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Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 21 - 29/04/1986 - 3 Cours du 29 avril 1986 Gilles Deleuze aut participant RequestDigita* 46 :54

... intériorisation du dehors. Le double n’est pas un dédoublement de l’un. C’est un redoublement de l’autre. Le double n’est pas une reproduction du même. Mais, au contraire, une répétition du différent. Le double n’est pas une émanation du je ou du moi, c’est une mise en immanence d’un non-moi. En d’autres termes, le double, c’est le pli du dehors. Qu’est-ce que le dehors ? C’est la ligne océanique, je disais. Qu’est-ce que le dedans comme subjectivité ? C’est la barque, l’embarcation. Quel rapport y a-t-il ? La barque n’est que le pli. La barque n’est qu’un plissement de la mer. La barque n’est que le pli des flots. A l’intérieur de l’extérieur, disait Histoire de la folie... A l’intérieur de l’extérieur, c’est-à-dire l’intérieur est toujours intérieur de l’extérieur. Le dedans c’est toujours le dedans du dehors. Le dedans c’est le double. Alors, je termine ces... je... je vous dis bien : c’est tellement, c’est très très difficile, tout ça, mais pas au sens où... parce que, d’une certaine manière, ça fait appel à une compréhension non logique. La compréhension logique, si vous voulez, elle opère toujours dans les coordonnées qui, elles, ne sont pas de nature logique, sont d’une autre nature. Les concepts, ils viennent toujours d’ailleurs. Alors nous avons pu, pendant longtemps - et je voudrais juste montrer que c’était pas du tout contradictoire - pendant longtemps nous avons pu faire comme si c’était vrai, par exemple : le dépli, le pli étaient des choses différentes. Et, en effet, on l’a vu, mais c’était à quel niveau ? Rappelez-vous, c’était au niveau des formes. C’était au niveau des formes. C’était au niveau des formes du savoir.

Maintenant, où nous sommes dans le domaine de l’informel, cette fameuse ligne du dehors, c’est fini, le pli et le dépli ne sont absolument plus deux choses différentes, au point que toute pensée est le mouvement par lequel le dépli se plie et se révèle, se manifeste dans le pli. D’où, déjà à la fin des Mots et des choses, vous trouvez perpétuellement les mots « pli » et « dépli », qui ne jouent plus du tout comme des opposés. Et, du coup, à ce niveau, je pourrais très bien dire : mais de toute manière et dans toutes les formations, à toutes les époques, penser a toujours signifié plier, simplement le pli passait à des endroits différents, s’articulait de manières différentes. Tantôt le dehors se pliait comme sur une ligne proprement infinie. C’était l’infini qui constituait le pli du dehors. La pensée se pliait d’après le pli de l’infini. Tantôt, au contraire, la pensée se constituait sur ou dans les replis de la finitude, le triple pli de la finitude, la vie, le travail, le langage qui constituaient les doubles, les trois doubles de l’homme. Si bien que, à ce niveau, je ne dirai plus, comme je disais avant : ou bien vous avez la pensée du XVIIème siècle qui procède en dépliant les choses et les mots, ou bien, au contraire, la pensée du XIXème qui plie sur la finitude. Je dirai : de toute manière, à ce niveau informel, il y a dans toutes les aventures du dehors, il y a la ligne du dehors qui se plie et, ce qui est plié, c’est précisément le dépli. En d’autres termes il n’y aura plus une opposition ni des plis, mais il y aura simplement des modes de plissement différents. Et des modes de plissement différents ce sera quoi ? Ce sera des modes de subjectivation. La subjectivation n’est pas unique. Vous voyez que, là, si l’histoire reprend quelque chose, ce sera au niveau de : comment la ligne du dehors se plie-t-elle ? Elle se plie pour constituer, encore une fois, si je résume le tout, la ligne du dehors se plie pour constituer un dedans plus profond que tout monde intérieur. En se pliant, elle constitue l’impensé dans la pensée. En se pliant, elle produit la subjectivité. Et elle produit la subjectivité comme un double, double du dehors, puisqu’elle est le pli du dehors. Bien.

