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5- 05/01/82 - 2

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G.Deleuze- Cinéma cours 5 du 05/O1/82 - 2 transcription : Una Sabljakovic

Vous voulez fermer la porte ?  Vous n’avez pas bien envie de travailler, hein ? C’est quand vous voulez moi je ne vais pas vous pousser... Oh j’espère que vous avez vu à la télévision, l’émission Glenn Gould - ceux qui ont la télé - quel génie ! Glenn Gould...Un pianiste..prodigieux, prodigieux... .Ah ! mon Dieu ! Alors quand même... ;

voilà rien d’autre, qu’est ce qu’on demande encore une fois, rien d’autre qu’un petit écart. Un petit intervalle, un petit intervalle entre deux mouvements. Encore une fois ce n’est rien qui ressemble pour le moment à une conscience, à quelque chose, à un esprit, non...Qu’est ce que ça veut dire ça ? Hein, Comprenez que c’est déjà très important si je prends à la lettre : il y aurait donc deux sortes d’images ?

-  Premièrement, il y aurait des images qui subissent des actions et qui réagissent, retenez bien parce que ça va nous être à nouveau très important ; qui subissent des actions et qui réagissent immédiatement dans toutes leurs parties et sous toutes leurs faces. Elles subissent et réagissent immédiatement sur toutes leurs parties et sur toutes leurs faces.

-  Et puis il y a un autre type d’images, qui simplement présente un écart entre l’action et la réaction. Ça nous permet de faire une précision terminologique : on réservera le mot « action » a proprement parlé à des réactions qui ne surviennent qu’après l’écart.

-   De telles images, qui réagissent à l’action qu’elles subissent sous condition d’un intervalle entre les deux mouvements, ces images-là sont dites "agir " à proprement parler. En d’autres termes il y a "action a proprement parlé" lorsque la réaction ne s’enchaîne pas immédiatement avec l’action subie. C’est bien ok, c’est bien ce que tout le monde appelle action, si on cherche une définition de l’action celle-là c’est une bonne définition. Pourquoi ? Parce que c’est une définition temporelle. Et en effet il y a un grand art de Bergson ; les définitions de Bergson c’est toujours, même quand elles n’en ont pas l’air, c’est toujours des définitions temporelles. C’est toujours dans le temps qu’il définit les choses ou les êtres.

-  Mais essayons de mieux comprendre parce que c’est curieux mais je continue à avoir l’impression que c’est à la fois, simultanément, extraordinairement simple tout ça et extraordinairement compliqué, les deux à la fois. Et l’un ne détruisant pas l’autre. Prenons un exemple alors, vite un exemple alors, vite un exemple d’une image qui comporte un tel écart. Bien mon cerveau, j’ai un cerveau : c’est une image, vous vous rappelez ; c’est une image-mouvement, c’est une image comme les autres, parmi les autres et c’est une drôle d’image l’image-cerveau.  Parce quelle différence il y a entre le cerveau et la moelle épinière ?  On peut dire bien des choses, notamment on peut chercher des définitions structurales, c’est-à-dire, finalement spatiales de la moelle épinière et du cerveau. Mais si on joue le jeu de la recherche des définitions temporelles, dans l’acte réflexe : un ébranlement reçu, une action subie se prolonge immédiatement. Par l’intermédiaire, il y a donc un enchaînement immédiat, sans intervalle. Il est temporel, mais sans intervalle - mettons en très gros, comme ça c’est simplifié cela va de soi - entre les cellules sensitives qui reçoivent l’excitation et les cellules motrices de la moelle qui déclenche la réaction.

D’accord, d’accord. J’ai un cerveau, je reçois une excitation bon ça ça reste, c’est-à-dire je reçois un mouvement, un ébranlement, je reçois une excitation mais bizarrement au lieu que cette excitation reçue dans un centre de sensibilité se prolonge immédiatement dans une réaction déclenchée par un centre moteur de la moelle, un détour se fait. Dans tout ça, j’en reste en termes de mouvements : un détour se fait, c’est-à-dire l’excitation remonte, à quoi ? C’est très rudimentaire comme schéma mais ça fait tout comprendre. L’excitation remonte aux cellules de l’encéphale, aux cellules corticales, de là : elles redescendent aux cellules motrices de la moelle. Bien. Donc différence entre une action réflexe et une action cérébrale : ébranlement reçu par le centre de sensation, le centre sensible, de sensibilité, prolongement immédiat, réaction déclenchée par le centre moteur de la moelle. Action cérébrale : premier segment, la même chose, mais ça monte dans les cellules de l’encéphale, et ça redescend dans les centres moteurs de la moelle.

Tout ça c’est du pur mouvement. C’est ça le retard. Le retard ou le détour. L’intervalle entre les deux mouvements a été pris par le détour du mouvement. Vous comprenez ; ça commence par remonter dans l’encéphale et ça redescend au centre moteur de la moelle. Pourquoi ? À quoi ça sert tout ça ? À quoi ça sert ? Alors on commence à mieux comprendre, j’introduis rien de plus que le mouvement, l’écart, l’intervalle entre deux mouvements ou le détour opéré par le mouvement. Et vous voyez que je peux donner des définitions spatiales du cerveau qui seront très complexes, qui seront les définitions du savant. Mais après tout le philosophe ou le métaphysicien pour le moment n’a strictement besoin que d’une définition temporelle du cerveau et la première définition temporelle du cerveau ce sera : un détour non, un écart ; le cerveau est lui-même un écart.

