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18 - 12/05/81 - 2

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transcription Cécile Lathuilliere GILLES DELEUZE Cours du 12/05/81 - 2 (18B)

Deleuze : Parce que notre problème c’était d’arriver à une définition du langage analogique. Et encore une fois, les conditions du problème, elles ont été déterminées parce que nous voyons relativement bien, relativement facilement, ce qui s’oppose au langage analogique, à savoir : le langage digital ou langage de codes.

En effet, on a fini par définir le langage de codes, ou le langage digital, par le concept d’articulation. Quand je dis concept d’articulation je vous rappelle que pour nous, en effet, à la fin de la dernière fois, c’est bien un concept en ce sens que, il ne se ramène pas à ses concomitants physiques ou physiologiques. Il ne se ramène pas aux mouvements dits d’articulations qui accompagnent le langage digital ou qui sont passés à l’état d’actes de parole. Le concept logique d’articulation, nous avons essayé de le fixer de la manière la plus simple, en disant voilà : l’articulation consiste en ceci : "position d’unités significatives, déterminables en tant que ces unités sont déterminables par des successions de choix binaires."
-  Hors, un ensemble fini d’unités significatives déterminables par succession de choix binaires, il nous a semblé que ça correspondait bien aux caractères du "code".
-  Mais alors, donc, le langage analogique, lui... le langage analogique par distinction avec ce langage digital ou de code, comment est ce qu’on pourrait le définir ?

Je vous rappelle première hypothèse : - le langage analogique est le langage de la similitude et est défini par la similitude. Ah bon, il est défini par la similitude... bon, il ne faut pas dire, non, c’est insuffisant, d’accord. Mais ça nous permettrait au moins... la similitude nous permet effectivement, de définir un premier type d’analogie. C’est ce que l’on avait appelé l’analogie commune, ou, à la limite, l’analogie photographique. Là, l’analogie se définit bien par le transport de similitude. Soit similitude des relations, soit similitude de qualités. Bon. Tout ce que l’on pourrait dire... bien plus... qu’est ce qui.... Il ne faut pas trop vite renoncer à cette direction, on verra, parce qu’elle nous importera beaucoup pour toute la suite. Je dis : si je définis le langage d’analogie, le langage analogique, par la similitude, hors en quelques sens que ce soit... la similitude... quel est le modèle, à ce moment-là, du langage d’analogie ? Quel va être le modèle de cette analogie commune ? Je dirai c’est le pôle, c’est bien un pôle de l’analogie. Le modèle ce serait le moule. Mouler quelque chose. Lui imposer une similitude. Bon.

Or, est-ce que les opérations de moulage appartiennent essentiellement au langage analogique ? Peut-être. Mais qu’est-ce qui nous faisait dire que, même si là est bien définie une dimension du langage analogique, ça ne couvre pas l’ensemble du langage analogique. Ce que... il nous semblait que, bien sûr, il y a toujours une espèce de similitude qui joue dans le langage analogique. Mais, ça n’est pas une raison, ou ça n’est pas une preuve que le langage analogique puisse être défini par la similitude. Le langage analogique peut être défini par la similitude, dans quels cas ? Uniquement dans le cas où la similitude est productrice, productrice d’une image. Or c’est bien le cas dans l’opération du moulage, soit.

-  Mais, il nous semblait qu’il y avait beaucoup de cas où, au contraire, l’analogie ne passait par une ressemblance ou une similitude productrice, mais, au contraire, la similitude ou la ressemblance était produite. Produite à l’issue de l’opération d’analogie. Dès lors, dans le cas où la ressemblance, et c’était précisément le cas de la peinture, dans le cas où la ressemblance est produite à l’issue de l’opération, à l’issue du processus, le processus analogique ne peut pas être défini parce qu’il produit. D’où nécessité, même si on garde ce premier pôle, similitude = moulage, comme un premier pôle du langage analogique, nécessité de dépasser, en fonction des autres formes d’analogies, de dépasser ce qui était relativiste. D’où nécessité, même si on garde ce premier pôle : similitude / moulage, comme un premier pôle du langage analogique, nécessité de dépasser, en fonction des autres formes d’analogies, de dépasser ce critère de la similitude.