Mais, le pli ne passe pas au même endroit de la ligne du dehors. Des modes de subjectivation, il n’y a aucune raison de penser que la subjectivation chez les grecs, c’est-à-dire le plissement de la ligne se fait de la même manière que chez les chrétiens, ou que en Orient, ou que, si il y en a en [ ?], des modes de subjectivation. Alors peut-être vous sentez que les modes de subjectivation, c’est ça que Foucault découvre dans les deux derniers livres connus, dans L’usage des plaisirs et dans Le souci de soi. Donc j’ai : le dehors, ce que j’aurais voulu maintenant expliquer, pour le moment, c’est l’enchaînement des trois notions... mais c’est une espèce d’enchaînement pour une fois lyrique, l’espèce d’enchaînement dit poétique des trois notions : le dehors, le pli, le double. Le dehors, le pli, le double. Alors, bon, essayons. Essayons de le rendre non moins poétique, mais plus... euh... mais plus parlant, plus compréhensible, même si ça doit être du pur comique, hein. Va expliquer ça : le dehors... Et revenons, alors, puisque la question vient d’être posée, revenons au problème de l’énoncé chez Foucault. Ça pourrait rendre un peu concret tout cela. Je vais, là, je vais assez vite, mais d’après vos questions, je pourrai... Nous prenons deux phrases, [ ?] allez comprendre et... enfin. Prenons deux phrases, une phrase 1, je recommence, le même exemple : les bandes du vieux billard. Les bandes du vieux billard. Phrase 2 : les bandes du vieux pillard. La phrase 1, je me la donne, mais je ne la retiens pas. Je l’appelle phrase du dehors, comme ça, celle dont je parle, je l’appelle phrase du dehors. Qu’est-ce qui se passe de la première phrase à la seconde phrase ? Les bandes du vieux billard, les bandes du vieux pillard. Ce que je peux mettre en évidence c’est l’existence d’un accroc. Qu’est-ce que j’appelle « accroc » ? Ce que j’appelle « accroc », c’est ce petit trou qui peut être rempli soit par B soit par P. Dans un cas ça donnera « billard », dans l’autre cas ça donnera « pillard ». Je peux plier la phrase 1 sur la phrase 2. Si je plie la phrase 1 sur la phrase 2, il faudra que j’invente une histoire qui, à partir de la phrase 2 me redonnera la phrase 1. Vous voyez : un billard a des bandes, hein. Un pillard, dans un tout autre sens, a des bandes. Donc je plie la phrase 1 sur la phrase 2 de telle manière que la phrase 2 doit me redonner la phrase 1. Bien.

Troisième remarque et dernière remarque, parce que... je peux compléter, je peux compléter le procédé qui est encore rudimentaire. Vous voyez, je dis, premier stade du procédé : je plie la phrase 1 sur la phrase 2 à la faveur de l’accroc. Puis je raffine le procédé, c’est-à-dire que, pour chaque terme, je vais..., chacun des deux termes de l’énoncé je vais le prolonger dans des termes qui, indépendamment de tout accroc, sont susceptibles d’avoir deux sens. Par exemple « queue ». Queue renvoie en effet à billard, au sens de queue de billard. Queue renvoie à pillard si le pillard, à l’occasion d’un de ses pillages, s’est emparé d’une robe à traîne. Vous voyez que ça devient bizarre. C’est la vie. Le pillard s’est emparé d’une robe à traîne et a mis la robe à traîne, robe à traîne qui forme une longue queue. Bon. Bande aussi était un mot de ce type. Les bandes du billard et puis les bandes, au sens de troupes, du pillard. Et je peux aussi associer d’autres mots comme pour queue. Et même, parfois, en me... en me dissociant, en m’éloignant des deux énoncés, palmier. Palmier. Le palmier peut être un arbre qui pousse dans l’île du vieux pillard, mais le palmier peut être aussi un gâteau que je mange tout en jouant au billard. Je peux aller à l’infini. Ça c’est quoi ? Ça c’est l’émission des doubles. Et mon procédé - que je schématise extrêmement - mon procédé passe par : pliure d’un énoncé sur l’autre à la faveur d’un accroc, deuxièmement : émission et prolifération des doubles. Ceux qui savent n’ont pas de peine à reconnaître le procédé, le procédé célèbre du poète Raymond Roussel. Pliure et émanation de doubles.

