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9- 10/02/81/ - 1

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8 Mo MP3
 

transcription : Yann Girard deleuze 10/02/81/1 9A

il admire profondément Rimbaud.. ; ... mais les philosophes, leur activité cela consiste à fuir.. et pourtant tout le dément, chaque fois qu’on ouvre un grand philosophe - on s’aperçoit que les auteurs, il parle de très peu d’auteurs - d’abord. Et ensuite ceux dont il parle, c’est, c’est pas tellement sûr que... qu’il les ait lus - c’est pas son problème. Alors, si vous y réfléchissez il y a rien de plus comique ! enfin c’est grotesque cette idée que... qu’on puisse emprunter des idées à un livre - évidemment ça fait, c’est ça qui fait l’objet des thèses. Sinon il n’y aurait pas de thèses. Une thèse, ça consiste à montrer - à la limite, pas toujours - mais, en gros, ça consiste à montrer à quel livre, tel auteur a emprunté les idées. Ca c’est formidable ! par exemple : l’idée de la vie chez Bergson ! ça va être par exemple : "est-ce que Bergson a emprunté son idée de la vie à Schelling ou à un autre ? Alors dès qu’on, dès qu’on se lance dans cet élément, c’est curieux ! on entre dans un élément qui est complètement inconsistant... . Vous savez, moi je crois que les livres, ça sert à tout, sauf précisément, à leur emprunter des idées. Je sais pas à quoi ça sert ! Mais ça sert à quelque chose, ça sûrement. On peut emprunter à un livre tout ce qu’on veut - y compris emprunter le livre lui-même. Mais on peut pas lui emprunter la moindre idée ! ... ça va pas ça... Le rapport d’un livre avec "l’idée" c’est quelque chose de tout à fait différent.

-  Alors dans le cas de Spinoza, on peut toujours trouver une tradition dans la philosophie du livre, ah oui ! Bon elle se continue et passe par Spinoza - mais, en un sens, il emprunte rien... rien, rien, rien... ... Bon, pour l’idée de Bergson : il y a un philosophe, il a une intuition, et qui se laisse prendre là... d’essayer de l’exprimer, quoique... c’est vrai aussi de la musique.

- Tout ceci pour vous dire que, qu’il faut vraiment que vous lisiez, sinon - j’ai tout d’un coup un soupçon affreux, si vous ne lisez pas.... (Quelqu’un entre : "pardon", un bruit de chaise indique qu’il en a trouvé une, ou qu’il dérange quelqu’un.)

-  j’ai pas donné de bibliographie, évidemment parce que je comprends que ce soit absolument nécessaire mais s’il y en a, qui a une bonne volonté et lise "l’Ethique", et se sente un peu perdu au premier livre, vous pouvez toujours faire - je crois pas que ce soit bon, mais si vous le sentez nécessaire c’est vous qui avez raison - il y a un livre classique, qui s’appelle : "le Spinozisme", d’un historien de la philosophie qui s’appelle Victor Delbos, qui est comme une espèce d’exposé très rigoureux, de résumé quoi, de résumé commenté de "l’Ethique". Evidemment c’est embêtant, je crois que... mais si vous en sentez le besoin, c’est ça qu’il faut prendre.

bruits d’une salle de cours : on déplace des tables, apparemment, la porte s’ouvre. Deleuze reprend la parole, inaudible faute à une toux à proximité du micro.)

- Notre point essentiel ce sera : essayer de tirer les conclusions concernant les rapports entre une éthique et une ontologie. Ce point où on arrive, c’est précisément la nécessité du point de vue de l’éthique, d’analyser la conception, dans le spinozisme, de l’individu, et de l’individuation. Et vous voyez bien où on en est - (Deleuze déplace une feuille de notes - on en est Tout ce qu’on a dit précédemment nous amène donc à distinguer comme trois épaisseurs. Trois épaisseurs de la vie. Comme si l’individu se développait, se constituait sur trois dimensions.

