dire finalement à un changement dans le Tout !

Ça revient au même de dire - comprenez mes équivalences - dire : comment l’image-mouvement peut-elle susciter l’Idée ? ou dire : comment l’image- mouvement peut-elle exprimer un changement dans le Tout ? - c’est pas difficile de montrer que c’est pareil - et je disais : "eh ben oui, il y a une première conception - appelons là pour les derniers hégéliens (rires)- appelons là le "montage dialectique" et après tout, tous les soviétiques à ce moment là se sont réclamés d’un montage dialectique quelles que soient leurs oppositions profondes, ce qui déjà pose des problèmes évidemment.

-  Mais qu’est ce que c’est un montage dialectique ? là , il faut que les réponses soient relativement concrètes, hein, soient très concrètes. Et je vous disais mais je n’avais pas du tout insisté là-dessus, je vous disais : eh ben oui, c’est pas difficile, heu, un montage dialectique c’est un montage tel que la réponse qui nous est proposée est exactement celle ci à savoir : c’est l’opposition des mouvements dans l’espace, c’est l’opposition des mouvements dans l’espace qui va rapporter l’ensemble du mouvement à un Tout c’est à dire à une Idée. Pourquoi est ce qu’on appellera ça dialectique ? Parce qu’il est connu que dans la dialectique les choses n’avancent que par opposition c’est à dire quelque chose de nouveau et ce quelque chose de nouveau - alors appelons là de ce point de vue, quitte à tout le temps changer de point de vue - appelons le l’Idée.

-  Vous vous rappelez, j’essayais de montrer que le Tout était inséparable d’un changement dans le Tout ? c’est à dire que le Tout est toujours identique au changement qui se produit en lui. Que le changement qui se produit en lui, c’était toujours la production d’un quelque chose de nouveau, la production de quelque chose de nouveau, c’est aussi bien l’Idée dans notre tête.. Bon, on dira : eh ben oui dans la dialectique, la production du nouveau ça passe par l’opposition du mouvement.

-  Donc là, la réponse est très très précise : c’est par l’opposition des mouvements dans l’espace que le mouvement dans l’espace va exprimer l’Idée. Et c’est la réponse très rigoureuse si vous voulez à notre problème - comme quoi notre problème est bien fondé, il me semble à cet égard - C’est la réponse très rigoureuse de - je peux pas dire de Eisenstein en général - mais de certains textes bien connus et de certains textes principaux de Eisenstein, en effet, je fais allusion à quels textes ? les textes où il commente lui-même le cuirassé Potemkine et montre l’importance de l’opposition et que les images mouvements du cuirassé sont fondamentalement construites sur de grandes oppositions dynamiques du mouvement, et que c’est ça qui produit le "quelque chose de nouveau" !

-  Le "quelque chose de nouveau" étant quoi ? étant aussi bien du point de vue de l’évènement, la révolution qui arrive, - que du point de vue de la tête du spectateur, l’idée qui émerge. Et que c’est là que le cinéma est effectivement efficace ou agissant. Et ces grandes oppositions, c’est par exemple dans la fameuse scène du grand escalier, c’est l’opposition perpétuelle et perpétuellement multipliée, réfléchie, tout ça - qui va donner toute une théorie de l’opposition du mouvement chez Eisenstein - entre les mouvements vers le haut et les mouvements vers le bas où Eisenstein montre suivant quel rythme, un mouvement vers le haut est suivi par un mouvement vers le bas, tout ça étant très diversifié, très et que cela constitue le rythme cinématographique : par exemple, la foule qui monte l’escalier, les bottesdes soldats qui descendent l’escalier, lafoule qui

remonte, heu,je ne sais plus quoi, quelqu’un qui descend encore, la mère, la femme seule, la femme solitaire qui va remonter etc... jusqu’à la célèbre descente de la voiture d’enfant.

