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Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 22 - 06/05/1986 - 4 (4) Sur Foucault Gilles Deleuze aut participant RequestDigitalEl 3 :13 + 32 :06

Je crois pas... enfin... il y a que quelque fous-furieux pour vouloir que sa mémoire ne disparaisse pas. Non, ça doit pas être ça, donc c’est autre chose, notre rapport avec la vérité... qu’est-ce que c’est... qu’est-ce que c’est notre subjectivité d’attente ? Notre intériorité d’attente ? Et toi, qu’est-ce que tu attends ? Donc vous voyez le fourmillement des questions, les grecs avec quatre plis. Je peux, en lisant la littérature grecque, assigner, même de grandes variations entre les grecs, mais je dois demander, presque à chaque période : comment varient les plis ? Quels sont les nouveaux plis ? Quels sont tes plis ? De quels plis... ? Vivez-vous comme vous entourant de plis ? D’où le choix, vous vous rappelez le texte que je vous ai lu la dernière fois, la comparaison que Foucault faisait entre Raymond Roussel et Michel Leiris ? L’un, Michel Leiris, plus prudent, s’entoure de plis, hein, s’entoure de plis à l’intérieur desquels il va trouver l’absolue mémoire. Et l’autre, dans une imprudence fondamentale, défait les plis pour entrer dans le vide irrespirable et y trouver la mort. Bon, peut-être qu’on est perpétuellement en train, même, dans une activité dont on sait pas si elle consiste à s’entourer avec des plis ou à défaire les plis. On sait pas bien. Ou peut-être qu’on défait un pli par-ci et qu’on s’entoure par-là. C’est une question très très... euh très multiple celle de la manière dont chacun de nous existe, des modes d’existence... Et c’est résumé grossièrement, mais c’est résumé, dit : oui, en gros, en gros nous avons quatre plis, c’est déjà beaucoup, c’est déjà quatre plis, nous défaisons les uns quand nous nous entourons dans les autres... S’entourer... ou bien nous nous entourons dans tous... hein. Est-ce qu’il y a des dangers de régression quand on est bien entouré, là, de toutes ces bandelettes, là, autour de nous ? Est-ce qu’il trouve pas une... ? Qu’est-ce qu’il faudrait ? Défaire les bandelettes, les [ ?] ? Tantôt l’un tantôt l’autre... euh..., mais c’est ça plier ou déplier. Bon. Mais on n’a pas fini. On n’a pas fini parce que ça reste encore trop abstrait. On a juste gagné en disant : lorsque la force se plie sur soi, voilà que nous nous entourons tant bien que mal, j’insiste, je pèse tous mes mots, nous nous entourons tant bien que mal de quatre plis qui tantôt se déplient et tantôt se replient. Voilà. Vous vous reposez, hein. Vous vous reposez. Alors, là, prenez bien vos montres, je vous en supplie : un quart d’heure, hein, 15 minutes...

