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- 22/04/1986 - 4

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Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 20 - 22/04/1986 - 4(4) Sur Foucault Le pouvoir année universitaire 1985 1986 12 Cours du 22 avril 1986 Gilles Deleuze aut participant RequestDigita 001* 11 :51

Une question dans l’assistance : inaudible

Deleuze : C’est une très bonne question. Je réponds...

Question : ?

Deleuze : pourquoi ne pas franchir la mort directement ? Parce qu’on y reste (rires). Parce qu’on y reste. Euh, c’est possible, je suppose que ça arrive souvent, euh... Blanchot ne cesse de dire que tout ça est très dangereux, que l’on y perd, par exemple, la raison ou qu’on y perd la vie. La question est celle-ci... Ta question est très bonne. J’essaie de refixer uniquement le point où on en est... On verra tout à l’heure, on n’en restera pas là, mais pour le moment, je dis, au niveau de pures formules, je dis : nous avons donc l’idée d’un dehors, encore une fois, je recommence, plus lointain que toute forme d’extériorité et que tout monde extérieur. Ça, c’est un point. Deuxième point : nous avons l’idée d’un dedans plus proche que tout monde intérieur ou tout milieu d’intériorité. Troisième point : ce dedans ainsi caractérisé, c’est le dedans du dehors, il ne s’oppose pas au dehors, c’est le dedans du dehors, ou, comme dit Foucault, l’intérieur de l’extérieur. Voilà. Là-dessus tu enchaînes : c’est donc un dedans très spécial qui ne se ramène à aucune intériorité de conscience. C’est un dehors très spécial qui ne se ramène à aucune extériorité physique. Bien. Là-dessus tu enchaînes et tu dis,

En d’autres termes... oui, je continue mes formules, l’enchaînement de mes formules : donc ce dedans qui est le dedans du dehors, nous l’appelons le pli du dehors, le plissement du dehors, il faut que le dehors fasse un pli. Et cette opération par laquelle le dehors se plie, par laquelle la ligne du Dehors se ploie, est constitutive d’un dedans, dedans plus proche etc. etc. Là-dessus tu interviens et tu dis : quelle nécessité que la ligne du Dehors fasse un pli ? Là, je dis : la question est très bonne, pourquoi ? Eh bien, la nécessité, moi je la vois, mais on pourrait ne pas la voir. Je veux dire on pourrait, avec autant de raison, ne pas la voir. Moi je dis : il faut à tout prix que la ligne du Dehors fasse un pli car, sinon, elle est invivable. Elle est invivable. C’est la ligne du « on meurt », elle ne peut s’arracher à la mort... la ligne du Dehors ne peut bifurquer d’avec la mort que si elle fait un pli. Et c’est dans ce pli que nous pouvons vivre, respirer et nous mouvoir. Car, sinon, aux endroits où la ligne du Dehors ne fait pas de pli - elle fait pas des plis partout - aux endroits où elle ne fait pas de pli, la ligne du Dehors nous livre à l’irrespirable, au vide, à la mort. Qu’est-ce qu’il y a, à ce moment-là, au-delà des rapports de pouvoir ? Il y a bien quelque chose, c’est cette ligne du « on meurt », là où on ne respire plus, on ne vit plus et ne bouge plus. Euh... Tu as d’autant plus raison que vous devez pressentir que Foucault va, au niveau de ce troisième axe, appliquer toujours sa méthode renouvelée, à savoir : c’est pas nécessaire que la ligne du dehors fasse un pli.

On peut vivre que là - pour employer une métaphore exécrable - le pli c’est comme l’œil du cyclone. Heureusement la métaphore exécrable n’est pas de moi, mais elle est pour... euh... un très grand poète qui est Michaux... euh... donc je retire « exécrable », dans le texte de Michaux elle est très belle. Michaux a écrit un recueil et c’est très curieux que Foucault, qui sûrement connaissait Michaux, ne le cite pas, euh... il a écrit un grand recueil : La vie dans les plis, un grand recueil de poèmes. Il explique que c’est dans le pli qu’on peut vivre et respirer. Alors : il y a pas de nécessité, mais tu respireras pas si elle fait pas un pli. C’est une prudence, si tu ne ploies pas la ligne du Dehors - et c’est pas facile de la ployer, c’est tout un art de la prudence qui engage précisément... elle se fait pas forcément, car, bien plus..., j’avance sur les choses que je compte développer que plus tard... Foucault va... Quand je dis « il applique sa méthode », il se demande très bien : mais qui est-ce qui a inventé de faire un pli ? Plutôt que affronter l’irrespirable, c’est-à-dire affronter le « on meurt », affronter le vide ? Et sa réponse étonnante, mais que, actuellement, sauf ceux qui ont déjà lu tout ça, peuvent pas comprendre, je dis : la réponse de Foucault ce sera : c’est l’idée des grecs, c’est les grecs qui ont plié, c’est les grecs qui ont fait le pli. C’est curieux, ça.