Le cerveau c’est l’écart. C’est un écart entre un mouvement reçu et un mouvement rendu. Ecart à la faveur duquel se produit un détour. Un détour du mouvement. Qu’est-ce que ça implique ça ? Cet écart ou ce détour ? Trois choses. Il va nous donner trois caractères. Il a comme concomitant trois caractères. -
-  Premier caractère : l’image spéciale, voyez l’image spéciale, c’est l’écart ou le détour. Et bien les images spéciales qui sont ainsi douées de cette propriété d’écart ou de détour.
-  Premier caractère : on ne peut plus dire qu’elles "subissent" des actions ; on ne peut plus dire qu’elles reçoivent des excitations ou qu’elles subissent des actions dans toute leur partie ou sur toute leur face. C’était le cas de l’image-mouvement ordinaire une image ordinaire : une image-mouvement recevait des actions, subissait des actions sur toutes ses parties, sur toutes ses faces, dans toutes ses parties et sur toutes ses faces. Là quand il y a écart entre le mouvement reçu et le mouvement exécuté, la condition même pour qu’il y ait écart, c’est que le mouvement reçu soit localisé. L’excitation reçue soit localisée.

En d’autres termes, l’image spéciale - je garde ce mot pour le moment - l’image spéciale sera une image qui ne reçoit les excitations qui s’exercent sur elle - elle ne subit les actions qui s’exercent sur elle que - dans certaines de ses parties et sur certaines de ses faces. Ca veut dire quoi ça ? Ca veut dire que lorsqu’une autre image, c‘est à dire lorsque quelque chose d’autre agit sur elle, elle ne retient qu’une partie de l’action de l’autre chose. Il y a des choses qui la traversent ; il y a des choses qui traversent l’image spéciale et - à quoi à la lettre - elle reste indifférente. En d’autres termes, elle ne retient que ce qui l’intéresse. En effet, elle ne retient que ce qu’elle est capable de saisir dans certaines de ses parties et sur certaines de ses faces. Or pourquoi est ce qu’elle retient ceci plutôt que cela : évidemment elle retient ce qu’il l‘intéresse. Dans la lumière - là prenons un exemple vraiment enfantin - dans la lumière, le vivant- et ça varie d’après les vivants - ne retient que certaines longueurs d’ondes et certaines fréquences. Le reste le traverse, et l’état indifférent reste. Voyez, là l’opposition devient très, très rigoureuse. L’image-mouvement, ordinaire, c’était une image - encore une fois - qui recevait action et exécutait réaction immédiatement ; c’est à dire dans toutes ses parties sur toutes ses faces l’image spéciale qui présente le phénomène d’écart, de ce fait même elle ne reçoit l’action qu’elle subit que sur certaines faces ou dans certaines parties, dès lors elle laisse échapper de l’image de la chose, ça revient au même, qui agit sur elle, elle laisse échapper beaucoup. En d’autres termes, le premier caractère de l’écart ou de l’image spéciale ça va être ; "sélectionné". Sélectionné dans l‘excitation reçue ou si vous préférez : éliminer soustraire. Il y aura des choses que l’image spéciale laissera passer. Au contraire une image ordinaire, elle ne laisse rien passer. En effet, elle reçoit, encore une fois, elle reçoit sur toutes ses parties et dans toutes ses parties et sur toutes ses faces. L’image spéciale, elle ne reçoit que sur les parties, que sur certaines faces et dans les parties privilégiées. Donc, elle laisse passer énormément de choses. Je ne verrai pas au-delà et en deçà de telle longueur d’onde, et telle fréquence. Un animal verra ou entendra, sentira des choses que moi je ne sens pas, etc., etc., enfin, vous pouvez prolonger tout ça ; c’est ce premier aspect de la sélection ou de l’élimination qui va définir le phénomène de "l’écart" et ce type d’image spéciale.

-  Deuxièmement : considérons l’action subie alors dans ce qui en reste puisque j’ai sélectionné ? en tant qu’image spéciale, j’ai sélectionné les actions que je subissais - Si vous préférez mon corps a sélectionné - ça revient au même - a sélectionné les actions que je subissais.

Alors, considérons maintenant ce que je subis comme action : qu’est-ce qui se passe ? Je subis un ébranlement, je subis une action, je reçois des vibrations, tout ça ; je ne parle plus de celle que j‘élimine. Je parle de celle que je laisse passer ; je parle de celle que je retiens, que je reçois sur une face privilégiée, que je reçois dans une de mes parties. Qu’est-ce qui se passe pour cette action subie ?

-  Ca va être le second caractère. Dans le circuit réflexe, pas de problème, elle se prolongeait en réaction exécutée par l’intermédiaire des centres moteur. Et on a vu que là, au contraire, il y a un détour par l‘encéphale. Qu’est-ce qu’il veut dire ce détour ? Qu’est-ce qu’il fait ? Qu’est-ce que ça veut dire ce détour par l’encéphale ? Tout se passe comme si, l’action subie, quand elle arrivait dans l’encéphale - appareil prodigieusement compliqué - se divise en une infinité de chemins naissants. Alors, on peut dire pour simplifier que c’est des chemins déjà préfigurés, qu’il y en a plein, mais en fait c’est des chemins qui se refont dans l’ensemble du cortex à chaque instant, qui sont déterminés par des rapports électriques etc. par des rapports encore bien plus compliqués, par des rapports moléculaires, enfin bon, toutes sortes de choses.
-  Tout se passe comme si l’excitation reçue se divisait à l’infini comme en une sorte de multiplicité de chemins esquissés. Voilà, je fais un petit dessin pour que vous compreniez : l’arc reflexe est très bien, vous avez excitation reçue, un segment, cellule sensitive qui reçoit l’excitation et transmission à la moelle, centre, truc moteur de la moelle, réaction. Là, vous avez au contraire excitation reçue - le premier segment reste le même - montée dans l’encéphale, et là ça devient... L’excitation se trouve devant une espèce de division de soi en mille chemins corticaux et toujours remaniés. C’est une division ; une multidivision ; multidivision de l’excitation reçue.