Or que Foucault ait écrit un livre sur Raymond Roussel, sur la technique propre utilisée par Raymond Roussel, je vous ai déjà dit, je vous le rappelle, nous avons un document, c’est pour ça que mon commentaire ne l’a pas repris, je vous laisse le soin de le découvrir, mon commentaire a dégagé des caractères assez différents de ceux dont euh... que... ceux sous lesquels Roussel présente sa méthode. Le procédé, ce que Roussel appelle « son procédé », vous le trouverez dans le livre de Raymond Roussel, Comment j’ai écrit certains de mes livres, et, là-dessus, vous pourrez lire du Roussel, c’est très beau. Et je vous avais parlé, mais là il faut absolument le reprendre, je vous avais parlé d’un texte de Roussel intitulé Chiquenaude. L’histoire des bandes du vieux billard ou pillard, c’est dans un livre de Roussel intitulé Impressions d’Afrique, euh... Dans Chiquenaude, nous nous trouvons devant deux euh... deux énoncés, deux énoncés très différents en apparence, hein, euh... où est- ce que c’est, je sais plus... « Les vers... » Ouais... je me souviens plus très bien, vous verrez vous-mêmes ou bien... « Les vers de la doublure dans la pièce... » « Les vers de la doublure dans la pièce Forban talon rouge ». Supposez une pièce qui s’appelle Forban talon rouge, c’est-à- dire le forban au talon rouge. « Les vers de la doublure dans la pièce Forban talon rouge », c’est quoi ? En gros, c’est la pièce Forban talon rouge n’est déjà pas jouée pour la première fois qu’elle est déjà répétée. Non seulement elle est répétée, mais il y a une doublure : l’acteur principal est malade et [ ?] une doublure qui tient sa place. Dans cette hypothèse je dirais : les vers prononcé par la doublure, les vers de la doublure - puisque c’est une pièce en vers - les vers de la doublure dans la pièce Forban talon rouge. C’est la proposition, c’est l’énoncé 1.

Enoncé 2 : Les vers de la doublure dans la pièce du fort pantalon rouge. Vous me direz que c’est bête tout ça, mais... il s’agit de savoir si on parle autrement, peut-être qu’on parle toujours comme ça. Euh. Bon. Les vers de la doublure dans la pièce du fort pantalon rouge, c’est que le personnage de la pièce qui avait un pantalon rouge a été euh... a été pris à parti par une fée. Et ce pantalon rouge le protégeait contre tous les coups. Contre tous les coups d’épée. Mais la fée maligne qui veut détruire cette invulnérabilité a habilement cousu une pièce dans le pantalon rouge, pièce fragile et qui, elle, ne garantit aucune invulnérabilité, pourquoi ? Parce qu’elle est rongée par les vers. Vous voyez. Là c’est très typique, je plie la première phrase (Les vers de la doublure dans la pièce Forban talon rouge) sur la seconde (Les pièces de la doublure...). La doublure cette fois-ci ne désigne plus l’acteur qui remplace l’acteur principal, elle désigne la pièce de tissu par laquelle on corrige l’accroc. « Pièce de la doublure... » Euh, non, « les vers de la doublure dans la pièce du fort pantalon rouge ». A condition que la phrase 2 me redonne sous forme de double et de doublure, me redonne la phrase 1. Ce qui fait dire à Foucault, dans un très beau commentaire de Roussel, c’est... euh... où est-ce que c’est ce très beau commentaire ? Voilà comment il résume Chiquenaude, j’ai donné, moi, un résumé si confus qu’il vous ait paru, je l’ai donné très clair pour que... j’ai éliminé toutes sortes de données.