C’est les grecs qui ont fait le pli, vous devez sentir à la fois perpétuellement à la fois, sur ce point, la confrontation avec Heidegger, jamais Heidegger euh... dirait ça, jamais, euh... c’est très très, c’est très bizarre, cette histoire. Mais c’est dire que, pour Foucault... alors là je reprends. Jamais il a voulu parler des formations d’orient précisément parce que... parce qu’il s’estimait pas compétent, mais, moi non plus je suis pas plus compétent, donc allons-y gaiement ! C’est... on pourrait dire : est-ce que... est-ce que en Orient, ils ont fait le pli ? Ou bien, est-ce qu’ils ont inventé des techniques de l’irrespirable, respirer dans l’irrespirable ? Survivre dans le vide. Bon. Ils ont pas plié la ligne du Dehors, ils ont affronté la ligne du Dehors. Bon. Bien, supposons. Peut-être qu’on pourrait nous dire : ah, si, ils ont fait le pli ! Il y a un pli oriental, qui est peut-être pas le même que le pli grec... euh... tout ça c’est des questions ouvertes, tout à fait ouvertes. Euh... mais la réponse à ta question, pour le moment, si on la tient comme ça, c’est... à mon avis, moi je répondrais : s’il faut que la ligne du Dehors fasse un pli, c’est pas qu’elle soit..., qu’elle le fasse nécessairement, c’est que, si on n’arrive pas à la ployer, on meurt. On meurt, vraiment, au sens de... au sens le plus strict. Blanchot... la notion de pli étant quand même assez étrangère à Blanchot, euh... Blanchot, qu’est-ce qui se passe ? Eh ben, je crois que, en effet, on vit dans l’irrespirable et... d’où la fascination de Blanchot pour la folie de Hölderlin, pour Artaud etc... Et encore, Artaud, lui, il a fait le pli, d’une certaine manière. Il a pas réussi son pli, mais il avait plié, il a pu souffler à la lettre. Tu peux pas souffler, si tu fais pas le pli. La vie dans les plis. Ou bien je pense à une œuvre de Boulez, pli sur pli. Il faudrait faire un recueil de tout ce thème du pli, parce que c’est des gens qui sont pas influencés par Heidegger évidemment. Je crois que c’est une... c’est absolument nécessaire sinon on vit pas. C’est la condition pour que la vie rompe avec la mort.

Alors... un peu de repos. Un peu de repos. Alors il y a tous ceux qui, en effet... Qu’est-ce qui se passe, s’il y a pas le pli ? C’est le capitaine Achab... j’essaierai d’en parler plus tard parce qu’il y a mille confrontations qui restent à faire, même avec des auteurs que Foucault n’a pas cité ou n’a jamais cité. Lui, il a la ligne du Dehors que Melville, dans le grand roman Moby Dick, présente comme la ligne du Dehors, la terrible ligne du Dehors, ben le capitaine Achab l’affronte, il passe de l’autre côté, on meurt. La ligne du Dehors, c’est aussi bien la baleine, c’est Moby Dick. Bon. Eh ben, on meurt, il a pas fait le pli, l’embarcation est brisée, ou bien il y a bien une embarcation qui est le dedans du dehors, elle est brisée.

