THEMES COURS
 ANTI-OEDIPE ET AUTRES RÉFLEXIONS - MAI/JUIN 1980 - DERNIERS COURS À VINCENNES (4 HEURES)
 SPINOZA - DÉC.1980/MARS.1981 - COURS 1 À 13 - (30 HEURES)
 LA PEINTURE ET LA QUESTION DES CONCEPTS - MARS À JUIN 1981 - COURS 14 À 21 - (18 HEURES)
 CINEMA / IMAGE-MOUVEMENT - NOV.1981/JUIN 1982 - COURS 1 À 21 - (41 HEURES)
 CINEMA : UNE CLASSIFICATION DES SIGNES ET DU TEMPS NOV.1982/JUIN.1983 - COURS 22 À 44 - (56 HEURES)
 CINEMA / VÉRITÉ ET TEMPS - LA PUISSANCE DU FAUX NOV.1983/JUIN.1984 - COURS 45 À 66 - (55 HEURES)
 CINEMA / PENSÉE - OCTOBRE 1984/JUIN 1985 - COURS 67 À 89 (64 HEURES)
 - CINEMA / PENSÉE + COURS 90 À 92
 - FOUCAULT - LES FORMATIONS HISTORIQUES - OCTOBRE 1985 / DÉCEMBRE 1985 COURS 1 À 8
 - FOUCAULT - LE POUVOIR - JANVIER 1986 / JUIN 1986 - COURS 9 À 25

- 20/05/1986 - 4

image1
24.7 Mo MP3
 

24 - 20/05/1986 - 4 (4) Sur Foucault Le pouvoir année universitaire 1985 1986 16 Cours du 20 mai 1986 Gilles Deleuze aut participant RequestDigitalE 34 :13 + 1mn 47

C’est au terme de l’opération de subjectivation que je peux me fermer sur moi, et encore : c’est pas conseillé. Et Merleau-Ponty ajoute : les peintres l’ont toujours vu. Les peintres l’ont toujours vu... Ouais. Oui, il y a une histoire de vitesse aussi là-dedans. Et, dans un autre texte de Merleau-Ponty, et que je vais pas retrouver... il y a quelque chose qui est très frappant. Un texte qui correspond tout à fait à celui-là. « Il faut un rapport à l’être qui se fasse de l’intérieur de l’être ». Ça, ça répond tout à fait à : l’intérieur, c’est pas le mien, c’est pas moi. Il faut un rapport... page 268 de Le visible et l’invisible. Il faut un rapport à l’être qui se fasse de l’intérieur de l’être, c’est au fond ce que Sartre cherchait. Mais, comme pour lui il n’y a d’intérieur que moi, il ne l’a pas trouvé »

Distinguer ces quatre..., ces quatre zones. Et ce qui est essentiel c’est de voir qu’il n’y a pas retour à une forme quelconque de dualisme. Je veux dire : il ne s’agit pas de retrouver un dedans qui s’opposerait au dehors. Il ne s’agit pas de reconstruire une lenteur qui s’opposerait à la vitesse. Il s’agit pas de définir un moi qui s’opposerait au non-moi. Mais il s’agit de constituer, je reprends les formules, l’intérieur de l’extérieur. C’est ça le soi. Il s’agit de constituer la lenteur des vitesses. L’intérieur de l’extérieur, le dedans du dehors. C’est cela, n’est-ce pas que je figure sous la forme 4, là, cette espèce de pliure de la ligne du dehors. Alors, si vous m’accordez, j’aimerais qu’on finisse la séance déjà avec vos réactions, il me reste bien des choses, des... mais peut-être qu’on le fera, alors, la prochaine fois, j’ai notamment... si j’ai le temps, si vous avez pas de questions à poser, je dirai très vite les rapports et les oppositions entre Foucault et Heidegger et Merleau-Ponty, là, parce qu’il y a un problème sur certains points de convergence et de [ ?] sur d’autres points.

