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19- 19/05/81- 1

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Gilles Deleuze cours du 19 Mai 1981 - 1 -La Peinture et la question des concepts transcription : Nicolas Lehnebach

D’autre part, je suis dans une situation compliquée, parce que je viens dans l’entrain de faire des schémas très élémentaires de couleurs, en fait ça devance ce que j’ai à dire, mais je me dis que la prochaine fois je n’aurai pas le courage de refaire mes schémas, vous me suivez ?

Alors si vous le voulez bien, vous vous rappelez qu’on en était à l’analyse de l’espace égyptien, mais là je vais faire une parenthèse sur ces schémas de couleurs dont j’aurai besoin la prochaine fois, ce sera fait. Alors je vais vous expliquer ça parce que ce sera acquis comme ça je n’aurai pas à refaire mes dessins. J’ai été bête, j’ai commencé à faire mes dessins et puis je me suis dit ben non ! Et maintenant voilà qu’il faut que ça serve, vous voyez ? A moins que je ne les refasse la prochaine fois. Non je vais vous les faire maintenant. C’est ça que vous voulez hein ? Maintenant tout de suite. Alors je vais passer par là pour resurgir par là (rire), formidable ! (Bruit) Alors je ne pars pas vraiment mais c’est vrai que... (phrases inaudibles).

Vous prenez ça comme base... et comme vous le reconnaissez sur c’est deux figures, l’une est un triangle équilatéral, là. L’autre est un cercle, là... l’un est dit triangle des couleurs de Goethe, l’autre se dit cercle chromatique. J’essaie progressivement d’utiliser les propositions de Goethe, comme ça ça sera sûr, vous aurez appris quelque chose. Pardon pour ceux qui connaissent déjà tout ça..

-  Première proposition, Goethe part d’un thème qui est très important, je veux dire si on comprend ça peut être qu’on comprend tout et tout le développement...il insiste beaucoup et les problèmes liés à la couleur, il insiste sur la nature sombre de la couleur. La couleur est sombre, mais qu’est ce que ça veut dire la couleur est sombre ? Ça ne veut pas dire qu’il y a un privilège des couleurs sombres, ça serait un contre sens [...], il y a des couleurs sombres mais quand il parle de la nature sombre des couleurs il veut dire bien évidemment tout à fait autre chose. "La couleur" peut être dite avoir une nature sombre car elle est obscurcissement de la lumière. Sans doute est-elle aussi éclaircissement du noir. Elle est obscurcissement du blanc aussi bien que éclaircissement du noir, et qu’est ce que c’est l’obscurcissement du blanc ? Le blanc obscurci c’est le jaune. Et le noir éclairci c’est le bleu.

-  Nous voilà avec nos deux couleurs dites primitives ou primaires, le jaune et le bleu,. Vous voyez que dans le triangle de couleurs, triangle équilatéral qui va lui-même se diviser en triangles équilatéraux, jaune et bleu sont là. Donc si je me dis et si j’en fais un triangle de couleurs en le remplissant de triangles équilatéraux, si je mets en ordre, j’aurais mes deux triangles équilatéraux (bruit de la craie) de la base... jaune et bleu.

-  En vertu du caractère sombre de la couleur, lumière obscurcie, la couleur est inséparable du mouvement. Vous sentez toutes ces choses c’est vraiment très très rudimentaire mais c’est tellement signé Goethe, c’est pas étonnant que ce livre soit encore euh, vous ne le traitiez pas [...] la couleur est inséparable d’un mouvement encore faut-il le dégager. Voyez ce qu’il a fait, c’est déjà trés prodigieux il est bien parti du blanc et du noir, mais ça va être court à partir du blanc et du noir, on va assister à une espèce de changement de direction, si vous étagez un rayon lumineux en profondeur et si vous étagez blanc et noir en profondeur, tout le champ des couleurs va en quelque sorte s’étaler, prendre son indépendance, c’est la manière, je crois que le thème profond de Goethe c’est la manière dont la couleur s’étale et prend son indépendance par rapport à la lumière par rapport au [...] et noir.

-  Or c’est à ce niveau sombre, lumière obscurcie qui implique noir et éclairé que toutes les couleurs vont s’étendre. Donc d’abord sous forme de jaune et de bleu, mais je le dis, c’est du mouvement c’est déjà dynamique. Le jaune comme lumière obscurcie, le bleu comme noir éclairci, il y a déjà toute une dynamique. Comment est ce qu’on va nommer cette dynamique qui naît ? Alors cette fois-çi, naître, - non pas au niveau du blanc et du noir puisqu’on a déjà deux couleurs, mais au niveau du jaune et du bleu - naît en effet la dynamique de la couleur.