- Première dimension : il a un très grand nombre de "parties". On en sait pas plus ! Un individu a un très grand nombre de parties. Qu’est-ce que ces parties ? là il y a pas tellement de problèmes - ces parties, Quand même Spinoza leur réseve un nom : il les appelle, "les corps les plus simples" ! Un individu est donc constitué d’un grand nombre de parties nommées "les corps les plus simples", "corpara simplicisma". Question tout de suite : mais alors ces corps les plus simples, envisagés chacun, c’est des individus ou pas ? Si un individu comporte un très grand nombre de parties de corps très simples, les corps simples, c’est des individus ou cela n’en n’est pas ? On laisse ça de côté hein. Bah, il me semble- là je prends... - il me semble que pour Spinoza, un corps simple, un corps très simple n’est pas à proprement parler un individu. Mais un individu, si petit qu’il soit, a toujours un très grand nombre de corps très simples qui constituent ses parties. Bon, on verra ! On verra si c’est bien ça chez Spinoza.

- Ces parties, c’est donc vraiment, dans le cas des corps - et même dans tous les cas - c’est des parties extensives. Qu’est-ce que c’est les "parties extensives" ? C’est des parties soumises à la loi - toujours pour parler latin "partes extrapartes", c’est-à-dire des parties extérieures les unes aux autres. Vous me direz : "Ca, ça ne vaut pour le corps et l’étendue". Oui et non. Vous vous rappelez peut-être que l’étendue, c’est un attribut de la substance. L’attribut de la substance, il est pas divisible , l’étendue, elle est indivisible. Tout comme les autres attributs : la pensée, elle est indivisible.

-  Mais ce qui se divise, ce sont les modes. L’attribut est indivisible mais les modes de l’attribut sont divisibles. Donc, un corps qui est un mode de l’étendue, l’étendue n’est pas divisible. Mais un corps, qui est un mode de l’étendue, est divisible. Il est divisible en un très grand nombre de parties. Tout corps est divisible en un très grand nombre de parties. Et on en dira la même chose de l’âme : l’âme est divisible en un très grand nombre de parties. Donc c’est pas propre à l’étendue. La pensée est indivisible, mais l’étendue aussi était indivisible. L’âme, qui le mode de la pensée, elle est divisible en un très grand nombre de parties. Tout comme le corps, qui est mode de l’étendue, ... bon ! Voilà notre première dimension de l’individu, constituée d’un très grands de parties extensives, extérieures les unes aux autres.

-  Deuxième dimension de l’individu, qui répond à la question : "Comment les parties extensives appartiennent-elles à un individu ?". En effet la question se pose parce que vous prenez un corps quelconque, vous pouvez toujours - (toc toc, il frappe sur sa table) par exemple, une table - vous pouvez lui ôter une partie et en mettre une autre, de même dimension, de même figure. Par exemple une table, vous pouvez lui ôtez un pied et puis mettre un autre pied. Est-ce que c’est la même, dans quelle mesure c’est la même et dans quelle mesure ce serait pas la même ? Si vous mettiez un pied plus grand, c’est pas la même. Si vous mettiez un pied de même longueur et de couleur différente, est-ce que c’est la même ? Qu’est-ce que ça veut dire cette question ? Ca veut dire : "sous quelles raisons des parties quelconques appartiennent-elles à un corps donné" ?

-  C’est la seconde dimension de l’individu. L’individu n’a pas seulement un très grand nombre de parties, mais il faut bien que ces parties lui appartiennent sous une raison. Si la raison manque, c’est pas ses parties, si la raison demeure, ce sont ses parties même si elles changent - C’est tout simple ça -
-  Réponse de Spinoza : c’est sous un certain rapport de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur, que des parties appartiennent à un individu.

Bon, vous voyez : seconde dimension de l’individu : le rapport de mouvement et de repos, le rapport de vitesse et de lenteur, qui caractérise ce corps par différence avec tout autre corps. Donc c’est pas les parties qui définissent un corps. C’est le rapport sous lequel les parties lui appartiennent. Qu’est-ce que ça veut dire un rapport de mouvement et de repos, un rapport de vitesse et de lenteur, qui caractériserait un corps ? Donc à chaque corps correspondrait un rapport. Un corps ? Qu’est-ce que c’est ça ? C’est la deuxième dimension.