Mais qu’est-ce que... Vous vous trouvez devant...Vous avez bien voulu toute cette année, là, me suivre dans cet essai d’exposition de la pensée de Foucault... Je veux dire : quelles réactions ? Certains d’entre vous, dans le courant de l’année, m’ont donné des questions. Parfois j’y ai répondu au fur et à mesure. Euh je dis que, à ce niveau, si vous comprenez la pensée de quelqu’un et est fondamentale les réactions affectives que vous avez. Parce que ça se confond pas avec de la discussion. Ce que j’appelle réaction affective à une pensée, ça fait pleinement partie de la pensée, c’est, encore une fois, qu’est-ce qui vous convient là-dedans, qu’est-ce qui vous convient pas ? Il s’agit pas de discuter, il s’agit pas de faire des objections à Foucault, il faut que chacun de vous arrive à en tirer ce qui lui convient et à énoncer avec autant de modestie que celle qu’avait Foucault que... arriver à énoncer ce qui lui convient pas pour son compte. Parce que ce vous convient pas dans une pensée trace comme en pointillés les directions où vous devez aller vous-mêmes pour trouver ce qui vous convient.

Alors je lis, là, une remarque parce qu’elle m’apparaît extrêmement intéressante et vraiment dans le genre des réactions de ce qu’on peut appeler des réactions... je sais pas... noétiques-affectives, des réactions affectives de la pensée comme telle. Il s’agit pas de dire : j’aime ou j’aime pas. Il s’agit plus d’avoir une... je sais pas quoi... une disposition affective à l’égard de la pensée. Or l’un d’entre vous, je lis... parce que ça me paraît très... et, en même temps, pour vous expliquer, je voudrais que vous compreniez que, moi, en tant que moi, j’ai rien à répondre à une pareille page. Donc l’un d’entre vous me dit : « d’après ce que tu as dit, il semble que la seule façon de ne pas se laisser méduser en quelque sorte par le dehors, c’est de le ployer pour loger dans son dedans » Je peux déjà dire : au moins il a compris parfaitement ce que je voulais dire, Il s’agit pas d’un dedans qui serait le mien, Il s’agit de se loger, habiter le dedans du dehors, être le passager par excellence... c’est à dire être là, dans la zone de subjectivation. [ ?] « Mais cet effort - est-il dit - Mais cet effort, car Il s’agit bien d’un effort, complètement d’accord, pour arc-bouter la ligne, pour plier la ligne, ne conduit-il pas trop souvent à des œuvres de toutes natures plutôt tristes ? » Vous voyez la tonalité affective. « ... plutôt tristes, tournées vers l’angoisse, la solitude, le désespoir ? » ça m’intéresse beaucoup. C’est quelqu’un qui dit : [ ?] cette ligne du dehors qui se plie et qui constitue une zone de subjectivation qui est finalement la seule manière de survivre en se protégeant des vitesses excessives de la ligne de mort - puisque la ligne du dehors, c’est aussi bien la ligne de mort - est-ce qu’il n’y a pas quelque chose d’un peu triste là-dedans ? Culture de l’angoisse ? Blanchot, Mallarmé, Rilke, Van Gogh, dont les affrontements sous un rapport uniquement frontal - c’est-à-dire ils affrontent la ligne du dehors suivant l’auteur de cette page - conduisent à des prises stratégiques du type “ exprimer l’inexprimable” dont le meilleur exemple serait Blanchot. C’est un face-à-face dans la mesure où il s’agit toujours de l’exprimer contre l’inexprimable. Exemple : l’effort d’Artaud. Ils m’apparaissent stupéfiants, ces auteurs, dit l’auteur de la page... Ils m’apparaissent stupéfiants, ces auteurs, non pas de réussite par rapport à moi, mais par rapport à l’inexprimable lui-même, un inexprimable exprimé par des œuvres qui ne sont que débâcles présentes (au sens de l’écriture du désastre de Blanchot).... qui ne sont que débâcles présentes, la grande famille des martyrs étouffée, étouffante. Alors je me pose beaucoup de questions. Est-ce qu’on peut dire ça pour Foucault, Je suis assez sensible... euh, je le dirais, ça, je le dirais assez pour Blanchot. Blanchot nous dit : cette ligne du dehors c’est une ligne de mort et, finalement, on plie la ligne du dehors pour constituer une intériorité d’attente.