-  D’où, on avait considéré très vite un second critère. La possibilité de définir l’analogie par et comme, le langage analogique comme un langage de relations. Des relations d’un type particulier, c’est-à-dire, des relations de dépendance entre "celui qui parle" ou "celui qui émet", entre un émetteur et un récepteur, entre un locuteur et un destinataire. Entre locuteur et destinataire. On avait vu que, alors, que c’était une autre définition. A quel modèle ça renverrait ? On va chercher tout à l’heure. Et on avait vu que là aussi - même si il y avait une forme d’analogie qui correspondait à cela - ça n’épuisait pas le pôle de l’analogie. Et enfin, on était arrivé à une troisième couche analogique. En effet, il nous semblait que ces relations de dépendance, inscrites dans l’analogie, et bien... il fallait bien qu’elles renvoient à une forme d’expression particulière. Et la forme d’expression de ces relations de dépendance, c’était quoi ? Et bien, on proposait cette troisième détermination de l’analogie, et là, Rousseau nous était venu fort en aide, à savoir, quelque chose de l’ordre de la modulation. A charge pour nous, évidemment, d’essayer de faire de la modulation un concept, logiquement aussi rigoureux que le concept de codes ou le concept d’articulation.

-  En quoi, là, ça touche au cœur de notre problème ? C’est que la modulation, c’est le régime de l’analogie esthétique.  À savoir, ce serait la loi des cas où la ressemblance, la similitude n’est pas productrice, mais produite par d’autres moyens. Ces autres moyens, ces moyens non ressemblants qui produisent de la ressemblance, ces moyens qui ne ressemblent pas au modèle et qui produisent la ressemblance, ce serait précisément la modulation. Produire la ressemblance, ce serait moduler. Bon.

C’est bien ça parce que, on a comme nos trois formes d’analogie.
-  L’analogie par similitude,
-  l’analogie par relation, par relation interne,
-  l’analogie par modulation. Bien, il faut... je ne sais pas... alors revenons. Notre souci, il est double :
-  À la fois maintenir un concept cohérent, pour tous ces cas, un concept d’analogie cohérent pour tous ces cas.
-  Et aussi distinguer, distinguer fondamentalement ces trois. Pourquoi est-ce que j’ai envie, alors... ces trois cas. J’ai envie de multiplier les nombres, on les abandonnera s’ils nous servent à rien.

-  Je dirai de la première forme d’analogie, par similitude et transport de similitude, par ressemblance productrice, que c’est donc une analogie commune ou physique. Et en même temps ces mots, ils sont insuffisants, mais ça sert de point de repère tout, tout provisoire... tout transitoire.
-  Je dirai la seconde forme d’analogie, les relations de dépendance interne... je dirai, on essayera de voir pourquoi, appelons ça une analogie organique.
-  Et puis, l’analogie par modulation, la ressemblance produite par de tous autres moyens, appelons ça analogie esthétique, provisoirement. Multiplions encore les termes. :
-  La première forme d’analogie, elle aurait son modèle dans le moulage, l’opération de moulage. L’opération de moulage c’est, en effet, une ressemblance, une similitude imposée du dehors. Si j’essaie de la définir, c’est une opération de surface. Par exemple, j’impose un moule. C’est une opération d’information, information de surface. Je pose un moule sur de la glaise. J’attends, j’attends quoi ? J’attends que la glaise, sous l’empreinte du moule, ait atteint une position d’équilibre. Et puis, je démoule... il y a transport de similitude. Bon. C’est tout à fait l’épreuve de l’analogie commune, de l’analogie vulgaire. Par moulage. Bon. Tiens. C’est une opération de surface.

-  J’insiste là-dessus parce que je prépare des notions dont on aura constamment besoin ensuite. C’est une opération, oui, de bordure. De surface. On pourrait dire aussi bien que ce type d’analogie, c’est l’analogie superficielle ou pelliculaire.
-  Si je cherche une réalité physique qui répondrait à cela... est-ce que... vous voyez... je fais exprès, parce que j’en ai besoin, d’aller un peu dans tous les sens. J’essaie de faire une espèce de concrétion autour de... je dirai... ben, c’est le stade cristal en moi. Le stade cristal. Le cristal, comme on dit, il y a une individuation pelliculaire. Il croit par les bords. La substance interne, c’est pas ça qui compte. Le cristal est fondamentalement... ce serait la formation superficielle qui croit par les bords.