-  La dynamique de la couleur, Goethe va lui donner plusieurs noms : intensification, saturation, obscurcissement. Pourquoi obscurcissement ? En vertu de la nature sombre de la couleur. L’intensification du jaune ou son obscurcissement tend vers le rouge. Là l’expérience est simple, vous passez plusieurs couches de jaune sur jaune. Vous avez dans cette superposition du ton sur ton, vous avez et vous dégagez la tendance dynamique du jaune au rouge. Donc vous obscurcissez le jaune.

Au contraire - là il me semble que dans le texte de Goethe il y a une astuce très importante - au contraire, quand vous atténuez le bleu, vous avez de même une tendance au rouge. Qu’est ce que ça veut dire atténuer le bleu ? Le bleu est un éclaircissement du noir. Quand vous dites j’atténue le bleu, vous dites j’atténue l’éclaircissement. En d’autres termes le bleu qui tend vers le noir égale cette même tendance au rouge. Voyez en quel sens - je veux dire ce qui est très très important c’est en quel sens, il considère pas assombrissement et éclaircissement comme deux contraires. Il y a une nature sombre de la couleur. Cette nature sombre de la couleur se révèle aussi bien lorsque vous assombrissez le jaune que lorsque vous éclaircissez le bleu, car lorsque vous éclaircissez le bleu vous éclaircissez un éclaircissement. Donc tendance jaune au rouge par intensification, tendance du bleu au rouge par intensification. Le rouge pur que l’on appellera le pourpre, ce sera quoi ? ce sera - et là faites bien attention à la terminologie de Goethe - ce sera "la fusion", le point de fusion du jaune et du bleu. Point de fusion du jaune et du bleu au point de leur intensification maximale. Ce qui lui fait dire que
-  le pourpre ou le rouge, le rouge pur, c’est la satisfaction idéale, la fusion des couleurs des deux couleurs, jaune et bleu, au point de satisfaction idéale.

-  Voila donc toujours... quand j’ai construit mon triangle j’aurais pu dire 1, 1’ (un prime) jaune bleu, à partir de la lumière, bleu rouge comme point d’intensification maximale, 3 je mélange le jaune et le bleu. Je mélange le jaune et le bleu et j’ai le vert. Voyez à quel point le rouge et le vert ne sont pas symétriques. Du vert Goethe dira que c’est le point de satisfaction réelle.
-  Le rouge c’est le point de satisfaction idéale, ou le point de fusion -
-  le vert c’est le point de satisfaction réelle - ou le mélange. Donc je peux construire mon petit triangle en haut rouge comme point d’intensification maximum, et je peux construire mon triangle intermédiaire entre le jaune et le bleu, le vert.

-  Le vert le relance. C’est une espèce de - le triangle il est génétique c’est ça que je dirais en premier lieu. Il y a une genèse des couleurs dans le triangle de Goethe. Le vert m’a donné une idée. Le vert s’est imposé comme mélange du jaune et du bleu. Il me reste à mélanger le jaune et le rouge, ce qui me donne l’orangé. Il me reste à mélanger le rouge et le bleu, ce qui me donne le violet. Et voilà mes six couleurs primitives qui ont été engendrées, j’insiste là dessus parce que souvent quand on lit Goethe, on se les donne en fonction du [...] du triangle des couleurs. C’est pas seulement qu’il y a des couleurs : mélanges dites couleurs binaires et des couleurs primitives - trois primitives : jaune, bleu, rouge ;
-  et trois couleurs binaires : orange, violet, vert - ce n’est pas ça. J’ai le sentiment que dans le texte de Goethe la genèse est vraiment, [...] et que le triangle des couleurs exprime cette genèse.