(5) Sur Foucault Le pouvoir année universitaire 1985 1986 12 Cours du 22 avril 1986 Gilles Deleuze aut participant RequestDigita 31 :23

Boulez ne donne pas n’importe quel titre à... à... à une œuvre musicale. Pli sur pli, qu’est-ce que c’est ? Est-ce que c’est pas aussi pour que survive la musique et dans [ ?] conditions... euh... Bien. Euh... Je veux dire, oui, on me signalait qu’un grand texte irait tout à fait dans ce sens, en plus, pas seulement Moby Dick, mais le texte d’Edgar Poe. Euh. Les Aventure d’Arthur Gordon Pym. Où on me dit... moi, le texte..., il y a trop longtemps que j’ai pas lu ce texte, je sais pas si j’aurai le temps d’ici mardi prochain, mais il faudrait que ceux qui auront le temps d’ici relisent ce texte. On me dit que c’est très typique, que, chaque fois, la démarche est l’affrontement d’un dehors et, ce dehors qui se plie et que, chaque fois, il y a un dedans du dehors et que chaque fois le dedans où s’abrite Pym est le dedans d’un dehors. Alors, à tous les niveaux. Il est question aussi des fleuves, de la barque, de la mer etc. Euh... Je crois que ça ne peut se comprendre que océanographiquement.

Mais, ta question, elle est presque euh... on avance et... on verra au fur et à mesure, mais je crois qu’elle est parfaitement fondée. Encore une fois je dirais à la lettre qu’il n’y a pas de nécessité du pli. Si tu veux survivre, vaut mieux le faire, sinon... Et sinon c’est, comme on dit, des zones trop dangereuses, des zones, à la lettre, des zones psychiques trop dangereuses, euh... Parce que ou bien on prend ça pour de la littérature, ou bien on y voit l’expérience d’Artaud, l’expérience Melville, l’expérience Hölderlin, ou même celle de Blanchot... euh... Blanchot il a bien dû faire le pli, puisqu’il vit et respire... les autres c’est moins évident. Artaud, la respiration d’Artaud, il a fallu qu’il invente une respiration pour... pour survivre. Bon. Alors euh... Mais gardons cette question ouverte, puisqu’il y a plein de questions ouvertes. Alors je voudrais juste, là, finir ou presque, parce que... pour que vous soyez pas trop... Je dis : cherchons à préciser ce rapport du dehors et du dedans dans des conditions où le dedans n’est que... est fondamentalement le dedans du dehors. Autour de ça... euh... paraît une constellation dont on est assez familier. Je veux dire qui... qu’on les ait lu ou pas, nous a formés un peu tous.

Et je cite d’abord Heidegger. Et je dis : si vous prenez, alors, autant prendre un texte précis, ce serait vrai pour toute l’œuvre de Heidegger, mais de quoi s’agit-il chez Heidegger ? Il s’agit d’abord de la proposition : penser vient du dehors. Penser vient toujours du dehors. Le texte auquel je me réfère, c’est : Qu’appelle-t-on penser ? Et c’est un texte splendide, dès le début, vous pouvez euh... lire les premières pages, les vingt premières pages du texte, vous y trouverez tout ce qu’il nous faut, là. Ça suffit pas de lire les vingt premières pages, mais vous y trouverez tout ce dont on a besoin. Penser vient du dehors, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, bien sûr, nous avons la possibilité intérieure de penser. Et, presque, Heidegger dirait : la philosophie classique s’est toujours appuyée sur ceci que nous avons la possibilité intérieure de penser. Mais invoquer la possibilité intérieure que l’être pensant a de penser, ça n’est rien dire sur ce qui lui donne à penser. Et nous ne pensons que si quelque chose nous donne à penser. Nous qui avons la possibilité intérieure de penser, nous ne pensons que si quelque chose nous donne à penser. Vous voyez l’appel au dehors, ce quelque chose ne peut venir que du dehors. Il faudra pas forcer beaucoup pour dire : et d’un dehors plus loin, plus lointain que tout monde extérieur. Pourquoi ? Parce que ce qui donne à penser, ce n’est pas quelque chose qui appartient à un monde extérieur quelconque.