Donc reportez vous à ces textes là - on en a en effet l’idée de ce qu’est d’une manière très simple un montage qu’on peut appeler dialectique - mais ce qui m’intéresse c’est que Eisenstein ne dit pas que ça. Parce qu’on comprendrait mal à ce niveau - ça serait propre à tous les soviétiques, on peut dire Poudovkine aussi ça se réclame davantage - eh bien ils étaient bien forcés, c’est pour ça que je dis heu, qu’est ce qu’ils croyaient au juste de ça, Vertov se réclame d’un montage dialectique pourtant Vertov et Eisenstein c’est pas la même chose alors heu qu’est ce qui se passe ? Je dirai le propre d’Eisenstein si j’essaie de le dire c’est, il ne cache pas finalement bizarrement c’est curieux, il est presque plus platonicien, c’est un dialecticien Eisenstein, oui, mais il est plus platonicien que hégélien, seulement il pouvait pas le dire, en fait. Pourquoi il est plus platonicien ? Parce que l’opposition du mouvement comme condition pour créer quelque chose de nouveau, c’est à dire comme condition pour que le moment exprime l’Idée, exprime le changement dans le tout - ça existe bien mais c’est ce que Eisenstein appelle "le pathétique".

C’est le pathétique et le pathétique c’est l’un des pôles du montage dialectique mais ce n’est qu’un des pôles et en effet le pathos, c’est, nous dit Eisenstein : c’est le choc, c’est l’opposition des deux forces, c’est la collision. Il nous dit très bien : le montage est une collision et pas une juxtaposition. Bon, tout ça, ça va bien on comprend - mais justement, ce que jamais un dialecticien n’aurait fait, jamais, il faut qu’il établisse sa dialectique c’est à dire l’élément pathétique - déjà bizarre pour un dialecticien : réduire la position du mouvement à l’élément pathétique - une fois dit, qu’il y a un autre élément, eh ben cet élément pathétique de l’opposition du mouvement, renvoie à quoi ? il renvoie à un autre élément plus profond selon Eisenstein, un élément supposé qu’il appelle "l’élément organique". L’élément organique : c’est dire que Eisenstein subordonne l’opposition du mouvement au mouvement organique en quel sens ? eh ben, l’opposition du mouvement est quelque chose qui survient, oui, qui survient au mouvement organique. Ca devient important ça, cette idée d’un mouvement organique, qu’est ce que c’est le mouvement organique ? Suivant Eisenstein on va voir que c’est très important pour distinguer ce courant, ce type de montage d’autres types de montage.

-  Mais le mouvement organique dit Eisenstein, c’est un mouvement qui exprime la croissance, c’est un mouvement qui exprime la croissance et qui comme tel est subordonné à des lois mathématiques. J’ai jamais vu un dialecticien parler d’une subordination du mouvement à des lois mathématiques - c’est tout ce que vous voulez mais ce n’est pas un dialecticien ça - peut-être infiniment mieux, peut-être autre chose mais c’est pas un dialecticien qui peut dire une chose comme ça. Et qu’est ce que c’est que le mouvement en tant qu’il exprime la croissance et qu’il a donc, et qu’il obéit donc à une loi mathématique ? C’est la spirale, la spirale logarithmique : elle est pas encore dialectique, la spirale. C’est la spirale, et Eisenstein insiste énormément sur l’importance même au niveau pratique de sa constitution des images du film, le thème de la spirale intervient partout. Que les images s’organisent en une spirale logarithmique. Ah tiens une spirale logarithmique, oui c’est très curieux ! Car qu’est ce que c’est que la loi mathématique de la spirale logarithmique ? là, Eisenstein ne se connaît plus d’aise, il dit : c’est la section d’or - ce qui est bizarre pour un dialecticien, de plus en plus bizarre. C’est la section d’or. Ah qu’est ce que c’est "la section d’or" ?

