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Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 21 - 29/04/1986 - 5 Cours du 29 avril 1986 Gilles Deleuze aut participant RequestDigita* 17 :12

Et sur la base de quelque chose qui est proprement grec et inouï, la différence entre l’être et l’étant. Ça on verra plus tard. Le retour en amont, le retour à la source, on peut l’accomplir n’importe où et jusque dans les langues qui ont la particularité de ne pas comporter de verbe être, mais l’être, lui, n’est pas œcuménique, l’être, lui... Qu’est-ce qui est proprement grec ? C’est avoir dévoilé la source comme être. L’être, lui, n’est pas œcuménique, son nom est grec et il ne vient à l’idée de personne de forcer les gens à être des grecs. Dans toute l’histoire... Il n’y a que les allemands qui se vivent comme grecs... euh... Dans toute l’histoire de la philosophie seul Heidegger - c’est Beaufret qui parle - Dans toute l’histoire seul Heidegger a eu le sens de la limite originelle de ce dont il est question d’un bout à l’autre de la philosophie. C’est intéressant parce que, vous voyez, au niveau de Heidegger, jamais Heidegger ne dira, comme les philosophes classiques, la philosophie est universelle, même en droit, il dira pas ça, il dira qu’elle est fondamentalement liée à la singularité grecque.

Et pourquoi ? Beaufret continue. « En grec non seulement le verbe être existe, mais il existe au point d’être lui-même à la base de toutes les formes verbales ». En d’autres termes, il y a pas seulement l’être, l’être se plie. Je vois pas de meilleur com... de meilleure, si vous voulez, approche de l’idée de Heidegger, le pli de l’être, que ça. « En grec non seulement le verbe être existe, mais il existe au point d’être lui-même à la base de toutes les formes verbales. Le grec, en effet, est aux premières loges de ce que les linguistes appellent la phrase à verbe être. Quand Aristote prend un exemple, c’est toujours une phrase à verbe être qu’il choisit, considérée par lui comme étant la forme canonique de la phrase elle-même dont le propre est le rapport du prédicat au sujet, quand s’y applique être ou non-être ». C’est la formule prédicative, c’est la phrase prédicative, le ciel est bleu. Le ciel, la copule, euh... le prédicat. La copule être. C’est le grec qui fait du verbe être la copule sur laquelle tout le langage grec se plie. Comment s’étonner, dès lors, que la question qui se pose pour les grecs soit essentiellement la question de l’être. « Quand on dit par exemple la neige est blanche, c’est ainsi que l’être est arrivé à la philosophie. La philosophie est un événement régional... ça c’est très intéressant, parce que... « Les grecs n’ont jamais revendiqué son universalité. Leur langue, ils ne l’interprétaient pas comme étant un moyen d’expression, un moyen de communication. Parler grec, c’était d’abord se comporter à la manière grecque, à la manière de quelqu’un pour qui toutes les phrases seraient des phrases à verbe être ». Alors, en un sens, il en faut pas plus. Simplement ce que je dis, c’est cette conception où la philosophie est fondamentalement liée à la singularité du langage, d’un langage et d’un espace grecs. Encore une fois, ouvrir l’espace, c’est- à-dire défricher, faire une clairière, pour que l’être apparaisse, recueillir l’être qui apparaît en pliant tout le langage sur le verbe être. Voilà donc en quoi...

Mais qu’est-ce que disait Hegel ? Si l’on admet que Hegel est le premier très grand philosophe à avoir posé la question « pourquoi la philosophie est-elle une chose grecque ? », il le fait dans son livre précisément intitulé Histoire de la philosophie. Dans son Histoire de la philosophie, qu’est-ce qu’il va nous dire ? Je résume infiniment parce que, sinon, on n’aurait pas le temps, tout ça... Les grecs, les premiers, ou, du moins, non pas les sages, mais les premiers qu’on appellera des philosophes, c’est ceux qui ont la révélation immédiate de l’être. Alors j’entends bien, ne mélangez pas tout : Heidegger est profondément en désaccord avec Hegel, tout ça, mais il faut voir qu’ils sont en désaccord sur ce fond commun : ce qui définit la philosophie comme chose grecque, c’est que c’est en Grèce que l’être en tant qu’être apparaît. Il apparaît comme deux fois, il apparaît deux fois simultanément, il apparaît dans l’espace de la clairière et il apparaît dans le verbe, dans le verbe, dans la copule de la phrase à verbe : la neige est blanche, le ciel est bleu etc. Et Hegel ajoute, c’est là où la différence va apparaître avec Heidegger, Hegel ajoute : mais, chez les grecs, l’être est l’objet d’une apparition ou d’une révélation immédiate. Si bien que le deuxième grand moment de la philosophie, ce sera la découverte du sujet comme pensant l’être. Et ce sera..., la philosophie deviendra à ce moment-là : réflexion.