Voilà comment Foucault résume page 37 de son Raymond Roussel : « ce soir-là on donne une pièce de boulevard, mais ce n’est déjà plus la première, c’est la reproduction d’une reproduction. Le spectateur qui va la raconter a composé un poème qu’un des personnages doit à plusieurs reprises réciter sur la scène. Mais l’acteur célèbre qui tenait le rôle est tombé malade, une doublure le remplace. La pièce commence donc par les vers de la doublure dans la pièce Forban talon rouge. Ce Méphisto deux fois imité entre en scène et récite le poème en question, fière balade où il se vante d’être protégé de tous les coups par un vêtement écarlate et merveilleux qu’aucune épée au monde ne peut entamer. Epris d’une belle, il se substitue un soir, nouvelle doublure - à son amant, voleur de grand chemin et [ ?] incorrigible. La fée protectrice du bandit, son double malin, surprend le jeu du diable dans le reflet d’un miroir magique qui démasque le double en le répétant.... » C’est tout un système de dédoublement à chaque instant. « Elle s’empare du vêtement enchanté et elle y coud en doublure une pièce de même couleur, mais rongée par les mites, une doublure avec accroc. Quand le bandit, revenu provoque le diable en duel, confrontation avec son double joué par une doublure... euh...n’a pas de mal à traverser de sa rapière l’étoffe autrefois invulnérable et dédoublée maintenant et séparée de son pouvoir par la doublure, plus exactement par les vers de la doublure dans la pièce du fort pantalon rouge. Je replie 1 sur 2. [ ?] doubles par lesquels je rejoins 1. Bon, vous avez tout ce moment : la phrase du dehors, le pli de la phrase du dehors, l’essaimage. Bien.

Je veux dire et je voudrais, là, renforcer, toujours, mon hypothèse : les rapports de Foucault avec Heidegger sont très complexes. Mais, encore une fois, pourquoi est-ce qu’il attache tellement d’importance à Roussel ? A Raymond Roussel ? C’est qu’il y trouve quelque chose comme sa propre voie à lui, Foucault. Il y trouve sa manière de réinterpréter Heidegger à travers l’auteur le plus inattendu. C’est très curieux. C’est une démarche, en effet, où... elle me fait penser à quelque chose. Si vous voulez... parce que, là, j’ai l’impression, j’ai le sentiment que je peux mieux comprendre Foucault. Moi, il m’est arrivé une aventure presque semblable. il m’est arrivé une aventure, c’est que, quand j’ai lu Heidegger, la première fois où j’ai lu Heidegger, je me suis dit quelque chose, je me suis dit... J’ai l’impression d’avoir une révélation parce que je me suis dit : mais, c’est très curieux, ça me fait penser..., ça me fait penser à quelque chose.

Et en cherchant bien, ben oui, évidemment, mais mot à mot, ça me fait penser à Alfred Jarry. C’est Ubu, quoi, c’est Ubu ! Et je disais ça avec une admiration et un respect infinis puisque Jarry m’apparaît un très grand auteur. Et quand je voulais dire « c’est vrai à la lettre », je veux dire quelque chose de très précis, à savoir que Jarry a écrit un livre - je voudrais que vous le lisiez, parce qu’on reviendra là-dessus, c’est pour ça que je le dis dès maintenant, je voudrais que certains d’entre vous le lisent ou le relisent, c’est Les geste et opinions du Docteur Faustroll, où Jarry présente une discipline bizarre qu’il appelle la pataphysique. Et ce mot a fait fortune et la pataphysique de Jarry est passée dans... dans ces, ces, ces choses dont on sait pas très bien que faire... Est-ce que c’est une plaisanterie euh... ? Est-ce que c’est un texte génial ? Est-ce que c’est tout à la fois ? Est-ce que c’est... Bon. Qu’est-ce que c’est que ce... euh... pareil texte ? Chez Heidegger on est sûr que c’est du sérieux. Euh... chez Jarry, il y a toujours doute. Je dirais la même chose pour Roussel, hein, il y a toujours doute, ce procédé, les vers de la doublure... bon, alors, est-ce qu’il faut rigoler ? Faut pas rigoler ? Faut... ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? On sait pas, on est gêné. Et Ubu, Ubu roi, faut rire ? Faut pas rire ? Faut... ? C’est bien, c’est... il n’y a pas de raison que la philosophie ne fasse pas des effets semblables. Il faut rire ? On ne sait pas. Et alors, la pataphysique, moi, ça m’intéressais rudement parce que je me disais : c’est une discipline admirable, la pataphysique. Comment Jarry la définit-il ? Il consacre un chapitre du Docteur Faustroll à la définition de la pataphysique et l’on y voit une chose admirable. Vous verrez vous-mêmes. Je cite à peu près par cœur, plus tard on reprendra le texte mot à mot. Il s’agit dans la pataphysique de constituer une discipline qui consiste à remonter au-delà de la métaphysique. La pataphysique est étymologiquement, nous dit Jarry... C’est très intéressant parce qu’il a raison : étymologiquement, elle est au-delà de la métaphysique, elle est à la métaphysique ce que la métaphysique est à la physique. Bien.

La remontée au-delà de la métaphysique était comme la... est comme... Comment dirai-je ? La leçon, la première leçon que l’on prend en lisant Heidegger. Alors ça paraît étonnant parce que... Et la dérivation pataphysique est d’un grec excellent, le Docteur Faustroll ne se trompe pas. La pataphysique est bien cette remontée au-delà de la métaphysique. Vous me direz : ça suffit pas, mais Faustroll demande : comment se fait cette remontée ? Et la réponse de Faustroll est très rigoureuse : elle se fait par un dévoilement de l’être du phénomène. Qu’est-ce que l’être du phénomène ? Eh ben voilà, c’est quand vous voyez une montre pas ronde. Généralement vous voyez une montre pas ronde parce que vous la voyez de face. Mais c’est l’art de l’exception, c’est la montre vue, peut-être, sous des angles insolites, mais qu’est-ce que c’est qu’un angle insolite ?

La révélation de l’être du phénomène, en tout cas, est à la base de la pataphysique. Bon. Je me dis : le dépassement de la métaphysique chez Heidegger est très précisément fondé sur, explicitement, le dévoilement de l’être du phénomène. Est-ce qu’on peut pousser, là, un parallèle encore plus loin ? On verra parce que je voudrais reprendre ce texte. Là je dis juste : ça me plaît bien que Foucault, lui, ait fait une espèce de rencontre... Il avait lu, évidemment, Heidegger, et il se dit : d’une certaine manière, c’est Roussel qui va me servir. Pourquoi ? Pourquoi il éprouve ce besoin de faire un détour par Roussel - C’est compliqué - pour peut-être mieux distinguer sa propre pensée de celle de Heidegger ?

Moi je dis : ben, euh... si j’avais un détour à faire, je le ferais par Jarry, bon, c’est pas la même chose, mais, enfin, ça se ressemble comme démarche, hein. C’est par Jarry que... euh... que je ferais une espèce de... S’il s’agissait de prendre Heidegger de revers. Mais faut-il le prendre de revers ? Après tout pourquoi ? Pourquoi avoir une pareille intention ? Mais, enfin, c’est pour dire : je constate le fait brut que toute cette histoire de double, de doublure chez Foucault est inspirée de Roussel pas du tout littérairement parce que je suis persuadé que Foucault, pour son compte, vivait énormément le problème du double, le problème des doubles. Mais ce qui m’intéresse, c’est que, précisément, il prenne la voie par Roussel, pourquoi ? Parce qu’elle va lui permettre sûrement d’infléchir les thèmes heideggériens dans un sens original. C’est en passant par Roussel qu’il va pouvoir infléchir les thèmes de Heidegger dans un sens qui lui est propre à lui. C’est exactement ça l’hypothèse que je fais sur l’importance de ce livre, Raymond Roussel. Et alors j’en reviens à ceci, en effet, comme dernière confirmation. Dans tous les exemples que j’ai donnés jusqu’à maintenant, c’était : un énoncé en reproduit un autre, un énoncé se plie sur un autre et l’autre énoncé est comme le double du premier.

