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23 - 13/05/1986 - 2(2) Sur Foucault Le pouvoir année universitaire 1985 1986 15 Cours du 13 mai 1986 Gilles Deleuze aut participant RequestDigitalE 46 :29

Et, là, il s’agit pas de dire ça. Il y a autant de modes de subjectivation qu’il y a de... car les plis ne passent pas toujours au même endroit, c’est pas toujours la même partie de nous-mêmes. Et, s’il est vrai que c’est les grecs qui ont inventé le pli du dehors, qui ont inventé l’intérieur de l’extérieur, faut dire : ben oui, chez les grecs, ce que le pli isole, c’est le corps et ses plaisirs. C’est ça le premier aspect du pli. Et il est évident que dans le christianisme, ce ne sera pas ça, ce sera autre chose. Il est évident que, actuellement, le problème de la subjectivation... est-ce qu’il passe par là ? Oui, il y a des textes de Foucault pour dire : ah ben si les grecs... si l’on peut recueillir une leçon des grecs, c’est... euh... peut-être qu’il fallait revenir au corps, d’une certaine manière, un retour au corps qui serait... et, en même temps, il n’y a jamais de retour, ça ne peut pas être un retour au corps à la manière des grecs, mais un retour au corps par différence avec la chair chrétienne. Bien. Premier aspect du pli, donc, la partie de nous-mêmes qui est cernée par le pli. Deuxième aspect : la règle suivant laquelle se fait le pli. Est-ce que c’est une règle dite naturelle ? Est-ce que c’est une règle dite divine ? Est-ce que c’est une règle dite morale ? Est-ce que c’est une règle esthétique ? Toutes sortes de problèmes là aussi. Troisième pli ou troisième aspect du pli, peu m’importe : quel est le rapport du vrai avec moi et de moi avec le vrai ? Qui n’est pas la même chose que : qu’est-ce que la vérité ? Ce que le pli détermine c’est un rapport du vrai avec le sujet, une subjectivation du vrai. Or, là aussi, vous sentez que la subjectivation du vrai ne se fait pas du tout de la même manière chez Platon, chez Descartes, chez Kant. Et, enfin, la vie dans les plis, qu’est-elle en droit d’attendre ? Comme disait Blanchot : intériorité d’attente. Ça c’est le quatrième pli qui détermine ce que nous attendons. Ce que nous, sujets, ou plutôt nous subjectivés, nous sommes en droit d’attendre. Et tantôt ce sera l’immortalité, tantôt ce sera la mémoire - devenir mémorable - tantôt ce sera le salut, tantôt ce sera la beauté, tantôt la liberté etc.

Voilà le premier point. Le second point, c’est comment concrètement... Faut pas oublier ces quatre plis, si vous voulez, moi je dirais, euh pour en rester à Foucault, la question de la subjectivation, ce sera toujours : dire à quelqu’un et même à une même époque il y a plusieurs... il y a tant de modes de subjectivation qui concourent... Pour Foucault « qu’es-tu comme sujet ? », bizarrement ça veut dire : de quels plis t’entoures-tu ? Quels sont tes plis ? De quelle manière tu te plies ? Deuxième remarque : comment se fait ce pli de la ligne du dehors ? Comment est-ce que Foucault le conçoit concrètement et pourquoi, nous dit-il, ce sont les grecs les premiers ? On l’a vu, je récapitule la réponse donnée par Foucault, c’est que, une fois dit que, vous voyez, chez Foucault, le sujet n’est jamais premier, le sujet est toujours une dérivée, il est le produit d’une opération, l’opération par laquelle la ligne du dehors se plie. Là aussi ça marque une grande différence entre la pensée de Foucault et certaines pensées qui, en pure apparence pourrait apparaître voisines.