En effet, c’est pas la joie, hein, chez Blanchot. Si on me dit : affectivement c’est pas la joie, on peut pas dire que ce soit la joie. Le texte continue. « Or n’est-il pas possible de s’y prendre autrement ? Plutôt que d’essayer de tordre ce dehors, ne crois-tu pas possible de longer la ligne, de la chevaucher en quelque sorte pour trouver un souffle qui ne soit pas seulement de l’ordre de la survie ou l’aménagement d’un territoire distinct ? » Bon, ça veut dire exactement [ ?] très intéressant, il me semble, à supposer même qu’on aille jusqu’à la ligne du dehors, est-ce que plier la ligne pour constituer une intériorité, pour constituer un processus de subjectivation, une intériorité d’attente, est-ce que c’est la seule solution ? Est-ce qu’il y a pas un autre traitement de la ligne ? Je reprends : « est-ce qu’il n’est pas possible de longer la ligne, de la chevaucher en quelque sorte pour trouver un souffle qui ne soit pas seulement de l’ordre de la survie ou de l’aménagement d’un territoire distinct ? Un repli ou un pli n’est-il pas seulement stratégique ?

Est-ce qu’on peut pas tenter quelque chose d’autre qu’une simple [ ?] stratégique ? Longer, suivre, laisser filer, dériver ne seraient-ils pas à la fois plus reposant et, de fait, moins tragique ? » Et là, bizarrement, il cite Lautréamont et Beckett come auteur allant dans ce sens par opposition à ceux qui ont été cités... Bon. Alors je me dis : un tel texte ça m’intéresse beaucoup comme réaction. Voilà ce que je ... ma réaction à [ ?] à un tel problème, ce serait non pas vous comprenez... encore une fois on n’en est pas à... Ce qui est en jeu, en fait, c’est tout le système linéaire. Ce que je veux dire, là, c’est tout ou rien. Vous pouvez pas dire à Foucault : oui pour les strates, oui pour les rapports de pouvoir, ah, mais attention ! Avec le reste... euh... ça, je peux plus te suivre ; Encore une fois, moi je crois que ce qui est beau dans la vie : si on suit quelqu’un, il faut le suivre jusqu’au bout. Si bien que ce qui est dit dans cette phrase implique en fait un système linéaire qui serait d’un bout à l’autre aménagé d’une autre façon et qui pourrait avoir des croisements...

Car comprenez : ce qui fait que Foucault n’a finalement pas le choix, je ne cesse pas de le redire, parce que c’est ça la clef de tout et notamment ce qui fait l’unité de son œuvre et ce qui fait euh... et ce qui fait l’espèce de crise avant les derniers livres... C’est parce que Foucault a découvert et a déterminé l’élément informel, l’élément linéaire, il l’a déterminé comme rapport de pouvoir et parce que, pour lui, c’était très concret, il a été frappé, il a été très vite frappé de ceci, c’est que, bien loin d’être indépendant du pouvoir, le savoir renvoyait à des rapports de pouvoir, c’est-à-dire ce qu’on voyait et ce qu’on disait renvoyaient à des foyers de pouvoir, à des points de pouvoir. A partir de là, tout s’enchaîne. Comment franchir cette ligne du pouvoir ? Réponse : c’est vraiment et ça ne peut être qu’en affrontant la mort. C’est-à-dire : la ligne du dehors ne peut être identifiée qu’à la mort. Et la question devient en effet : « comment co-vivre avec la mort ? » plutôt que « comment survivre à la mort ? » - rappelez-vous le thème de Bichat, la mort coextensive à la vie - Comment co-vivre avec la mort ?

Eh ben l’opération du ploiement, du plissement... Plier la force constitue une zone de subjectivation. Or ce pourquoi, à mon avis, c’est pas tellement étouffant, je dirais... Ma réaction, c’est pas, en tout cas, dans le cas... je ne trouve pas que ce soit une pensée étouffante. C’est la manière dont il faut bien que ce dedans constitué par le pli soit réellement - j’ai essayé d’insister, mais trop vite, là-dessus - soit réellement en contact avec le dehors. C’est pas un dedans refermé. Il faut qu’il soit co-présent au dehors sur la limite du pli. C’est ce rapport topologique que j’ai beaucoup trop vite analysé. C’est cette espèce de co-présence, d’application du dedans sur le dehors qui fait que, la subjectivation n’est pas du tout une fermeture, mais une ouverture. Comme dit Merleau-Ponty, c’est seulement à la fin que ça risque de se refermer sur [toi ?]. Mais, si vous maintenez l’impression que cette zone de subjectivation, par rapport à la ligne vous paraît... ben... vous convient pas, je redis bien : vous pouvez à ce moment-là être très proche de Foucault, mais vous serez amenés à faire un système de lignes, un système linéaire car finalement, tout ça, ça revient à dire : penser c’est tracer des lignes, tout comme c’est émettre des singularités, ben penser c’est tracer des lignes. Vous ferez un système linéaire différent. Notamment qui impliquera une évaluation du pouvoir tout à fait différente et qui impliquera déjà une évaluation du savoir différente ou bien même d’autres catégories que celles de savoir et de pouvoir.

