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9- 10/02/81 - 3
Deleuze Spinoza cours du 10/02/81 - 3 Transcription : Jean-Charles Jarrell C’est comme si vous disiez un cercle carré, il y a autant contradiction. Vous ne pouvez pas extraire un infiniment petit de l’ensemble infini dont il fait partie. En d’autres termes, et ça, le 17eme siècle l’a compris il me semble merveilleusement et c’est ça, je voudrais en arriver là, c’est pour ça que je passe par tous ces détours un peu... un peu sévères, c’est ça que le 17eme siècle savait et nous - je ne veux pas dire qu’on ait tort - que nous, on ne sait plus du tout et qu’on ne veut plus. Pourquoi on ne veut plus, ça, il faudra se le demander. C’est curieux, mais pour le 17eme siècle, toutes les bêtises qu’on dit sur leur conception du calcul infinitésimal, on ne les dirait plus si on était même sensible à ce truc très simple.
Pourquoi est-ce que c’est très curieux ? Moi, je veux dire, voilà : Spinoza, j’essaye de retenir ce qu’on peut en garder, là, pour Spinoza directement. Spinoza nous dit « les corps les plus simples n’ont ni grandeur ni figure ». Evidemment, puisque ce sont des infiniment petits. Et un infiniment petit n’a pas de grandeur ou de figure, si vous lui donnez une grandeur ou une figure vous en faites un fini. Vous en faites quelque chose de fini. Un infiniment petit n’a ni grandeur ni figure, ça va trop de soi. Un infiniment petit n’existe pas indépendamment de la collection infinie dont il fait partie.
Alors bon, ce sont des éléments informels qui vont par collections infinies, ça revient à dire : vous ne les définirez pas par figure et grandeur, vous les définirez par : un ensemble infini. Or bon, mais quel ensemble infini ? Comment définir l’ensemble infini ? Là on retombe tout à fait dans ce qu’il disait, lui, tout à l’heure ... un ensemble infini, vous ne le définirez pas par des termes, vous le définirez par un rapport. En effet, un rapport, quel qu’il soit, est justifiable d’une infinité de termes. Le rapport est fini, lui... un rapport fini a une infinité de termes. Si vous dites « plus grand que... », je prends l’exemple le plus bête qui soit, si vous dites « plus grand que... » il y a une infinité de termes possibles. Qu’est-ce qui ne peut pas être « plus grand que... » ? Que quoi ? Et bien tout dépend : que quoi ? Donc « plus grand que » subsume une infinité de termes possibles ; c’est évident.
Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? Oh, et bien c’est tout simple, si vous comprenez un petit peu, ça va nous lancer dans la proposition à mon avis la plus étrange -pour nous-, de la philosophie du 17eme siècle, à savoir : l’infini actuel existe. L’infini actuel existe, et je crois que on peut, on peut vraiment, oui... j’ai l’air de révéler comme un secret mais ça me semble, oui, c’est une espèce de secret parce que il me semble que c’est la proposition de base, le sous-entendu de base de toute la philosophie au 17eme siècle : il y a de l’infini actuel.