- Voilà dans la description bergsonienne ce que fait le cerveau. C’est pas compliqué à quel point Bergson est en train de nous dire, mais évidemment le cerveau, il introduit pas des images, les images - elles étaient déjà là avant ; il n’y avait pas besoin d’introduire des images. Non, le cerveau il opère uniquement au niveau du mouvement. Il divise un mouvement d’excitation reçue en une infinité des chemins. Bon, ça c’est le deuxième aspect : je dirais ce n ‘est plus une sélection soustraction, c’est une division . C’est donc le deuxième aspect de l’écart ; l’écart opérait tout à l’heure une soustraction élimination, non une soustraction sélection, maintenant il opère une division de l’ébranlement reçu, de l’excitation reçue. L’action subie donc, si vous voulez, ne se prolonge plus dans une réaction immédiate ; il se divise en une infinité de réactions naissantes. Qu’est-ce que c’est ça ? On en aura besoin - j’introduis ce concept là, parce que Bergson n’emploie pas ce mot, mais comme j’en avais besoin - c’est comme une espèce de division c’est aussi bien une espèce d’hésitation comme si l’excitation reçue hésitait, s’engageait un pied dans un tel chemin cortical, un tel autre pied dans tel autre chemin etc. C’est exactement ce qu’on appelle - il y a ça en géographie là quand un fleuve se met à ..... comment ça s’appelle ?... c’est très connu ça...Ah, écoutez, un effort ; enfin, c’est pas possible que tous on perde les mots en même temps : ce n’est jamais les mêmes mots qu’on perd - Ah, non, ah, mais ce n‘est pas ça méandre, non. Ce n’est pas ça. Un delta. C’est ça.

-  Troisièmement, grâce à ça ; grâce à cette division et ces subdivisions de l’excitation reçue par le cortex, division opérée par le cortex. Qu’est-ce qui va se passer ? Quand il y aura une redescente au centre moteur de la moelle, il faudra que ce ne soit plus le prolongement de l’excitation reçue mais que ce soit comme une espèce d’intégration de toutes les petites réactions cérébrales naissantes. En d’autres termes : apparaîtra quelque chose de radicalement nouveau par rapport à l’excitation reçue. Ce quelque chose de "radicalement nouveau par rapport à l’excitation reçue" c’est ce qu’on appellera : une "action" à proprement parler. Et ce troisième niveau on dira qu’il consiste en ceci : que ce sont des images spéciales parce qu’au lieu d’enchaîner leurs réactions avec l‘excitation, elles choisissent leurs actions. Elles choisissent la réaction qu‘elles vont avoir en fonction d’excitation. Voilà donc trois termes uniquement cinétiques - c’est à dire en terme de mouvement - on a rien introduit qui ressemble à un esprit. Ces trois termes cinétiques qui permettent de définir l’image spéciale c’est :
-  premièrement : soustraire / sélectionner,
-  deuxièmement : diviser,
-  troisièmement : choisir. Alors, vous me direz "choisir", ça implique quand même la conscience, tout ça ..., rien du tout. La définition toujours temporelle qu’on peut donner de "choisir" à partir des textes de Bergson, c’est :"intégrer la multiplicité des réactions naissantes telles qu’elles s’opéraient ou se traçaient dans le cortex."

-  Donc, je dis une telle image qui est capable de sélectionner quelque chose dans les actions qu’elle subit, de diviser l’excitation qu’elle reçoit et de choisir l’action qu’elle va exécuter en fonction de l’excitation reçue, une telle image, appelons là : image subjective. Remarquez qu’elle fait absolument partie des images-mouvement. Elle est tout entière définie en mouvement. Image subjective : pourquoi et en quel sens de sujet ? Là il ne faut pas ; il faut rester quand même très, très rigoureux, si non tout s’écoule.

-  Sujet n’est ici qu’un mot pour désigner l’écart entre l’excitation et l’action. Et je dirais, "image subjective" c’est : qu’est-ce que ça veut dire cet écart, en effet ? Cet écart ça définit uniquement un centre qu’il faudra bien appeler un "centre d’indétermination".

-  Quand il y a écart entre l’excitation subie et la réaction exécutée il y a centre d’indétermination. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire, en fonction de l’excitation subie, je ne peux pas prévoir quelle sera la réaction exécutée. Je dirais il y a là un centre d’indétermination. Ce qu’on appelle "un sujet", ce n’est absolument pour le moment, rien d’autre que ceci : c’est un centre d’indétermination. Tiens, voilà alors la définition spatiale qui correspond à la réalité temporelle du sujet. Par sujet on entend quelque chose qui se produit dans le monde - c’est à dire dans l’univers des images-mouvement : à savoir c’est un centre d’indétermination et ce centre d’indétermination est défini comment ? - il est défini temporellement par l’écart entre mouvement reçu et mouvement exécuté. Cet écart entre mouvement reçu et mouvement exécuté ayant trois aspects :
-  sélection / soustraction,
-  division,
-  choix.

Voilà la seconde idée du premier chapitre, qui nous a conduis tout droit à une troisième idée. mais quel est le lien entre ces caractères ? Le centre d’indétermination est donc défini par soustraction etc. , division et choix. Quel est le lien de ces trois caractères ?

-  Voilà mon troisième problème concernent le Premier chapitre. D’accord ? Pas de difficulté sur le second point ? Ca va ? C’est minutieux, vous savez, c’est très minutieux ce truc. Bon. Il faudrait que j’avance vite mais en même temps j’ai peur... Voilà. Je dis toute de suite, quel est l’enchaînement du caractère tel que ... Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Des images spéciales reçoivent l’action d’autres images mais en sélectionnant. C’est à dire, elles ne reçoivent pas le "Tout" de l’action. Elles éliminent - en d’autres termes - elles éliminent pour elles, pour leur compte, ces images spéciales, elles éliminent certaines parties et même un très grand nombre de parties de l’image qui agit sur elle. C’est à dire de l’objet qui agit sur elle. Et en effet c’est bien connu - c’est un lieu commun là, mais tant mieux - On retombe sur un lieu commun, c’est bien connu qu’on ne perçoit que très, très peu de choses. C‘est pas qu’on perçoit mal, c’est qu’on perçoit vraiment pas beaucoup. C’est idiot dire qu’on perçoit mal ou que ce qu’on perçoit n’existe pas. Tout ces vieux problèmes ; ça se trouve même plus pour Bergson. Et dire oui, on ne perçoit pas assez, et en même temps c‘est notre grandeur parce que c’est précisément en ce sens, qu’on a un cerveau. Qu‘est-ce que ça veut dire ça ? En effet, on perçoit pas assez. Très intéressant comme formule si vous la comprenez.