Est-ce que c’est possible ? C’est évidemment possible. Ouais. Je vois pas d’autre chose à répondre. C’est-à-dire : oui, d’accord, d’accord, c’est... euh... Mais j’insiste, oui, la seule chose que je répondrais, c’est : ne prenez pas la zone de subjectivation comme quelque chose qui vous enferme en vous-mêmes. Corrigez toujours en vous disant : oui, c’est le dedans, mais c’est dedans du dehors. C’est l’intérieur oui, mais pas mon intérieur, c’est l’intérieur de l’extérieur. Si bien que cet intérieur est topologiquement en contact avec... cet intérieur qu’est formé par le pli de l’extérieur est topologiquement en contact avec tout l’extérieur. Je reprends, je reviens, je fais mon retour au cerveau : c’est ce qu’on nous dit du cerveau. Très difficile d’interpréter le cerveau, de comprendre le cerveau dans un espace euclidien. C’est un espace topologique, c’est-à-dire tout l’intérieur est en co-présence avec tout l’extérieur. Le pli, c’est simplement la formation dans laquelle il [ ?], mais qui, en tant que l’intérieur de l’extérieur, s’applique sur tout l’extérieur dont il [ ?]. En ce sens, je dirais : ce qui est réclamé là comme longer la ligne, chevaucher la ligne etc. ça s’oppose pas...ça s’oppose pas. Bon, est-ce qu’il y a des remarques à faire sur... sur ce schéma ? Moi j’avais qu’un but... je n’avais qu’un but cette année, c’était vous donner le sentiment, il me semble, d’une grande philosophie. Je pense réellement que c’est une des philosophies les plus importantes du XXème siècle. Alors ceci, c’est infiniment plus important que la question : jusqu’où on se sent d’accord, convaincu ou pas convaincu... Voilà. Est-ce qu’il y a des remarques à faire sur le schéma même ?

Oui ?

Une personne dans l’assistance : inaudible

Deleuze : Vous me dites très gentiment, si je comprends bien, et vous me dites ça sans aucun reproche : ce que vous nous avez offert c’est votre interprétation de Foucault. Euh... C’est sûr, c’est sûr. Si vous ajoutez : est-ce qu’une autre compréhension est possible ? J’ai presque honte que vous me le demandiez, c’est certain. C’est certain. Tout ce que je peux vous dire c’est que - et ça se comprend tout seul - c’est que je ne la vois pas (rire)... forcément. Je veux dire : non... il y a des cas où on se dit... où moi-même j’aurais commenté des textes en disant : eh ben vous vous trouvez devant plusieurs possibilités... Moi je ne vois pas d’autres euh... Si, je veux dire, il s’agit de... de... de fixer d’abord les exigences qu’on se donne. Moi mon exigence c’était : comprendre l’ensemble de l’œuvre et les moments de crise qui ont traversé [ ?]. Euh... C’est pour ça que j’ai attaché tellement d’importance à ce qui, pour d’autres, pourrait n’être qu’un détail. L’histoire de après La Volonté de savoir, lorsque Foucault, dans ce texte que j’ai pris dans un article, ça va de soi que, par exemple, j’ai donné une valeur énorme... Si je dois me faire une critique qui va dans votre sens, je dirais... ce qui vous donnerait raison, j’ai donné une valeur intense même à des mots qui apparaissent chez Foucault très rarement. Par exemple le mot diagramme qui apparaît une fois, je lui ai donné une valeur énorme parce qu’il lumineux pour exposer la pensée de Foucault. Mais on peut toujours me dire : quand même... justement c’est très difficile de donner à un mot unique une telle extension. Euh... Si vous dites : est-ce que... Alors votre question devient : est-ce que L’archéologie ne garde-t-elle pas... n’a-t-elle pas ces rapports... des rapports qui ne sont pas médiatisés par les rapports de pouvoir ? Ça se peut ; ça se peut. Je vous dirais à ce moment-là, moi ça m’intéresserait beaucoup... je crois pas, je crois pas chez Foucault. Je crois pas, mais vous, vous semblez croire. Tout ce que je remarque c’est que, quand il découvre les rapports de pouvoir, il ne fait plus d’archéologie. Il est comme emporté dans de tout autres problèmes. Evidemment si... Il faudra, à ce moment-là, compliquer le schéma... est-ce que... Mais je sais pas bien ce que vous voulez dire. Est-ce que les archives, est-ce que les strates ont-elles-mêmes un rapport direct avec le dehors ?

