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20- 22/04/1986 - 2

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Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 20 - 22/04/1986 - 2 Cours du 22 avril 1986 Gilles Deleuze aut participant RequestDigita* 46 :35

Or, quand il s’agit non plus des formes, mais des forces, c’est-à-dire de la seconde dimension, du deuxième axe, l’axe du pouvoir, je dis que, le plus souvent, encore faudrait-il s’expliquer sur le plus souvent, Foucault va se servir d’un autre mot que le mot « extériorité ». Et, en effet, le mot « extériorité » culmine, je vous le disais, dans L’archéologie du savoir, c’est-à-dire en tant qu’il suppose et qu’il présuppose des formes, en tant qu’il qualifie des formes, renvoie à ce premier axe, cette première dimension nommée savoir. Mais, quand il s’agit des forces, le mot nouveau qui va apparaître, c’est le dehors, mot que Foucault emprunte à Blanchot et qui, chez Blanchot, passe très souvent par une majuscule : le Dehors. Or, déjà dans l’usage particulier qu’en fait Foucault, il y a ce point qui est très étranger à Blanchot, là, à savoir que, de même que l’extériorité déterminait et se présentait comme l’élément des formes, le Dehors se présente comme l’élément des forces. Pourquoi ? Ce que le Dehors va d’abord qualifier, c’est le rapport de la force avec la force. Le Dehors c’est l’élément non-formel des forces. C’est l’élément informel des forces. Le Dehors n’a pas de forme. Si bien que toute force est en rapport avec d’autres forces qui, par nature, sont toujours des forces venues du dehors. Le Dehors, c’est le rapport de la force avec la force.

Alors, là-dessus, comprenez, ce sera pas une objection pour nous de rencontrer des textes où par exemple « extérieur » est mis à la place de « dehors ». Je veux dire : il y aura un langage large et puis, dans certains cas au contraire, chaque fois que ce sera nécessaire, le Dehors sera distingué de la simple extériorité, mais dans certains cas « extérieur » et « dehors » valent comme des synonymes. Il faut à chaque fois vous demander : est-ce qu’il s’agit de forces ou est-ce qu’il s’agit de formes. S’il s’agit de formes, le mot correct est « extériorité » ou « extérieur », s’il s’agit de forces, le mot correct est « dehors ». Mais pourquoi cette équivoque ? Pourquoi est-ce que, aussi bien, quand on parle vite, quand il y a pas besoin de faire la distinction - il y a toutes sortes de cas où il y a pas besoin de faire la distinction, en effet l’extériorité et le Dehors sont quand même de la même famille - pourquoi est-ce que ça peut aussi jouer comme synonymes ? C’est que je vous demande de réfléchir à ce thème : le Dehors, pour Foucault, ce serait le rapport de la force avec la force, c’est-à-dire c’est l’élément informel des forces.

Or le rapport de la force avec la force, on l’a vu, c’est ce qu’il appelle au moins une fois « le diagramme ». Et, en effet, le diagramme est toujours issu du dehors. Mais, déjà dire cela c’est que l’on sent bien que, à ce second niveau, le dehors comme élément informel des forces, je n’ai encore qu’un dehors relatif. Je n’ai encore qu’un dehors seulement relatif, c’est ça qui doit déjà nous faire penser que c’est pas le dernier mot, qu’il y aura une troisième dimension. Il est relatif au diagramme qui détermine les forces d’un rapport. Le diagramme est issu du dehors. Le diagramme vient du dehors, c’est-à-dire le rapport des forces à tel moment vient du dehors. Oui, mais vient du dehors relativement. C’est encore un dehors, comment dirait-on en philosophie ? C’est un dehors médiatisé ou, si vous préférez, c’est un dehors indirect. Et c’est pour ça que, si l’on parle vite, on peut le considérer comme synonyme de l’extérieur, de l’extériorité. C’est déjà un dehors, c’est plus que de l’extériorité. Mais c’est un dehors encore indirect, médiatisé par le diagramme, médiatisé par les forces en rapport. C’est... Pourquoi ? C’est que je dis : tout diagramme est issu du dehors. Oui, tout diagramme est issu du dehors, mais, en même temps, il y a jamais de premier diagramme. Tout diagramme, tout rapport de forces renvoie à un diagramme précédent. En tant qu’il est issu du dehors, tout diagramme est, pourrait-on dire, aléatoire. C’est une répartition de forces aléatoire.