-  C’est que percevoir, c’est par définition "percevoir pas assez". Si je percevais tout, je percevrais pas. Percevoir par nature c’est bien saisir la chose, ça oui, c‘est saisir la chose mais c’est saisir la chose moins tous ce qui m’intéresse pas dans la chose. Et en effet pour percevoir - voyez comment le problème devient celui-ci : pourquoi les images spéciales sont-elles douées de perception ? C’est forcé puisqu’elles opèrent la soustraction / sélection. Elles sont douées de perception. Elles perçoivent la chose dans certaines parties d’elles-mêmes privilégiées, sur certaines de leurs faces. Par la même, elles ne retiennent de la chose que ce qui les intéresse. Elles perçoivent la chose oui, mais moins beaucoup de choses. En d’autres termes : qu’est-ce que c’est que la perception d’une chose ? C’est la chose encore une fois moins tout qui ne m’intéresse pas. C’est la chose moins quelque chose. C’est pas la chose plus quelque chose. C’est la chose moins quelque chose. Pour percevoir il faut que j’en retire. Et que je retire quoi d’abord ? Vous vous rappelez toutes les images-mouvement, mais sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties, elles sont en communication les unes avec les autres. C’est à dire, elles échangent du mouvement. Elles reçoivent du mouvement, elles transmettent du mouvement. C’est pas de bonnes conditions pour percevoir. Même pas du tout. C’est forcé qu’au sens où nous employons le mot perception, elles perçoivent pas les choses. La table, elle perçoit pas. Il n’y a pas d’écart entre les actions qu’elle subit et la réaction. Elle ne peut pas faire de sélection. Elle perçoit pas.
-  Pour percevoir qu’est-ce qu’il faut ? Il faut déjà que je coupe la chose sur ses bords. En effet il faut que je l’empêche de communiquer avec les autres choses dans lesquelles elles dissoudraient ces mouvement. Avec lesquelles elle fondrait ces mouvements. Comme dit Bergson ; « Il faut bien que je l’isole ». Il faut bien que j’en fasse une espèce de tableau. Mais c’est pas seulement sur les bords que je dois soustraire pour avoir une perception. C’est dans la chose même, encore une fois - tout qui m’intéresse pas. Je compose mon système des couleurs avec les longueurs d’onde et les fréquences qui me concerne. C’est uniquement limitant, la perception elle naît de la limitation de la chose. Si vous comprenez ça, ça donne une idée il me semble très formidable. Une idée très formidable : qui est quoi ?

-  Qui est... quelle différence il y a t-il, voilà mon problème - quelle différence il y a-t-il entre la chose et la perception de la chose ?

Là on est en plein dans ce qui faisait les difficultés de la psychologie classique.

[...] Absolument rien à avoir avec ce que veut dire Bergson ; rien, rien, rien en commun. Car lorsque d’autres philosophes disaient ça, ça voulait dire : les choses finalement se confondent avec les perceptions que j’en ai. Il n’y a pas de chose sans perception que j’en ai.

-  Bergson il veut pas du tout dire ça. Il veut dire : les choses sont des perceptions en soi. En d’autres termes, une chose, c’est une image-mouvement. Elle ne cesse de recevoir des actions et d’exécuter des réactions et d’avoir des réactions. Je peux très bien convenir de dire que toutes les actions qu’elle subit : elle subit des actions dans toutes ses parties - et que toutes les réactions qu’elle exécute - elle exécute des réactions sur toutes les parties. Je peux très bien dire : l’ensemble des actions qu’elle subit et les réactions qu’elle fait sont des perceptions. Je dirais, la chose est une perception totale de tout ce qu’elle subit et de tout qu’elle exécute. Mot splendide d’un philosophe qui a des rapports - qui n’est pas du tout un Bergsonien, qui a son originalité entière, auquel j’ai fait déjà plusieurs allusions - de Whitehead à la même époque," les choses sont des préhensions". Les choses sont des préhensions. En effet, elles préhendent - au sens de prise - elle prend, la préhension c’est à la fois perception et prise. Elle prend toutes les actions qu’elle reçoit et toutes les réactions qu’elle exécute. Mais je dirais elle prend précisément, dans les conditions qu’on a précisé, sur toutes ses faces, dans toutes ses parties. Donc je dirais : chaque chose est une perception totale. C’est justement pour ça que c’est pas une perception. Je dirais c’est une préhension.

Il y a un mot qui est très facile, il y a un mot qui a eu du succès en philosophie parce que c’est la distinction entre... c’est difficile oralement parce que... vous allez toute de suite comprendre pourquoi - mais par écrit, on voit bien... Distinguer ... il y a toute sorte de philosophes qui ont distingué les préhensions et les appréhensions. La préhension étant comme une perception inconsciente, une espèce de micro-perception, et l’appréhension étant perception consciente. Je dirais les choses sont des perceptions totales, c’est-à-dire des préhensions. Ma perception de la chose c’est quoi ? C’est la même chose. C’est la même chose moins quelque chose. C’est une préhension partielle. Une appréhension : c’est pas comme le croyaient les autres philosophes : une préhension plus une synthèse de la conscience. Il faut dire une appréhension consciente, une perception consciente : c’est une perception moins quelque chose, c’est à dire c’est une préhension partielle. Je perçois la chose telle qu’elle est moins quelque chose, moins beaucoup de choses, moins tout ce qui m’intéresse pas. Qu’est-ce que ça veut dire : "ce qui m’intéresse pas" ? Vous voyez c’est par là que les choses sont des préhensions ou des perceptions totales, mes perceptions de choses sont des perceptions partielles et c’est pour ça qu’elles sont conscientes. Quel curieux rabaissement, là, de la conscience ? Finalement, les perceptions parfaites, c’est la perception, l’atome. L’atome a autant de perception et étend sa perception aussi loin qu’il reçoit des actions et aussi loin qu’il exécute des réactions. Les perceptions totales, ce sont celles des corps chimiques. Les perceptions totales ce sont celles des molécules. Les molécules sont des préhensions totales. Les atomes sont des préhensions totales.