Bien. Je voudrais vous lire un texte après le 17eme siècle, un texte très curieux. Ecoutez le bien parce que... vous allez voir, je crois que ce texte est très important. Je ne dis pas encore de qui, je souhaiterais que vous deviniez vous-même de qui il est. « Dans le concept d’une ligne circulaire, -dans le concept d’une ligne circulaire, c’est à dire dans le concept d’un cercle-, on ne pense à rien de plus que ceci, à savoir : que toutes les lignes droites tirées de ce cercle à un point unique appelé centre sont égales les unes aux autres ». En d’autres termes, le texte nous dit : dans un cercle, tous les diamètres sont égaux. Tous les diamètres. Et le texte se propose de commenter ce que signifie « tous les diamètres ». Donc dans un cercle, tous les diamètres sont égaux, d’accord. Le texte continue : « En fait lorsque je dis cela -tous les diamètres sont égaux, il s’agit simplement ici d’une fonction logique de l’universalité du jugement ». Ça se complique... Ceux qui savent un peu ont déjà reconnu l’auteur, il n’y a qu’un philosophe qui s’exprime comme ça. « il s’agit seulement... lorsque je dis tous les diamètres sont égaux, il s’agit seulement de la fonction logique de l’universalité du jugement ». L’universalité du jugement : tous les diamètres. Jugement universel : tous les diamètres du cercle. « Il s’agit seulement de la fonction logique de l’universalité du jugement, dans laquelle - dans laquelle fonction logique - le concept d’une ligne constitue le sujet, et ne signifie rien de plus que chaque ligne, et non pas le tout des lignes (qui peuvent sur une surface être tirées à partir d’un point donné). Ça devient très très... C’est curieux tout ça... Sentez que quelque chose se passe... C’est comme si, à partir d’un tout petit exemple... C’est une mutation de pensée assez radicale. C’est... à partir de là le 17eme siècle s’écroule, enfin si j’ose dire... « Lorsque je dis tous les diamètres sont égaux, c’est simplement une fonction logique de l’universalité du jugement, dans laquelle le concept d’une ligne constitue le sujet -le sujet du jugement-, et ne signifie rien de plus que chaque ligne, et pas du tout : le tout des lignes ». Car autrement -le raisonnement continue...-, car autrement chaque ligne serait avec le même droit une idée de l’entendement -c’est à dire un tout-, car autrement chaque ligne serait avec le même droit une totalité, en tant que contenant comme parties toutes les lignes qui peuvent être pensées entre deux points simplement pensables entre elles, et dont la quantité va précisément à l’infini. C’est essentiel parce que ce texte est tiré d’une lettre, une lettre hélas pas traduite en français, c’est bizarre parce que c’est une lettre très importante, c’est une lettre de Kant où Kant répudie d’avance -je dis les motifs, les circonstances de la lettre-, répudie d’avance ses disciples qui tentent de faire une espèce de réconciliation entre sa propre philosophie et la philosophie de 17eme siècle. Bon, ça nous concerne étroitement.
Et Kant dit cela : « ceux qui tentent cette opération qui consiste à faire une espèce de synthèse entre ma philosophie critique et la philosophie de l’infini du 17eme siècle, ceux-là se trompent complètement et gâchent tout ».
C’est important, parce que il en a à son premier disciple post-ancien, Kant, qui s’appelait Maimon, mais ensuite, cette grande tentative de faire une synthèse entre la philosophie de Kant et la philosophie de l’infini du 17eme siècle, ce sera l’affaire de Fichte, de Schelling, de Hegel. Et il y a une espèce de malédiction de Kant sur cette tentative, et cette malédiction consiste à dire qui au juste ? Je reviens...
Et en effet, ils n’existent jamais simultanément car la synthèse par laquelle je produis les diamètres, c’est une synthèse successive, comprenez ce qu’il veut dire ça devient très fort : c’est une synthèse du temps. Il veut dire : le 17eme siècle n’a jamais compris ce qu’était la synthèse du temps, et pour une raison très simple, c’est qu’il s’occupait des problèmes d’espace, et la découverte du temps c’est précisément la fin du 17eme siècle. En fait, « tous les diamètres » est une proposition vide de sens, je ne peux pas dire « tous les diamètres du cercle », je ne peux que dire « chaque diamètre », « chaque » renvoyant simplement à une fonction quoi ? (à une fonction) distributive du jugement. Une fonction distributive du jugement, à savoir chaque diamètre en tant que je le trace ici maintenant. Chaque diamètre en tant que je le trace ici maintenant, et puis il me faudra du temps pour passer au tracé de l’autre diamètre, c’est une synthèse du temps. C’est une synthèse, comme dit Kant, de la succession dans le temps. C’est une synthèse de la succession dans le temps qui va à l’indéfini, c’est à dire elle n’a pas de terme, en vertu même de ce qu’est le temps. Je pourrai, si nombreux soient les diamètres que j’ai déjà tracés, je pourrai toujours en tracer un encore, et puis un encore, et puis un encore... Ça ne s’arrêtera jamais. C’est une synthèse de la production de chaque diamètre que je ne peux pas confondre avec une analyse. C’est exactement : une synthèse de la production de chaque diamètre dans la succession du temps, que je ne peux pas confondre avec une analyse de tous les diamètres supposés donnés simultanément dans le cercle. L’erreur du17eme siècle, ça a été de transformer une série indéfinie propre à la synthèse du temps en un ensemble infini coexistant dans l’étendue. Alors sur cet exemple, c’est fondamental...