Mais, en tant qu’il n’y a pas de premier diagramme, tout diagramme est semi-aléatoire, c’est-à-dire il dépend du diagramme précédent. Et je vous le disais : la succession des diagrammes chez Foucault, je reviens pas là- dessus, répond assez à ce que les mathématiques définissent comme une chaîne de Markov, c’est-à-dire des enchaînements semi-aléatoires, à savoir une succession de tirages au hasard, mais où chaque tirage reçoit des conditions déterminées du tirage précédent. C’est bien l’aléatoire puisqu’il y a tirages au hasard, mais ce n’est que du semi-aléatoire, puisque le tirage précédent fixe des conditions du tirage suivant. C’est ce qu’on appellera une succession de phénomènes partiellement dépendants ou de phénomènes semi-aléatoires. C’est en ce sens que le dehors est comme indirect, le dehors au niveau des forces. Les forces sont toujours des forces du dehors, mais elles ne nous livrent le dehors que sous une forme indirecte et médiatisée. Qu’est-ce que ce serait, troisième dimension ? Troisième dimension, c’est la rencontre avec un dehors absolu. Avec ce que Blanchot lui-même appelle un dehors immédiat. Un dehors qui n’est même plus médiatisé par les forces parce qu’il est lui-même force. Un rapport avec le dehors qui serait absolu.

Et, en même temps, rapport et absolu semblent deux termes contradictoires. Oui c’est contradictoire, à ceci près que le rapport avec le dehors est aussi bien, comme di Blanchot, non- rapport, il est l’absolu du rapport. Il est non-rapport en tant que le non-rapport est encore un rapport. Et quel rapport ? En tant que le non-rapport est l’absolu du rapport. Tout ça semble extrêmement, presque, à la limite, presque verbal, mais qu’est-ce que c’est ce rapport avec le dehors. Disons que, pour le moment, ce rapport avec le dehors, nous ne savons qu’une chose, c’est que ce dehors est plus lointain que tout monde extérieur. C’est-à-dire : ce rapport est plus lointain que toute forme d’extériorité. Ce rapport est plus lointain que tout milieu d’extériorité, que toute forme d’extériorité. C’est le dehors immédiat ou le dehors absolu. Non plus médiatisé par des forces et représenté dans un diagramme, mais le dehors pour lui-même, le dehors en lui- même. Mais comment le dehors aurait-il un « en lui-même » ? Ce dehors qui est aussi bien un rapport que non-rapport, qui est aussi bien absolu que relatif, c’est ce que Blanchot appellera... il lui donne son nom : l’impossible. L’impossible, bon. Il faut aller jusque-là : l’impossible. L’entretien infini, page 66 : « l’expérience radicale non-empirique... », « l’expérience radicale non-empirique n’est nullement celle d’un Etre transcendant... », c’est la rupture de Blanchot avec Heidegger... « L’expérience radicale non-empirique n’est nullement celle d’un Etre transcendant... », mais est-ce une rupture ?

Est-ce que Heidegger ne dirait pas la même chose d’une autre façon ? « L’expérience radicale non-empirique n’est nullement celle d’un Etre transcendant, c’est la présence immédiate ou bien la présence comme Dehors. ». « La présence immédiate ou bien la présence comme Dehors », pourquoi ? L’air de rien, on est quand même en mesure de comprendre un petit peu. La présence comme Dehors c’est en effet la présence immédiate puisque c’est le rapport avec le Dehors absolu, par différence avec le rapport médiatisé par les forces. En d’autres termes, on a franchi la ligne, ou bien on l’a atteinte car ce Dehors absolu, c’est la ligne du dehors, c’est la ligne de dehors ou la ligne du dehors. Donc. « Et voici la réponse inattendue » disait Blanchot : « L’expérience radicale non-empirique n’est nullement celle d’un Etre transcendant, c’est la présence immédiate ou bien la présence comme Dehors. Et l’autre réponse, c’est que l’impossibilité, ce qui échappe à tout négatif... ». L’impossibilité, c’est ce qui échappe à tout négatif... « C’est que l’impossibilité, ce qui échappe à tout négatif, ne cesse pas d’excéder en le ruinant tout positif, étant ce en quoi l’on est toujours engagé par une expérience plus initiale que toute initiative, prévenant tout commencement, excluant tout mouvement. Mais un tel rapport... », il s’agit du rapport avec le dehors dont il nous parle mystérieusement puisque c’est mystérieux... « Mais un tel rapport qui est l’emprise sur laquelle il n’y a plus de prise... », pur Blanchot comme style, ça. « Un tel rapport qui est l’emprise sur laquelle il n’y a plus de prise, nous savons peut-être le nommer... ». Le rapport avec le dehors qui est l’emprise sur laquelle il n’y a plus de prise, nous savons peut-être le nommer puisque c’est toujours ce qu’on a essayé de désigner en l’appelant confusément : passion.

De sorte que nous serons tentés de dire provisoirement l’impossibilité est le rapport avec le dehors et puisque ce rapport sans rapport est la passion, qui ne se laisse pas maîtriser en patience, l’impossibilité est la passion du Dehors même. Il faut se familiariser, c’est pas que ça nous éclaire beaucoup un texte comme ça. Mais, d’abord, il est beau ce texte, et puis ensuite, ça nous familiarise avec cette idée : un rapport avec le dehors qui serait l’absolu du rapport. Et qu’est-ce qui nous y prépare, je reviens à Foucault, qu’est-ce qui nous y prépare à cette troisième dimension ? Vous voyez mes trois dimensions successives, première dimension : les formes d’extériorité et l’extériorité entre les formes, c’était le savoir.
-  Deuxième dimension : le dehors comme élément informel des forces, mais c’est un dehors encore relatif, car représenté dans un diagramme et médiatisé par les forces en rapport. Et puis le Dehors absolu. Ce rapport qui est non-rapport, qui est l’impossible même, mais il faut aller jusque-là, pourquoi il faut ? Parce qu’on n’a plus le choix. Il faut aller jusque-là, jusqu’à cette impossibilité même. Cette troisième dimension c’est la ligne du Dehors. Et je dis : chez Foucault... alors je reviens à Foucault... quelque chose, on l’a vu la dernière fois, nous préparait à la nécessité de dépasser le deuxième axe, celui du pouvoir et des rapports de forces, c’était quoi ?

On l’avait vu, que, dans le diagramme, il y avait des points de résistance. Des points de résistances, bon. Et d’où venaient-ils ? Et on a vu la difficulté que ça posait dans la perspective même de Foucault. D’où venaient ces points de résistances ? Et que dans Volonté de savoir, il s’accrochait encore au second axe, en disant : ces points de résistances ce sont le simple vis-à-vis des rapports de forces, mais que ça posait pour nous beaucoup de problèmes, comment pouvait-on dire que c’était de simples vis-à- vis, alors que le vis-à-vis de la force affectante c’est la force affectée. C’est pas la résistance. D’où pouvaient venir ces résistances, sinon du dehors ? Et s’il est vrai que les forces dans le diagramme ne renvoyaient au dehors que par l’intermédiaire d’un autre diagramme, le diagramme précédent, dehors médiatisé, dehors indirect, est-ce que les points de résistances ne témoignaient pas d’un dehors direct ? D’un dehors immédiat ? Le troisième axe, c’est la ligne du Dehors. C’est celui de notre confrontation avec le Dehors absolu. Et nous pouvons dire uniquement de ce Dehors : oui, ce Dehors est plus lointain que toute forme ou tout milieu d’extériorité, en d’autres termes, ce n’est pas en voyageant que vous le trouverez. Vous aurez beau aller loin, loin, loin, jusque dans les îles et jusque dans la lune, ce sera encore de l’extériorité, ou, à la rigueur, si vous chevauchez des forces pures, ce sera encore du dehors relatif.

Alors où trouverez-vous ce Dehors qui est plus dehors que tout dehors, qui est plus lointain que toute forme d’extériorité, que tout milieu d’extériorité ? Et qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que c’est cette ligne du Dehors ? C’est la nécessité d’un troisième axe. Alors, vous savez, quand on lit un grand philosophe, on peut toujours s’arrêter. On peut toujours s’arrêter et on en a une très bonne lecture. C’est le droit du lecteur de dire : ah ben non, je ne le suis que jusqu’à un certain point. Euh. Je ne le suis... Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? Je ne le suis que jusqu’à un certain point, partout c’est comme ça, on voit ça quand on... C’est même l’activité préférée des critiques. Ah jusque-là ça va... Qu’est-ce qu’il a reçu, là, un coup sur la tête ? Euh... il y a deux, il y a deux manières, il y a deux manières de lire et ce que je dis vaut pour la littérature ou pour... pour tout, autant que pour la philosophie. Si vous avez un rapport... Si vous avez un rapport personnel, par personnel, j’entends euh... de lecteur, si vous sentez qu’un auteur vous concerne, à la lettre, vous n’êtes même plus en situation de faire le détail. Vous le suivez, ce qui n’est pas une allégeance, ça vous empêchera pas de faire vos trucs à vous.