Et le héros de cette philosophie ne sera plus Parménide, le héros de cette philosophie sera Descartes. Et Hegel dit : mais c’est encore abstrait car il faut que l’être cesse d’être immédiat et l’être cessait d’être immédiat dans la seconde période, quand il était médiatisé par la réflexion du sujet, mais il ne suffit pas que l’être cesse d’être immédiat, il faut que le sujet ne subsiste pas, ne soit pas un sujet abstrait qui devienne concret. Or le « je pense » de Descartes est encore le sujet abstrait, il faut qu’il devienne concret et il ne sera concret que lorsqu’il aura découvert qu’il ne suffit pas de réfléchir sur l’être, qu’il faut que l’être se réfléchisse dans le sujet, c’est-à-dire qu’il faut une subjectivation concrète. Et cette subjectivation concrète, dont se réclame le dernier moment selon Hegel de la philosophie, et par quoi il définit l’auto-mouvement de la dialectique, ce troisième moment c’est Hegel lui-même. Vous voyez que, à la fois, c’est très différent puisque ce que Heidegger veut maintenir comme un nœud de singularités grec, d’où son insistance à : « il y a pas d’abord un état voilé, et puis un dévoilement ». Je reviens sur tous ces thèmes, peut-être vous pouvez mieux comprendre, ce que Hegel présente comme trois moments successifs de l’universel, Heidegger tient beaucoup à le présenter, au contraire, comme trois singularités simultanées du non-universel, du régional, c’est- à-dire des grecs. Et, ainsi, seuls les grecs sont capables de donner une terre au territoire allemand, d’où le rapport privilégié, d’où le rapport privilégié de l’Allemagne comme pays de la philosophie avec les grecs. L’Allemagne c’est le territoire de la philosophie, mais la terre de la philosophie c’est le Grèce. Je veux pas développer tout ça... vous voyez, mais...

Or j’ajoute juste : si vous lisez, euh, si vous lisez Renan, c’est curieux l’histoire de Renan, ce texte que certains d’entre vous, je suis sûr, connaissent pas... je pourrais demander combien le connaissent... et ceux qui le connaissent, ils le connaissent comme purement scolaire... C’est un texte tiré des Souvenirs d’enfance et de jeunesse, et il nous parle du miracle grec. Or, quand même, Renan parlant du miracle grec, il y a quelque chose qui.... qui fait [ ?]. Qu’est-ce qui fait rigoler, pour qui connaît Renan ? A savoir : Renan est un homme, un immense penseur, je crois, dans la seconde moitié du XIXème siècle, mais dont il est notoire qu’il s’est occupé de quoi ? Il s’est occupé des juifs, de l’orient et du christianisme. Les grecs, on peut pas dire qu’il s’en soit occupé. Les romains, il s’en est occupé, parce que les romains avaient des rapports avec les chrétiens. Les grecs, il s’en est vraiment pas occupé. Alors qu’il se mette à chanter tout d’un coup le miracle grec sur le ton « je croyais qu’il y avait un miracle, le chrétien, mais il y en a un encore plus important, le miracle grec », on se dit : qu’est-ce qu’il lui prend ? Qu’est-ce qu’il lui prend à Renan ? Heureusement on est rassuré parce que le texte est très curieux, il nous dit : il y a un miracle grec qui est la lumière, la lumière arrive. Il dit ça : et pour ça j’ai eu tort, j’ai eu tort... il fait une espèce d’autocritique étonnante. J’ai eu tort, j’ai cru que c’était du côté des juifs et des chrétiens qu’il fallait chercher, mais les grecs... et... et il fait une grande invocation à la déesse qui est épatante, euh... c’est le texte dont le titre est Prière sur l’acropole. Là-dessus, il est breton Renan (rires)....