Alors, bon... Vous voyez... [brouhaha]... Ah... Alors on peut répondre au moins : quelles sont les deux nouveautés fondamentales apparentes de L’usage des plaisirs ? Je dirais : c’est la découverte du rapport à soi comme axe indépendant du pouvoir et du savoir, indépendant en tant qu’il dérive des rapports de pouvoir, mais prend, mais prend son autonomie. On va voir à quoi ça engage, en tout cas c’est un axe autonome. Il ne faut plus dire la philosophie de Foucault se construisait sur deux axes, savoir et pouvoir, mais sur trois axes, savoir, pouvoir et subjectivation. Deuxième point : il se trouve que cet axe est tellement original que, lui, il s’évalue sur une longue durée des grecs à nous, l’histoire de la subjectivation des grecs à nous, avec les... questions que je viens de poser : y a-t-il lieu de concevoir une variation des plis ? Mais, n’empêche que nous nous trouvons devant un problème relativement urgent, c’est celui dont Foucault tente de s’expliquer dans toute l’introduction de L’usage des plaisirs. C’est : mais et la sexualité là-dedans ? Puisque L’usage des plaisirs se présente comme une poursuite de L’histoire de la sexualité, c’est-à-dire comme le deuxième tome, mais le rapport à soi, le pliement de la force, tout ça, quel rapport avec la sexualité ? Et là-dessus Foucault nous raconte une histoire, dans un entretien, dans une interview, il dit ceci : après La volonté de savoir... et vous vous rappelez en quel sens La volonté de savoir le met dans une... du moins ce qu’il estime être une impasse, à savoir, le pouvoir il est pris dans l’impasse des rapports de pouvoir, comment en sortir ou comment franchir la ligne ? Là, maintenant, il a bien trouvé comment en sortir : par la dérivée, par le rapport à soi, par la subjectivation. On n’a pas bien encore compris en quoi la réponse était concrète, qu’est-ce qu’elle voulait dire politiquement, tout ça... mais enfin on voit la réponse qui s’esquisse. Mais, en revanche, on voit plus du tout où on en est quant à la sexualité. Et je dis, dans une interview, Foucault dit ceci : après La volonté de savoir et la crise que nous avons essayé d’analyser, comme succédant à La volonté de savoir, la crise chez Foucault, eh bien Foucault nous dit : j’ai fait un livre qui continuait L’histoire de la sexualité où il était question de la sexualité, voilà, et puis, j’y ai renoncé. Nous sommes en droit de supposer, suivant notre hypothèse, que s’il y a renoncé, c’est que l’impasse des rapports de pouvoir se faisait de plus en plus insupportable pour lui. Alors il dit : c’est le rapport à soi qui est devenu, pour moi, une notion centrale et j’ai fait un livre sur le rapport à soi, mais il n’y avait plus aucun rapport avec la sexualité et il m’a fallu une troisième version pour établir une sorte de proportion, d’équilibre, entre le rapport à soi et la sexualité. C’est cette troisième version dont nous disposons. Et en effet, alors, il nous reste à dire pour aujourd’hui quel est cet... quel est ce rapport entre le rapport à soi et la sexualité, la subjectivation et la sexualité ? Eh ben, euh... Là, quand quelqu’un m’a posé une question où j’ai dit : ça annonce ce qui me reste à faire, je crois qu’il disait quelque chose de très juste.

De même que les rapports de forces, les rapports de pouvoir resteraient virtuels ou du moins évanescents s’ils ne s’actualisaient pas dans les formes du savoir, de même le rapport à soi, avec ses plis, il faut bien qu’il s’actualise, il resterait parfaitement abstrait s’il ne s’actualisait, mais dans quoi ? La réponse immédiate, c’est dans la sexualité, c’est dans la sexualité. Mais pourquoi est-ce dans la sexualité ? Il faut dire que c’est pas tellement..., moi, il me semble, dans la pensée de Foucault, c’est pour ça qu’il a eu tellement de problèmes, c’est pas tellement par une nécessité logique, c’est beaucoup plus par une belle rencontre. C’est que la sexualité elle a un caractère très curieux, du moins telle que les grecs l’appréhendent. Elle a pour caractère d’actualiser les deux aspects de la force en les qualifiant suivant deux personnages différents, c’est ça qui est intéressant dans la sexualité grecque... ou bien est-ce qu’il faut dire « dans la sexualité en général » ? Pas sûr, même. Mais, enfin, dans la sexualité grecque c’est très net, chaque fois qu’ils parlent de la sexualité, il s’agit de l’homme en tant que force qui affecte et la femme en tant que force affectée. Vous me direz : c’est une banalité, ça... Pas sûr. Pas sûr.

Foucault expliquera que non seulement, dans la psychanalyse, on ne pense plus la sexualité comme ça, mais que, déjà dans le christianisme, on ne pense pas la sexualité comme ça. Mais que dans le christianisme apparaît nettement ce que Foucault appelle une structure bisexuelle, un structure bisexuelle de l’être incarné, ce qui est très différent, d’une différenciation en deux personnages dont l’un actualise la force affectée et l’autre la force affectante ; donc peut-être que ça appartient à la littérature grecque pas seulement à la littérature grecque, peut-être que ça appartient à la vie grecque... cette idée d’une femme comme force affectée, la femelle comme force affectée, le mâle comme force affectante...