-  Mais moi, ce que j’appelle "ma perception" et dont je fais mon privilège, et j’ai raison d’en faire mon privilège parce que c’est précisément, un ensemble de préhensions partielles. En d’autres termes, la perception c’est la chose même moins quelque chose. D’où le renversement du Bergsonisme. Le renversement opéré par Bergson, qui est un renversement très prodigieux - il me semble, dont j’avais parlé justement pour l’opposer à la phénoménologie, à savoir, Bergson ne cesse pas de nous dire : mais vous savez, c’est pas votre conscience qui est une petite lumière et les choses qui attendent votre conscience pour s’illuminer. C’est pas ça : les choses n’ont jamais attendu votre oeil. C’est curieux tout ça pour un auteur qu’on a tant taxé, à commencer par les marxistes, d’idéalisme et de spiritualisme, c’est très curieux ce Premier chapitre. Les choses elles ne vous ont jamais attendu, elles ont jamais attendu l’homme. Rien du tout. Qu’est-ce qui se passe ? C’est que les choses sont lumière. Là, il le dit à sa manière, c’est son romantisme à lui. La lumière, elle n’est pas dans l’âme mais elle est dans les choses. Et la conscience, c’est pas un faisceau de lumière comme une lampe électrique qu’on promènerait dans une pièce noire ; c’est juste l’envers : c’est la conscience qui est un écran noir.
-  L’écran noir - c’est quoi ? C’est le centre d’indétermination : à savoir c’est le fait que dans la chose beaucoup de choses ne m’intéresse pas. Voilà la page très belle de Bergson où il fait le renversement complet de la métaphore ordinaire sur la lumière : Donc, "c’est les choses qui sont lumineuses et "nous" qui sommes obscurs".

Alors que vous remarquerez que la phénoménologie - encore une fois - a beau apporter beaucoup de choses de nouveau quand à la conception des rapports conscient / choses, elle en reste entièrement dans l’ancienne métaphore - à savoir c’est la conscience qui est lumineuse et les choses qui sont obscures - et l’intentionnalité : c’est le rapport de la conscience-lumière avec les choses. Avec les choses tirées de leur fond. Tandis que pour Bergson, pas du tout.

-  Voilà le texte bergsonien qui paraît si beau dans le premier chapitre : " Si l’on considère un lieu quelconque de l’univers, on peut dire que l’action de la matière entière y passe sans résistance et sans déperdition et que la photographie du "Tout" y est translucide. C’est la cas des images-perception totale, c’est les images-mouvement. Comme il dira dans un autre texte : " la photographie est dans les choses". La photographie est dans les choses ; les choses sont des perceptions totales , ce sont des préhensions totales. La photographie - si photographie il y a - est déjà prise, déjà tirée dans l’intérieur même des choses et pour tous les points de l’espace.

-  Seulement, elle est translucide. Pourquoi elle est translucide ? Parce que précisément ces choses ne cessent pas de varier, de passer les unes dans les autres en même temps qu’elle reçoivent des actions et qu’elles exécutent des réactions. "Il manque, derrière la plaque, un écran noir sur lequel se détacherait l’image". Est-ce que l’image spéciale, c’est à dire chacun de nous apporte dans l’univers des images mouvements, c’est précisément l’écran noir sur lequel se détacherait l’image, c’est à dire, se fait cette sélection. Nos zones d’indétermination, c’est à dire ce que nous appellions "zones d’indétermination", joueraientt en quelque sorte le rôle d’écran.
-  "Elles n’ajoutent rien à ce qui est" - en d’autres termes la perception n’est pas quelque chose de plus - "elles n’ajoutent rien à ce qui est, elles font seulement que l’action réelle passe et que l’action virtuelle demeure" - je vais expliquer toute à l’heure ce que c’est que l’action virtuelle. Si bien que Bergson peut nous proposer de la conception, constamment ou sur la perception, la thèse suivante :
-  Nous percevons les choses là où elles sont.
-  Bien plus la perception est dans les choses.

Voyez ce que je voulais dire quand je disais c’est pas :" toute conscience est conscience de quelque chose", c’est : "toute conscience est quelque chose". C’est la chose qui est préhension totale. Préhension totale de ce qu’il lui arrive et de ce qu’elle fait. L’atome, comment définir l’atome ? On définira l’atome comme la préhension de tout ce qu’il lui arrive et de tout ce qu’il fait. Ou la molécule, peu importe.

-  Donc, la perception est "dans" les choses. Et pour percevoir - nous nous installons vraiment "dans les chose"s. Nous nous installons forcément dans les choses puisque nous, nous sommes rien d’autre qu’un centre d’indétermination. Simplement dans les choses, nous opérons une soustraction. Nous ne retenons dans la chose que ce qui nous intéresse. Ce que nous appelons notre perception - c’est pas qu’il soit nôtre qui compte, parce qu’elle n’est pas "nôtre" en fait - Elle se distingue de la chose même, encore une fois, uniquement parce que elle est une préhension partielle, tandis que la chose est une préhension totale. Et elle est une préhension partielle parce que nous ne recevons de la chose là où est la chose - Nous ne recevons de la chose qu’une petite partie des actions et nous ne transmettons des réactions que avec un retard.