Mais, vous comprenez, dire de Victor Hugo, que telle période est bonne, telle autre pas bonne, euh c’est perpétuellement la contamination de toute la critique littéraire qui s’est toujours confondue avec la gastronomie et les recettes de cuisine. Parce que c’est de ça qu’ils parlent finalement : Ah oui, oh, Victor Hugo, il y a des moments où ça va pas, hein. Ou bien au théâtre... [ ?] Je dis des choses plus proches de nous : les critiques à propos de Godard : ah ! Ah oui, jusqu’à 68 ça allait, mais alors après ! Jamais ils ne se demandent... vous comprenez, les mauvais critiques, Jamais ils ne se demandent si quelque chose est nécessaire à l’auteur. Euh, s’il fallait qu’il en passe par là, ou si l’auteur, lui, a eu le choix. Mais quand quelqu’un se lance dans une entreprise dont les critiques, par nature, n’ont aucune idée, il faut tout prendre, vous n’avez pas le droit de sélectionner, il faut aller jusqu’au bout, il faut le suivre jusqu’au bout, pour voir, ne serait-ce que pour voir. Alors je dis quand même : c’est possible... Je dis le contraire de ce que je viens de dire. Mettons un lecteur qui dise : ah ben, Foucault, je comprends bien tout ce qu’il me dit sur le savoir. Il dira : jusqu’à L’archéologie, ça va. Jusqu’à L’archéologie du savoir ça va, mais après, quand même, ces histoires de pouvoir... Et, ce lecteur, un tel lecteur, en un sens n’aurait pas tort, pourquoi ? Il aurait tort puisqu’il supprimerait un aspect important et plein de nouveauté. Il aurait pas tort parce qu’il pourrait même invoquer Foucault qui, à la fin de ses études sur le pouvoir, se dit : mais, bon dieu ! Dans quelle impasse je cours, dans quelle impasse je me mets ! Comment franchir cette ligne ? Enfin, c’est pas en restant en-deçà qu’on la franchit mieux, hein !

Alors il y en a d’autres qui peuvent dire : ah, jusqu’au pouvoir, ça va. Pouvoir y compris, ça va. Ensuite... ensuite il fait un retour au sujet, dans ses derniers livres, il fait un retour au sujet après nous avoir dit que le sujet c’était rien du tout, pire que rien, voilà qu’il redécouvre le sujet ! [ ?] choses sont extrêmement pénibles à entendre, pourquoi ? Parce qu’on se dit : à quoi sert d’écrire et euh... bon. Mais, vous voyez c’est curieux, de mauvaises forces nous empêchent de participer à l’ensemble d’une expérience donnée. Alors on a vu la dernière fois, c’est ce que j’ai essayé de dire, d’ailleurs je suis pas sûr mais... bon, toute autre réponse me... euh... il se trouvait vraiment, à l’issue de sa réflexion sur le pouvoir, il se trouvait là dans une impasse qui n’est pas la sienne, qui est celle du pouvoir lui-même, à savoir : comment franchi la ligne du pouvoir ? Ou, ce qui revient au même, comment atteindre ce que j’appelle maintenant, comment atteindre un dehors qui soit vraiment un Dehors ? Comme si, précisément, tous les diagrammes de pouvoir ne nous donnaient pas encore ce dehors, un au-delà du pouvoir qui serait le rapport avec le dehors. Car le pouvoir ne nous donnait encore une fois qu’un rapport indirect ou médiatisé. Bien. Voilà. Ça c’est mon premier point. Alors aujourd’hui, comme c’est relativement difficile, je veux dire..., je m’arrête à chaque point : ça va ? Ça va ? Il n’y a rien à... ?