Même intervenante : ?

Deleuze : c’est ça. C’est ça. Ouais, ouais, ouais... Ah ben c’est l’histoire..., là vous reprenez, là je... Moi je m’avoue, là, ça devient beaucoup plus clair. Est-ce que, en effet si vous donnez à [ ?] l’énoncé et au langage... pas aux énoncés - vous me l’accorderiez tout ce que j’ai dit sur les énoncés... - Mais si vous donnez au langage une fonction beaucoup plus importante encore que celle que je lui ai donné, c’est évident que tout change. C’est-à-dire l’intervention qu’a faite [ ?] pour dire : il y a un privilège du langage en un sens très particulier, alors que, moi, je réclamais le même statut pour le langage, vie et travail... euh... si vous maintenez un privilège du langage que Foucault n’aurait pas eu le temps d’analyser, car, là, donnez-moi raison, au moins sur le point suivant, il me semble qu’il n’a pas eu le temps d’analyser ou qu’il ne l’a pas fait... si vous me dites : il faut partir de là, c’est évident que, dans le rapport énoncé-langage, il y a ici dans mon schéma quelque chose qui est [ ?]. Oui, ça c’est sûr. Je dirais juste, moi, je pense pas. Je pense pas, c’est-à-dire j’ai trouvé extrêmement intéressant et j’ai compris ce qu’a dit Comtesse sur... et... j’ai... je suis resté avec... Alors ça rejoindrait peut-être la question de tout à l’heure. S’il y a privilège du langage, je dirais presque... Vous allez vous trouver devant d’autres difficultés, parce que c’est un privilège du langage absolument non-linguistique. Euh, c’est un privilège du langage littéraire. Foucault, là, ne perdra jamais son anti-linguistique, et la manière très très ironique dont il dit... la preuve que ça allait mal en littérature, c’est que les linguistes s’en mêlaient ; et la manière dont il dit, très fortement, la littérature moderne est un contrecoup, est une compensation à la linguistique et non pas..., et non pas du tout un allié de la linguistique. Ce sera dans un être du langage, un être-langage littéraire.

Même intervenante : ?

Deleuze : là je vous dirai : il faudrait vraiment que vous donniez à « interprétatif » un sens très particulier, puisque Foucault n’a jamais caché sa haine de l’interprétation. C’est pas du côté... en tout cas c’est pas du côté d’une herméneutique... Puisqu’il exècre l’herméneutique, c’est pas de ce côté-là que vous trouvez une direction. Je crois que c’est plutôt, en effet, la littérature, sa conception de la littérature, sur laquelle il n’a donné que très peu d’indications sinon qu’elle rompait avec la linguistique. Mais sa conception de la littérature, moi je n’arrive pas à comprendre comment il peut, encore une fois, donner un moindre statut de privilège à un langage-littérature par rapport à la vie ou par rapport à l’informe. Je reprends la trinité de Rimbaud... bon... que je vous avais citée dans la fameuse lettre, dans la lettre du voyant, le nouvel homme, chargé du nouveau langage, de la nouvelle langue universelle, mais chargé des animaux même et chargé de l’informe. Je vois pas comment... Je vois pas comment... aucune raison surtout en tout cas de même, dans mes réactions affectives, tout me fait horreur dans cette idée que l’on puisse faire la littérature sans que ça engage quelque chose de la vie même, sans que ça engage quelque chose de non- littéraire. Je veux dire ; comment éviter, à ce moment-là de reconstituer une intériorité littéraire ? Or, si... si la littérature est un soi, ou une intériorité, elle est l’intérieur d’un extérieur qui, lui-même, n’est pas littéraire. Donc, dès lors, je peux pas comprendre ce que veut dire un privilège de la littérature. On peut le dire que la littérature est un mode de subjectivation particulièrement important. C’est ce qu’il dira, par exemple, à la fin quand il parlera des écrits sur le soi. Vous vous rappelez... euh...