-  La section d’or sous sa forme la plus simple, vous - là je vais très vite parce que, vous le savez déjà ou bien vous regarderez dans le dictionnaire c’est ou bien vous lirez les livres de Mathilde Adika et qui a beaucoup travaillé sur la section d’or et sa présence dans les arts - et Eisenstein lui-même explique que en effet, la section d’or qui selon lui a régie l’architecture, la peinture, c’est aussi une loi fondamentale du cinéma. Ah bon, mais alors qu’est ce que c’est très vite la section d’or ? Eh ben la section d’or c’est ceci lorsque vous vous donnez une ligne hein ? Vous donnez une ligne, vous la divisez en deux parties inégales, lorsque la plus petite partie est à la plus grande partie ce que la plus grande partie est au Tout, vous avez la section d’or. Pourquoi est ce que c’est l’harmonie organique ça, en effet, la plus petite partie - je redis - votre ligne est divisée de telle manière que la plus petite partie est à la plus grande ce que la plus grande est au Tout. et c’est une loi des rapports partie/Tout qui doit déjà nous intéresser et qui va définir le mouvement organique. Bon, je précise pas mais Eisenstein le montre très bien, en quoi - là j’ai pris mon exemple le plus simple au niveau de la plus simple ligne droite - mais en quoi la spirale logarithmique est l’expression même de la section d’or. Bon, la spirale logarithmique est l’expression même de la section d’or, en d’autres termes la section d’or est la loi de la croissance et l’on invoque les coquilles d’escargot et l’on invoque là toutes les spirales de la nature pour retrouver cette section d’or.

-  Voilà le domaine du mouvement organique. Je vous demande : pourquoi il a besoin de la section d’or ? là je fais rapidement une parenthèse parce que ça renvoie à quelque chose que tu m’avais posé la dernière fois : c’est évident, c’est évident, c’est évident, rappelez vous ce que j’essayais de montrer : bien sûr au cinéma, vous pouvez toujours faire des images centrées sur des instants privilégiés et des moments de crise - oui ça vous pouvez - ça n’empêche pas que ça sera du cinéma c’est à dire que vous n’obtiendrez pas ces moments de crise et ces instants privilégiés - comme on les obtenait dans les autres arts, par exemple dans la tragédie. Dans la tragédie vous fixiez des instants privilégiés directement en fonction de formes considérées pour elles-mêmes. je disais depuis le début : il n’y a cinéma que lorsque la reconstitution du mouvement se fait, non à partir de formes privilégiées ou d’instants de crise mais lorsque, la reconstitution du mouvement se fait à partir d’images équidistantes c’est à dire à partir d’images quelconques.

-  Et si vous n’avez pas ça, vous avez tout ce que vous voulez dans le genre ombre chinoise, vous n’avez pas de cinéma. C’est l’équidistance de l’image c’est à dire le fait que le mouvement soit rapporté à l’instant quelconque, donc à des instants équidistants qui définit le cinéma. Bon, voyez bien qu’avec son thème du mouvement organique et pourquoi il a besoin de substructure organique sous le pathétique, parce que c’est la loi du mouvement organique qui lui donne "son équidistance à lui" Eisenstein, - son équidistance à lui très particulière - ça va être l’équidistance des parties déterminées pour la section d’or. Dans le cas le plus simple : que la plus petite partie soit, non, oui, heu, que la plus petite partie soit à la plus grande ce que la plus grande est au Tout - voilà une équidistance - que vous pouvez exprimer en effet sous une qualité de type analogique, sous une relation d’analogie de la section d’or. Il a besoin de cette équidistance et vous voyez pourquoi, alors je dirai : il calcule l’équidistance de telle manière qu’elle coïncide avec les instants privilégiés. Mais la manière dont Eisenstein parle restituer dans le cinéma les instants de crise, n’est pas du tout un retour pré-cinématographique, c’est avec les ressources du cinéma c’est à dire en fonction de l’équidistance des images qu’il va se faire coup de génie : retrouver d’une manière proprement cinématographique l’idée pré-cinématographique des instants de crise. oui c’est bien, ça, c’est bien - et c’est pour ça que, il ne pouvait pas être dialecticien : La dialectique elle ne peut intervenir qu’en second sur fond d’organique. Elle peut intervenir qu’en second c’est bien forcé parce que elle va intervenir comment ?