Je veux dire : ce qui est important, c’est que vous suiviez la distinction des trois axes, avec, pour vous, oui je tiens même à dire le contraire de ce que je viens de dire, avec, pour vous, possibilité de vous arrêter, c’est comme des étages, à tel étage. Dire : moi, tout ce qu’il dit sur le savoir me va, tout ce qu’il dit sur le pouvoir me va. Evidemment, euh... tous ceux qui se diraient que le savoir [ ?], ils ont plus de raison de venir, quoi, puisqu’on parle des autres axes. Si bien que, dans la mesure où vous restez, c’est bien que vous sentez la nécessité du troisième axe : un rapport avec le dehors défini comme, uniquement pour le moment, ce Dehors est plus lointain que tout milieu extérieur, que toute forme d’extériorité. Voilà. Donc, qu’est-ce qui peut nous donner une idée de cette ligne du Dehors ? Voilà mon second point. Et continuons puisque, à cet égard, nous cherchons les ressemblances, quitte à... ensuite je chercherai les différences, mais, encore une fois, il me semble qu’il y a avantage à aller très prudemment. Si je m’en tiens aux ressemblances de Foucault avec Blanchot, je peux aussi bien dire : puisque la notion de Dehors est tellement marquée par Blanchot, comment est-ce que Blanchot nous donnait une idée de ce rapport qui est un non-rapport ? De ce rapport absolu, de cette ligne du Dehors ?

L’idée la plus concrète qu’il nous donnait, mais je crois pas qu’on en restera là, parce que ce serait extrêmement triste, mais, après tout, Blanchot n’est pas très gai, c’est : on meurt. On meurt. La ligne du Dehors, c’est on meurt. C’est important la formule « on meurt ». Il dit pas : c’est la ligne de la mort. C’est : on meurt qui forme la ligne du Dehors. Et les textes les plus émouvants, et les plus euh... poussés de Blanchot à cet égard, c’est dans L’espace littéraire. Le « on meurt », c’est le rapport avec le Dehors. Pourquoi ? Blanchot, là... s’efforce de nous faire comprendre que, selon lui, la mort est fondamentalement double. Il y a une mort qui s’énonce sous la forme : je meurs, et une mort qui s’énonce sous la forme : on meurt. Et je dirais : on a tout pour comprendre, là, le texte est extrêmement difficile, c’est pages 160-161. Je dirais : la mort du « je meurs », c’est la mort comme instant insécable. C’est la mort qui peut m’arriver, qui m’arrivera. C’est, en quelque sorte la mort personnelle. La mort du « on meurt », c’est la mort coextensive à la vie. Une mort qui a toujours déjà commencé et qui n’en finit pas. Elle est coextensive à la vie. « Mort qui n’arrive jamais à moi... ». Mais ça veut pas dire qu’elle arrive aux autres... « Mort qui n’arrive jamais à moi, à laquelle je ne puis jamais dire oui, avec laquelle il n’y a pas de rapport possible... », c’est le non-rapport avec la mort. « Non pas le terme, mais l’interminable, la mort interminable. Non pas la mort propre, mais la mort quelconque, elle est l’abîme du présent, le temps sans présent avec lequel je n’ai pas de rapport », le non-rapport toujours. « Ce vers quoi je ne puis m’élancer, car, en elle je ne meurs pas ». En elle, dans cette mort, dans cette mort du « on meurt », je ne meurs pas ; « Je suis déchu du pouvoir de mourir, en elle on meurt, on ne cesse pas et on n’en finit pas de mourir », qui c’est ce on ? C’est moi. C’est moi, mais c’est pas moi comme je, c’est moi comme on. C’est moi comme prenant ma place dans le cortège du on.

Je ne cesse pas et je ne finis pas de mourir. Je ne cesse pas... c’est la meilleure formule de Blanchot, ça. En tant que on, je ne cesse pas et je ne finis pas de mourir. On meurt. Et, page 104, dans un texte splendide, il expliquait comment le suicide, c’est la vaine tentative, selon lui, page 104, de faire coïncider la double mort, la mort du je et la mort du on. Le « je meurs » et le « on meurt », c’est-à-dire faire de cette mort qui ne cesse pas et n’en finit pas, la transformer, faire de la mort coextensive à la vie, en faire un instant insécable : je me tue. « Par le suicide je veux me tuer à un moment déterminé, je lie la mort à maintenant, oui, maintenant, maintenant. Mais rien de montre plus l’illusion, la folie de ce « je veux », car la mort n’est jamais présente, il y a dans le suicide une remarquable intention d’abolir l’avenir comme mystère de la mort. On veut, en quelque sorte se tuer pour que l’avenir soit sans secret, pour le rendre clair et lisible, pour qu’il cesse d’être l’obscure réserve de la mort indéchiffrable. Le suicide en cela n’est pas ce qui accueille la mort, il est plutôt ce qui voudrait la supprimer comme future, lui ôter cette part d’avenir qui est comme son essence. On ne peut projeter de se tuer, on s’y prépare, on agit en vue du geste ultime qui appartient encore à la catégorie normale des choses à faire, mais ce geste n’est pas en vue de la mort, il ne la regarde pas, il ne la tient pas en sa présence ».