Mais il nous dit : les grecs sont les premiers, pourquoi ? Parce que les grecs sont ceux qui pouvaient... c’est-à-dire qui étaient en situation de... plier le rapport de forces sur soi-même, de plier la force sur soi. Le rapport de la force, le rapport de forces est le rapport d’une force avec une autre force. C’est le rapport d’une force avec une force qu’elle affecte ou avec une force qui l’affecte. Mais les grecs ont une particularité, c’est que leur diagramme de pouvoir, le rapport de pouvoir ou le rapport de forces chez eux, c’est quoi ? Ils ont inventé le rapport de forces comme rivalité entre agents libres. La rivalité entre agents libres aussi bien au niveau... alors si on prend toutes les institutions... au niveau politique, au niveau judiciaire, au niveau guerrier, au niveau amoureux..., ils ont inventé cette forme extraordinaire de rapport de forces ou de pouvoir, rivalité entre agents libres. Et c’est parce qu’ils ont inventé ce nouveau rapport de forces, qu’ils sont capables de plier la force sur soi. Pourquoi ? En vertu de l’idée suivante que si c’est un homme libre qui gouverne des hommes libres, il faut que cet homme soit capable de se gouverner soi-même. Ce qui ne veut pas dire que se gouverner soi-même soit premier par rapport à gouverner l’autre. Au contraire se gouverner soi-même en dérive, c’est lorsque l’on est dans la situation où l’homme libre gouverne l’homme libre, que, alors, le principe régulateur d’un tel gouvernement est nécessairement un se gouverner soi-même sous la forme suivante : et oui, pour qu’un homme libre gouverne d’autres hommes libres, encore faut-il que l’homme libre qui gouverne les autres soit capable de se gouverner soi-même.

Le « se gouverner soi-même » c’est donc le pli de la force sur soi qui découle du rapport de forces spécifiquement grec, rivalité des hommes libres. Du rapport de forces spécifiquement grec, la rivalité des hommes libres, va découler la subjectivation grecque, être capable de se gouverner soi-même, c’est-à-dire la force se plie sur soi ; il n’y a plus une force qui affecte d’autres forces ou qui est affectée par d’autres forces... Si, il y a ça, mais comme euh... principe régulateur il y a que la force s’affecte elle-même, affect de soi par soi qui est précisément la subjectivation. La subjectivation, c’est l’affect de soi par soi, ou, si vous préférez, le processus, le mouvement, l’opération par laquelle la force se ploie sur elle-même pour devenir principe régulateur du rapport de forces. Seul pourra gouverner les autres, celui qui sait se gouverner lui-même. Cet autogouvernement de soi, évidemment d’une autre nature que le gouvernement des autres, est [ ?] fait quoi ? C’est ce qu’on disait être... ce n’est pas une règle contraignante comme dans un rapport de pouvoir, c’est une règle facultative. Se gouverner soi- même, c’est la règle facultative de l’homme libre en tant qu’elle a pour condition quoi ? Le pli, le pli de la force, l’opération par laquelle la force se plie sur elle-même et, dès lors, s’affecte elle- même. Donc je peux dire : le rapport à soi, le rapport à soi qui est vraiment le troisième axe...

Vous voyez qu’on avance beaucoup dans l’analyse du troisième axe chez Foucault, puisque, au départ, on partait de ceci : c’est le rapport avec le dehors, c’est la ligne du dehors, le troisième axe. Maintenant l’on voit que, si c’est bien ça le départ du troisième axe, tout le mouvement du troisième axe, c’est le mouvement par lequel la ligne du dehors se plie et constitue par là-même une intériorité d’attente ou d’exception, à savoir, la subjectivité de l’homme libre sous la condition du pli. Je voudrais que ce soit très très clair, mais je suppose... on l’a vu.... Et c’est le domaine des règles facultatives qu’on avait retrouvées, alors qu’on les avait déjà trouvées au niveau des énoncés et de la théorie des énoncés chez Foucault. Dès lors je peux dire que le rapport à soi dérive du rapport de pouvoir, il le suppose, il dérive du rapport de forces, mais il en dérive à la lettre, c’est-à-dire il en devient de plus en plus autonome, de plus en plus indépendant, sous la règle facultative, c’est-à-dire sous la condition du pli. Et donc, à plus forte raison, il est lui-même indépendant du savoir sous toutes ses formes, et de la conscience, et de la connaissance. Foucault le déterminera comme : sous la règle facultative, la subjectivité grecque s’organise comme existence esthétique. Existence esthétique. Or c’est très important à ce niveau, parce qu’il rencontre beaucoup de pensées dont je dis aussi qu’elles semblent... ou dont il semble être proche parfois... Est-ce qu’il en est proche ? Est-ce qu’il en est lointain ?