Alors ça expliquerait peut-être bien des choses, ça, car revenons au rapport à soi, cette subjectivité dérivée. A première vue, elle a pas de raison de s’incarner dans la sexualité plutôt qu’ailleurs. Le rapport à soi consiste à se gouverner soi-même, c’est-à-dire à s’affecter soi-même. Pourquoi ça ne se ferait pas au niveau d’autres exercices, et de tous les exercices, la sexualité, mais d’autres aussi ? Et Foucault le premier remarque que, quand paraît la notion de rapport à soi ou d’enkrateia chez les grecs, elle est pas mise en rapport directement ni de manière privilégiée avec la sexualité, elle est mise en rapport avec l’alimentation. Et il faudra un lent décrochage et Foucault emploie à nouveau le mot décrochage, et vous voyez que le mot est bien fondé, là, parce qu’il apparaît tout le temps. Il faudra un lent décrochage de la sexualité par rapport au modèle alimentaire pour que le rapport à soi s’incarne, s’actualise de manière privilégiée dans la sexualité. Vous voyez, si je résume, le rapport à soi, c’est-à-dire l’opération par laquelle je me gouverne moi-même, doit s’actualiser, mais, à première vue, n’a pas de raison de s’actualiser dans la sexualité de façon privilégiée, elle peut s’actualiser dans l’alimentation, mais, là aussi c’est une lente dérivée, peu à peu la sexualité va décrocher d’avec le modèle alimentaire et devenir la matière privilégiée d’actualisation pour le rapport à soi, dans la mesure où le rapport sexuel met en présence une femme comme force affectée et un homme comme force affectante.

Si vous êtes trop pressé, vous me direz : et la pédérastie chez les grecs ? Et l’homosexualité chez les grecs ? Ne soyez pas trop pressés. Car, c’est là le fondement qui explique que le rapport à soi, le « bien gouverner soi-même », le « se gouverner soi-même » va s’actualise dans la sexualité. Le « se gouverner soi-même » comme un élément régulateur du « gouverner les autres », va s’actualiser directement dans la sexualité et cette fois-ci sous trois formes, sous trois formes ou sous trois rapports, si bien que ça se complique, il ne faut pas confondre les quatre sortes de pli qu’on a vus précédemment, et vous ne le ferez pas dans votre lecture de L’usage des plaisirs, il ne faut pas confondre les quatre formes de pli et les trois rapports sous lesquels le gouvernement de soi, le rapport à soi s’effectue dans la sexualité.