ça c’est fait comment ? Partout, ça c’est fait de la manière la plus simple, et presque pour des raisons arithmétiques. A partir du moment où ils ont dit : « mais, une quantité infiniment petite -ça commence, si vous voulez, à partir du 18eme siècle-, à partir du 18eme siècle il y a un refus absolu des interprétations dites infinitistes, et toute la tentative, à partir du 18eme siècle, des mathématiciens, à commencer par d’Alembert, et puis Lagrange, et puis tous, tous, pour arriver jusqu’au début du 20eme siècle, où là ils décident qu’ils ont tout gagné, c’est quoi ? C’est montrer que le calcul infinitésimal n’a aucun besoin de l’hypothèse des infiniment petits pour se fonder. Bien plus, il y a un mathématicien du 19eme qui emploie une pensée, un terme qui rend très bien compte, il me semble, de la manière de penser des mathématiciens modernes, il dit : mais l’interprétation infinie de l’analyse infinitésimale, c’est une hypothèse gothique ; ou bien ils appellent ça le stade « pré-mathématique » du calcul infinitésimal. Et ils montrent simplement que il n’y a pas du tout dans le calcul infinitésimal des quantités plus petites que toute quantité donnée, il y a simplement des quantités qu’on laisse indéterminées. En d’autres termes, c’est toute la notion d’axiome qui vient remplacer la notion d’infiniment petit. Vous laissez une quantité indéterminée pour la rendre -c’est donc la notion d’indéterminé qui vient remplacer l’idée de l’infini-, vous laissez une quantité indéterminée pour la rendre, au moment que vous voulez, plus petite qu’une quantité donnée bien précise. Mais de l’infiniment petit, là-dedans, il n’y en a plus du tout. Et le grand mathématicien qui va donner son statut définitif au calcul infinitésimal, c’est à dire Stratt, à la fin du 19eme et au début du 20eme, il aura réussi à en expulser tout ce qui ressemble à une notion quelconque d’infini. Bon, alors... Je dirais, nous, on est formé comment ? Et bien je dirais que on oscille entre un point de vue finitiste et un point de vue indéfinitiste. Si vous voulez, on oscille entre -et ces deux points de vue, on les comprend très bien-, je veux dire on est tantôt Lucrétien, et tantôt on est Kantien. Je veux dire : on comprend relativement bien l’idée que les choses soient soumises à une analyse indéfinie, et l’on comprend très bien que cette analyse indéfinie, qui ne rencontre pas de terme, forcément elle ne rencontre pas de terme puisqu’elle exprime une synthèse de la succession dans le temps. Donc, en ce sens, l’analyse indéfinie en tant que fondée sur une synthèse de la succession dans le temps, on comprend ça même si on a pas lu Kant. Et on voit, on s’y reconnaît dans un tel monde. L’autre aspect, on le comprend aussi -l’aspect finitiste, c’est à dire l’aspect atomiste au sens large, à savoir : il y aurait un dernier terme, et si ce n’est pas l’atome ce sera une particule, ce sera un minimum d’atome, ou bien une particule d’atome, n’importe quoi. Donc, il y a un dernier terme. Ce qu’on ne comprend plus du tout, c’est ça... à moins que...qu’il y ait... je voudrais que ça vous fasse le même effet parce que sinon, ça m’inquiète... Ce que, à première vue, on ne comprend plus c’est l’espèce de pensée, la manière dont au 17eme siècle ils pensent l’infini actuel. A savoir : ils estiment légitime la transformation d’une série indéfinie en ensemble infini. Nous on ne le comprend plus du tout, ça. Je prends un texte - et presque, ce dont je parle, c’est les lieux communs du 17eme siècle -, je prends un texte célèbre de Leibniz, qui a un titre admirable : « De l’origine radicale des choses ». C’est un petit opuscule. Il commence par l’exposé pour mille fois fait, ce n’est pas nouveau chez lui, il ne le présente pas comme nouveau, l’exposé de la preuve de l’existence de Dieu dite cosmologique.
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