Vous voyez, je retrouvais mes thèmes du dehors, du pli et du double. Mais est-ce que c’est toujours comme ça ? Je saute à Archéologie du savoir et c’est des pages qu’on a vues, donc je peux aller assez vite. Dans Archéologie du savoir, Foucault nous dit exactement : il arrive très souvent qu’un énoncé en répète un autre. Et c’est évident que, là, il y a un clin d’œil et qu’il nous renvoie, sans le dire, à Raymond Roussel. Il est très fréquent qu’un énoncé en répète un autre et il pose la question : mais qu’est-ce qui se passe quand un énoncé n’en répète pas un autre ? Qu’est-ce qui se passe ? Eh ben quand il n’en répète pas un autre, il répète autre chose. Il répète autre chose qu’un énoncé. Mais pourquoi le mot répétition ? Vous vous rappelez ce qu’on avait vu, un énoncé suppose une émission de singularités. Je reviens pas là-dessus parce que c’est des acquis du premier et du second semestres. Un énoncé suppose des émissions de singularités. Par exemple, mettons, pour en rester à des choses très simples, des phonèmes - un phonème étant assimilable à une singularité. L’énoncé ne se confond pas avec la simple émission de singularités. L’énoncé est comme analogue à une courbe, au tracé d’une courbe qui passe au voisinage des singularités. Et, en effet, un énoncé ne se confond pas avec les phonèmes qu’il actualise. Donc, lui-même, il se confond avec la courbe qui passe au voisinage.

Je dirais donc qu’un énoncé répète autre chose. Qu’est-ce que c’est cet « autre chose » ? Foucault nous dit : autre chose, page 117, autre chose qui peut lui être étrangement semblable et quasi- identique. Semblable et quasi-identique, pourquoi ? Vous vous rappelez, en effet, que les singularités qui s’actualisent dans l’énoncé s’actualisent progressivement dans l’énoncé au point que, à la lettre, l’opération d’intégration, la façon dont l’énoncé intègre ces singularités est, à la lettre, une opération insensible. Quand l’énoncé ne reproduit pas, ne répète pas un autre énoncé, il répète quand même. Qu’est-ce qu’il répète ? Il répète autre chose, il répète les singularités qu’il actualise. Il répète les singularités qu’il intègre. Ce qui est premier c’est l’autre chose, on retrouve toujours le même thème : l’autre ou le dehors. Le pli de l’autre et du... ou du dehors est et le produit, d’après le pli d’un double. L’énoncé, c’est le double des singularités dont il établit la courbe.

Si bien que tout ce qu’on a vu, là, aux premier et second semestres, sur ce rapport complexe par exemple entre les lettres sur le clavier de la machine et l’énoncé qui consiste à dire « azert est la suite des lettres, A Z E R T est la suite des lettres sur les machines françaises », tout ce rapport permettrait de reprendre le dehors, le plis du dehors et la production de doubles. Sous cette forme, là, où je recommence mon point de départ, ça va être à vous de dire si ça... si tout ça vous dit quelque chose, heureusement on touche au but, c’est-à-dire maintenant ça va devenir plus simple, plus clair... A la fois le dehors - première proposition - je retiens plus que le dehors. Deuxième proposition : se plie.

Troisième proposition : en se pliant, produit le double. Alors qu’est-ce que ça veut dire ? Voilà ma question. Vous vous rappelez, on découvrait la ligne du dehors, on découvrait la ligne du dehors ; je reviens alors à mon point de départ, sur le troisième axe de Foucault, on découvrait la ligne du dehors, et l’on disait : oui, elle est au-delà des formes d’extériorité, c’est-à-dire du savoir et même au-delà des rapports de forces, c’est-à-dire du pouvoir. Et, on buttait sur la question : qu’est-ce qui nous dit que ce n’est pas simplement la mort, le vide et l’irrespirable, Le « on meurt » de Blanchot ? Comment et à quelles condition la ligne du dehors pourrait devenir une ligne de vie qui ne tombe pas dans le vide, qui ne tombe pas dans l’irrespirable, qui ne tombe pas dans la mort ? C’est exactement ça, c’était ça le problème du troisième axe. Comment la ligne du dehors peut-elle... ouais... ne pas être livrée à la mort ? Comment, au-delà du pouvoir et du savoir, y aurait-il autre chose que la mort ? Et l’on a vu comment Foucault reconnaissait cette espèce d’impasse de sa pensée après La volonté de savoir.