-  Dans l’ordre vous avez
-  naissance du jaune,
-  naissance du bleu,
-  naissance commune du rouge par intensification des deux,
-  naissance du vert par mélange, extension du mélange par la [...] Imaginez que j’ai mis des traits de couleurs de couleurs - ce serait ravissant - alors, qu’est-ce qu’il me reste ? Il me reste les combinaisons - c’est quoi ces combinaisons ? ... le cercle chromatique tout à l’heure
-  La combinaison : jaune - vert, ici ; l
-  a combinaison : vert - bleu ;
-  la combinaison : orange - violet. Et ainsi le triangle des couleurs est [...] c’est simple mais c’est beau [...] parce qu’encore une fois, il me semble que c’est évident que si on le lit comme tout fait c’est un triangle génétique et bien plus vous ne pouvez pas le construire de proche en proche, il me semble que l’ordre de construction s’impose 1, 1’ 2, 3, 4, 4’, 5, 5’... Ça c’est le triangle des couleurs [...] On pourrrait ajouter ceci : L’extériorité de la couleur lumière ombre, blanc noir, vous voyez la force, là, la couleur a jailli de son extérieur. Ca c’est la naissance de l’indépendance des couleurs, c’est une genèse. Le triangle est génétique. Bon, d’accord ? Pas de problème ? Le cercle chromatique lui il est structural [...] Je pars du jaune - j’ai raison de partir du jaune, je le met la haut sur mon cercle et à partir de là j’établis une première opposition diamétrale. Qu’est-ce qui s’oppose diamétralement au jaune ? Le jaune est une des trois couleurs primitives ou primaires, jaune bleu rouge. Ce qui s’oppose au jaune c’est le mélange des deux autres primitives. Une opposition diamétrale une fois données mes trois couleurs primitives, jaunes bleu et rouge, on appellera opposition diamétrale, l’opposition d’une de ces primitives et du mélange des deux autres. Cette opposition diamétrale est bien connue sous le nom de : rapport entre complémentaires. Qu’est-ce que deux couleurs complémentaires ?
-  Deux couleurs complémentaires sont telles que l’une est une couleur primitive et l’autre est faite du mélange des deux autres. Donc le jaune est en opposition diamétrale avec le mélange de bleu et de rouge c’est-à-dire le violet. Du coup si j’ai commencé à tracer mon cercle - voyez qu’il n’est plus du tout génétique, le cercle. Il commence, à partir du problème des oppositions diamétrales, il commence par tracer une structure.

C’est pour ça que je crois que dans l’ordre c’est une évidence que le cercle chromatique reste une chose morte si l’on n’a pas mis d’abord le triangle des couleurs. (Bruit) sentez que j’ai une trés grande prérence .. rires . Vous avez votre première opposition diamétrale, le violet comme mélange du bleu et du rouge force à placer sur notre cercle [...] le bleu et le rouge, six sections des trois couleurs primaires le violet est un mélange du bleu et du rouge (bruit) Ce n’est plus une genèse, c’est une déduction de structure, c’est une déduction structurale, d’où vous placerez vos deux autres points périphériques : bleu jaune, l’intermédiaire est vert, jaune rouge, intermédiaire orange. Et vous avez, vous pouvez lire dès lors, votre opposition diamétrale, de même que jaune est en opposition diamétrale avec violet selon la loi des complémentaires, rouge est en opposition diamétrale avec vert, puisque rouge est une couleur primitive en opposition diamétrale avec le mélange des deux autres, le mélange des deux autres c’est le mélange jaune - bleu, et le mélange jaune - bleu, c’est le vert.
-  Donc opposition diamétrale du rouge et du vert,
-  opposition diamétrale du bleu et de l’orange, de l’orangé, puisque l’orangé c’est le mélange jaune/rouge en opposition diamétrale avec la troisième couleur primitive... J’ai presque fini.

-  Un premier type de rapport entre les couleurs vous est fourni sur le cercle chromatique par les oppositions diamétrales. C’est le thème du complémentaire. Les petits pointillés de Goethe indiquent qu’il y a d’autres relations. Les autres relations c’est lorsque les rapports entre les couleurs passent par les cordes et non plus par les diamètres. Les oppositions diamétrales dans la terminologie de Goethe, ce sont les combinaisons harmonieuses. Combinaisons harmonieuses du jaune et du violet, de l’orangé et du bleu, du rouge et du vert. C’est les rapports de complémentaires. On abandonne les diamètres et on considère les cordes. Deux sortes de cordes. Vous mettez en rapport deux couleurs en sautant l’intermédiaire. Ce sera les grandes cordes. C’est ce que Goethe appellera les combinaisons caractéristiques. La liste des combinaisons caractéristiques c’est ce que j’écris en pointillé, ce sera : vert - orangé, orangé - violet. Vous voyez vous avez sauté le jaune. Vous avez tendu une corde dans le cercle chromatique de telle manière que vous mettez en rapport le vert et l’orangé en sautant le jaune. C’est la grande corde.