-  Troisième dimension, enfin : "le mode lui-même, l’individu lui-même "est" une partie". En effet Spinoza le dit tout le temps : " l’essence (de) mode est une partie de la puissance divine, de la puissance de la substance." C’est curieux puisque la puissance de la substance, elle est indivisible,ouis, mais en tant que puissance de la substance. Mais le mode, lui, est divisible. Or le mode, dès lors, est une partie de la puissance indivisible. Voyez, ce qui se divise, c’est toujours le mode. C’est pas la substance. Le mode, c’est une partie de la puissance divine. A ce moment là, ce troisième niveau, dans cette troisième dimension, je ne dis plus : "le mode a un très grand nombre de parties." Je dis :"un mode est "une" partie." Une partie de quoi ? Voyez que le mot "partie" s’emploie évidemment en deux sens : au sens 1- avoir un très grand nombre de parties, au sens 3- être une partie. Car enfin j’ai précisé quand je disais : un mode à un très grand nombre de parties, il s’agissait bien de parties extensives, extérieures les unes aux autres. Lorsque je dis : "le mode est une partie", "partie" a évidemment un tout autre sens. En effet c’est une partie de puissance. Une partie de "la" puissance, c’est pas la même chose qu’une partie extensive. Une partie de puissance, c’est quoi exactement ? Une intensité.

- Donc le troisième niveau consiste à nous dire : l’essence de l’individu, c’est une intensité. En quoi est-ce intéressant ? Sans doute parce que ça élimine déjà deux positions qui ont du être tenues dans l’histoire de la pensée. A savoir c’est une conception intensive de l’individu, qui dès lors se distingue d’une part d’une conception extensive - qui chercherait l’individualité dans une extension quelconque. Et ça s’oppose aussi à une conception qualitative - qui chercherait l’individualité, le secret de l’individualité dans une qualité. L’individuation pour Spinoza n’est ni qualitative, ni quantitative - au sens de quantité extensive. Elle est intensive.

Donc si j’essaie de grouper dans une même formule les trois dimensions de l’individualité, je dirais : " Un individu, c’est une partie intensive, c’est-à-dire un degré de puissance - petit a ; - petit b - en tant que ce degré de puissance s’exprime dans un rapport de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur ;
-  petit c - un très grand nombre de parties appartenant à cet individu, sous ce rapport. Un très grand nombre de parties extensives appartenant à cet individu, sous ce rapport.

Bon, vous voyez, vous, par exemple, chacun de vous, vous êtes constitués d’un très grand nombre de parties extensives mobiles, en mouvement ou en repos, ayant telle vitesse et telle lenteur, etc... ce qui vous caractérise, c’est un ensemble de rapports de vitesse ou de rep.. euh, un ensemble de rapport de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur, sous lequel ces parties vous appartiennent - dès lors elles peuvent changer ! Du moment qu’elles effectuent toujours le même rapport de vitesse et de lenteur, elles vous appartiennent toujours. Et enfin, dans votre essence, vous êtes une intensité. Bon, c’est une vision intéressante, quoi !

Seulement, à partir de là, qu’est-ce qu’on peut dire ? Bah, on a déjà un problème. Je veux dire : tout individu est composé d’un très grand nombre de parties, qui sont les corps les plus simples. Donc immédiatement, on nous convie à distinguer des corps composés et des corps simples. Tout corps est un corps composé. Bon d’accord. Tout corps est un corps composé. Et de composition en composition - c’est toujours l’idée de Spinoza qui il y a une composition des rapports à l’infini - de composition en composition, on arrivera à la nature entière. La nature entière est un individu ! C’est même, la nature entière, c’est l’individu des individus. La nature entière, c’est le corps composé de tous les corps, eux-mêmes composés, à l’infini. En effet la nature entière, c’est l’ensemble de tous les rapports, de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur.

- Donc il y a bien un individu des individus, ou qui est le "corps composé de tous les corps composés". Et en effet on peut concevoir une composition de proche en proche. Si je reprends l’exemple de Spinoza : le schyle et la lymphe, chacun sous leur rapport, chacun sous son rapport, compose le sang. Le sang à son tour entre en composition avec autre chose pour former un tout plus vaste. Le tout plus vaste entre en composition avec autre chose pour former un tout encore plus vaste, etc. Jusqu’à, à l’infini l’unité de toute la nature, l’harmonie de toute la nature, qui, elle, est composée de tous les rapports. Voyez donc, je peux aller vers un corps composé à l’infini. Un corps composé de tous les corps composés.