Vous devez déjà pressentir que la manière dont le problème de l’art est convoqué, là, pour ceux qui connaissent un peu..., semble à première vue très proche de l’Ecole de Francfort, de Adorno, de Ernst Bloch...On verra ça, mais très vite parce que... sinon ce serait trop long. Et puis, dans des entretiens très... très proches de sa mort, Foucault même se rencontre - alors que c’est rare - se rencontre avec Sartre. Voilà, je lis très rapidement. C’est dans Rabinow et Dreyfus, page 331 : « ce qui m’étonne c’est que, dans notre société, l’art n’ait plus de rapport qu’avec les objets et non plus avec les individus ou la vie, et aussi que l’art soit un domaine spécialisé, le domaine des experts que sont les artistes. Mais la vie de tout individu ne pourrait-elle pas être une œuvre d’art ? Pourquoi un tableau ou une maison sont-ils des objets d’art, mais non pas notre vie ? ». C’est un texte très rapide, hein... mais très compliqué, très ambigu aussi, car, évidemment, c’est un renvoi, c’est une allusion à l’Ecole de Francfort. C’est eux qui ont buté là... et on verra pourquoi ils ont buté sur ce point. On attend le salut de l’art : il n’y a plus d’autre salut... Il n’y a pas de salut, il n’y a plus d’autre salut à attendre, sauf de l’art. Mais quelle est la puissance de l’art ? Si l’on attend le salut de l’art, il faut bien que l’art déserte, quitte, déborde son existence proprement d’œuvre d’art ; il faut qu’il déborde l’œuvre d’art elle-même. [ ?] Ça c’est le problème d’Adorno, c’est le problème de l’Ecole de Francfort : le double aspect... le double aspect de l’art, l’art en tant que manifesté ou porté par l’œuvre d’art, mais si l’art doit avoir un effet, il faut bien qu’il abandonne l’œuvre d’art, qu’il affecte autre chose que l’œuvre d’art. C’est une espèce d’antinomie de l’art.

Or pourquoi est-ce que l’Ecole de Francfort posait ce problème ? Pourquoi est-ce que... En effet, presque, pour que l’art se réalise, il faut qu’il cesse d’être la qualité de l’œuvre d’art, puisque l’œuvre d’art est la forme de l’art, en tant que cette forme... ou plutôt en tant que l’art ne se réalise pas ailleurs que dans l’œuvre. Donc comment est-ce que l’art peut dépasser l’œuvre d’art elle-même ? Bien, ça... Et, vous voyez ce que veut dire Foucault lorsqu’il dit : la subjectivation chez les grecs, elle constituait l’existence comme existence esthétique. Bon : ça veut dire, donc, que l’art qualifiait l’existence et pas l’œuvre d’art simplement. Alors [ ?] la subjectivation, mais pour que l’art devienne l’opération de subjectivation, il faut qu’il ne se contente plus de constituer des objets particuliers qu’on appellera « œuvres d’art », il faut qu’il devienne le mouvement de la subjectivation en général. Or c’est pas le cas de l’œuvre d’art. Bon, et ça continue. Et, tout de suite après : « faire de la vie ou de l’existence une existence esthétique ». Voilà qu’on demande à Foucault : « mais ce genre de projet est très commun dans les lieux comme Berkeley où des gens pensent que tout ce qu’ils font - de ce qu’ils prennent au petit déjeuner jusqu’à l’amour fait de telle ou telle manière, ou à la journée passée ou à la manière dont on passe la journée - devrait trouver une forme accomplie. » Il y a eu aussi ce thème, parfois, dans la drogue : faire de l’existence un art. Hein ?