-  c’est lorsque vous disposez déjà de votre spirale organique et seulement à ce moment là que vous pouvez constater que les vecteurs de cette spirale, s’organisent sous une seconde loi qui n’est plus la loi de la croissance. Mais qui est la loi de l’opposition du mouvement et en effet, dans votre spirale, vous avez des vecteurs opposés et l’image spiraline va se développer sous forme de ces vecteurs opposés c’est à dire sous forme de l’opposition de mouvement. A ce moment là, la dialectique - mais seulement à ce moment là - la dialectique apparaît : c’est une dialectique qui joue et qui ne fait que développer une loi profonde qui est la loi de l’organique - Eisenstein traître à la dialectique.

Alors, évidemment, heu, le Parti s’en doutait - alors, heu, bon, c’est de la longue histoire du cinéma pseudo-dialectique et les soviétiques - mais enfin on peut appeler ça montage dialectique au sens où la réponse de ce type de montage, la réponse d’Eisenstein au moins, sera exactement celle-ci : oui ! le mouvement dans l’espace peut exprimer l’Idée avec un grand I, c’est à dire peut exprimer un changement dans le Tout, sous quelles formes et à quelles conditions ? A condition que le mouvement dans l’espace se fasse, s’organise, en opposition de mouvement, en mouvement dialectiquement opposé, sous la condition générale du mouvement organique. D’où les deux pôles de l’image selon Eisenstein : l’image organique et pathétique et l’image de cinéma doit être les deux. Elle doit être organique et pathétique.

-  Voilà donc la première réponse que j’appellerai réponse dialectique et qui donne donc, et qui inspire, comprenez que c’est bien une certaine manière de monter les plans. Ohhh, ouais, alors deuxième, deuxième grande manière : j’en vois une autre qui est très intéressante parce que - encore une fois bon, moi je vois pas d’inconvénient à ce qu’il y ait des génies nationaux comme il y a des génies individuels - c’est cette fois-ci non plus le montage soviétique, avec son apparence - mais là, c’est à vous de choisir : sa réalité, ou son apparence dialectique, hein, heu, hégélien à la russe quoi. Eh, ouais, alors, heu, l’autre type de montage, c’est le montage à la française, à la belle époque. Et en effet c’est complètement différent il faut voir, alors, heu, et en même temps c’est complètement mélangé, heu, bon, comprenez que concrètement je reste un peu, il faut que j’accuse les différences. Il va de soi que chacun récupère ce que l’autre met en principe, ça se communique toutes ses formes de montage, hein, j’essaie juste de faire une typologie abstraite.

-  Et le montage à la française, eh ben, oui je dis à la française parce qu’il y a quelque chose de cartésien. Dans leur grande folie restant, c’est pas un reproche après tout, tous les autres étaient de faux hégéliens (rires) les autres qui ont, cela c’est de faux cartésiens, parce que ils ont un thème je crois vraiment les français de cette époque, ils ont un grand thème qui va dominer leur conception du montage : à savoir la plus grande quantité de mouvement. Voyez que leur réponse à eux : ça ne va pas être : opposons les mouvements pour que le mouvement dans l’espace exprime le Tout c’est à dire l’Idée, ça va être : "le maximum de quantité de mouvements pour que le mouvement exprime l’Idée ou le changement dans le Tout". C’est une réponse également rigoureuse, c’est une réponse merveilleuse. La plus grande quantité de mouvement c’est pas que ce soit des foules accélérées, hein, ils aiment bien pourtant l’accéléré, les français. Pour tout, ils se servent énormément d’accéléré, tous ou du ralenti, tous, c’est des artistes de l’accéléré et du ralenti. Pourquoi le ralenti aussi ? je dis, c’est pas parce qu’ils sont pas obsédés par la quantité de mouvement, c’est aussi bien : s’éloigner du maximum la quantité de mouvement c’est à dire atteindre au minimum que s’approcher du maximum. Mais quand même dans la loi du rythme, c’est plutôt tendre et ce sera ça eux, leur moment de crise c’est à dire l’instant de crise ou l’instant privilégié reconstitué par le cinéma à sa manière et par ces moyens cinématographiques - si j’en reviens à l’Idée que je disais tout à l’heure pour Eisenstein (rires)

Deleuze : Ah, il y a longtemps qu’il faisait ça ?