-  Le premier rapport est un rapport simple, il a pour formule : se gouverner soi-même pour gouverner son corps et ses plaisirs, les aphrodisia. C’est ce que Foucault appelle la diététique des plaisirs, chapitre 2, dans L’usage des plaisirs.
-  Le second est un rapport composé : se gouverner soi-même pour bien gouverner la femme, l’épouse, se gouverner soi-même pour bien gouverner l’épouse c’est-à-dire pour la rendre réceptive, puisqu’elle est la force réceptive et qu’elle a en charge la maison. Pour gouverner l’épouse et la rendre réceptive, ça ce n’est plus la diététique des plaisirs, c’est ce que Foucault appelle l’économie de la maison et chez les grecs « économie » signifie cette gestion de la maison. Economie de la maison et ce n’est plus le rapport simple, c’est le rapport composé. Le rapport homme-femme.
-  Et puis, le troisième, ça doit pas nous étonner, c’est un rapport dédoublé et c’est le plus étrange et le plus insolite chez les grecs. Cette fois-ci c’est se gouverner soi-même non pas pour bien gouverner les garçons, mais pour amener les garçons à apprendre à se gouverner eux-mêmes, puisque ce sont de futurs hommes libres. Se gouverner soi-même dans son rapport avec les garçons pour amener les garçons à se gouverner eux-mêmes. Ça, c’est un rapport dédoublé, c’est ce que Foucault appelle, pour ne pas nous laisser oublier qu’il est un peu kantien, l’antinomie du garçon, page 243. Page 243, "de là ce qu’on pourrait appeler l’antinomie du garçon, d’un côté le jeune homme est reconnu comme objet de plaisir et même comme le seul objet honorable et légitime parmi les partenaires masculins de l’homme, jamais on ne reprochera à quiconque d’aimer un garçon, d’en avoir envie et d’en jouir pourvu que lois et convenances soient respectées, mais, d’un autre côté, le garçon, puisque sa jeunesse doit l’amener à être un homme, ne peut accepter de se reconnaître comme objet dans cette relation qui est toujours pensée dans la forme de la domination. Il ne peut ni ne doit s’identifier à ce rôle, il ne saurait être de son plein gré, à ses propres yeux et pour lui-même, cet objet de plaisir alors que l’homme aime à le choisir tout naturellement comme objet de plaisir". En bref, éprouver de la volupté, être sujet de plaisir avec un garçon ne fait pas problème pour les grecs, en revanche être objet de plaisir et se reconnaître comme tel constitue pour le garçon une difficulté majeure. Le rapport qu’il doit établir à lui-même pour devenir un homme libre, maître de lui-même à son tour, et capable de l’emporter sur les autres, ne saurait être en coïncidence avec une forme de rapport où il serait objet de plaisir pour un autre." Le rapport dédoublé, c’est exactement ceci : il faut, encore une fois, que l’homme qui aime un garçon se gouverne lui-même, mais non pas, comme dans le cas de l’épouse, pour bien gouverner l’épouse, mais pour former le garçon comme homme libre, c’est-à-dire pour empêcher l’homme libre d’être gouverné, pour empêcher le garçon d’être gouverné par les autres et d’où, chaque fois qu’un historien se penche sur le statut de la pédérastie chez les grecs, les problèmes comme insolubles qui étonnent peut-être moins Foucault que les historiens n’en sont étonnés, à savoir, c’est tout simple, c’est que ce gouvernement de soi dans les rapports avec le garçon doit toujours s’entendre sous la forme de la règle facultative, mais, là, c’est le cas sans doute où la règle facultative devient la plus... la plus pressante. La règle facultative sous laquelle un homme libre se constitue comme sujet et la règle facultative sous laquelle il se constitue comme sujet va être, en même temps, celle sous laquelle il va apprendre au garçon à se constituer à son tour comme sujet. D’où le rapport est dédoublé.

Alors où en sommes-nous, je voulait en finir, là, pour aujourd’hui, j’ai à peu près fait tout ce que je souhaitais. Peut-être qu’on est allé trop vite, enfin, je sais pas... euh... je dis, maintenant c’est tout simple, si vous m’accordez que l’on a tracé... on a vraiment découvert le troisième axe et que, le troisième axe, c’est, comme nous l’attendions, le ploiement, le plissement, mais que, maintenant, il a reçu un nom, ni savoir, ni pouvoir, mais subjectivation ; si vous m’accordez aussi que cet axe, il était présent depuis le début dans l’œuvre de Foucault, mais qu’il n’apparaissait pas pour lui-même, il apparaissait complètement entremêlé au savoir et au pouvoir, il fallait le chercher dans les opérations Roussel, il fallait le chercher... ça n’empêche pas que maintenant on a bien nos trois axes, on voit bien en quoi ils sont autonomes, relativement autonomes, mais on sait bien que, c’est pas une apparence, ils arrêtent pas de se mélanger, à savoir, notamment, une fois que les rapports de pouvoir ont laissé dériver l’art de soi, la constitution de soi ou la subjectivation qui leur échappe, puisqu’elle opère sous une règle facultative, ça répondrait à peu près à ce que Nietzsche appelle l’aristocrate, c’est la règle facultative de l’aristocratie, de l’aristocrate. Eh bien, une fois dit ceci, le pouvoir n’a pas de cesse d’essayer de reconquérir cette nouvelle dimension, ce nouvel axe, et le savoir n’a pas de cesse d’essayer de la réinvestir, si bien que l’on va assister... tout va être relancé, il va y avoir une histoire d’un nouveau type de luttes. Comment le pouvoir tente de s’approprier les processus de subjectivation qui lui échappent ? Comment le savoir tente-t-il d’investir la subjectivation qui lui échappe ? Comment faire pour que le rapport avec soi, pour le pouvoir, comment faire pour que le pouvoir, à la lettre, reprenne, conquière ce rapport avec soi ? Et comment faire pour que le rapport avec soi devienne objet de savoir, c’est-à-dire comment éviter que les règles facultatives ne soient reprises dans des règles contraignantes qui vont les déformer, règles de pouvoir et codes de savoir ?

La subjectivation va être reprise dans un code de la vertu qui va être un véritable savoir ou dans un code de normalité qui sera une véritable science. Les procédés de subjectivation vont être repris par les instances de pouvoir et commence l’histoire moderne à partir des grecs. En d’autres termes la conversion des règles facultatives en règles contraignantes. La règle facultative de l’aristocrate va être reconvertie en règle contraignante qui pèse sur nous- autres, pauvres esclaves. Et de deux manières célèbres. Le pouvoir n’aura pas de cesse que de contrôler la subjectivité la plus intérieure d’un individu de ses sujets et c’était déjà le sens d’un pouvoir que Foucault définissait comme le pouvoir d’église, le pouvoir pastoral. Le pouvoir pastoral, le pasteur comme forme de..., comme homme de pouvoir fouille la subjectivité la plus intime et il réintroduit le rapport avec soi dans les rapports de pouvoir, il soumet la subjectivité aux rapports de pouvoir. Et ce pouvoir d’église, pouvoir pastoral sera repris par le pouvoir d’Etat, aux XVIIIème et XIXème siècles et, là, Foucault peut rejoindre les analyses de Surveiller et punir : comment l’Etat disciplinaire prend dans les rapports de pouvoir la subjectivité la plus intérieure ?

Et, en même temps, se constitueront des sciences, des savoirs d’un nouveau type, science morale, science de l’homme, où la subjectivité deviendra et passera sous un contrôle et une dépendance qui invoqueront la science. C’est ça qu’il faudra... Vous voyez que l’histoire est variée, parce qu’à chaque fois ça se passe de la même manière, alors est-ce qu’il faut dire : oui, il y a eu subjectivation une fois, sous des règles fragiles et facultatives, celles de l’aristocrate grec, et puis, ensuite, le pouvoir pastoral et le pouvoir d’Etat, d’une part, d’autre part la connaissance, connaissance de soi, science morale etc., ensuite le pouvoir et la connaissance ont récupéré ce nouveau domaine de la subjectivation ? Ou bien est-ce qu’il faut dire : ben bien sûr ! Ben bien sûr, c’est pas grave tout ça, chaque fois, quand les grecs ont trouvé ça, la subjectivation sous des règles facultatives, et bien très vite, eux-mêmes s’en sont emparés d’abord, eux-mêmes, ils ont pas attendu l’église euh... et puis les pasteurs, le pouvoir pastoral, le pouvoir du prêtre en a fait sa matière privilégiée, fouiller l’intérieur des âmes et puis les connaissances... tout ça, mais est- ce que le rapport avec soi, est-ce que le mouvement de subjectivation, à ce moment-là, ne prenait pas de nouvelles formes ? Est-ce que de nouveaux types de subjectivation n’allaient pas se former, très différentes de la subjectivation grecque et capables de s’opposer aux nouvelles formes de pouvoir et aux nouvelles formes de savoir qui, finalement, n’avaient récupéré que l’ancienne subjectivation ? Est-ce que de nouvelles subjectivations n’allaient pas sans cesse renaître de leurs cendres, si bien que les bras de l’Etat, les bras du prêtre, les bras de la connaissance n’allaient jamais se refermer que sur la dernière subjectivité, la plus récente, mais que, toujours, une autre subjectivation était déjà en train de se faire ?

D’où l’importance de la question : de nouveaux plis se dessinaient, et c’est de ces nouveaux plis qu’allaient naître les résistances au pouvoir, que ce soient les anciens pouvoirs, les pouvoirs... des résistances aux nouveaux savoirs. Et, en ce sens, [ ?] vous voyez ça allait à la lettre, si bien que reprend, il me semble toute sa fonction, la question : qu’est-ce que c’est nos plis, par quoi est-ce qu’ils sont menacés ? Nous tenons à deux choses ou plutôt nous sommes menacés par deux choses : que notre subjectivité passe sous le contrôle et la dépendance d’un pouvoir, que ce soit le pouvoir des prêtres, le pouvoir de l’église, le pouvoir de l’Etat... car le pouvoir n’a pas cessé de vouloir vraiment s’approprier la subjectivation. J’ai lu une proposition, mais insensée, qui m’a semblé insensée, ça décourage d’écrire - je parle pas pour moi - d’un professeur célèbre en médecine euh... qui travaille sur le sang et qui a fait son livre sur le sang et qui dit : on, on nous avait promis une médecine de masse, or c’est pas vrai : jamais la médecine ne s’est faite plus individuante... on se dit, là il y a quelque chose de triste parce qu’il en tire, lui, la conclusion que c’est bien la preuve que la médecine libérale est indépendante du pouvoir, puisqu’elle se fait de plus en plus finement individuante... alors je dis : c’est triste, c’est triste, pour Foucault. Foucault a passé des années, des pages géniales à montrer que le pouvoir d’Etat de tout le XVIIIème siècle se faisait individuant. Alors que la médecine soit individuante, ça j’en doute pas, c’est même ça qui définit le pouvoir de la médecine, elle risque pas d’être une médecine de masse, hein, c’est une médecine qui ira de plus en plus dans le sens d’une individuation parfaite. En tirer la conclusion, vous comprenez, que c’est la preuve qu’elle est indépendante du pouvoir, c’est à vous désespérer... C’est vraiment plus la peine de dire quoi que ce soit puisque, de toute façon, ça ne servira jamais à rien et que les gens continueront à dire : puisque c’est individuant, c’est indépendant du pouvoir. Euh... depuis le XVIIIème siècle, encore une fois, le pouvoir d’Etat s’est fait individuant. Un prisonnier est parfaitement individué, il est même mis en prison en tant que suprêmement individué. Le pouvoir est individuant, c’est évident ! Bon, tout ça, c’était pour dire, vous comprenez...

Mais bref, la lutte n’est pas finie. Plus le pouvoir et plus la connaissance... plus le pouvoir et plus le savoir... - encore une fois je termine là-dessus - s’emparent de cette subjectivation qui en dérive mais qui en était indépendante, plus de nouveaux modes de subjectivation se forment inlassablement, sans presque qu’on le sache, à moitié inconsciemment. Qu’est-ce qui se passe ? C’est évident que, par exemple, d’une certaine manière, 68, mai 68, a été un rapport avec le pouvoir, un rapport avec le savoir et un rapport fondamental avec la subjectivation et que ça a lancé, ça a lancé des modes de subjectivation. Alors c’est comme tout, il faut toujours se dire : [ ?] les modes de subjectivation, c’est comme les formes de savoir et comme les formes de pouvoir, il y en a de grotesques, il y en a de terrifiants, il y en a de sublimes, il y en a de beaux... tout ça... il n’y a aucune raison de... mais ce qui est intéressant c’est de voir comment autour des grandes coupures historiques, il y a des formes de subjectivation qui se forment, qui se dessinent. Quand Foucault écrit L’usage des plaisirs, soyez sûrs que ce qu’il a en tête, comme toujours... quand il écrivait Surveiller et punir ce qu’il avait en tête c’était le problème des châtiments aujourd’hui en 1970, je sais pas la date... là, ce qu’il a en tête quand il fait ce pseudo-retour aux grecs, c’est : quel mode de subjectivation pouvons-nous espérer aujourd’hui et maintenant. Bien, à la prochaine fois.
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