Pour ceux qui connaissent un peu Heidegger, ce n’est rien qui soit du domaine de l’étant. Ce qui donne à penser, c’est l’être de l’étant, c’est-à-dire le Dehors. Un Dehors plus lointain que tout monde extérieur. Sinon nous avons la possibilité de penser, mais cette possibilité reste éternellement vide. Ce que Heidegger traduit en disant : oui, nous avons la possibilité de penser, celle même qu’invoquaient les philosophes classiques, celle même qu’invoquait le XVIIème siècle, mais, que nous en ayons la possibilité ne signifie pas que nous en soyons capables. Capacité c’est autre chose que possibilité. Le texte est splendide : « l’homme peut penser... », « l’homme peut penser en ce sens qu’il en a la possibilité, mais cette possibilité ne nous garantit encore pas que la chose est en notre pouvoir ». Je me rappelle une autre traduction que je préfère, mais qui change rien au texte : « cette possibilité ne nous garantit encore pas que nous en soyons capables ». Bon « sommes pas capables », ça veut dire quoi ? Bon, nous sommes capables si nous affrontons... Nous devenons capables de penser si nous affrontons cela qui donne à penser et qui est plus lointain que tout monde extérieur. Mais ce qui nous donne à penser, si nous le rencontrons et si nous l’affrontons, là aussi, est-ce que nous le rencontrons, est-ce que nous l’affrontons ? Célèbre est la réponse de Heidegger : ce fut fait une fois, c’est les grecs. C’est les grecs qui l’ont affronté ce dehors, c’est-à-dire qui ont découvert l’être comme distinct de l’étant. Bon.

Eh bien, si cela qui donne à penser est effectivement rencontré, alors nous devenons capables de penser, et de penser quoi ? Nous devenons capables de penser ceci que nous ne pensons pas encore. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que nous ne pensons pas encore en vertu de la simple possibilité de penser. Ce qui donne à penser nous donne à penser quoi ? Nous donne à penser que nous ne pensons pas encore en vertu de la simple possibilité que nous avons de penser. Si bien que le « nous ne pensons pas encore » est le dedans, c’est cela qu’il y a dans notre pensée. Que nous ne pensions pas encore est le dedans de notre pensée. Comme dedans du dehors, en tant que le dehors donne à penser. Pourquoi ? Parce que le dehors ne donne pas à penser sans se retirer par le même mouvement par lequel il se donne, thème fameux chez Heidegger, si bien que le dedans de ce dehors, c’est le « nous ne pensons pas encore », ce que Heidegger exprime dans une formule dont il a le secret : « ce qui donne le plus à penser dans notre temps qui donne à penser est que nous ne pensons pas encore », c’est le début splendide de Qu’appelle-t-on penser ? J’essaie de mettre l’accent... Je dirais que la pensée a cessé d’être en rapport avec du pensable. Je dis que la pensée est mise en rapport fondamentalement, mise dans un rapport essentiel avec quelque chose de non-pensable et de non-pensé. Nous ne pensons pas encore. Si vous préférez, à la possibilité classique de penser, qui est la possibilité logique, Heidegger substitue une impossibilité - là- dessus en deux mots - onto-logique.

Tout... toute la philosophie classique s’est fondée sur la possibilité logique de penser. Voyez Descartes. Heidegger se réclame d’une impossibilité onto- logique de penser. Et voici un auteur - je vais très vite - qui, à coup sûr, ne doit strictement rien à Heidegger. L’union avec Heidegger sera faite par Blanchot, c’est Artaud. Et, de même que je dis, sur la pensée, un des plus grands textes contemporains, du XXème siècle, est le Qu’appelle-t-on penser ? de Heidegger, un des plus grands textes c’est celui d’Artaud aussi : les lettres à Jacques Rivières. Et qu’est-ce que dit Artaud ? La pensée ne fait qu’un avec un impouvoir vital. Ce n’est plus une impossibilité onto-logique, c’est un impouvoir vital. « Il appartient à la pensée de ne pas pouvoir penser, c’est mon drame » dit Artaud. Mais qu’est-ce que ça veut dire, son drame ? Ça veut pas dire : son cas clinique, puisque Artaud ne se vit pas ainsi ; ça veut pas dire son problème psychologique, ça veut dire que son drame c’est d’avoir atteint quelque chose dans la pensée qui se dérobe à la pensée même. Il ne suffit pas d’avoir la possibilité de penser. Il faut encore avoir le pouvoir vital de penser. Je dis : s’il y avait comparaison différentielle - et la différence est fondamentale - ce que Heidegger, qui, à cet égard, se conduit encore comme un grand professeur de philosophie, présente comme l’impossibilité onto-logique, devient, conformément à Artaud, un impouvoir vital.