Maintenant on a un début de réponse, une hypothèse. S’il arrive à la ligne du dehors de se plier - et là vous sentez que, grâce à Roussel, peut-être, Foucault peut se servir d’une notion heideggérienne, celle du pli, mais dans un tout autre contexte et de tout autre manière - s’il arrive à la ligne du dehors de se plier, alors peut-être va-t-elle former une subjectivité, peut-être va-t-il se faire une subjectivation capable d’échapper à la mort - pour longtemps, par pour longtemps, ça c’est autre chose - et par rapport à laquelle la ligne du dehors sera une ligne de vie. Il suffit que la ligne du dehors se plie. Mais qu’est-ce que ça veut dire et pourquoi et comment est-ce qu’elle se plierait ? Alors on l’a vu, mais on l’a vu dans des exercices comiques et linguistiques, les exercices comiques linguistiques de Raymond Roussel, par exemple ; il nous faut quelque chose de plus. Et, encore une fois, c’est ça que je voulais dire, c’est à ça que je reviens, c’est parce que, à ce niveau, le problème est le plus brûlant pour Foucault que Foucault éprouve le besoin, à la lettre, de le refroidir. C’est parce que c’est un problème de vie et de mort : ou bien je resterai éternellement du côté du pouvoir, ou bien je franchirai la ligne - vous vous rappelez, c’était ce grand texte tiré de l’article « La vie des hommes infâmes » - ou bien je resterai du côté du pouvoir, ou bien je trouverai le moyen de franchir la ligne.

Oui, mais qu’est-ce que c’est que cette ligne sinon la ligne de mort ? Qu’est-ce qu’il y a d’autre que le vide de l’autre côté de la ligne qu’est-ce qu’il y a d’autre que le vide et l’irrespirable ? Bien. Réponse de Foucault sur un mode, alors, indéterminé, est-ce que Foucault plaisante ? Est-ce que Foucault fait de la philosophie ou bien est-ce qu’il lance une plaisanterie ? Il suffit de plier la ligne du dehors comme Raymond Roussel l’a fait. Et vous vous rappelez que nous sommes à un niveau où le pli et le dépli ne s’opposent plus. De toute manière le dedans c’est toujours le dedans du dehors. Mais ça empêche pas que, lorsque la ligne du dehors se plie, je peux avoir deux attitudes, l’intérieur c’est toujours l’intérieur de l’extérieur, mais je peux avoir deux attitudes dans le pli, la vie dans les plis, encore une fois titre d’un recueil de poèmes merveilleux de Michaux, La vie dans les plis. Vivre c’est vivre dans les plis. Là aussi on verra ce que ça veut dire, on sait pas encore ce que ça veut dire, mais il y a deux manières : je vis dans les plis en les écartant, ou bien je vis dans les plis en m’organisant en eux, en me couvrant d’eux. Si je les écarte je défais le pli de la ligne. Au contraire, si je m’entoure d’eux, sans doute, je ne cesse de faire et refaire des plis. Et voilà que Foucault nous dit, dans une page très curieuse de Raymond Roussel, je la lis, parce que je crois qu’il y a rien d’autre à...pour que vous sentiez à quel point le problème est très significatif chez...

Foucault rappelle qu’un des auteurs contemporains qui euh... a été le plus frappé par Raymond Roussel et dont l’œuvre, en grande partie, dérive de Roussel, bien qu’elle ait toute son originalité, c’est Michel Leiris. Michel Leiris qui a aussi une œuvre de... d’ethnologue, de poète, de philosophe enfin qui fait partie des, des auteurs étranges de... de cette génération. Et Leiris, en effet, s’est lancé dans ce qui en apparence est le même type de jeu de mots que ceux de Roussel. Deux sont particulièrement célèbres puisqu’ils apparaissent dans des titres de Leiris, c’est glossaire, j’y serre mes gloses...

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