Vous continuez, deuxième combinaison caractéristique : orangé - violet, en sautant le rouge. Troisième combinaison : violet et vert en sautant le bleu. Dans l’autre sens,
-  combinaison bleu - rouge en sautant le violet ;
-  rouge - jaune en sautant l’orangé ;
-  bleu - jaune en sautant le vert. Et vous avez votre tissu de combinaisons dites "caractéristiques".

-  Et enfin ce que je n’ai pas marqué pour ne pas compliquer - mais Goethe le marquera, ce sont les combinaisons sans caractère. Ce sont les petites cordes. Où vous ne sautez pas une couleur, vous sautez simplement l’intermédiaire entre deux couleurs. Et les combinaisons sans caractère ce sera :
-  jaune - orangé,
-  orangé - rouge,
-  rouge - violet,
-  violet - bleu,
-  bleu - vert [...] Vous avez votre ensemble structural. Ce qui m’intéresse c’est que c’est à votre [...]. Je veux dire triangle dit génétiquement ce que le cercle chromatique dit structuralement. A mon sentiment, le cercle est mort [...] Pourquoi c’est important, là je dis... Ce n’est pas simplement de la théorie, c’est la base de toute théorie [...] Dans un sens est-ce qu’il a fallu attendre Goethe pour... on verra... pourquoi ça c’est fait à ce moment là... et pourquoi ça s’est fait à ce moment là.

Delacroix, il se faisait sur sa palette un vrai chronomètre. Un chronomètre chromatique, c’est-à-dire une pendule on pourrait dire qu’il voulait assigner des heures au cercle chromatique.

Alors qu’est-ce qu’il faisait Delacroix... Il mettait ses couleurs (bruit), et puis il entourait... dans un gros tas, et puis il entourait des couleurs dérivées ou des mélanges et puis ça faisait vraiment un chronomètre [...] Ca c’est une première anecdote... ça serait comme des exercices. Moi je serai peintre je suis sûr que ça m’intéresserait moi ça, comment le transformer..

-  Comment en fonction de ces schémas un peintre dispose les couleurs sur la palette ? Voilà, premier problème pratique.

Deuxième problème pratique : un peintre déteste une couleur, qu’est ce que ça veut dire ? Exemple : [Mondrian et le vert (inaudible) (rires). abomination New York est la seule ville au monde...
-  On n’entend pas Gilles.
-  c’est vrai comment faire ? depuis
-  Claire Parnet : je voudrais pourquoi Mondrian est parti pour New York ? Parce qu’il n’aimait pas le vert
-  Claire parnet : Pourquoi à New york ? C’est la seule ville qui n’ait pas d’arbres !!

Il y a des couleurs qui manquent sur la palette. C’est aussi intéressant de se demander, d’interroger un peintre, de questionner un peintre en fonction des couleurs qui lui manque qu’en fonction des couleurs qu’il utilise. Bon, donc, toutes sortes d’exercices pratiques serait possible. Lorsqu’une couleur reçoit le nom propre d’un peintre. Il me semble à partir de là c’est pas du tout des lois ou des normes ça. Surtout l’élément génétique des couleurs. c’est à travers ça que s’opèrent les choix fondamentaux et bien plus c’est tellement génétique qu’ il a une épaisseur. Mais son épaisseur c’est quoi ?
-  Première épaisseur, il a des strates, il est complètement stratifié, il faut lire en perpendiculaire, s’il avait une structure, le triangle génétique des couleurs, ce serait une structure perpendiculaire, pourquoi ?
-  Première strate : il jaillit de la lumière et de l’ombre. C’est le thème de la nature sombre de la couleur. Et cette nature sombre de la couleur elle est attestée par quoi ? Vous la retrouverez au niveau du... où cet espèce de jaillissement à partir du blanc et du noir, si vous faites tourner dans le cercle chromatique, vous avez le fameux gris du blanc et du noir, et ça c’est la strate de fond, la couleur est en train de jaillir de la lumière et de l’ombre. Alors ce qu’il faut que vous sentiez c’est que [...] c’est pas le même espace. L’espace de la lumière et l’espace de la couleur. La couleur va être [...] il n’y a pas de couleur [...] c’est ça qu’on veut dire par la couleur chromatique. Le principe de relativité des couleurs. Une couleur n’est déterminée que par rapport aux couleurs voisines. La couleur du contexte. La couleur elle est créée dans ce sens, cette première strate elle jaillit de l’ombre et de la lumière, elle jaillit du gris, le gris étant entendu comme le blanc et le noir.
-  Deuxième strate. Elle prend son indépendance, elle commence à prendre son indépendance à partir de ce fond. La lumière et l’ombre c’est le fond de la couleur. Le blanc et le noir c’est le fond de la couleur, elle jaillit de ce fond. Elle jaillit de ce fond sous la forme du jaune, du bleu et de leur intensification commune : le rouge.

-  A ce moment là des rapports entre couleurs se forment, irréductibles aux rapports lumière - ombre. Les rapports lumière - ombre qui pourtant continuent d’affecter la couleur, sous la forme : le clair et le foncé. Les rapports lumière - ombre dans la couleur vont déterminer les rapports de clair et de foncé, et justement ils n’épuisent en aucun cas le rapport des couleurs. C’est ce qu’on appellera "les rapports de valeurs". C’est dans la couleur même les rapports de clair et de foncé. La couleur n’existe qu’en developpant des rapports qui soient autonomes, qui ne sont pas des rapports de valeurs mais des rapports de tons. Rapport des couleurs entre elles à un même niveau de saturation. Exemple typique : le rapport des complémentaires.

-  Il y a tellement de strates que je dirais alors euh... essayons de faire vraiment une histoire rapide du collorisme. Qu’est ce qu’on appelle le collorisme ? [...] Tiens je retombe dans Riegl. Riegl proposait une distinction entre polychromie et collorisme. La polychromie c’est tout détail, tout maniement de la couleur - qui va être extraordinairement complexe et extraordinairementt riche - lorsque la couleur reste subordonnée à quelque chose. Qu’est-ce que ça veut dire subordonnée à quelque chose ? Elle peut être subordonnée à la forme La forme. Vous distribuez vos couleurs suivant des divisions organiques dû à la forme. Vous faites de la polychromie. L’art égyptien, l’art grec sont des arts typiquement polychromes. La couleur peut être aussi subordonnée à la lumière. En effet, avec la peinture, on s’est bien forcé de distinguer ne serait-ce que vaguement, un courant luministe et un courant coloriste.
-  Les luministes c’est ceux qui obtiennent de la couleur par la lumière,
-  et les coloristes c’est ceux qui obtiennent la lumière par la couleur, par un traitement de la couleur. Rembrandt passe à juste titre pour un des plus grands luministes.

-  Donc, il n’y a pas seulement une subordination possible,mis, pourtant c’est plus de la polychromie déjà, vous voyez c’est autre chose. Mais c’est pas non plus du collorisme, parce que la couleur ne vaut pas pour soi, [...] elle peut développer tous ses rapports de valeur, elle ne peut pas développer l’ensemble de ses rapports de tonalité.

Or c’est justement Goethe à propos du cercle chromatique, qui insiste énormément sur le thème suivant : en fonction du cercle chromatique chaque couleur - c’est par là qu’il y a un mouvement, un dynamisme de la couleur - chaque couleur tend à évoquer la totalité du cercle chromatique, plus ou moins, là, il y aurait des coefficients de vitesse ou de lenteur. Chaque couleur suscite la totalité du cercle chromatique, parfois d’abord par son opposition diamétrale. Le rouge va susciter le vert, et là c’est dans votre œil, la complémentaire suscite sa complémentée. L’expérience célèbre qui est dans tous les traités de la couleur, vous fixez une couleur et puis, dès que la couleur disparaît, votre œil suscite la complémentaire. Le rouge suscite le vert.

Alors, je dirais quoi. Si j’essaie de faire vraiment une séquence d’histoire du collorisme : il me semble que le premier collorisme c’est un moment où il est comme à la frontière du luminisme, lumière couleur et problème encore se mélangent [...] et les couleurs jaillissent du fond. Et le fond ça devient passionnant c’est comme la superposition des deux gris. Les couleurs jaillissent d’un fond, d’un fond sombre. C’est la fameuse couleur sombre [...] or cette couleur sombre elle est là pour manifester la nature sombre de toute couleur, et les couleurs jaillissent et sont sombres qui est quoi ? Qui finalement est du gris sur gris puisque
-  il y a un gris lumineux,
-  un gris luministe blanc - noir
-  et un gris chromatique vert - rouge, deux complémentaires.

Donc c’est bien à partir dans un premier collorisme, c’est bien à partir de ce fond sombre qui exprime la superposition des deux gris, que les couleurs jaillissent, elles sortent du fond . Et en effet si vives qu’elles soient, elles témoignent de leur nature sombre. A partir de là tout le progrès du collorisme, tout le mouvement, tout le dynamisme du collorisme ça va être s’affirmer pour lui-même de plus en plus et ça va consister en quoi ?

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