Quelqu’un dans l’auditoire : ?

Deleuze : c’est ça, c’est ça. Mais si vous vous voulez aller dans ce sens ou si Comtesse, pour son compte, va dans ce sens, ce sera évidemment une tout autre interprétation de Foucault. Si vous me dites : une telle interprétation est-elle possible ? Je réponds : assurément je la crois possible, mais je ne la conçois pas. Mais raison de plus... C’est une manière de vous dire encore plus : faites-la. Est-ce qu’il y a d’autres remarques ? Alors est-ce que vous êtes trop fatigués pour que je vous raconte les différences avez la terminologie... on peut garder ça pour la prochaine fois...

Une étudiante : ?

Deleuze : quoi ? Quelle heure est-il ? Ah... oui..., non, on m’a posé une question sur le temps. Où il est le temps, là-dedans ? Je dirais très rapidement : pendant très longtemps, Foucault a... n’a pas bien aimé le problème du temps. Et, là aussi, à la suite de Blanchot, il disait : le vrai problème, les vrais problèmes, c’est les problèmes de l’espace. Les vrais problèmes de la pensée moderne, c’est le problème de l’espace. Et bien plus, dans un texte des Mots et les choses, il fait le renversement. Il dit explicitement : on nous dit que la pensée moderne a découvert le temps alors que la pensée classique privilégiait l’espace. Et il dit : il faudrait dire l’inverse. C’est dire qu’il y a une espèce de répulsion de Foucault quant au problème du temps. Et il me semble que ça vaut jusqu’à La volonté de savoir. C’est ça qui apparaît... ça vaut jusqu’à La volonté de savoir. J’ai le sentiment que, ensuite, avec l’idée de la ligne du dehors qui se ploie, il y a une... il y a vraiment une redécouverte du temps. Car c’est ça le temps. Pourquoi est-ce que c’est ça le temps ? Il y avait une définition très [ ?] euh... non pas tout à fait du temps, mais de quelque chose de voisin du temps, chez Kant.

Et cette définition avait beaucoup frappé Heidegger. Heidegger disait : le temps c’est, selon la formule de Kant, l’affect de soi par soi. Or, dans Foucault, Les mots et les choses, page 338, vous avez un texte qui me paraît tout à fait intéressant parce qu’il dirait presque..., il est à deux doigts on dirait de retomber sur le temps. Aïe aïe aïe... c’est pas 338... je vais pas le retrouver...Ooooh. Où ça peut être ? Il me le faut parce que si... Eh hé ! Ce serait trop beau. Quand on se trompe, on se trompe jamais d’une seule page... Euh... 338 tiens... pourquoi ça y est pas ? Non, non, c’est 338, je citais bien, mais ça y est pas. Aaah Voilà ! « La pensée... » 338... « La pensée ne peut découvrir l’impensé ou, du moins, aller dans sa direction sans l’approcher aussitôt de soi » Vous voyez : ça, ça nous confirme, hein. Vous vous rappelez : la pensée vient du dehors, ce dehors est plus loin que tout monde extérieur, mais, du fait qu’elle est plus loin que tout monde extérieur, cette pensée qui vient du dehors va se découvrir en elle-même comme l’impensé, c’est-à-dire le plus proche. Plus proche que tout monde intérieur. C’était déjà l’idée...