-  Mais si je descends ? Qu’est-ce que c’est les corps les plus simples ? Or c’est là que - pour se débrouiller dans cette question - donc, ce qu’il faut que nous fassions aujourd’hui, c’est presque une épreuve, alors là pour varier - je voudrais que... et bien entendu vous avez tout à fait le droit .. de partir si vous trouvez. Mais là je voudrais qu’aujourd’hui on ait une séance extrêmement... très, très technique. Très technique, parce que il y a un problème là, je voudrais presque faire ça à titre d’exercice presque pratique. Il y a un problème qui, pour moi, a relancé les choses. Et il faut que je prenne certaines précautions pour mille raisons que... que vous allez comprendre. Et c’est pour dire que ça va être très technique. Donc, si vous en avez assez, vous partez... Voilà. Les choses ont été relancées parce que - j’en ai pas encore parler - mais euh... un historien de la philosophie, très grand, très... un des plus grands historiens de la philosophie, qui s’appelle Martial Gueroult, a écrit un commentaire, un commentaire très, très détaillé de "l’Ethique", aux éditions Aubier. Il y a trois gros tomes, dont deux seulement ont paru, et euh... parce que, entre-temps, Martial Gueroult est mort. Alors euh... bon. Hors, Martial Gueroult a eu beaucoup d’importance dans l’histoire de la philosophie française, je vous l’ai déjà montré ça, puisqu’il a commencé par des études sur la philosophie allemande, sur les philosophes post-kantiens, qui ont tout à fait renouvelé - notamment sur Fichte - qui ont tout à fait renouvelé euh... l’état de euh... des études de philosophie allemande en France. Et puis il s’est tourné vers les cartésiens - vers Descartes, Malebranche - et enfin Spinoza, en appliquant toujours sa même méthode, qui était une méthode structuraliste. Avant même que le structuralisme ait du succès, hein. Il a fait une philosophie euh...une histoire de la philosophie structurale, à partir d’une idée très simple, c’est que pour lui les "systèmes philosophiques" étaient des structures à proprement parler.

-  Mais encore une fois, c’était bien avant l’élan du structuralisme linguistique, qu’il a fait ça. Or dans ce Spinoza, il attache beaucoup d’importance, forcément, à la conception spinoziste de l’individu. Et il essaie, dans un domaine que les commentateurs avaient jusque là laissé assez de côté, ils s’étaient pas trop frottés à cette question de l’individu chez Spinoza, il essaie d’y mettre une rigueur, une rigueur très grande. Voilà exactement la situation, je m’étends là-dessus pour que vous compreniez que je veux prendre des précautions ensuite.

- Bah, je suis extrêmement admiratif, surtout pour l’oeuvre de Gueroult, qui me paraît une très grande chose. Mais voilà que, quant à ce point précis de ce qu’il dit sur l’individu chez Spinoza, il n’y a aucune proposition de son commentaire, pourtant très, très précis, qui me semble fausse. Et alors quelque chose me trouble énormément, parce que le Savoir, l’érudition de Gueroult est une chose énorme, sa rigueur de commentaire me paraît immense, tout ça... et à la limite je comprends pas pourquoi j’ai cette impression que... qu’il manque. Ca va pas du tout ! Je vous ai dit tout ça pour que... quand... ce que j’appelle une séance technique, c’est vraiment dans les choses au niveau presque des lois physiques, invoquées par Gueroult, invoquées, peut-être, par Spinoza lui-même, ou celles que, moi, j’invoquerai, les modèles mathématiques et physique, que on invoque si bien que, si je me permets de dire tout le temps pour plus de rapidité que Gueroult se trompe, vous corrigez vous-même. Ca veut dire que je ne m’y reconnais pas, je me faisais une autre idée, une tout autre idée. Tout ça... pour ceux qui seraient vraiment spinozistes, vous irez voir chez Gueroult. Y’a aucune raison de me croire sur parole. Vous irez dans les livres de Gueroult, et puis ce sera à vous de choisir, ou bien de trouver encore d’autres solutions. Donc... ça, c’était un avertissement de précaution sur ce que je vais euh.... I ll y a un point sur lequel Gueroult a évidemment raison, je veux dire pour vous donner un avant goût du genre de technique que je souhaite. La plupart des commentateurs ont toujours dit - la grande majorité, presque tous à ma connaissance - on dit que il n’y avait pas tellement de problème de la physique spinoziste, que c’était une physique tout à fait cartésienne. Tout le monde reconnaît que Leibniz a complètement mis en cause les principes de physique cartésienne, mais on accorde que Spinoza, il serait resté cartésien. Or c’est effarant ! Là alors Gueroult a absolument raison. Gueroult est quand même le premier - ça, ça veut dire quelque chose quant à l’ état des études en histoire de la philosophie, quand on ne fait pas très attention - Gueroult est le premier à signaler un petit point très précis.

- A savoir, il est bien connu que Descartes insiste énormément sur l’idée que quelque chose se conserve dans la nature. Et notamment quelque chose concernant "le mouvement". Donc considérant les problèmes de communication du mouvement dans le choc des corps - lorsque les corps se rencontrent - Descartes insiste - et ça va la base, ou une des bases de sa physique - sur ceci : quelque chose se conserve dans la communication du mouvement. Et qu’est-ce que c’est qui se conserve dans la communication du mouvement ? Descartes nous dit : c’est "m/v" ! C’est-à-dire : ce qu’il appelle ; " quantité de mouvement", et la quantité de mouvement, c’est le produit de la masse par la vitesse - mv, petit m, petit v. Spinoza, dans sa théorie des corps, au Livre II de "l’Ethique", nous dit : "ce qui se conserve, c’est un certain rapport de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur." (L. II, Prop. XIII, Ax.I, II, Lem. I). Un lecteur rapide se dira : "C’est une autre manière d’exprimer la quantité de mouvement "mv". En effet, "m", la masse, pour Descartes même, implique une force de repos, "v" implique une force de mouvement. Donc il semble que le passage se fasse tout naturellement de l’idée "que se conserve la quantité de mouvement dans le choc des corps" et qu’on passe tout naturellement à l’idée que : "se conserve le rapport du mouvement et du repos". Je veux dire, la force de Gueroult ... c’est quand même le premier à dire : mais enfin quoi : est-ce qu’on lit les textes ou pas ? Parce que c’est évident que c’est pas du tout la même chose. En quoi c’est pas du tout la même chose ?

-  Si je développe la formule cartésienne, ce qui se conserve dans le choc des corps, c’est "mv"...comment se developpe la formule ? J’appelle... deux corps se rencontrent, a et b. Il faut que vous me suiviez bien, ce serait au tableau... mais enfin j’ai la force de noter... allez euh... J’ai mes deux corps.
-  J’appelle "m", la masse du premier corps ;
-  "m’ ", la masse du second corps ;
-  "petit v", la vitesse du premier corps avant le choc ;
-  "petit v’ ", la vitesse du second corps avant le choc.
-  J’appelle "grand V", la vitesse du premier corps après le choc ;
-  "grand V’ ", la vitesse du second corps après le choc.

D’accord ? Je dirai la formule : " ce qui se conserve, c’est mv ", donne pour Descartes le développement suivant : mv + m’ v’ = mV + m’ V’. Voyez, ce qui se conserve, entre l’avant choc et l’après choc, c’est "mv". En d’autres termes, ce qui se conserve, c’est une somme. En effet, Descartes le dira explicitement, ce qui se conserve, c’est une somme.

Or, là faut pas être fort quand on s’occupe de ces questions, pour constater que la critique de Leibnitz contre Descartes, la manière dont Leibnitz va miner, faire sauter la physique cartésienne, c’est sur ce point. Il est bien connu, il est célèbre que Leibnitz va "substituer" - comme on dit dans les manuels - à la formule cartésienne une autre formule, à savoir, il va dire : " Non, ce qui se conserve, c’est pas "mv", c’est "mv²". Seulement quand on a dit ça, on a strictement rien dit ! parce que l’opération intéressante, c’est la nécessité où est Leibniz d’élever "v" au carré. Ca veut dire quoi considérer la puissance, élevée au carré"v²" ? C’est simple ! C’est pas à cause de l’expérience, l’expérience c’est pas... ça marche pas comme ça la physique. C’est pas l’expérience qu’il force à... on découvre pas v² dans l’expérience. Ca ne veut rien dire. C’est qu’en fait il change la nature des quantités. Pour une raison simple, c’est que v², c’est toujours positif, déjà. En d’autres termes, on ne peut pas arriver à v² si on a pas substituer aux quantités dites " scalaires " des quantités dites "algébriques". C’est donc un changement dans le registre. Dans les coordonnées quantitatives elles-mêmes, c’est un changement de coordonnées. Bon, on en reste là. Je dis juste... parce que c’est Spinoza qui m’intéresse.

-  Spinoza nous dit : "ce qui se conserve c’est un certain rapport de mouvement et de repos". Bon, admirez là parce que c’est quand même !. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire que Spinoza reste cartésien ? Idiot ! Encore une fois Descartes... là je ne transforme pas et à plus forte raison... Là je dis quelque chose Gueroult, c’est même le seul point qui paraisse absolument convaincant dans le commentaire de Gueroult. Ca veut dire que si je développe, tout quand je viens d’essayer de développer la formule cartésienne, en disant : "la formule cartésienne : ce qui se conserve, c’est mv", ça revient à dire que la formule de conservation, c’est mv + m’ v ’ = mV + m’ V’ - c’est donc une somme, qui se conserve. Lorsque quelqu’un vient me dire au contraire : « ce qui se conserve, c’est un rapport de mouvement et de repos », je peux le développer sous quelle forme ? C’est pas difficile : mv / m’ v ’ = mV / m’ V’. Vous me suivez ? Si vous avez recopier, je veux bien, si c’est pas clair, je veux bien aller jusqu’au tableau. Tu veux les... attends ! ("ah !"... "Ah lala ! y’en a pas ! zut ! personne n’a un bout de craie ? Ca arrive qu’on ait un bout de craie dans ça poche" (note du transcripteur : personnellement, ça ne m’arrive jamais. D’autant plus qu’on peut tomber sur un tableau à feutre. Et je n’ai pas de feutre non plus, vu qu’on peut tomber sur un tableau à craie.)... Blanc, mais on perçoit que Deleuze, éloigné du micro, s’adresse à quelqu’un. "Non, non, non, c’est avant lechoc, Georges.") Alors mv + m’ v ’ = mV + m’ V’, c’est-à-dire la quantité de mouvement avant le choc = la quantité de mouvement après le choc. Voyez, c’est une somme. La formule de Spinoza, ce qui se conserve c’est un rapport, ça va être mv ( ?) m’ v’... Voilà. Merci infiniment.

Eh bah ! Il y a pas besoin d’avoir fait beaucoup de mathématiques pour comprendre que vous ne passez pas d’une formule à l’autre. C’est pas la même ! En d’autres termes, lorsque Descartes dit :
-  "Ce qui se conserve, c’est la quantité de mouvement", et lorsque Spinoza dit :
-  " Ce qui se conserve, c’est un certain rapport de mouvement et de repos",

bah ! c’est deux formules qui... Vous me direz : "Mais alors d’oùvient l’équivoque ? é L’équivoque, elle serait pas difficile a démontrer : C’est que dans certains cas - là j’ai pas de le temps de tout développer - dans certains cas singuliers, vous avez équivalence. C’est-à-dire : vous pouvez passer de l’une à l’autre pour certains cas. Pour certains cas exceptionnels. Bon, d’accord ! A la limite, admettons.

-  Tout comme Leibnitz reconnaissait lui-même que, dans certains cas exceptionnels, mv² = mv. D’accord, oui ! Et c’est comme ça que Leibnitz expliquait ce qu’il appelait :"les erreurs de Descartes" : Descartes avait pris des situations exceptionnelles. Ca l’avait empêché de voir v². En fait, c’est pas ça qui l’avait empêcher de voir v², c’est que Descartes ne voulait pas tenir compte des quantités algébriques. Alors, et Spinoza, c’est aussi nouveau ! C’est sûrement pas un grand physicien que... euh... mais il est absolument pas cartésien ! Alors là je crois que c’est un des points où Gueroult a évidemment raison de dire :"non, on a jamais... on a même pas... on a rien compris à ce qui nous dit sur l’individu, parce qu’on a pas lu quoi ! On lit pas. C’est un bon exemple de pas lire. Vous me direz :"c’est pas grave ça, ça change rien quant à la compréhension du spinozisme en général." Voir d’abord si ça change rien. Quand en effet, quand on lit tellement vite, qu’on voit pas la différence entre quantité de mouvement et rapport de mouvement et de repos, ça peut être embêtant à la fin quand on fait souvent ça. Là ça devient très, très fâcheux. Bon. C’est pour dire que là, il y a vraiment des problèmes. Que cette histoire de rapport de mouvement et de repos pour définir l’individu, c’est déjà un coup de force par rapport à Descartes.