-  Alors, en effet, si je passe au domaine de l’organique, qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui distingue l’individualité organique et l’individualité cristalline ? Qu’est-ce qui distingue la légalité ? C’est peut-être qu’on en aura très besoin dans nos catégories esthétiques, plus tard. Qu’est-ce qui distingue la légalité organique de la légalité cristalline ? Je dis ... quitte à tout mélanger... c’est pour que vous compreniez qu’on ne quitte pas notre problème essentiel. Qu’est ce qui fait que certains critiques ont tenté de définir l’art égyptien par la "légalité cristalline", par opposition à l’art grec qu’ils définissaient par "la légalité organique" ? Donc au moment où on a l’air très loin de nos préoccupations, peut-être que, au contraire, on est en train de former des concepts qui vont nous préparer à cela. Mais en quoi le transport organique est-il différent d’un moulage ? Le transport organique c’est quoi, le transport organique ? Ben, en effet, on le voit assez différent d’une cristallisation. Qu’est ce que c’est la reproduction organique ? Je le rappelle, j’en avais parlé à propos de tout à fait autre chose :

-  Buffon, le grand Buffon forme un concept qui me paraît, alors, vraiment pour son époque, d’une audace extrême parce que c’est vraiment un concept philosophique. Lorsque dans l’histoire naturelle des animaux, Buffon dit quelque chose comme ceci... où l’on sait alors ... alors là, ça fait vraiment partie des injustices du monde parce qu’on s’est beaucoup moqué, au XVIIIème même... il y a eu beaucoup de moqueries sur cette notion de Buffon. Et en effet, cette notion, elle est tellement belle que, comme toutes les belles notions, elle peut attirer la critique et l’ironie. Buffon, il dit : vous comprenez, la reproduction... il pense... c’est quelque chose de très curieux, c’est tellement curieux qu’il faudrait former même, pour comprendre le genre de problème que c’est, il faudrait former un concept contradictoire. Et le concept contradictoire tout à fait merveilleux que Buffon forme, c’est celui qu’il baptise de « moule intérieur ». Le vivant se reproduit, non pas par moulage externe... si inexact que ce soit, je pourrai dire, en gros, par cristallisation... il se reproduit par moulage intérieur.

-  En quoi c’est une notion bizarre, l’idée de moule interne ? C’est effectivement un moule qui ne s’en tiendrait pas à la surface. Un moule qui moulerait le dedans, ce qui paraît absolument contradictoire. Qu’est ce que ça veut dire mouler le "dedans" ? Un moule ne peut atteindre à une intériorité quelconque que en faisant, surface.
-  Buffon va jusqu’à dire : c’est tellement contradictoire "moule intérieur" que c’est comme si je disais "surface massive". Merveille. Il y a donc au-delà du moule, au-delà du moule extrinsèque...

-  Est ce qu’on peut concevoir la notion et l’opération d’un moule intrinsèque, d’un moule intérieur ? Tiens... Buffon précise : "Ce serait à la fois une mesure, mais une mesure qui subsumerait, qui contiendrait une diversité de rapports entre les parties. Une mesure qui comprendrait en tant que telle plusieurs temps, ou une variation des rapports, des rapports intérieurs." Voyez, je retrouve là toute ma notion, toute ma seconde analogie. Comment on pourrait appeler cela, une mesure dont les temps sont variables, une mesure à différents temps ? Alors, risquons un mot. Est-ce que ce n’est pas cela que l’on pourrait appeler un module ? Un module. Bon. On fait que grouper des mots. Je dis, il y a le moule et puis il y a aussi le module. C’est pas la même chose. Est-ce que le module, ce serait pas quelque chose comme le moule intérieur ? Hein ?

.... Et oui. Il y aurait la modulation. Là, j’aurai une série conceptuelle. L’analogie grouperait les trois cas :
-  le moule,
-  le module,
-  la modulation.  C’est bien ! parce que notre concept de modulation, il commence à naître un petit peu. Ce serait une espèce de série croissante : Moule, module, modulation. Aux deux extrêmes : Quelle différence il y a entre un moule et une modulation ? Quelle différence il y a entre mouler et moduler ? Simondon, dans son livre sur l’individuation, donne une différence très claire : Il dit : "c’est comme deux extrêmes d’une chaîne" Mouler c’est moduler une fois pour toutes, d’une manière définitive, c’est-à-dire, la prise d’équilibre, on impose une forme à une matière... la prise d’équilibre prend un certain temps dans le moulage, jusqu’à ce que la matière arrive à un état d’équilibre imposé par le moule. Et une fois cet état d’équilibre fait, atteint, on démoule. Donc, on a modulé une fois pour toutes. Mais inversement, à l’autre bout de la chaîne, si mouler c’est moduler une fois pour toutes... moduler c’est mouler, mais mouler quoi ? C’est un moule variable temporel, et continu. C’est mouler de manière continue. Pourquoi ?