C’est comme la première formulation du pli, de la subjectivation, ça, avant qu’il ait trouvé le vrai problème de la subjectivation. C’est un pressentiment, il me semble, de ce qui va venir après, là, ce texte page 338. Donc « La pensée ne peut découvrir l’impensé ou, du moins, aller dans sa direction sans l’approcher aussitôt de soi ou peut-être encore sans l’éloigner... » C’est plus loin que tout monde extérieur donc plus proche que tout monde intérieur. « ...ou peut-être encore sans l’éloigner. En tout cas sans que l’être de l’homme, puisqu’il se déploie dans cette distance, ne se trouve du fait même altéré. » Altéré c’est vraiment affecté. Evidemment, j’aurais préféré infiniment qu’il mette « affecté ». Bon, on n’a pas ce qu’on veut, hein... « Se trouve affecté ». La pensée comme affect de soi par soi... Vous voyez : en ce sens que ce qui est plus loin que tout monde extérieur devient plus proche que tout monde intérieur et que se produit donc par là une altération, c’est-à-dire une affection de la pensée par soi en tant qu’elle vient du dehors. Cette affection de la pensée par soi, il me semble, c’est précisément ce qu’il faut appeler le temps. D’où, dans la page, vous verrez, alors 339, comme par hasard il est question du temps, l’affect de soi par soi, alors que l’espace est toujours l’affect de soi par autre chose. Et si je reviens à mon schéma, la ligne du dehors, qui se définissait par des vitesses moléculaires et qui, en plus, se ploie pour constituer des êtres lents, zone de subjectivation, c’est exactement cet ensemble. La force se ploie sur soi. C’est-à-dire s’affecte elle-même. C’est tout le mouvement de la ligne du dehors en tant qu’elle se plie et constitue un dedans coextensif au dehors qu’il faudra appeler le temps. C’est pour ça que je disais tout à l’heure : dans la co-activité du dedans avec le dehors, le dedans condense tout le passé (et on a vu que la subjectivation c’était l’absolue mémoire), le dedans condense tout le passé et le dehors, la ligne de mort, la ligne de toute vitesse, fait advenir tout futur. En ce sens, je dirais : c’est là qu’il y a remise en situation d’une temporalité propre à Foucault.

 9- 07/01/1986 - 1


 9- 07/01/1986 - 2


 9- 07/01/1986 - 3


 9- 07/01/1986 - 4


 10- 14/01/1986 - 3


 10- 14/01/1986 - 1


 10- 14/01/1986 - 2


 10- 14/01/1986 - 4


 11- 21/01/1986 - 1


 11- 21/01/1986 - 2


 11- 21/01/1986 - 3


 11- 21/01/1986 - 4


 12- 28/01/1986 - 1


 12- 28/01/1986 - 2


 12- 28/01/1986 - 3


 12- 28/01/1986 - 4


 12- 28/01/1986 - 5


 13- 25/02/1986 - 1


 13- 25/02/1986 - 2


 13- 25/02/1986 - 3


 13- 25/02/1986 - 4


 13- 25/02/1986 - 5


 14- 04/03/1986 - 1


 14- 04/03/1986 - 2


 14- 04/03/1986 - 3


 14- 04/03/1986 - 4


 15- 11/03/1986 - 1


 15- 11/03/1986 - 2


 15- 11/03/1986 - 3


 15- 11/03/1986 - 4


 16- 18/03/1986 - 1


 16- 18/03/1986 - 2


 16- 18/03/1986 - 3


 16- 18/03/1986 - 4


 16- 18/03/1986 - 5


 17-25/03/1986 - 1


 17- 25/03/1986 - 2


 17-25/03/1986 - 3


 17-25/03/1986 - 4


 18- 08/04/1986 - 1


 - 08/04/1986 - 2


 - 08/04/1986 - 3


 - 08/04/1986 - 4


 -15/04/1986 - 1


 19-15/04/1986 - 2


 -15/04/1986 - 3


 19-15/04/1986 - 4


 20- 22/04/1986 - 1


 20- 22/04/1986 - 2


 - 22/04/1986 - 3


 - 22/04/1986 - 4


 - 29/04/1986 - 1


 - 29/04/1986 - 2


 - 29/04/1986 - 3


 21- 29/04/1986 - 4


 21- 29/04/1986 - 5


 - 06/05/1986 - 1


 - 06/05/1986 - 2


 - 06/05/1986 - 3


 22- 06/05/1986 - 4


 - 13/05/1986 - 1


 - 13/05/1986 - 2


 - 13/05/1986 - 3


 - 13/05/1986 - 4


 - 13/05/1986 - 5


 - 20/05/1986 - 1


 - 20/05/1986 - 2


 - 20/05/1986 - 3


 - 20/05/1986 - 4


 - 27/05/1986 - 1


 - 27/05/1986 - 2


 - 27/05/1986 - 3


La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien