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9- 10/02/81/ - 1
transcription : Yann Girard deleuze 10/02/81/1 9A il admire profondément Rimbaud.. ; ... mais les philosophes, leur activité cela consiste à fuir.. et pourtant tout le dément, chaque fois qu’on ouvre un grand philosophe - on s’aperçoit que les auteurs, il parle de très peu d’auteurs - d’abord. Et ensuite ceux dont il parle, c’est, c’est pas tellement sûr que... qu’il les ait lus - c’est pas son problème. Alors, si vous y réfléchissez il y a rien de plus comique ! enfin c’est grotesque cette idée que... qu’on puisse emprunter des idées à un livre - évidemment ça fait, c’est ça qui fait l’objet des thèses. Sinon il n’y aurait pas de thèses. Une thèse, ça consiste à montrer - à la limite, pas toujours - mais, en gros, ça consiste à montrer à quel livre, tel auteur a emprunté les idées. Ca c’est formidable ! par exemple : l’idée de la vie chez Bergson ! ça va être par exemple : "est-ce que Bergson a emprunté son idée de la vie à Schelling ou à un autre ? Alors dès qu’on, dès qu’on se lance dans cet élément, c’est curieux ! on entre dans un élément qui est complètement inconsistant... . Vous savez, moi je crois que les livres, ça sert à tout, sauf précisément, à leur emprunter des idées. Je sais pas à quoi ça sert ! Mais ça sert à quelque chose, ça sûrement. On peut emprunter à un livre tout ce qu’on veut - y compris emprunter le livre lui-même. Mais on peut pas lui emprunter la moindre idée ! ... ça va pas ça... Le rapport d’un livre avec "l’idée" c’est quelque chose de tout à fait différent.
- Tout ceci pour vous dire que, qu’il faut vraiment que vous lisiez, sinon - j’ai tout d’un coup un soupçon affreux, si vous ne lisez pas.... (Quelqu’un entre : "pardon", un bruit de chaise indique qu’il en a trouvé une, ou qu’il dérange quelqu’un.)
bruits d’une salle de cours : on déplace des tables, apparemment, la porte s’ouvre. Deleuze reprend la parole, inaudible faute à une toux à proximité du micro.) - Notre point essentiel ce sera : essayer de tirer les conclusions concernant les rapports entre une éthique et une ontologie. Ce point où on arrive, c’est précisément la nécessité du point de vue de l’éthique, d’analyser la conception, dans le spinozisme, de l’individu, et de l’individuation. Et vous voyez bien où on en est - (Deleuze déplace une feuille de notes - on en est Tout ce qu’on a dit précédemment nous amène donc à distinguer comme trois épaisseurs. Trois épaisseurs de la vie. Comme si l’individu se développait, se constituait sur trois dimensions. - Première dimension : il a un très grand nombre de "parties". On en sait pas plus ! Un individu a un très grand nombre de parties. Qu’est-ce que ces parties ? là il y a pas tellement de problèmes - ces parties, Quand même Spinoza leur réseve un nom : il les appelle, "les corps les plus simples" ! Un individu est donc constitué d’un grand nombre de parties nommées "les corps les plus simples", "corpara simplicisma". Question tout de suite : mais alors ces corps les plus simples, envisagés chacun, c’est des individus ou pas ? Si un individu comporte un très grand nombre de parties de corps très simples, les corps simples, c’est des individus ou cela n’en n’est pas ? On laisse ça de côté hein. Bah, il me semble- là je prends... - il me semble que pour Spinoza, un corps simple, un corps très simple n’est pas à proprement parler un individu. Mais un individu, si petit qu’il soit, a toujours un très grand nombre de corps très simples qui constituent ses parties. Bon, on verra ! On verra si c’est bien ça chez Spinoza. - Ces parties, c’est donc vraiment, dans le cas des corps - et même dans tous les cas - c’est des parties extensives. Qu’est-ce que c’est les "parties extensives" ? C’est des parties soumises à la loi - toujours pour parler latin "partes extrapartes", c’est-à-dire des parties extérieures les unes aux autres. Vous me direz : "Ca, ça ne vaut pour le corps et l’étendue". Oui et non. Vous vous rappelez peut-être que l’étendue, c’est un attribut de la substance. L’attribut de la substance, il est pas divisible , l’étendue, elle est indivisible. Tout comme les autres attributs : la pensée, elle est indivisible.
Bon, vous voyez : seconde dimension de l’individu : le rapport de mouvement et de repos, le rapport de vitesse et de lenteur, qui caractérise ce corps par différence avec tout autre corps. Donc c’est pas les parties qui définissent un corps. C’est le rapport sous lequel les parties lui appartiennent. Qu’est-ce que ça veut dire un rapport de mouvement et de repos, un rapport de vitesse et de lenteur, qui caractériserait un corps ? Donc à chaque corps correspondrait un rapport. Un corps ? Qu’est-ce que c’est ça ? C’est la deuxième dimension.
- Donc le troisième niveau consiste à nous dire : l’essence de l’individu, c’est une intensité. En quoi est-ce intéressant ? Sans doute parce que ça élimine déjà deux positions qui ont du être tenues dans l’histoire de la pensée. A savoir c’est une conception intensive de l’individu, qui dès lors se distingue d’une part d’une conception extensive - qui chercherait l’individualité dans une extension quelconque. Et ça s’oppose aussi à une conception qualitative - qui chercherait l’individualité, le secret de l’individualité dans une qualité. L’individuation pour Spinoza n’est ni qualitative, ni quantitative - au sens de quantité extensive. Elle est intensive. Donc si j’essaie de grouper dans une même formule les trois dimensions de l’individualité, je dirais : " Un individu, c’est une partie intensive, c’est-à-dire un degré de puissance - petit a ;
- petit b - en tant que ce degré de puissance s’exprime dans un rapport de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur ;
Bon, vous voyez, vous, par exemple, chacun de vous, vous êtes constitués d’un très grand nombre de parties extensives mobiles, en mouvement ou en repos, ayant telle vitesse et telle lenteur, etc... ce qui vous caractérise, c’est un ensemble de rapports de vitesse ou de rep.. euh, un ensemble de rapport de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur, sous lequel ces parties vous appartiennent - dès lors elles peuvent changer ! Du moment qu’elles effectuent toujours le même rapport de vitesse et de lenteur, elles vous appartiennent toujours. Et enfin, dans votre essence, vous êtes une intensité. Bon, c’est une vision intéressante, quoi ! Seulement, à partir de là, qu’est-ce qu’on peut dire ? Bah, on a déjà un problème. Je veux dire : tout individu est composé d’un très grand nombre de parties, qui sont les corps les plus simples. Donc immédiatement, on nous convie à distinguer des corps composés et des corps simples. Tout corps est un corps composé. Bon d’accord. Tout corps est un corps composé. Et de composition en composition - c’est toujours l’idée de Spinoza qui il y a une composition des rapports à l’infini - de composition en composition, on arrivera à la nature entière. La nature entière est un individu ! C’est même, la nature entière, c’est l’individu des individus. La nature entière, c’est le corps composé de tous les corps, eux-mêmes composés, à l’infini. En effet la nature entière, c’est l’ensemble de tous les rapports, de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur. - Donc il y a bien un individu des individus, ou qui est le "corps composé de tous les corps composés". Et en effet on peut concevoir une composition de proche en proche. Si je reprends l’exemple de Spinoza : le schyle et la lymphe, chacun sous leur rapport, chacun sous son rapport, compose le sang. Le sang à son tour entre en composition avec autre chose pour former un tout plus vaste. Le tout plus vaste entre en composition avec autre chose pour former un tout encore plus vaste, etc. Jusqu’à, à l’infini l’unité de toute la nature, l’harmonie de toute la nature, qui, elle, est composée de tous les rapports. Voyez donc, je peux aller vers un corps composé à l’infini. Un corps composé de tous les corps composés.
- Bah, je suis extrêmement admiratif, surtout pour l’oeuvre de Gueroult, qui me paraît une très grande chose. Mais voilà que, quant à ce point précis de ce qu’il dit sur l’individu chez Spinoza, il n’y a aucune proposition de son commentaire, pourtant très, très précis, qui me semble fausse. Et alors quelque chose me trouble énormément, parce que le Savoir, l’érudition de Gueroult est une chose énorme, sa rigueur de commentaire me paraît immense, tout ça... et à la limite je comprends pas pourquoi j’ai cette impression que... qu’il manque. Ca va pas du tout ! Je vous ai dit tout ça pour que... quand... ce que j’appelle une séance technique, c’est vraiment dans les choses au niveau presque des lois physiques, invoquées par Gueroult, invoquées, peut-être, par Spinoza lui-même, ou celles que, moi, j’invoquerai, les modèles mathématiques et physique, que on invoque si bien que, si je me permets de dire tout le temps pour plus de rapidité que Gueroult se trompe, vous corrigez vous-même. Ca veut dire que je ne m’y reconnais pas, je me faisais une autre idée, une tout autre idée. Tout ça... pour ceux qui seraient vraiment spinozistes, vous irez voir chez Gueroult. Y’a aucune raison de me croire sur parole. Vous irez dans les livres de Gueroult, et puis ce sera à vous de choisir, ou bien de trouver encore d’autres solutions. Donc... ça, c’était un avertissement de précaution sur ce que je vais euh.... I ll y a un point sur lequel Gueroult a évidemment raison, je veux dire pour vous donner un avant goût du genre de technique que je souhaite. La plupart des commentateurs ont toujours dit - la grande majorité, presque tous à ma connaissance - on dit que il n’y avait pas tellement de problème de la physique spinoziste, que c’était une physique tout à fait cartésienne. Tout le monde reconnaît que Leibniz a complètement mis en cause les principes de physique cartésienne, mais on accorde que Spinoza, il serait resté cartésien. Or c’est effarant ! Là alors Gueroult a absolument raison. Gueroult est quand même le premier - ça, ça veut dire quelque chose quant à l’ état des études en histoire de la philosophie, quand on ne fait pas très attention - Gueroult est le premier à signaler un petit point très précis. - A savoir, il est bien connu que Descartes insiste énormément sur l’idée que quelque chose se conserve dans la nature. Et notamment quelque chose concernant "le mouvement". Donc considérant les problèmes de communication du mouvement dans le choc des corps - lorsque les corps se rencontrent - Descartes insiste - et ça va la base, ou une des bases de sa physique - sur ceci : quelque chose se conserve dans la communication du mouvement. Et qu’est-ce que c’est qui se conserve dans la communication du mouvement ? Descartes nous dit : c’est "m/v" ! C’est-à-dire : ce qu’il appelle ; " quantité de mouvement", et la quantité de mouvement, c’est le produit de la masse par la vitesse - mv, petit m, petit v. Spinoza, dans sa théorie des corps, au Livre II de "l’Ethique", nous dit : "ce qui se conserve, c’est un certain rapport de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur." (L. II, Prop. XIII, Ax.I, II, Lem. I). Un lecteur rapide se dira : "C’est une autre manière d’exprimer la quantité de mouvement "mv". En effet, "m", la masse, pour Descartes même, implique une force de repos, "v" implique une force de mouvement. Donc il semble que le passage se fasse tout naturellement de l’idée "que se conserve la quantité de mouvement dans le choc des corps" et qu’on passe tout naturellement à l’idée que : "se conserve le rapport du mouvement et du repos". Je veux dire, la force de Gueroult ... c’est quand même le premier à dire : mais enfin quoi : est-ce qu’on lit les textes ou pas ? Parce que c’est évident que c’est pas du tout la même chose. En quoi c’est pas du tout la même chose ?
D’accord ? Je dirai la formule : " ce qui se conserve, c’est mv ", donne pour Descartes le développement suivant : mv + m’ v’ = mV + m’ V’. Voyez, ce qui se conserve, entre l’avant choc et l’après choc, c’est "mv". En d’autres termes, ce qui se conserve, c’est une somme. En effet, Descartes le dira explicitement, ce qui se conserve, c’est une somme. Or, là faut pas être fort quand on s’occupe de ces questions, pour constater que la critique de Leibnitz contre Descartes, la manière dont Leibnitz va miner, faire sauter la physique cartésienne, c’est sur ce point. Il est bien connu, il est célèbre que Leibnitz va "substituer" - comme on dit dans les manuels - à la formule cartésienne une autre formule, à savoir, il va dire : " Non, ce qui se conserve, c’est pas "mv", c’est "mv²". Seulement quand on a dit ça, on a strictement rien dit ! parce que l’opération intéressante, c’est la nécessité où est Leibniz d’élever "v" au carré. Ca veut dire quoi considérer la puissance, élevée au carré"v²" ? C’est simple ! C’est pas à cause de l’expérience, l’expérience c’est pas... ça marche pas comme ça la physique. C’est pas l’expérience qu’il force à... on découvre pas v² dans l’expérience. Ca ne veut rien dire. C’est qu’en fait il change la nature des quantités. Pour une raison simple, c’est que v², c’est toujours positif, déjà. En d’autres termes, on ne peut pas arriver à v² si on a pas substituer aux quantités dites " scalaires " des quantités dites "algébriques". C’est donc un changement dans le registre. Dans les coordonnées quantitatives elles-mêmes, c’est un changement de coordonnées. Bon, on en reste là. Je dis juste... parce que c’est Spinoza qui m’intéresse.
Eh bah ! Il y a pas besoin d’avoir fait beaucoup de mathématiques pour comprendre que vous ne passez pas d’une formule à l’autre.
C’est pas la même !
En d’autres termes, lorsque Descartes dit :
bah ! c’est deux formules qui... Vous me direz : "Mais alors d’oùvient l’équivoque ? é L’équivoque, elle serait pas difficile a démontrer : C’est que dans certains cas - là j’ai pas de le temps de tout développer - dans certains cas singuliers, vous avez équivalence. C’est-à-dire : vous pouvez passer de l’une à l’autre pour certains cas. Pour certains cas exceptionnels. Bon, d’accord ! A la limite, admettons.
- Et c’est pour ça que... alors on avance un peu... que réflexion faite Spinoza pouvait pas accepter une pareille conception, de l’individu massif. Il pouvait pas ! Précisément parce que pour lui les corps ne sont pas des substances. Il allait être donc forcé, lui, de définir les individus par des rapports. Et non pas comme substance. Il va définir un individu dans l’ordre du rapport ou de la relation, et pas dans l’ordre de la substance. Donc quand il nous dit :" ce qui définit un individu, c’est un certain rapport de mouvement et de repos", il faut pas en rester... si vous restez à la surface des choses vous vous direz dans les deux cas chez Descartes comme chez Spinoza, c’est toujours du mv. Mais ça veut rien dire "c’est toujours du mv" ! Bien sûr, c’est toujours du mv, masse-vitesse ! Mais c’est jamais ça qui définit l’individu. Ce qui compte c’est le statut de m et le statut de v. Or je peux dire que chez Descartes, c’est un statut additif. Pas du tout parce que m+v, ce qui n’aurait aucun sens. Mais bien plus parce que mv + m’ v ’. C’est une somme. Les masses entrent dans des rapports additifs. - Chez Spinoza, les individus, c’est des rapports, c’est pas des substances. Dès lors, il n’y aura pas addition ! il n’y aura pas sommation ! il y aura composition de rapports. Ou décomposition de rapports. Vous aurez mv sur... et mv n’existe pas indépendamment. Mv c’est le terme, c’est un "terme" d’un rapport. Un terme d’un rapport, il n’existe pas indépendamment du rapport. En d’autres termes, je peux dire que déjà chez Leibnitz - ou plutôt, autant que chez Leibniz - chez Spinoza autant que chez Leibnitz, il y a évidemment un abandon des quantités scalaires. Simplement ça va pas être de la même manière, chez Spinoza et chez Leibnitz. Il y a autant de critiques de Descartes chez Spinoza que chez Leibnitz, d’où une histoire très bizarre. Parce que qu’est-ce que c’est cette histoire de la visite un peu mystérieuse que Leibnitz a faite à Spinoza ? Voilà que Spinoza qui sortait très tôt, n’est-ce pas, reçoit la visite de Leibnitz. On sait pas très bien ce qu’ils se sont dits. Leur entretien dura...aprés tout, c’est aussi important que la rencontre entre deux hommes politiques, c’est même plus important pour la pensée.
Imaginons, on peut imaginer : là il entre dans la boutique de Spinoza, il s’assied. Spinoza - très poli ! très poli Spinoza - "qu’est qu’il me veut celui là ?". Et Leibnitz raconte sa visite - évidemment il a donné plusieurs versions,il était menteur comme tout Leibnitz ! hypocrite ! quoi. grand philosophe mais tréx hypocrite ! mais toujours dans les magouilles. Bah quand Spinoza... quand il y avait pas trop de réactions politiques, Leibnitz disait :"ah, c’est bien Spinoza !". Et quand ça allait mal pour Spinoza, Leibnitz disait : "moi, je l’ai vu ? Vous dites que je l’ai vu ? Oh, p’t-être, je l’ai croisé, comme ça. Connais pas. Vous savez, il est athée ce type-là !". Leibnitz c’était pas bon de l’avoir comme ami. Les philosophes c’est comme tout le monde ! Alors, qu’est-ce qu ’ils ont pu se dire ?
Donc il y a un problème. Moi, je penserais plutôt que... oui, on pourrait prendre une solution tempérée.
- Bon, supposons tout ça. Donc, c’est à partir de là que je voudrais vraiment commenter, en commençant par le plus simple. C’est des choses relativement importantes, quant au statut des corps, qui se passent à ce niveau, si il ne faut pas dire des bêtises, ni aller très vite. Même si il faut aller très lentement, même si ça vous embête sur ce point. Euh, bah ! Il faut comme tout, reprendre à zéro, parce qu’on peut faire des découvertes ur des choses aussi importantes, relativement importantes que... pour la différence Descartes euh... Encore une fois cela revient à des découvertes simples : "un rapport", c’est pas la même chose que "somme". Et il faut y penser quand on lit un texte.
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