-  Parce qu’une modulation c’est comme si le moule ne cessait pas de changer. L’état d’équilibre est atteint immédiatement, ou presque immédiatement. Mais c’est le moule qui est variable. Quentin de Simondon, le livre s’appelle "L’individu et sa genèse physico biologique", page quarante et un. Je lis : « La différence entre les deux cas, mouler et moduler, la différence entre les deux cas réside dans le fait que, pour l’argile, opération de moulage, pour l’argile, l’opération de prise de forme est finie dans le temps. L’opération de prise de forme est finie dans le temps. Elle tend assez lentement, en quelques secondes, vers un état d’équilibre. Puis, la brique est démoulée. On utilise l’état d’équilibre en démoulant quand cet état est atteint. » C’est ça. « Dans un tube électronique, au contraire, on emploie... donc, là, c’est le cas de la modulation... dans un tube électronique, on emploie un support d’énergie, le nuage d’électrons dans un champ, d’une inertie très faible. Si bien que l’état d’équilibre est obtenu en un temps extrêmement court par rapport au précèdent : quelques milliardièmes de secondes dans un tube de grande dimension. Dans ces conditions, le potentiel de la grille de commande est utilisé comme moule variable. La répartition du support d’énergie selon ce moule est si rapide qu’elle s’effectue sans retard appréciable. Le moule variable sert alors à faire varier dans le temps l’actualisation de l’énergie potentielle d’une source.  On ne s’arrête pas lorsque l’équilibre est atteint. En effet, il est atteint immédiatement. On ne s’arrête pas lorsque l’équilibre est atteint, on continue en modifiant le moule, c’est-à-dire la tension de la grille. L’actualisation est presque instantanée. Il n’y a jamais arrêt pour démoulage. Il n’y a jamais arrêt pour démoulage parce que la circulation du support d’énergie équivaut à un démoulage permanent. Un modulateur est un moule temporel continu. » Merveilleux, c’est juste ce qu’il nous fallait comme...

-  Voilà que... je peux dire... je peux dire à la fois ... comprenez... je peux dire à la fois : On est en train de le tenir notre concept d’analogie. En tant qu’il doit répondre à une double exigence, presque exigence contradictoire, mais ça fait rien. La double exigence... Première exigence : qu’on ne se contente pas de définir l’analogie par la similitude ou un transport de similitude. Puisqu’en effet, le pas le plus beau de l’analogie comme analogie royale ou esthétique, c’est lorsque la similitude est produite et pas productrice. Mais d’autre part, en même temps, grouper tous les cas de l’analogie dans un même concept, y compris les analogies de simple similitude. Hors je tends à satisfaire à ces deux exigences en disant : - d’une part, ce n’est pas la similitude qui définit l’analogie.

-  Et le langage analogie, c’est la modulation. Rousseau avait complètement raison, le langage analogique c’est un langage de la modulation. Et d’autres parts, je peux regrouper tous les cas d’analogies y compris l’analogie de simple similitude ou l’analogie vulgaire, en disant :
-  Mais attention, la modulation n’est que le terme extrême d’une série, d’une série de sous-concepts, d’une série d’opérations.
-  L’une que je définirai comme le moulage,
-  l’autre que je définirai comme le moulage interne,
-  la troisième que je définirai comme la modulation, à proprement parlé.

Simondon, lui, il achève cette page, là, très belle, que je viens de lire, page quarante et un, en disant qu’il y a bien une série. Et voilà ce qu’il dit : « Le moule et le modulateur sont des cas extrêmes. Mais l’opération essentielle de prise de forme s’y accomplit de la même façon. Elle consiste en l’établissement d’un régime énergétique, durable ou non. Mouler c’est moduler de manière définitive ; moduler, c’est mouler de manière continue et perpétuellement variable. » Et entre les deux, il dit, il y a quelque chose. Et ce quelque chose il appelle ça "le modelage". On voit bien que le modelage, il est intermédiaire entre le moule et entre la modulation. Il opère déjà l’esquisse d’un moule temporel continu. "Modelage" ce serait, pour nous, peut être, une détermination pas assez précise encore.  On a vu qu’elle nous convenait mieux comme répondant aux trois figures de l’analogie : le moule externe, le moule intérieur, le moule intérieur de Buffon, et la modulation. Et là, on a...