-  D’où les formules de Bergson : c’est bien en p - au point p - et non pas ailleurs que l’image de p est formée et perçue. Autre formule : "les qualités des choses perçues d’abord en elles, dans les choses, plutôt qu’en nous". Autre formule :" la coïncidence de la perception avec l’objet perçu existe en droit". Pourquoi en droit ? Existe en droit oui, puisque les choses sont déjà des perceptions totales. Toutefois, la coïncidence de la perception avec l’objet perçu n’existe pas en fait, simplement parce que notre perception en fait, c’est la chose moins tout ce qui nous intéresse pas. Il y a toujours plus dans la chose que dans la perception. D’où le thème aussi :" la photo est dans les choses, comme la lumière", et ce que nous nous apportons c’est précisément l’écran noir sans lequel l’image ne se détacherait pas, et ne se détachant pas ne cesserait pas de passer dans les autres images. Si bien qu’on serait renvoyé au monde des préhensions totales, où rien ne peut être fixé, où aucune perception ne peut apparaître. En d’autres termes - là je suggère parce que je ne pourrai l’expliquer qu’après - c’est évidemment en fonction des centres d’indétermination que nous sommes, que se forment des constellations solides.

-  Dès lors, ma perception c’est évidemment la perception du solide. Parce que l’image-mouvement isolée, telle qu’on en retient que l’action nous intéresse, c’est précisément ce qu’on appellera "un solide". Tandis que la préhension totale qui ne fait qu’un avec la chose, c’est forcément des choses liquides, ou pire des choses gazeuses. Et c’est évident que l’univers n’est pas solide, il est liquide et gazeux, profondément gazeux. Pourquoi que ça importe au cinéma ? Ca va importer follement sur la nature de l’image cinématographique, mais ça je ne peux pas dire déjà. Alors ce que je voudrais finir... Vous êtes pas trop... ? Vous voyez que - voilà ce qu’il dirait, entre la chose et la perception de la chose, entre la chose et ma perception de la chose il n’y a qu’une différence de degrés.
-  Je perçois les choses là où elles sont, simplement ce que je perçois des choses c’est la chose même moins beaucoup de choses, moins tout ce qui ne m’intéresse pas. Et alors - parce que là à tout prix il faut que je finisse - Vous voulez deux minutes de repos sans bouger ? Je peux continuer vous êtes plein d’endurance 1 heure moins 20 Ceux qui veulent partir qu’ils partent maintenant pour ne pas me troubler

Alors, qu’est-ce que ça veut dire retenir de la chose ce qui m’intéresse ? Voyez pour le moment, j’ai : percevoir c’est une préhension partielle c’est à dire c’est saisir la chose là où elle est moins tous qui m’intéresse pas.
-  Deuxième détermination : qu’est-ce que ça fait ça que je saisisse la chose dans ...

Qu’est-ce que ça veut dire retenir de la chose ce qui m’intéresse ? Ca veut dire laisser passer beaucoup de l’action réelle des choses sur nous. Et notre perception consciente qu’est-ce qu’elle laisse échapper de l’action réelle de choses sur nous ? Ca passe comme ça ; ah j’ai pas vu...Phénomène de la distraction ça va être fondamental ; "

oh j’ai pas vu, j’ai pas vu... Pourtant, j’ai pu sentir en dessous de la conscience oui, très bien, qu’il y a un inconscient, mais à ce moment là est-ce que c’est pas déjà quelque chose par quoi j’ai des perceptions comme moléculaires ; c’est à dire des préhensions totales qui n’arrivent pas à l’inconscience ? Mais enfin, bon je laisse passer énormément de choses mais au moins, ça a un avantage. Je laisse passer beaucoup de l’action réelle de la chose sur moi mais en revanche je réfléchis la chose sous l’aspect de son action virtuelle sur moi.

-  En d’autres termes je perçois à distance. Ce que je perçois finalement, grâce aux éliminations et aux sélections, c’est la chose "avant" qu‘elle ne m’ait atteint. L’action virtuelle de la chose sur moi. Je sors pas du domaine de l’action exactement comme dans un modèle optique. Quand la réfraction ne se fait pas, lorsque les milieux que le rayon lumineux passe, sont dans des rapports de densité tel qu’il n’y a pas refraction : il y a ce phénomène qu’on appelle de "réflexion". Là en terme optique et pas du tout en terme de conscience, Bergson dira de la perception : c’est un phénomène de "réflexion". C’est à dire ce qu’elle va saisir c’est l’image "virtuelle" de la chose. Et la perception à distance, c’est précisément la saisie de l’image virtuelle de la chose, c’est à dire - comme j’ai beaucoup sélectionné dans l’action de la chose sur moi, j’y ai au moins gagné de percevoir une action virtuelle c’est à dire : ce que j’ai gardé de l’action réelle je la perçois à distance avant qu’elle se produise.

Donc, je peux définir une image-perception par déjà deux caractères :
-  je dirais une image perception c’est une image moins quelque chose, c’est une image qui a subi la sélection et la soustraction qu’on vient de voir, ça c’est le premier caractère. Elle est donc isolée des autres images et ne se fond pas avec les autres images par le jeu des actions et des réactions.
-  Deuxième caractère : l’image-perception c’est une image qui présente l’action virtuelle de la chose sur moi.
-  Troisième caractère qui s’enchaîne là - tant mieux, ça me permet d’aller très vite - vous verrez dans le texte c’est très clair. Dès lors c’est une image qui présente aussi bien, mon action possible sur la chose. Comme il dit tout le temps la perception est sensori-motrice. Voilà ce que je cherchais, c’est à dire les trois caractères donc, de ce que on peut appeler maintenant "image-subjective ou image-perception".

C’est l’image en soi, moins quelque chose, c’est l’image en tant qu’elle présente l’action virtuelle de la chose sur moi, c’est l’image, troisièmement, en tant qu’elle présente, qu’elle figure mon action possible sur la chose. Voilà... vous tenez encore un quar d’heure ? Ce que je veux bien définir là c’est : dans l’univers, dans mon agencement - là je reprends mon expression parce que elle me sera utile plus tard. Dans mon agencement "machinique" d’images- mouvement, je viens de définir un premier type d’image qui surgit dans cet univers, les images- perception.