-  Puisque Descartes en effet, définissait l’individu par mv. A savoir, il le définissait par la masse. Or comprenez que là, au contraire, qu’est-ce qu’il va faire ? C’est très important pour nous puisque la masse, une masse, même abstraitement, c’est une certaine détermination substantielle. Quand vous définissez un corps par une masse. Qu’est-ce que c’est qu’une masse ? Une masse, au XVII ème siècle, c’est très précis - chez Descartes c’est très précis - c’est la permanence d’un volume sous des figures variées. C’est-à-dire la possibilité que le volume reste constant des figures variantes. Donc toute la conception cartésienne des corps, elle repose sur la masse. Et dans la formule mv, c’est précisément la masse qui est le facteur fondamental. A savoir le mouvement lui, il rendra compte de quoi ? De la variété des figures. Mais la masse, elle est censée rendre compte de l’identité du volume à travers la variation des figures. En d’autres termes, c’est une conception substantielle du corps et les corps sont des substances. Substance corporelle définit par la permanence de la masse.

- Et c’est pour ça que... alors on avance un peu... que réflexion faite Spinoza pouvait pas accepter une pareille conception, de l’individu massif. Il pouvait pas ! Précisément parce que pour lui les corps ne sont pas des substances. Il allait être donc forcé, lui, de définir les individus par des rapports. Et non pas comme substance. Il va définir un individu dans l’ordre du rapport ou de la relation, et pas dans l’ordre de la substance. Donc quand il nous dit :" ce qui définit un individu, c’est un certain rapport de mouvement et de repos", il faut pas en rester... si vous restez à la surface des choses vous vous direz dans les deux cas chez Descartes comme chez Spinoza, c’est toujours du mv. Mais ça veut rien dire "c’est toujours du mv" ! Bien sûr, c’est toujours du mv, masse-vitesse ! Mais c’est jamais ça qui définit l’individu. Ce qui compte c’est le statut de m et le statut de v. Or je peux dire que chez Descartes, c’est un statut additif. Pas du tout parce que m+v, ce qui n’aurait aucun sens. Mais bien plus parce que mv + m’ v ’. C’est une somme. Les masses entrent dans des rapports additifs.

- Chez Spinoza, les individus, c’est des rapports, c’est pas des substances. Dès lors, il n’y aura pas addition ! il n’y aura pas sommation ! il y aura composition de rapports. Ou décomposition de rapports. Vous aurez mv sur... et mv n’existe pas indépendamment. Mv c’est le terme, c’est un "terme" d’un rapport. Un terme d’un rapport, il n’existe pas indépendamment du rapport. En d’autres termes, je peux dire que déjà chez Leibnitz - ou plutôt, autant que chez Leibniz - chez Spinoza autant que chez Leibnitz, il y a évidemment un abandon des quantités scalaires. Simplement ça va pas être de la même manière, chez Spinoza et chez Leibnitz. Il y a autant de critiques de Descartes chez Spinoza que chez Leibnitz, d’où une histoire très bizarre. Parce que qu’est-ce que c’est cette histoire de la visite un peu mystérieuse que Leibnitz a faite à Spinoza ?

Voilà que Spinoza qui sortait très tôt, n’est-ce pas, reçoit la visite de Leibnitz. On sait pas très bien ce qu’ils se sont dits. Leur entretien dura...aprés tout, c’est aussi important que la rencontre entre deux hommes politiques, c’est même plus important pour la pensée.

-  Qu’est-ce que Leibniz a dit à Spinoza ? Bon, je dis ça parce que vraisemblablement, j’imagine en face de Spinoza... il devait pas parler énormément. On venait le voir, il devait attendre, prudent comme il était. Il disait toujours : "Faut pas que je me mette dans cette sale situation !" Leibnitz, il était pas tellement rassurant avec sa manie d’écrire partout... alors...