Vous voyez... (rires) Attends, tu permets juste une seconde parce que je tire la conclusion de ça... Je sens... oui, j’ajoute, pour bien fixer un code aux termes, - au premier cas, moulage, je ferai correspondre un type de légalité qu’on appelle provisoirement, donc, légalité cristalline.
-  Au second moule intérieur, légalité organique.
-  Et au troisième... là, nos mots varient pour le moment... j’ai envie d’appeler ça ou bien "légalité esthétique", ou bien, en prenant à la lettre la page de Simondon, peut-être "légalité énergétique". Donc, vous voyez que je peux juste conclure ce premier point : "la modulation", je dirai, est bien un concept aussi cohérent, aussi consistant que le concept opposé de "articulation". Il permet à la fois de définir ce qu’il y a de particulier dans l’analogie esthétique ou dans l’opération esthétique, mais aussi ce qu’il y a de général dans l’analogie. Ce qu’il y a de particulier c’est la modulation en tant qu’elle se distingue de tout moulage. Et ce qu’il y a de général c’est la série qui va du moulage à la modulation ou de la modulation au moulage. Bon. Ça, c’est un premier point. Oui ?

Comtesse : Je voulais dire à propos du langage, du langage digital et du langage analogique, tel que par exemple on rencontre ça dans la théorie de l’information, la théorie de la communication, la pragmatique, Watzlawick ou Batson par exemple. C’est que la différence de fond, en particulier de Batson en particulier dans son premier livre qui s’appelle Naven... la différence qu’ils font entre le langage digital et le langage analogique, ça ne peut pas être cette différence tout à fait contenue ou mesurée par une simple "voie linguistique" ? Par exemple, tu as... les discours que tu émets supposent qu’il y a une voie linguistique qui, justement, à l’intérieur d’unités mollaires du langage, d’unités significatives, opérerait le choix binaire au niveau des éléments dans, ou au niveau de l’articulation. Ça c’est une voie linguistique. Seulement, la voie linguistique, c’est une voie qui correspond à la langue. Évidemment, si on définit les monèmes et les phonèmes, les unités significatives et les traits distinctifs, on en reste à la structure : "de la langue". Et on est dans la voie linguistique. Hors précisément, la différence entre digital et analogique, ça ne se place pas du tout dans la théorie de l’information et de la communication, du comportement pragmatique, ça ne se situe pas du tout au niveau de la voie linguistique, et donc de la langue, mais au niveau d’un sens du langage. C’est la différence entre la langue et le langage. Par exemple, quelqu’un comme Watzlawick il dit ceci : « Le langage, la véritable différence entre le langage analogique et le langage digital, c’est que dans le langage digital, il y a bien une binarité mais elle ne porte pas sur des éléments de la langue. » Pas simplement sur des éléments de la langue. La binarité suppose que dans le langage, et pour que la syntaxe du langage soit homogène à la sémantique, il faut, dans cette identité-là, il faut nécessairement admettre une différence exclusive entre deux éléments, entre le "et" et le "ou". C’est très important. C’est-à-dire que, si on admet que quand on parle, quelle que soit la performance de la voie linguistique, ce que l’on dit dans un langage, à partir ou à travers la langue, suppose la différence exclusive entre le "et" et le "ou", quels que soient les contenus de ce que l’on dit ; alors à ce moment-là, on est dans le langage digital, c’est-à-dire, dans le sens univoque. Tandis que, dit-il, le langage analogique, et bien, le langage analogique c’est lorsque la différence exclusive entre le "et" et le "ou" se brouille au profit d’une ressemblance spéculaire, d’une reversibilité entre "et" et "ou". Si je donne, par exemple, un exemple très célèbre, qui dit : un langage analogique, ça peut être, ça peut simplement être un cri d’animal. Mais au niveau des humains, ça peut être un sourire. Et, dit-il, quand quelqu’un sourit, et bien on ne peut pas décider du tout si le sourire en question, ça procède, soit de la joie, soit de la tristesse, soit de l’amour, soit de la haine. C’est-à-dire qu’on ne peut pas faire en réalité, la différence exclusive du "et" et du "ou". De sorte que le langage analogique, loin d’être le langage du sens univoque qui est le langage où la syntaxe est homogène à la sémantique, c’est le langage du sens équivoque. C’est l’équivocité profonde du langage analogique, c’est-à-dire que la différence entre langage analogique et langage digital ne fait rien d’autre que brouiller, un tout petit peu mais pas beaucoup, la structure fondamentale de la voie mais qui n’est pas linguistique justement. La voie c’est-à-dire, la différence de la différence et de l’identité, la différence de la différence entre le "et" et le "ou", et de l’identité "et" égale "ou". "Et" sur "ou" - "et" égale "ou". C’est-à-dire que la voix demeure dans toute la durée pragmatique. C’est ce que n’explique absolument pas la théorie de (inaudible). Et comment...comment justement cette structure de la voix s’impose à eux et d’où provient justement une telle structure dont la différence entre langage digital et langage analogique ne peut que réaliser après coup un très léger brouillage et certainement une très grande supercherie au niveau même justement, de la différence, du découpage même du langage.

Deleuze : Excellent, excellent. Mais... oui, une seconde juste... mais tout ça, c’est des confirmations originales que tu apportes. C’est pas... c’est-à-dire, c’est pour moi, pour comprendre. C’est pas une objection ? étudiante : non pas du tout Hein. C’est... Une seconde juste, pardon. Tu vas parler tout de suite. Parce que... moi, ce que je reprocherais, la seule chose que je reprocherais et ce qui manque... tout est bon pour moi dans ce que tu viens d’ajouter. La seule chose qui me gênerait c’est que, en effet, en revanche, l’analogie, il y a un très grand progrès dans la définition du digital quoique à mon avis, ça reste essentiellement binaire, c’est-à-dire la binarité étant alors entre "et" et "ou". Mais, ce qui me gène c’est que l’analogie y est définie trop de manière négative et pas encore définie de manière positive, comme on essaie de la faire avec l’histoire de modulation. Mais tout ce que tu dis, moi, ça me paraît très très bon. Ce serait à ajouter tout ça. On ajoute. Bon.

Anne Quérrien : Inaudible Il faudrait dire les choses différemment (inaudible)... c’est-à-dire au lieu d’opposer "et" et "ou", il faut opposer deux usages de "et". Il y a le "et" exclusif enfin qui veut dire "ou", qui serait le cristal. Et puis, il y a le "et" (inaudible) c’est-à-dire c’est "et, et, et, etc." (inaudible). Et l’analogique c’est peut-être justement le domaine de la synthèse disjonctive (inaudible)

Deleuze : Ha, oui, mais là ça va compliquer. Oui, oui, oui...

Anne Querrien : Et alors, l’autre remarque que j’aurai à faire c’est sur le dernier, la dernière (inaudible) de légalité, moi, j’appellerai plutôt machinique que énergétique parce que en fait (inaudible) va correspondre à trois statuts de l’énergie (inaudible).

Deleuze : Tu as raison l’énergie, elle est partout.

Anne Querrien : (inaudible) et la modulation, c’est la troisième loi (inaudible).

Deleuze : Ouais, d’accord. C’est pas mal.

Richard : Je voudrais juste faire une intervention, parce que je ne l’ai pas développé, c’est que d’un simple point de vue scientifique fonctionnel (inaudible) quel que soit le langage que l’on prenne et l’on apprend ça en (inaudible) informatique (inaudible) le "et" n’existe pas. Donc, là ta question est résolue, il n’y a pas de "et". Zéro est Un, en même temps. Le "et" est exclu de tout langage informatique possible, que ce soit les plus modernes ou les premiers. (inaudible) Il n’y a pas de "et". Le "ou" fonctionne à plein en digital. Et, à aucun moment, il ne saurait être acceptable d’employer le terme "et" parce qu’on simplifie plutôt le terme au sens sémiotique qu’on a pu connaître ces dernières années. Ça n’existe pas.

Deleuze : À moi, il me semble que cela revient strictement au même, à moins que, dans les conditions où se placer Comtesse, on convienne que la binarité c’est "et" et "ou", plutôt que trois différés.

Richard : Ça ne fonctionne pas comme ça.

Deleuze : Si c’est bien un langage binaire...

Richard : Je vais te dire comment ça fonctionne. Ça ne fonctionne pas comme ça. Ça ne marche pas. Et c’est complètement (inaudible).

Deleuze : Oui, mais, le "ou" est pris entre deux chaînes.

Richard : Non, non, non, mais... toutes les machines, des plus primaires, c’est-à-dire des plus simples microprocesseurs aux machines les plus complexes, et aux ordinateurs les plus compliqués utilisant (inaudible) y compris (inaudible) les plus compliqués, ça fonctionne à base de (inaudible). Et il est impossible que ça fonctionne à base de (inaudible). Ces exclusions formant des modules d’intégration au niveau de l’unité supérieure, si on veut. On pourrait toujours reconstituer autre chose et dire que dans un langage informatique évolué, on va pouvoir entraîner des chaînes de caractères qui entraînent forcément des conjonctions, mais ce sera des blocs séparés. Mais à un niveau très très simple, le mode de fonctionnement digital exclue le "et". Et là-dessus, je suis absolument formel. Si on utilise le "et" pour essayer de trouver des critères de différenciation entre l’analogique et le digital, ce qui veut dire...