Foucault : « Mais j’ai peur que, dans la plupart de ces exemples, les gens ne pensent que, s’ils font ce qu’ils font, s’ils vivent comme ils vivent, c’est parce qu’ils connaissent la vérité sur le désir, la vie, la nature, le corps. » Qu’est-ce qui lui fait dire ça ? C’est-à-dire qu’ils disposent d’un savoir... Il est en train de nous dire : de même que l’opération de la subjectivation a beau dériver des rapports de pouvoir, elle s’en rend indépendante, elle s’autonomise avec ce problème : peut-être qu’elle ne peut s’autonomiser que si l’art prend un nouveau sens qui ne se réduit plus à la production d’œuvres d’art, mais qui devient une véritable production d’existence. Il dit, de même, la subjectivation, la production d’existence dérive et se rend indépendante des formes de savoir. Et voilà, l’interviewer reprend alors, question clef : « Mais si l’on doit se créer soi-même sans le recours à la connaissance et aux lois universelles, en quoi votre conception est-elle différente de l’existentialisme sartrien ? ».

Je disais tout à l’heure : la première partie du texte de Foucault frôle l’Ecole de Francfort, et là on lui dit : ah, mais tu frôles aussi l’existentialisme. Il n’y a pas de mal à ça... Et la réponse de Foucault est extraordinairement floue : « Il y a chez Sartre une tension entre une certaine conception du sujet et une morale de l’authenticité. Et je me demande toujours si cette morale de l’authenticité ne conteste pas en fait ce qui est dit dans La transcendance de l’ego... » Peu importe... « Le thème de l’authenticité renvoie explicitement ou non à un mode d’être du sujet défini par son adéquation à lui-même ». ça me paraît curieux... très sévère pour ça... je ne vois pas à quoi fait allusion Foucault, il nous dit en gros... euh... ce qui ne serait pas faux... je ne sais pas...Euh... le mode de subjectivation chez Sartre implique, sinon... et suppose, sinon un processus de connaissance, du moins un processus de conscience, de conscience de soi auquel il reste tout à fait subordonné, tandis que le rapport à soi tel que l’entend Foucault doit être indépendant et des formes de savoir y compris de conscience et des rapports de pouvoir... ils en dérivent. Ils en dérivent, mais ils en deviennent indépendants. Alors, c’est par là que j’ai pas cessé de dire : oui, la subjectivation, quels que soient ses rapports avec les deux autres axes, la subjectivation saisie comme pli du dehors ou pli sur soi de la force, et bien, la subjectivation, elle est bien un troisième axe indépendant. D’où ma troisième remarque : mais... Elle est un troisième axe indépendant... Si j’ajoute ceci... C’est là où on se trouve devant une... une espèce de grande bouillie des pensées, de grande effervescence de pensée qui a été essentielle, par exemple, dans la production de Mai 68...

Si j’essayais de définir ce qui a fait la convergence d’un certain nombre de pensées, de modes de pensée très très différents les uns des autres, c’est presque... je dirais : c’est... d’une certaine manière, c’est tout ça, c’est l’idée que le cercle parfait, le cercle parfait de la vieille dialectique était cassé, était brisé. Et le vieux cercle de la vieille dialectique c’était quoi ? Eh ben c’était le cercle savoir-pouvoir-soi. Le savoir, le pouvoir et le soi. Et la dialectique du savoir telle qu’elle apparaissait chez Hegel était censée produire un sujet-objet dans son adéquation, l’adéquation du sujet et de l’objet. C’est cela le produit final de la dialectique du savoir. Et de même, quoique d’une tout autre façon, la dialectique du pouvoir conçu comme praxis chez Marx. Or de plusieurs manières, de ce côté de la dialectique, comment dire..., les brisures de l’anneau, savoir-pouvoir-soi, n’ont pas cessé de se faire, d’abord d’une manière très discrète, ensuite d’une manière plus complexe... Si je cite, là, uniquement les dates importantes [ ?] : Lukacs - peut-être est-ce lui le premier - il commence à introduire la nécessité que le soi renvoie à une subjectivation, à un mouvement de subjectivation irréductible au mouvement du savoir et du pouvoir comme praxis. Et déjà à ce moment-là, comprenez, il y a déjà une espèce de dimension esthétique qui apparaît, parce que la subjectivation ne renvoie pas à l’art d’une manière irréductible... et sous quelle forme ? Mais alors, comment l’art devait-il cesser d’être l’art ? Je crois qu’un second stade a été bizarrement... pas bizarrement d’ailleurs... s’est trouvé dans le marxisme italien. On verra tout à l’heure.

D’une certaine façon - on verra si on a le temps - d’une certaine façon avec Gramsci, puis avec Tronti, c’est comme si la dialectique grippait. Que là aussi il était nécessaire d’introduire une dimension de la subjectivation irréductible au mouvement de la dialectique ou que la dialectique était incapable de produire sans le secours d’autre chose. Troisième moment... pas dans la suite d’ailleurs [ ?] est contemporaine : l’Ecole de Francfort. Où notamment chez Adorno l’échec de la dialectique du savoir va apparaître dans des conditions dramatiques. La dialectique du savoir, au lieu de produire la totalité rationnelle, produit ce qu’Adorno appelle la ratio totalitaire, et où surgit en plein, alors, la question : que rien ne peut être relancé sans des modes de subjectivation dont la dialectique ne peut pas rendre compte. Quel seront ces modes de subjectivation ? Ce sera par exemple l’utopie chez Ernst Bloch, l’utopie concrète ou l’utopie positive. Bon, partout se dessine même du point de vue de la dialectique la nécessité de trouver un processus de subjectivation relativement autonome et qui ne dérive de la dialectique qu’à condition de prendre son autonomie et son indépendance.

Donc c’est bien un axe comme... comment dirais-je... comme autonome qui réagit et qui remet en cause l’ensemble du mouvement dialectique. Ça gênait beaucoup moins d’autres courants, comme Foucault ou comme d’autres, qui, ne passant pas par les exigences d’une dialectique du savoir ou d’un pouvoir-praxis, posaient le problème de telle manière que l’échec de la dialectique n’était pas pour eux un drame, au contraire, mais plutôt la continuation et la persévérance d’un mouvement qui, précisément, était passé par d’autres... est passé par d’autres processus que le processus dialectique. Bien. Tout ça est très confus, mais si vous m’accordez que le cercle dialectique se rompt au niveau précisément de la subjectivation, de la production de subjectivité, par exemple : la dialectique du savoir incapable de produire la subjectivité...

Entre les trois axes, pouvoir, savoir et subjectivation ou soi, qu’est- ce qui va se produire ? Il va se produire toutes sortes de réactions qu’on a vues la dernière fois encore. Ces réactions, c’est quoi ? Les grecs les premiers ont constitué le sujet, ont constitué l’extérieur de l’extérieur, ils ont constitué le sujet sous la règle facultative de l’homme libre, se gouverner soi-même, s’affecter soi-même, l’auto-affection ou l’affect de soi par soi, voilà ce qu’ont fait les grecs. Mais, une fois qu’ils ont fait ça, le pouvoir, premièrement le pouvoir ne cesse de vouloir reconquérir, rattraper, cette subjectivité ou cette opération de subjectivation et de se l’asservir, c’est-à-dire il veut s’assujettir la subjectivation. Et le savoir, de son côté, veut investir cette nouvelle forme, la forme du sujet. La subjectivation cessera d’être l’opération de l’homme libre sous la règle facultative qui rend l’existence esthétique, pour devenir et pour passer sous le règne des lois contraignantes du pouvoir ou pour passer dans les formes du savoir. La subjectivation sera récupérée par le pouvoir et par le savoir. Je vous le redis : c’est ce que Foucault analyse quand il dit « qu’est-ce que c’est et en quoi consiste, avec le christianisme, la formation d’un pouvoir pastoral ? », quand il reprend le... quand il reprend la grande question de Nietzsche, « qu’est-ce que le pouvoir d’un prêtre ? » et qu’il répond : c’est le pasteur qui a inventé un type de pouvoir individuant, un type de pouvoir individuant c’est-à-dire, page 305 dans les entretiens cités par Dreyfus et Rabinow... Parmi ces caractères, il donne un grand nombre de caractères du pouvoir pastoral... le troisième caractère est celui-ci : « c’est une forme de pouvoir qui ne se soucie pas seulement de l’ensemble de la communauté, mais de chaque individu particulier pendant toute sa vie » et quatrième caractère, cette forme de pouvoir, le pouvoir pastoral « ne peut s’exercer sans connaître ce qui se passe dans la tête des gens, sans explorer leurs âmes, sans les forcer à révéler leurs secrets les plus intimes. Elle implique une connaissance de la conscience et une aptitude à la diriger ». En d’autres termes, quand la subjectivation s’est produite, quand elle a dérivé des rapports de pouvoir et acquis son autonomie, le pouvoir ne va pas avoir de cesse d’essayer de la récupérer, d’en faire son propre objet, c’est-à-dire d’inventer des règles individuantes.

Et les règles individuantes du pouvoir, c’est-à-dire les règles qui individuent le sujet du pouvoir, vont d’abord se présenter dans le pouvoir pastoral et puis, là on fait la liaison avec Surveiller et punir, vers le XVIIIème siècle, c’est l’Etat laïque qui prend le relais du pouvoir pastoral de plus en plus défaillant et qui va s’adjuger les méthodes individuantes par lesquelles le pouvoir s’exerce sur la subjectivité et, en même temps..., et en même temps les procédés de connaissance de la subjectivité vont croître, je passe très vite, on l’a vu la dernière fois, c’est-à-dire : alors que la subjectivation s’était détachée des rapports de pouvoir et des formes de savoir, voilà que de nouveaux rapports de pouvoir - il faut bien qu’ils soient nouveaux - de nouveaux rapports de pouvoir et de nouvelles formes de savoir la récupèrent. Mais je vous disais, inversement, inversement, la subjectivation elle-même, il faut s’attendre à quoi ? Eh ben qu’elle renaisse, qu’elle renaisse sous d’autres formes qui échappent à leur tour aux nouveaux rapports de pouvoir, tout comme aux nouvelles formes de savoir. Il a fallu que le pouvoir varie pour s’emparer du sujet qui avait acquis son autonomie, mais voilà que la subjectivation va varier à son tour, échappant à son tour aux nouvelles formes du pouvoir et du savoir. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Bon ben, ouais... SI bien que, entre les trois axes, pouvoir, savoir et soi, ou subjectivation, il va y avoir tout le temps des rapports de quoi ? De lutte, d’opposition ou aussi bien de compromis, comme dit Foucault. S’établiront toutes sortes de compromis et, par-là, d’oppositions. Mais, de même que de nouveaux rapports de pouvoir ne cessent de naître, et que de nouvelles formes de savoir ne cessent de naître, de nouveaux modes de subjectivation ne cessent de naître aussi, capables tantôt de s’opposer aux rapports de pouvoir et de s’en rendre indépendants, tantôt de passer avec eux des compromis.

Soit l’exemple du christianisme... je cite rapidement. Le christianisme, donc, invente - mettons... je vais vraiment très vite, c’est très sommaire - supposons qu’il invente ce nouveau type de pouvoir, le pouvoir pastoral, qui prend dans ses rapports la subjectivité, il fouille l’âme jusqu’au fond. Bon. Est-ce que de nouvelles formes de subjectivation ne vont pas apparaître ? Formes de subjectivation qu’il faudra dire chrétiennes non moins que le pouvoir pastoral et qui ne vont cesser de mettre en cause le pouvoir pastoral et qui, à leur tour, vont dériver du pouvoir pastoral et de telle manière qu’elles se rendent autonomes et indépendantes. Vous pouvez suivre sur ce schéma toute l’histoire du christianisme, pour en rester à de très grosses... c’est à la même époque que le christianisme pénètre tous les rapports de pouvoir de l’Empire romain christianisé d’une part et, d’autre part, suscite de nouveaux procès de subjectivation, de nouveaux mouvements de subjectivation qui échappent et qui résistent au pouvoir de l’Eglise. Le christianisme devient impérial et, en même temps, se fait le grand mouvement de retrait de dérivation du christianisme des anachorètes, la subjectivation de désert, le christianisme de Syrie, d’Egypte, tout ce mouvement des anachorètes et pas seulement des anachorètes, mais aussi de communautés qui mettent déjà en question tout le pouvoir pastoral et le christianisme [ ?]... comme dit Foucault, il n’est pas question de réduire le christianisme à un code ou à la reformation d’un code qui s’empare de la subjectivation et en fait l’objet d’un nouveau savoir ou la soumet à un nouveau pouvoir, il faut voir que, également, le christianisme, en même temps, refournit, reproduit des modes de subjectivation qui s’opposent au pouvoir de l’Eglise, qui remettent en question les formes de savoir nouvelles, et qui soit passent des compromis, soit forment une lutte radicale contre le pouvoir d’Eglise.

Inutile de dire que de procédé de subjectivation en subjectivations originales dans le christianisme, on aboutira à un nœud fondamental qui aura le nom de la Réforme. Et la Réforme sera très typiquement un mouvement de subjectivation chrétien qui se fait contre le pouvoir d’Eglise, comme si chaque fois que le pouvoir et le savoir récupéraient des modes de subjectivation, de nouveaux modes de subjectivation se formaient, remettant en question le pouvoir, le savoir, les formes de pouvoir et les formes de savoir. Il s’agit donc bien de trois axes qui ne cessent ou de s’opposer ou de passer des compromis. C’est une situation très très... très complexe. D’où... d’où... je dis : il y aurait juste deux problèmes à marquer... Non, il y aurait trois problèmes, mais, justement, pour aller vite, on va laisser [ ?] de côté, d’ailleurs il est normal que... il est normal aussi que je les signale dès maintenant. Les trois problèmes historiques, dont nous laisserons de côté aujourd’hui les deux premiers, et on les situera, comme ça on ne sera pas étonné de les trouver, c’est : le premier Foucault semble... il n’éprouve pas le besoin de le dire, encore une fois, je l’ai fait remarquer plusieurs fois, [ ?] que c’est les grecs qui inventent ce processus du pli constitutif de la subjectivation et il donne les raisons pour lesquelles c’est les grecs. S’il n’y avait pas eu rapport de force entre des hommes libres, la force ne se serait pas pliée sur elle-même, c’est-à-dire il n’y aurait jamais eu l’idée qu’il fallait savoir se gouverner soi-même pour gouverner les autres, il n’y aurait pas eu l’idée contraire non plus, mais il n’y aurait pas eu l’idée....