Mais, si je cherche ce qu’il y a de commun, c’est : l’impensé, c’est le dedans de la pensée. Et la pensée est fondamentalement en rapport non pas avec du pensable, mais avec de l’impensé. Et vous voyez en quoi c’est très loin de la philosophie classique. La philosophie classique n’ignorait pas qu’il y avait de l’impensé, mais, pour la philosophie classique, l’impensé par nature c’est ce qui a une autre nature que celle de la pensée. Par exemple le corps. Par exemple les passions. Ce qui se dérobe à la pensée. Là, au contraire, dans ces formes du XXème siècle, l’impensé est ce qui est profondément co-naturel à la pensée. C’est ce qui est de la même nature que la pensée, c’est ce lointain comme le plus proche. Au point qu’il y a identité stricte entre la pensée et cet impensé, elle est dans un rapport fondamental avec l’impensé. Et dans Les mots et les choses, vous trouvez ce thème complètement repris, au point que vous savez pas si, à première vue..., vous vous dites : c’est du Heidegger, suivant le... certaines expressions.... C’est du Blanchot, c’est du Artaud. C’est du Artaud quand Foucault met l’accent sur le problème vital de l’impensé. C’est du Heidegger quand il met l’accent sur le problème onto-logique de l’impensé. C’est du Blanchot il le met en rapport avec cette ligne du Dehors. Bien.

Mais, merveille ! C’est du Foucault. Et dire « c’est du Foucault », c’est dire quoi ? Que lui aussi met son accent particulier. Et c’est là cela que je veux arriver, c’est à quelque chose qui n’a aucun équivalent ni chez Heidegger, ni chez Blanchot, ni chez Artaud . C’est quoi ? C’est que, pour lui, le rapport du dehors et du dedans, le dedans étant toujours le dedans d’un dehors, c’est pas ça qui est original, mais, ce rapport chez lui, ou ce rapport entre la pensée et l’impensé..., vous comprenez : si la pensée ça revient à dire [ ?] (il chuchote, inaudible), si la pensée affronte ce dehors, ce Dehors plus lointain que tout monde, si la pensée affronte ce Dehors, alors, dès lors, ce qui est le plus proche de la pensée, ce qu’elle découvre comme son intérieur, c’est l’impensé. Mais, chez Foucault, ce n’est, il me semble, et, là, je crois que ça touche à quelque chose qui concerne toute l’œuvre de Foucault, ce n’est ni une impossibilité ontologique, comme chez Heidegger, ni un impouvoir vital, comme chez Artaud, mais l’apport propre de Foucault, il l’a pas choisi, là, on n’est pas dans le domaine de... de euh... de la théorie, c’est quelque chose qui engage la vie, ça, donc la pensée aussi, cette espèce d’impuissance hallucinatoire. C’est une impuissance hallucinatoire qui va être au cœur de cette identité de la pensée et de l’impensé.

Pourquoi ? Je veux dire, chez Foucault, que le dedans soit par nature le dedans du dehors signifie quoi ? Signifie une opération qui est celle des doubles. Le dedans, c’est le double du dehors. C’est ça, je dirais, l’accent singulier de Foucault. C’est avoir réinterprété un thème général qui est commun à lui, et lui venant en dernier, à lui, à Blanchot, à Artaud, à Heidegger, avec des différences d’un auteur à l’autre. La différence fondamentale, c’est je crois d’avoir interprété au... dans la direction du double hallucinatoire, le dedans comme étant le double du dehors. C’est curieux, ça, qu’est-ce que ça veut dire le dedans comme double du dehors ? Et c’est, par-là, l’impensé comme double de la pensée. Et toute la fin des Mots et des choses, bien que, souvent, il y ait des échos d’Artaud, bien qu’il y ait... c’est le thème du double. C’est le thème du double qui est propre à Foucault et qui lui permet de réinterpréter ce qu’il a de commun avec Artaud, ce qu’il a de commun avec euh... Or c’est là-dessus - je voudrais que vous y réfléchissiez d’ici la prochaine fois - parce que c’est là qu’il faudra... Autant dire que, lorsque la ligne du Dehors fait un pli, elle produit des doubles. Et comprenez, c’est pas l’autre qui est un double de moi. C’est moi qui suis un double de l’autre. C’est pas le dehors qui est une projection du dedans, c’est le dedans qui est une intériorisation du dehors, un pli du dehors. Le double c’est la pliure. Ce qui veut dire quoi ? Qu’est-ce que c’est le double comme pliure ? C’est ce qu’on appelle une doublure. Le dedans, c’est la doublure du dehors. Faire une doublure. Plier, c’est faire une doublure.