Deleuze : Oui, oui, oui... ça me paraît... oui, c’est... tout nous va.

Intervenant 2 : (inaudible) dans lequel il explique : il y a deux sortes d’analogies. Il y a, dit-il, une première forme d’analogie qui est connu depuis aristote, dont on peut donner un exemple, si vous voulez, c’est que « la vieillesse est à la jeunesse ce que la nuit est au jour ». Et il dit que, on pourrait la comprendre comme le fait de simuler, et donc il dit qu’il y aurait première sorte d’analogie qui ne produit rien de nouveau et elle se fonderait sur le verbe. (inaudible) ce serait finir, mais au fond (inaudible).

Deleuze : Oui

Intervenant 2 : Et puis, il y a une deuxième sorte d’analogie que l’on ne connaît pas ou mal, que Bergson (inaudible) et qui se fonderait sur, au contraire, le substantif, et qui serait, par exemple, la dépendance.

Deleuze : Oui, oui, oui.

Intervenant 2 : Nous pouvons dire que la première analogie (inaudible) elle ne nous apprend rien de nouveau.

Deleuze : C’est le moule, ça, oui.

Intervenant 2 : Alors qu’au contraire, la seconde, se fonderait sur un verbe, un verbe étant ouvert, et bien, on ne sait pas où l’on va.

Deleuze : Il nous en faut une troisième.

Intervenant 2 : Une objection sur ton (inaudible).

Deleuze : Une objection ? Ah.. interdit !

Intervenant 2 : (inaudible) transport de similitude, soit de similitude de relation, soit de similitude de qualité, ce à quoi l’on pense de manière normale, c’est à l’analogie, je dirai, sémantique, (inaudible) de qualité, que l’on opposerait à l’analogie qui serait de relation, et qui serait donc (inaudible). Et l’idée à laquelle on arrive c’est qu’il y a une analogie qui serait structurale. Si elle est structurale...

Deleuze : C’est toi qui arrive à tout ça. C’est pas moi.

Intervenant 2 : C’est tout le monde.

Deleuze : Ah, pour tout le monde... ah, bon... alors...

Intervenant 2 : Si elle est structurale, elle est interne. Elle n’est pas externe. Par ailleurs, quand tu parles du cristal de manière analogique, tu dis bien que le cristal croit par les bords, mais ce qui le définit, ça n’est pas ça. Ce qui le définit c’est sa structure interne, donc il faut changer.

Deleuze : Non. Je ne crois pas.

Intervenant 3 : Ça marche quand même.

Intervenant 2 : Ça ne marche pas.

Deleuze : Non parce qu’à ce moment-là, il faut simplement dire... non, il faut simplement dire que le cristal considéré, en effet, dans sa définition, mord déjà sur le module. Que ce n’est pas un moulage, et en effet, lorsque Les cristallographes parlent de l’opération du cristal, ils parlent de quoi ? Ils parlent "d’ensemencement". C’est typiquement, là, une opération, alors, de module. Ce n’est pas du tout... oui. Non, ça t’arrangerait sans qu’on est à rectifier. Voyez, oui, plutôt que moule, "moule intérieur", qui est une notion, encore une fois, qui me paraît fantastique, merveilleuse, et modulation, on dira, nous maintenant, moule, module, modulation. C’est les trois formes d’analogies. Voyez.

Intervenant 2 : (inaudible)

Deleuze : Pas seulement. C’était de l’énergie a mon avis définit le moule externe, mais ça, on verra tout ça... à propos de l’art, c’est que l’énergie y est strictement subordonnée à la forme. Tandis que dans les autres cas, l’énergie n’est pas subordonnée à la forme. C’est les étapes. Ça peut se distinguer au niveau de trois états énergétiques. Oui ?

Comtesse : (inaudible) en désaccord avec toi.. il est impossible de dépasser le problème spécifique de la voie dans la théorie de la communication en la traduisant aussitôt par le langage de L’Anti-Œdipe, dans la mesure où, dans le texte même, sauf par une réduction violente, dans la mesure où dans le texte même de Watzlawick ou de Batson, ce qu’ils excluent radicalement, il faut lire le texte , c’est la matière, l’énergie, l’inconscient, l’inconscient au profit justement d’une idée qui me paraît une parfaite idéologie, à savoir, de faire dépendre un symptôme d’une causalité circulaire d’interaction entre les personnes.