Ça c’est une idée grecque. Et, encore une fois, c’est l’idée grecque sous la forme facultative de l’homme libre irréductible au pouvoir et au savoir. Donc, si la production du soi commence avec les grecs, c’est la manière dont Foucault accepte la question « pourquoi la philosophie en Grèce ? », mais, vous voyez l’énormité de la différence avec la réponse de Heidegger. En revanche c’est assez proche d’une réponse d’inspiration... je ne dis pas... c’est pas proche de la réponse de Nietzsche, c’est assez proche d’une réponse d’inspiration nietzschéenne. Les grecs, qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont plié la force sur soi. Mais, je disais, mais... il faudrait quand même se demander un peu : toutes les formations orientales, toutes les formations non-européennes, toutes les formations... il y en a beaucoup hein ... est-ce qu’il y a production de soi ou pas ? Evidemment on ne peut pas invoquer les traductions lorsque les traductions à propos des sagesses orientales nous proposent une abondance de soi telle que l’on peut se dire : ben évidemment le soi existait, mais sous quelle forme ? Je veux dire : est-ce que, en Orient... est-ce que, pour parler, là, comme le vocabulaire trop métaphorique où l’on est, est-ce que la ligne du dehors se plie ou est-ce que la sagesse orientale est d’une tout autre nature ? Pas du tout plier [que ?] la ligne du dehors, d’une certaine manière la... la chevaucher, vivre dans l’invivable, atteindre au... alors pour parler, vraiment, dire des bêtises, euh... atteindre au vide, savoir respirer dans l’irrespirable, ne pas plier.

Savoir respirer dans l’irrespirable... il faut des techniques hein... Est-ce que les techniques d’orient sont des techniques de soi ou des techniques de vie dans le vide ? Alors, ça, je pose ça comme question, je dis juste, c’est pas parce qu’on nous parlera du soi dans telle forme de pensée orientale qu’on sera immédiatement convaincu que ce soi doit être compris comme un processus de subjectivation et que... non, ce serait très compliqué... mais il se peut, en revanche... je laisse tout à fait ouverte la question : est-ce que... oui... Mais dans les termes de Foucault, on ne pourrait dire : oui, il y a un soi dans les techniques orientales, un soi qui correspond à ce que nous appelons le soi, que si l’on découvre des exercices qui consistent en effet à plier la force [ ?] de telle manière que soit constituée une intériorité, intériorité d’attente. Alors, c’est pas sûr... est-ce que c’est un autre rapport ? La ligne du dehors... on pourrait dire, au point où on en est, la ligne du dehors, elle, elle est partout, dans toutes les formations, mais cette aventure particulière de la ligne du dehors, être pliée de telle manière qu’elle produit de la... qu’elle opère une subjectivation, bon, ça, c’est un problème.

Deuxième problème : ce serait ce pli ou ces quatre plis, comment les nommer ? Comment les nommer et comment expliquer qu’ils apportent quelque chose de tout à fait insolite chez Foucault et qu’on ne découvre que dans les derniers livres de Foucault, c’est-à-dire la position et la considération d’une longue durée. Je regroupe là ce problème que j’ai indiqué plusieurs fois. En effet c’est très curieux, toute l’œuvre de Foucault s’est toujours réclamée des petites durées. C’est très important historiquement, la source de tout ça c’est une fois de plus Braudel, n’est-ce pas, dont je vous ai déjà dit que vous trouverez la distinction et l’importance historique d’une distinction tripartite, au moins tripartite, entre les durées courtes, moyennes et longues et comment l’historien, selon Braudel, devait travailler avec ces trois types de durée qui n’affectent pas les mêmes couches. Or Foucault dans toute son œuvre s’est installé dans des durées courtes ou, à la rigueur moyennes, je veux dire, n’excédant pas deux siècles et demi et voilà que, avec L’usage des plaisirs, il se donne la considération d’une très longue durée, puisque, à la lettre, c’est des grecs..., même en supprimant ce qu’il y a avant les grecs ou ce qu’il y a à côté, à savoir l’Orient..., mais des grecs à nous...

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