Du coup, si l’on voit que, peut-être Foucault redécouvre cela dans ses derniers livres, mais on se dit : mais bon dieu ! Il n’a jamais cessé de parler de ça en effet. Cette troisième dimension du pli conçu comme constitution du double et de la doublure. Plier, c’est faire une doublure. Pourquoi Foucault aimait-il Roussel ? Pourquoi est-ce que..., bien plus, j’ai une hypothèse, ma seule hypothèse c’est qu’il s’est toujours protégé de Heidegger par Roussel. C’est pour ça qu’il avait un rapport passionnel avec Roussel. Il a été cherché, n’est-ce pas, dans cet auteur insolite, ce poète que personne ne prenait au sérieux sauf un très petit nombre de gens, ce disciple de Jules Verne, il a été cherché de quoi... Ouais, de quoi se prémunir contre ce qui ne lui convenait dans l’ontologie de Heidegger. Alors, qu’est-ce qui ne lui convenait pas ? Ça, ça nous reste à... Mais, en effet, qu’est-ce que c’est toute l’œuvre de Roussel ? C’est, sans doute, une des plus profondes réflexions sur le double, les doubles, et une compréhension de l’engendrement des doubles à partir de l’opération de la doublure. Si bien que, que toute l’œuvre de Foucault, Raymond Roussel étant [ ?] premier livre de Foucault où l’on trouve tout le thème, déjà, du pli, du double et de la doublure, il faut dire, d’une certaine façon, c’est ça le double hallucinatoire, ou c’est, si vous préférez, l’état d’impuissance de l’halluciné.

L’impuissance hallucinatoire est... ça c’est quelque chose de très différent et de Artaud, et de Heidegger. Et ça, ça appartient fondamentalement à Foucault. C’est-à-dire la question à laquelle on en serait, la question euh... que je pose pour la prochaine fois, c’est exactement... c’est exactement : bien, on a vu le rapport très complexe entre le dedans et le dehors, de telle manière que le dedans soit toujours le pli du dehors, or il se trouve que cette opération par laquelle la ligne du Dehors se ploie, forme un pli, c’est l’opération du double ou de la doublure. Qu’est-ce que Foucault a trouvé à cet égard dans Roussel ? Et alors, est-ce que ça peut nous expliquer les derniers livres ? Je voudrais à la fois que vous ayez ce double souci. Ben oui, parce que, moi, j’ai le sentiment que les derniers livres nous présentent quelque chose d’étonnant. Encore une fois c’est... Si j’essayais de résumer L’usage des plaisirs, je dirais : ce que Foucault a découvert, c’est que les grecs étaient la première doublure. C’est que les grecs... C’est pour ça qu’il dit : oh, les grecs, c’est pas si fameux que ça. Euh... c’est pas ça, c’est... Il dirait... c’est une réponse complètement... Il faut jouer au jeu : qu’est-ce que Heidegger trouve de complètement formidable aux grecs ?