Anne Querrien : (inaudible)

Deleuze : Et bien, je vois que nous sommes tous d’accord ! (rires) Donc... Mais la remarque de Richard, en effet, est très importante. (Coupure) C’est un calcul binaire, non, ce que tu dis ?

Richard : (inaudible) est lié aux exigences fonctionnelles. Celles qui marchent.

Deleuze : Oui. C’est pas faux. . Oui. Mais là c’est très bon, en effet, pour faire comprendre, à ce moment-là, ce que c’est que l’articulation.

Richard : (inaudible) modèle théorique est issu des pratiques (inaudible). Même quand les ordinateurs ont commencé à fonctionner, on a retrouvé les modèles de Pascal, etc, mais on les a retrouvés remplis. On a commencé à les théoriser par la suite. Les méta-langage informatique, y compris évolués de type google etc qu’on utilise aujourd’hui, sont dérivés de ces lois. Je veux dire, sont, dans un deuxième temps, arriver à comprendre que, effectivement, les ordinateurs fonctionnent, enfin les ordinateurs au sens large, fonctionnaient sur une méthode d’exclusion. Ça ne veut pas dire que c’est bien ou que c’est mal. (inaudible).

Deleuze : Cette pensée, pour définir l’articulation, c’est essentiel. Oui. C’est fondamental.

Richard : D’où le nécessité de la définition de l’articulation que l’on ne retrouve pas forcément dans l’analogique.

Deleuze : Et ben, on trouve pas du tout d’articulation dans l’analogique.

Richard : Systématiquement, dans tous les métiers du langage, c’est-à-dire dans tous les langages fonctionnels en informatique, qu’ils soient à usage (inaudible) ou à usage (inaudible) ou n’importe quel usage, on rencontrera de l’articulation.

Deleuze : D’accord. Et bien, c’est parfait. Alors, continuons, continuons à avancer. Et j’ajouterai, juste là pour en finir et parce qu’il faut quand même revenir à nos histoires de peinture, mais je crois que... que... on va être beaucoup mieux armés pour revenir à elles.

-  j’ajoute... qu’est-ce que c’est... au sens de la technologie, mais au sens le plus simple... à vous d’enrichir comme vous ne cessez de le faire... au niveau technologique, qu’est-ce que c’est, donc, cette opération de modulation ? Comme limite, si vous voulez, de toutes les opérations de moulage ou de module. Qu’est-ce que c’est ? Et ben, deux domaines. Je considère très vite deux domaines en disant vraiment des choses enfantines, parce que je me risquerai pas plus. Premier domaine. pour tout complément et toute rectification, voir Richard (inaudible). On distingue deux sortes de synthétiseurs : les synthétiseurs justement dits analogiques, les synthétiseurs dits digitaux. Quelle différence il y a ? Je veux dire quelle est la différence de base, ou quelle semble être la différence de base entre ces deux sortes de synthétiseurs sonores ? Voyez, je cherche juste là, c’est des applications technologiques, pour voir si notre concept de modulation parle bien. Et ben, les synthétiseurs analogiques sont dits "modulaires". Les synthétiseurs digitaux sont dits "intégrés". Qu’est-ce que ça signifie concrètement, modulaire et intégré ? Ça signifie que dans un synthétiseur analogique ou modulaire, il y a mise en connexion de sons, mettons - j’emploie vraiment les mots les plus simples - de sons disparates. Mais cette mise en connexion se fait sur un véritable "plan immanent". C’est-à-dire que la reproduction d’un son, par mise en connexion d’éléments, toute la production d’un nouveau son se fait par l’intermédiaire d’un plan sur lequel tout est sensible. En d’autres termes, le processus de constitution du produit n’est pas moins sensible que le produit lui-même. En d’autres termes, toutes les étapes du synthétiseur analogique sont actuelles et sensibles. C’est par-là que le plan est vraiment immanent puisque le processus de constitution du produit... le processus de production n’est pas moins sensible que le produit lui-même. On dira là, qu’il y a véritablement une modulation. C’est un synthétiseur modulaire.

-  Qu’est-ce qui définit, au contraire, le synthétiseur digital ou intégré ? C’est que cette fois, le principe de constitution, la constitution du produit, du produit sonore, passe par un plan qu’on dira intégré, mais il est intégré précisément parce qu’il est distinct. En effet, ce plan distinct implique quoi ? Il implique homogénéisation et binarisation. Binarisation de ce que l’on appelle les cas K. Homogénéisation et binarisation des données, sur un plan distinct intégré. Si bien que, la production du produit implique une distinction de niveaux. Le principe de production...

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