Elève : Non

Deleuze : Ah, alors bon, ouais, Du point de vue du rythme, c’est pour ça que les français vont être des, des artisans du rythme, des artistes du rythme cinématographique fantastiques car il va y avoir au moins trois variantes, le niveau du montage français que, oui, dans le cadre intervient évidemment, il y a perpétuellement dans l’image-mouvement et ses trois dimensions, cadre, le plan, le montage Vous avez perpétuellement communication et passage de l’un à l’autre ben oui, il y a la quantité de mouvement relative, la largeur du cadre, la durée du plan. Et plus vous allez mettre de quantité de mouvement d’après la loi, on pourrait presque appeler ça "la loi Gance". Plus vous allez mettre de quantité de mouvement dans un cadre suffisamment large ou de plus en plus large, plus le plan doit paraître court et il sera court. Et ça donne quel grand truc chez Gance ? Ça donne les tas de choses dont Gance s’est toujours réclamé comme étant l’inventeur même si ça existait avant lui, mais avoir donné une consistance telle que, avec lui ça prenait toute nouvelle signification et ces quatre choses c’est :

-  premièrement ou après dans l’ordre du temps, le montage accéléré qui ne peut se comprendre que du problème en effet de capter le maximum de quantité de mouvement, le montage accéléré,

-  deuxièmement la mobilité fantastique de la caméra,

-  troisièmement les surimpressions qui multiplient la quantité de mouvement, qui donnent une espèce de volume de la quantité de mouvement sur image plane
-  et enfin le triple écran et plus tard la polyvision. Le triple écran et la polyvision, qui sont - et comprenez que ces quatre éléments techniques, très très différents les uns de l’autre, les uns des autres - trouvent une parfaite homogénéité, du point de vue qui nous occupe, à savoir ce montage que j’appellerai un montage quantitatif.

Et sans doute, à partir de là, ils sont très différents mais c’est pas étonnant que je vous dise, finalement tous ce quoi disent que notre maître c’est Gance, Mais à partir de là, que ce soit l’herbier, que ce soit Epstein, que ce soit bien plus tard Grémillon, il reste ce problème. Il reste ce problème par exemple, le, ce film là que j’ai vu, qu’on a redonné, attendez il y a pas longtemps dont je, auquel je faisais allusion la dernière fois, « Maldonne » de Grémillon, un film muet de Grémillon où il y a cette splendide farandole. Or j’ai vu sur les papiers explicatifs que, en plus c’était une des première fois, paraît-il que un cinéaste avait je, avait fermé le décor, c’est à dire avait filmé un décor clos. En décor fermé. Or c’est très différent là, j’insiste c’est très différent par exemple, heu, de certaines grandes scènes de Gance au contraire, mais tout dépend des cas, tout dépend de l’évaluation, il y a une espèce d’acte créateur, chaque choix, pourquoi il fait sa, sa grande farandole en décor fermé, évidemment parce que il s’agit pour lui, alors là, il a une caméra sur rail, sur fil hein, le mouvement est sur fil en haut, il fait monter sa farandole en haut, il faut que la farandole ferme, heu, frôle le toit, heu, qu’elle grimpe tout l’escalier, qu’elle redescende, tout ça c’est des images splendides mais dont je peux dire : "elles sont signées". Elles sont signées comme on dit en école française en peinture, à tel moment, elles sont signées école française. C’est vraiment arrivé à un moment de l’image par l’intermédiaire d’autres images, arrivé à un moment de l’image, où vous capterez le maximum de quantité de mouvement dans un espace déterminé, dans ce cas précis, un espace clos.