Si vous regardez la suite du texte, quand même c’est un grand artiste, c’est un très grand écrivain, il compose pas n’importe comment. Si vous regardez la suite, vous voyez que la Prière sur l’acropole, déjà, est entourée par, suivie par des textes sur la Bretagne et sur les forêts de Bretagne et sur le génie breton. Ça devient de plus en plus étonnant, la Prière sur l’acropole, qu’est-ce qu’elle vient faire dans cette histoire de breton, de Bretagne et de... ? C’est très curieux. Puis vous relisez le texte et vous vous apercevez que le miracle grec, c’est formidable, oui, mais mon Dieu, que c’est ennuyeux ! C’est ennuyeux et que ça ne peut exister que comme l’objet d’un oubli. Euh... vous pourriez ne pas me croire, parce que le texte est, là aussi, tellement, je dis... Vous voyez on trouve tout autour de Heidegger... C’était Roussel, c’est peut-être Jarry, voilà maintenant que c’est Renan. Mais on va...

D’habitude, je vous dis, soyez prudents, aussi il faut être prudent, oui, il faut être très prudent, mais, quand même, toute la fin... « Sagesse ! » c’est dans son invocation, « Sagesse ! Toi que Zeus enfanta après s’être replié sur lui-même »... hein, c’est pas ma faute, ça y est ! (rires). « Sagesse ! Toi que Zeus enfanta après s’être replié sur lui-même, après avoir respiré profondément »... Bon, ensuite c’est... « Tu souris de ma naïveté, oui, l’ennui... » Il explique que, tout ça, c’est mortellement ennuyeux, quoi, il explique que, les grecs, c’est mortellement ennuyeux. Ils sont parfaits, ils sont miraculeux, mais quel ennui ! « Tu souris de ma naïveté, oui, l’ennui. Nous sommes corrompus, qu’y faire ? J’irais plus loin, déesse orthodoxe, je te dirai la dépravation intime de mon cœur. Raison et bon sens ne suffisent pas, il y a la poésie dans le Strymon glacé et dans l’ivresse du Thrace, il viendra des siècles où tes disciples passeront pour les disciples de l’ennui. Le monde est plus grand que tu ne crois. Si tu avais vu les neiges du pôle et les mystères du ciel, ton front ô Déesse toujours calme, ne serait pas si serein ! Ta tête plus large embrasserait divers genres de beauté. Un immense... » Alors c’est plus seulement l’ennui, ça continue... « Un immense fleuve d’oubli nous entraîne dans un gouffre sans nom. O Abîme, tu es le Dieu unique. Les larmes de tous les peuples sont de vraies larmes ; les rêves de tous les sages renferment une part de vérité. Les dieux passent comme les hommes etc. » De l’ennui à l’oubli, retour à la forêt, comme si la lumière grecque, le miracle grec était strictement inséparable de la forêt sur laquelle il a été conquis. C’est-à-dire : que ce soit la forêt de Heidegger - grand forestier entre tous - soit la forêt de Renan, la forêt bretonne. Il y a quand même bien... Or, si j’essaie de dire, oui, en quel sens... Voilà, si j’essaie de résumer, les grecs ont un lien privilégié avec la philosophie et instaurent la philosophie dans la mesure où ils renversent la vieille sagesse, au profit d’autre chose. Qu’est-ce qu’était la vieille sagesse ? On le sait pas encore, je prétends pas l’avoir dit. Ils renversent la vieille sagesse au profit d’autre chose, j’ai juste dit ce qu’était cet « autre chose » : ouvrir l’espace, replier le langage sur le verbe être, de tel point que... à quel point que l’être se manifeste dans cet espace, et s’exprime dans ce langage. Voilà. Je dis : de Hegel à Heidegger, c’est la réponse euh... c’est la réponse philosophique.

La prochaine fois on verra la réponse historienne, la réponse des historiens.

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