-  Il va y avoir un deuxième type d’image et si vous m’avez suivi - vous comprenez déjà parce que il était comme déjà tout annoncé et préfiguré dans le premier type - Ce deuxième type d’image je l’appellerai - conformément il me semble au texte de Bergson - non plus des "images-perception" mais des "images-action". Puisque en effet, l’existence dans l’univers des images-mouvement, l’existence de centres d’indétermination ne faisait pas seulement qu’il y ait eu des perceptions, ça faisait aussi qu’il y ait eu des actions à proprement parler. Puisque les réactions ne s’enchaînaient plus avec les actions subies, il y avait "choix", c’est à dire formation de quelque chose de nouveau qu’on appelait "action". Donc c’était déjà compris dans la perception. Et ces images-action, en effet, elles se dessinent déjà dans le monde de la perception si vous consentez à l’idée que l’image-perception ne se définit pas seulement négativement. L’image- perception, elle ne se définit pas seulement négativement c’est à dire au sens au l’image-perception ça serait l’image en soi moins quelque chose. Elle se définit aussi - il me semble d’après le texte de Bergson vous verrez tout ça, il faut le lire ce texte, il faut le lire - c’est défini aussi par une espèce de courbure que prend l’univers machinique. Dès que vous introduisez dans l’univers des images-mouvement, des centres d’indétermination tout se passe comme si cet univers subissait une courbure.

Pourquoi ? C’est que dès que vous introduisez des centres d’indétermination, c’est à dire des sujets, parce que le sujet ce n’est absolument rien d’autre qu’un centre d’indétermination - on l’a vu - et que ça suffit aussi à faire naître la perception et l’action. Je dis, ça introduit nécessairement dans l’univers des images mouvement, une courbure. Pourquoi ? C’est qu’à partir du moment où vous disposez d’un centre d’indétermination, votre univers machinique joue, votre univers matériel des images-mouvement joue sur deux systèmes ; il a deux systèmes :
-  un premier système qui est celui des images en soi qui passent les unes dans les autres etc, et qui se définit comment ? Toutes les images à chaque instant varient pour elles mêmes et les unes par rapport aux autres. Toutes les images varient à chaque instant pour elles mêmes et les unes par rapport aux autres. Ca va de soi.

-  Mais dès qu’il y a des centres d’indétermination, second système qui coexiste avec le premier, qui le supprime pas, qui coexiste avec le premier - il faudra dire là que par rapport au second système c’est à dire par rapport au centre d’indétermination - voyez que les deux ne se contredisent pas du tout - par rapport au centre d’indétermination, toutes les images-mouvement varient par rapport à une image privilégiée. Le monde s’incurve, se courbe autour du centre d’indétermination. Et en effet : va lui tendre les perceptions, va lui tendre les objets à percevoir suivant un ordre qui est celui de la distance, et comme dit Bergson dans une formule splendide :" ma perception dispose de la distance pour autant que mon action dispose du temps". Le dernier objet là, l’objet qui est le plus dans le fond, mais la profondeur nait comme relation l’univers des images, les images, elles étaient sans profondeur ; la matière était sans virtualité ; la profondeur commence à naître à partir du moment où l’ensemble des images varie par rapport à des images spécialisées, à des images privilégiées qui sont définies comme des centres d’indétermination.
-  A ce moment là par rapport à ce centre, telle image objet est plus au moins loin, telle autre est plus loin, telle autre est plus près, et c’est ça qui va définir l’ordre de l’action virtuelle des objets sur moi mais c’est ça aussi qui va définir, c’est à dire le objet le plus proche et le plus menaçant ou bien celui dont je peux m’emparer et donc - ce qui va aussi permettre de définir l’ordre de mon action possible sur les choses.

-  Voyez que ce second aspect : la courbure que prends l’univers va être la base d’une logique de l’action à proprement parler ; Il va fournir, va empiéter complètement sur la perception, tout ça ça se mélange. Retenez bien que ça se mélange beaucoup ces types d’images. Mais je dirais que dans le monde de la perception "la courbure de l’espace" nous introduit et nous fait déjà passer d’un premier type d’image, les images-perception à un second type d’image les images- action.
-  Images-action qui sont définies par le double registre de l’action virtuelle des choses sur moi et de l’action possible de moi sur les choses. "Moi" voulant dire : centre d’indétermination toujours et rien d’autre.

On a introduit absolument rien d’autre que du mouvement. Voilà le second type d’image, les images action. Il y en a-t-il encore d’autre - on peut chercher, oui il y en a encore - Il y en a encore une. Une. On pourra se demander s’il n’y en a pas encore d’autre mais je crois, je crois que. Non, non il faut pas,il faut pas... Voilà ! Comprenez un dernier point :

C’est que beaucoup de choses me traversent. Dans l’action que les choses exercent sur moi il y a énormément de choses qui passent, qui me sont indifférentes. Ca me touche pas, ça m’intéresse pas. En compensation je perçois, c’est à dire je retiens ce qui m’intéresse, c’est à dire j’appréhende l’action virtuelle des choses sur moi. Du moins certaines. J’appréhende l’action virtuelle des choses sur moi dans le cadre de ce qui m’intéresse, mais ça empêche pas que les choses, elles se plient pas forcément à ma courbure d’univers, à mon registre d’action virtuelle des choses sur moi, action possible de moi sur les choses comme dit Bergson, il faut avoir "le temps". Et tout est venu du phénomène d’écart temporel. Mais les choses, elles me pressent aussi. Les images-mouvement, elles protestent, elles protestent contre les images "centre d’indétermination". Pourquoi elles supporteraient l’écart et de temps en temps "pan", quelque chose que je reçois en plein coeur, en plein fouet etc ... En d’autres termes, il y a des actions réelles qui passent. Et quand l’action réelle passe c’est quoi ? La chose attaque, pénètre mon corps. Au moins elle le touche, elle s’y inscrit. Bon bon oui, action réelle - là, la distance est abolie. Nous ne sommes plus dans le domaine de l’action possible de moi sur les choses et de l’action réelle des choses... l’action virtuelle des choses sur moi. Nous sommes dans le domaine de ce qui a "passé" sous la grille des sélections, à savoir l’action réelle des choses. L’action réelle des choses sur mon corps, un bruit assourdissant - ah ! mon tympan crevé. Qu’est-ce que c’est ça ? L’action réelle des choses sur moi elle se fait sur mon corps, dans mon corps. Si je la perçois, je la percevrais là où elle est, là où ça se passe. Tout à l’heure je disais : " je perçois les choses là où elles sont"... Quand la chose réagit sur mon corps et se confond avec une partie de mon corps c’est sur mon corps que je perçois ce qui est en question.