-  Et je disais bon, ben, très bien prenez les grandes scènes : l’Herbier ; « l’Eldorado », la scène splendide, la grande scène de la danse. Epstein, je sais plus quoi mais vous le savez tous : la grande fête foraine. Grémillon, la farandole de « Maldonne », bon Gance j’en ai assez parlé hein. Et qu’est ce que ça veut dire ? qu’est ce qu’ils attendent de cette quantité de mouvement ? en quoi ils sont cartésiens ? Ben, c’est pas difficile, c’est que eux - c’est donc, leurs réponses ce serait : c’est en poussant le mouvement jusqu’à capter le maximum de quantité de mouvement dans un espace variable : c’est ainsi que le mouvement exprimera l’Idée c’est à dire le Tout et le changement dans le Tout. Là, la réponse, elle est très rigoureuse aussi : le Tout c’est plus une idée dialectique à ce moment là ils y sont très étrangers, c’est du quoi, c’est je disais, montage quantitatif, certains l’ont appelé aussi bien montage lyrique, c’est une Idée lyrique : à savoir c’est l’Idée comme rythme et à la limite, ils disent tous : "l’Idée comme état d’âme". Je dirai cette fois que les deux pôles du montage - ou même à la limite les deux pôles de l’image-mouvement - ce n’est plus organique pathétique, comme dans le cas, comme dans le cas Eisenstein - mais ce serait cinétique lyrique, cinétique c’est la capture du maximum de quantité de mouvement, lyrique c’est l’Idée déterminée comme état d’âme, comme correspondant. Comme le quelque chose de nouveau correspondant au maximum de la quantité de mouvement.

D’où la grande idée de Gance, ce n’est pas qu’il reprend à cet égard, qui va jusqu’à dire : c’est vraiment l’âme qui est le vêtement du corps et pas le corps qui est le vêtement de l’âme. Il faut mettre les états d’âme devant les personnages. Or ça ne peut se faire précisément que par cette technique de la quantité de mouvement. Bon, bon, bon, alors qu’est ce qu’il peut rester ? ben je disais juste et là j’en avais pas du tout parlé la dernière fois, je disais juste : eh ben, il y a une troisième grande école de ce point de vue là, école de montage. Une troisième grande conception du montage et cette troisième grande conception du montage, elle pas plus dialectique que les autres, tout ça c’est pas sérieux, c’est pas raisonnable et pourtant elle est allemande, c’est l’école allemande et l’école allemande - ils ont une de ces idées alors, ils ont une de ces idées formidables et qui est une réponse, je voudrais beaucoup insister sur le caractère très concret des réponses qu’on est en train d’examiner. Encore une fois c’est vraiment de la pratique quelqu’un qui vous dit, si vous voulez : c’est abstrait, c’est de la théorie lorsque je dis : ah oui, le mouvement , le mouvement dans l’espace va exprimer l’Idée, c’est à dire un changement dans le Tout. Cela dit, ben faut le faire, comment le faire ? Les réponses vraiment concrètes, c’est si on vous dit : eh bien si tu opposes les mouvements - évidemment, pas, pas, il suffit pas de faire rencontrer deux boules de billard - mais si tu opposes les mouvements d’une certaine manière conformément à des rythmes, à ce moment là l’ensemble du mouvement évoquera l’Idée - vous pouvez dire ça me plait pas, vous pouvez pas dire que c’est une réponse abstraite. C’est bien une recette - une recette pas du tout au sens où il suffisait d’appliquer ça pour faire un truc génial - mais au sens où si c’est fait avec génie, ça marche. De même la réponse française, la réponse Gance, pensez ça a tellement marché que ça a donné une icône du cinéma français.

Et il me reste à voir cette troisième réponse où les âmes tendres, les âmes sentimentales pour lesquelles les âmes sentimentales ont forcément une préférence, une petite préférence. Cette réponse allemande, ou bien les âmes dures peut-être je sais pas, je sais pas, non, les âmes tendres de préférence (rires) Cette fois-ci, c’est une idée très très bizarre et là je voudrais qu’elle soit aussi concrète que les autres. Supposez que quelqu’un se dise : oh mais, si il s’agit de faire que des mouvements dans l’espace expriment un Tout c’est à dire un changement dans le Tout, il y a des gens qui disent : ben non, ça ne me convient pas, opposer les mouvements, non ça me convient pas, c’est pas mon truc.

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