Imaginons, on peut imaginer : là il entre dans la boutique de Spinoza, il s’assied. Spinoza - très poli ! très poli Spinoza - "qu’est qu’il me veut celui là ?". Et Leibnitz raconte sa visite - évidemment il a donné plusieurs versions,il était menteur comme tout Leibnitz ! hypocrite ! quoi. grand philosophe mais tréx hypocrite ! mais toujours dans les magouilles. Bah quand Spinoza... quand il y avait pas trop de réactions politiques, Leibnitz disait :"ah, c’est bien Spinoza !". Et quand ça allait mal pour Spinoza, Leibnitz disait : "moi, je l’ai vu ? Vous dites que je l’ai vu ? Oh, p’t-être, je l’ai croisé, comme ça. Connais pas. Vous savez, il est athée ce type-là !". Leibnitz c’était pas bon de l’avoir comme ami. Les philosophes c’est comme tout le monde ! Alors, qu’est-ce qu ’ils ont pu se dire ?

-  Dans une des versions de Leibnitz, Leibnitz dit : "Eh bah, je lui ai montré que les lois de Descartes, concernant le mouvement, étaient fausses." Oh, il y a quelque chose de sûr, c’est qu’en effet Leibnitz est un beaucoup plus grand physicien que Spinoza. Il y’a quelque chose de sûr ici, c’est que, avant la visite de Leibnitz, il n’y a aucun texte de Spinoza qui récuse en bloc les lois cartésiennes. Il est sûr aussi que, après la visite de Leibnitz, dans une lettre, Spinoza dit :" Toutes les lois de Descartes sont fausses." Il ne l’avait jamais dit avant. Il ne l’avait jamais dit avant en tout cas avec cette violence. Avant, il a pris à parti telle ou telle loi, disant :"Ca marche pas, il faut la corriger". Il n’a jamais dit avant quelque chose comme ça.

Donc il y a un problème. Moi, je penserais plutôt que... oui, on pourrait prendre une solution tempérée.

-  Etant beaucoup moins spécialiste de certaines questions de physique, notamment concernant le mouvement, Spinoza quand même a été trés frappé par l’attaque en règle contre le cartésianisme, l’attaque en règle de Leibniz. Et que lui, ça lui a donné une raison de revenir à sa conception du rapport... En quoi il y a quelque chose de commun ? les deux, ça implique la vitesse multipliée par elle-même. Ca passe aussi par des rapports, hein. Pour obtenir la mise au carré, il vous faut des rapports. C’est le rapport qui vous ouvre à la multiplication. Spinoza est beaucoup plus prés qu’il ne le sait lui-même, d’une physique du type Leibniz.

- Bon, supposons tout ça. Donc, c’est à partir de là que je voudrais vraiment commenter, en commençant par le plus simple. C’est des choses relativement importantes, quant au statut des corps, qui se passent à ce niveau, si il ne faut pas dire des bêtises, ni aller très vite. Même si il faut aller très lentement, même si ça vous embête sur ce point. Euh, bah ! Il faut comme tout, reprendre à zéro, parce qu’on peut faire des découvertes ur des choses aussi importantes, relativement importantes que... pour la différence Descartes euh... Encore une fois cela revient à des découvertes simples : "un rapport", c’est pas la même chose que "somme". Et il faut y penser quand on lit un texte.

-  Maintenant il faut repartir à zéro : qu’est-ce c’est, qu’est-ce que c’est un corps simple ? Un corps a un très grand nombre de corps, euh de parties. Un corps a un très grand nombre de parties qu’on appelle les corps simples. Ces corps simples appartiennent au corps composé, sous un certain rapport. Ca n’est absolument pas cartésien. Bon, on peut s’en tirer mais à partir de là je ne peux plus suivre la moindre, le commentaire de Gueroult. Mais encore une fois, ça me paraît très curieux. C’est ça que je voudrais vous raconter aujourd’hui. Pourquoi... ? Eh bah, ces corps simples, dans le livre II, Spinoza les définit et il dit ceci :" ils se distinguent par le mouvement et le repos, par la vitesse et la lenteur" (L. II, Prop. XIII, Ax. I, II, Lem. I). "Ces corps très simples se distinguent par le mouvement et le repos, par la vitesse et la lenteur". Sous-entendu, "et même ils ne se distinguent que par là." Les corps les plus simples n’ont... Fin...

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