Qu’est-ce que Foucault trouve d’intéressant chez les grecs ? Eh ben, ce que Foucault trouve d’intéressant, c’est que ça a été les premiers à faire le pli, le pli du dehors, ils ont fait la doublure, c’est les prem... Eux-mêmes sont les premières doublures. Euh... donc il commence par Roussel, il finit par les grecs, mais peut-être que c’est parce que les grecs ont inauguré l’opération que Foucault avait commencé par trouver chez Roussel, à savoir : le génie des grecs c’est d’avoir ployé la force sur elle-même. Pourquoi qu’ils ont pu faire ça ? C’est pas un hasard. Pourquoi les grecs... alors là vous comprenez le problème devient en effet, le problème de résumer L’usage des plaisirs devient très précis... Les grecs ils ont un diagramme, la cité grecque, elle renvoie à un diagramme, rapport de forces. Foucault ne parle plus ce langage, mais c’est pas difficile dans le livre, on le verra, de trouver très bien décrit le rapport de forces tel qu’il se présente chez les grecs, d’une manière originale. Il y a un diagramme grec, tout comme il y a un diagramme disciplinaire, tout comme il y a un diagramme XVIIème siècle, et un diagramme XIXème siècle etc. Il y a donc un diagramme grec. Pour nous il faudra définir ce diagramme grec que Foucault ne définit que de manière très dispersée, sans y attacher... sans avoir l’air d’y attacher grande importance. Mais ce diagramme a une telle originalité qu’il rend possible ce qui, avant, était impossible, à savoir : il rend possible à la force de se plier sur elle- même. Les grecs sont les premiers à avoir plié sur soi la force, c’est-à-dire à avoir fait et à avoir inventé une force capable de s’exercer sur soi et pas seulement sur d’autres forces. Lorsque les grecs ont eu ce coup de génie, ils ont inventé le pli, ils ont inventé la doublure. Les grecs sont la première doublure. Mais, mais encore une fois, tout ça, Foucault l’avait d’abord découvert dans des conditions euh... moins historiques, dans des conditions plus poétiques, il l’avait découvert dans toute l’œuvre de Raymond Roussel qui ne cessait pas de plier les phrases sur les phrases et de plier les visibilités sur les visibilités pour engendrer toute la série des doubles. Et il y avait deux manières et, au niveau de Roussel qu’est-ce qui se passait ? Il y avait deux possibilités : ou bien, il y a toujours..., quand on fait des plis quelque part, plier les mots, plier les choses, hein, on peut toujours les déplier et, à ce moment-là, on retrouve le vide irrespirable, ou bien, au contraire, c’est-à-dire le choix, il est là, dans le régime même du pli du dehors, ou bien vous défaites les plis et vous les écartez, comme un nageur, vous rendez la mer à elle-même et vous en mourrez, au besoin suicide, au besoin... Ainsi l’étrange mort de Raymond Roussel qu’on trouve mort un matin dans sa chambre ; ou bien, au contraire, vous vous entourez de plis, vous les inventez, vous suscitez les doubles, vous vous entourez dans les doubles, vous vivez dans les plis. Ce qui ne veut pas dire du tout vivre à la protection, hein. Et, à ce moment-là, à ce moment- là, peut-être que vous avez, d’une certaine manière, vaincu provisoirement la mort, peut-être que vous avez trouvé une respiration. Bien.

Alors, c’est compliqué, est-ce que les grecs ont trouvé une respiration ? Est-ce que, bien des siècles après, Roussel a trouvé une respiration ? Non. Lui il a voulu écarter les plis. Il les fabriquait, il les faisait et puis il les écartait. Il y a un descendant de Roussel qui doit beaucoup à Roussel, qui s’est toujours de Roussel, qui est bien connu aussi, qui fait partie de ces auteurs que Foucault aimait beaucoup : Michel Leiris. Ben, Michel Leiris il fait, comme le dit très bien Foucault, il fait le chemin inverse de Roussel. Et, lui aussi, il plie les mots sur les mots, pli sur pli, langage tangage. Langage tangage. C’est exactement comme les bandes du vieux pillard et les bandes du vieux billard. Pli sur pli. Seulement, alors que Roussel défait et écarte les plis pour aller toujours, toujours plus près d’un vide irrespirable, Leiris s’entoure de plis pour constituer ce qu’il appelle lui-même l’absolue mémoire. L’absolue mémoire dans les plis, c’était déjà la tentative grecque. Ou bien le vide irrespirable et la ligne du « on meurt ». Mais tout ça c’est plus le programme de ce qui nous reste... Je dis juste que j’en suis au point suivant : en quoi Roussel a pu être un auteur déterminant pour Foucault et plus qu’un auteur, c’est-à-dire une manière de relancer, pour lui, Foucault, une manière de relancer son entreprise philosophique à lui, à lui, Foucault et une manière de se démarquer, encore une fois, une manière de se démarquer de Heidegger, de prendre une espèce de chemin qui était celui des doubles ? En tout cas, je crois, je crois, là, que c’est évident que le thème du double a toujours hanté Foucault et a fait l’objet chez lui, encore une fois, d’une compréhension très particulière, à savoir : c’est toujours moi qui suis le double d’un Autre avec un grand A. Je vous demande de réfléchir là- dessus parce que c’est... Aujourd’hui, je m’excuse, aujourd’hui, j’ai le sentiment que c’est même pas à comprendre, hein, ce qu’on a fait. Je veux dire : c’est à sentir ou à pas sentir, hein. Les prochaines fois, j’essaierai d’être plus compréhensible, mais, là, c’était plus, il faut bien... je faisais plus appel à des affects chez vous, donc, si vous sentez pas d’affect, c’est pas mal, hein, c’est pas...

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