-  Et qu’est-ce que c’est ce qui est en question ? Qu’est-ce que c’est que cet appréhension des actions réelles qui pénètrent mon corps ? Voyez là c’est plus les choses indifférentes qui me traversent : c’est comme on dit, des choses qui affectent mon corps en abolissant toute distance perceptive ? Je dirais je ne perçois plus, je sens. Je ne perçois plus, je sens. Et de même que je percevais les choses dans les choses là où elles étaient, je perçois ce que je sens ou plutôt je sens ce que je sens là où c’est - c’est à dire sur et dans mon corps.
-  Et c’est ce qu’on appelle des "affections".

Voyez, c’est une troisième... tout à fait, Bergson dira très fort :’ il y a une différence - alors qu’il n’y avait pas de différence de nature entre la chose et la perception de la chose - en revanche il y a une différence de nature entre la chose et l’affection, entre la perception et l’affection. Comprenez ? Et comment expliquer ce statut de l’affection très privilégié ? Bergson nous dit une chose très simple : Le prix des centres d’indétermination, qu’est-ce qu’ils ont dû payer pour instaurer l’écart, l’intervalle qui a entraîné tant de choses nouvelles dans l’univers des images-mouvement ? Il ont dû - on a vu - spécialiser certaines de leur parties dans la réception, dans la réception des excitations. Ils ont dû sacrifier certaines de leurs faces pour en faire des faces uniquement réceptives, sacrifier certaines de leurs parties pour leur déléguer un rôle uniquement réceptif. En d’autres termes ils ont immobilisé. Les images spéciales ont dû immobiliser certaines de leurs parties pour en faire, je schématise, des organes des sens. Bon... dès lors il y avait une espèce de division du travail entre les parties sensitives immobilisées et les parties motrices.

C’était la rançon du cerveau.
-  Qu’est-ce que c’est qu’une affection ? Lorsque la chose atteint mon corps c’est à dire agît réellement sur mon corps, affection qui est saisie sur mon corps même c’est la protestation des parties immobilisées.
-  C’est une belle définition de l’affection : c’est la protestation, c’est la revendication des parties organiques immobilisées. C’est ça l’affection. En d’autres termes c’est :"l’effort des parties immobilisées de mon image - c’est à dire de l’image que je suis - pour retrouver le mouvement. Alors, ça peut être une affection de joie ou de tristesse, ça c’est autre chose, il faudrait distinguer les cas. Et, splendide définition que lance Bergson il dit :
-  qu’est ce qu’une affection ? Une affection, c’est une tendance motrice sur un nerf sensible ? C’est une tendance motrice sur un nerf sensible, à ma connaissance, jamais on a donné une plus belle définition de l’affection en philosophie. C’est une tendance motrice, pour comprendre imaginez un mal de dents. Vous avez mal aux dents. Et bien, votre mal de dents c’est une tendance motrice sur un nerf sensible. Fantastique définition il me semble... Qu’est ce qu’un amour ? Tendance motrice sur un nerf sensible.

Ca couvre tout le domaine des affections. Si bien qu’il pourra dire - je cherche là un prolongement quelconque - Il y a en nous une partie alors qui n’est pas simplement une partie réceptive de notre organisme mais qui est une partie qui figure perpétuellement l’effort d’une tendance motrice sur un nerf sensible. - C’est le visage.

-  C’est le visage. Alors, pourquoi le visage est l’image affective par excellence et pourquoi le cinéma fera t-il du gros plan du visage l’image affective par excellence ? Ca va trop de soi. En d’autres termes voilà... Je peux conclure enfin. Je peux conclure. Si vous voulez tout ce qu’on a fait aujourd’hui - d’où un texte qui ne vous étonnera pas lorsque Bergson dit :" les affections c’est finalement ce qui vient s’insérer dans l’écart entre l’excitation et la réaction". C’est à dire ça s’insère dans l’écart entre la perception reçue, la perception sélectionnée plutôt, et, la réaction agit.

C’est ça, c’est l’affection qui dans mon corps, dans mon corps même vient remplir l’écart. Si bien que - je résume parce que on partira de là la prochaine fois - puisque je dis juste : le contenu du premier chapitre de "Matière et Mémoire" me paraît être celui-ci :
-  première proposition il y a un univers matériel d’images mouvement. Voilà.
-  Deuxième proposition : cet univers matériel d’images mouvement se trouvent dans des conditions telles que sont distribués en lui des centres d’indétermination. Que se distribuent en lui des centres d’indétermination, uniquement définis par l’écart entre mouvement reçu et mouvement rendu.

- Troisième proposition : par rapport à ces centres d’indétermination, les images mouvement vont se diviser en trois types que l’on pourra appeler - Bergson n’emploie pas ces mots tel quels mais vous trouverez la chose - qu’on appellera image-perception, image-action, image-affection ; ces trois types étant vraiment des espèces d’images différentes les unes des autres. Si bien que l’agencement des images - mouvement, l’agencement matériel des images - mouvement pourra être en fin de compte défini comme ceci : c’est l’ensemble des images-mouvement, l’agencement machinique. l’univers pourra être défini comme ceci l’ensemble des images-mouvement en tant que par rapport à des centres d’indétermination il donne lieu nécessairement à des images-perception, images-action, images-affection.
-  Alors, je vous supplie pour la semaine prochaine de revoir tout ça parce que la semaine prochaine il y aura vos questions à vous là-dessus. J’en ai fini avec le premier chapitre de "Matière et Mémoire" et j’ai donc rattrapé une partie de mon passé et on passera à la question : "les types d’images au cinéma".

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