Vaine tentative, encore une fois, de confondre les deux morts : la mort du je et la mort du on. La mort du on, le « on meurt » défini comme cette mort qui ne cesse pas et qui n’en finit pas, c’est-à-dire la mort coextensive à la vie et non pas la mort instant insécable qui est la mort du je. C’est précisément cela, à ce niveau où nous en sommes, c’est précisément cela qu’on appellera la ligne du Dehors. Et finalement c’est sous cette forme que, en effet, le dehors atteint à sa [ ?] absolue, je retire le mot « forme », hein, qui convient pas, pourquoi ? Le on meurt, c’est précisément ce que j’appelais tout à l’heure la ligne du Dehors et les « on », ça en fait beaucoup, aussi bien chez Foucault que chez Blanchot, là il y a un véritable retournement par rapport à Heidegger, c’est-à-dire il y a une promotion du « on », une véritable promotion du « on » par rapport à Heidegger qui, dans l’Etre et le temps, liait le on à l’existence dite inauthentique. Là, au contraire, il y a une promotion fantastique du « on », fondée sur quoi ?

Je vous le disais, moi ce qui me paraît le plus important dans Blanchot, c’est la manière dont il a réagi à toute personnologie. Et c’est une des raisons pour lesquelles, précisément... c’est une des plus grandes nouveautés de Blanchot. Une fois dit que l’époque contemporaine d’une double personnologie, même quand cette personnologie se cachait ou se déguisait, se masquait. C’était une personnologie masquée. Je dis : double personnologie, parce que, d’une part, linguistique, d’autre part, psychanalytique. Personnologie linguistique qui trouve son expression la plus parfaite - on l’a vu et je reviens pas là-dessus- chez Benveniste - mais qui parcourt toute la linguistique sous la forme de la théorie des embrayeurs. Le je et le tu. Le rôle linguistique spécial comme instance qui fait commencer le discours, le je et le tu comme personnes linguistiques et, comme dit Benveniste, rendez-vous compte qu’il n’y a que deux personnes, le je et le tu, la troisième personne, le il, est en fait une non-personne. Et bien sûr on nous disait : ah, mais ne confondez pas les personnes linguistiques avec les personnes que vous êtes, c’est pas de la psychologie, c’est de la linguistique, ce sont des embrayeurs, ce sont des shifters, ce sont... c’est tout ce que vous voulez... ce sont des suis-référentiel, puisque est « je » celui qui dit « je ». Bon, d’accord, mais on dit rien d’autre. D’accord, C’est une... c’est, comment dirais-je, si j’osais dire, ce serait un christianisme linguistique, pourquoi pas ? C’est une personnologie linguistique. Bien.

Et la psychanalyse ? La psychanalyse, ben, là aussi ce sont des masses. Tantôt elle a assumé une véritable personnologie avec Lagache, tantôt, avec Lacan, elle dénoncé une personnologie quitte, il me semble, à ériger des personnes proprement psychanalytiques qui n’étaient pas sans rapport, d’ailleurs, avec les personnes linguistiques. Mais le cas Lacan étant particulièrement compliqué, parce que si vous vous rapportez à sa thèse, à son premier ouvrage. Vous verrez que cet ouvrage se réclame explicitement du thème de la personne, c’est-à-dire est explicitement personnologique. Alors je veux pas du tout, ce serait un argument lâche, de le ramener à son premier livre, mais le point de départ de la réflexion de Lacan a été extrêmement personnaliste, personnologique. Et la psychanalyse, qu’est-ce qu’elle fait ? Moi ça m’a toujours frappé, c’est un des points qui m’a frappé le plus, le plus. C’est que, indépendamment, là, je parle plus de théorie, je parle de pratique. Qu’est-ce qu’ils font ? Quoi qu’on leur dise, quoiqu’on leur dise, il faut qu’ils ramènent les trucs à des personnes. Les trucs de l’inconscient sont ramenés à des personnes, je, tu. Et le rapport analytique lui-même est un rapport personnologique. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ben, si vous écoutez un enfant... il faut quand même écouter les gens... un petit peu... si vous écoutez des gosses, qu’est-ce que vous disent ou qu’est-ce que disent les enfants ? Comment grandit-on ? Comment est-ce qu’on naît (N A I T) ? A quoi ça sert un ventre ? Bon.

Qu’est-ce que c’est l’entreprise pratique psychanalytique ? C’est exactement, on est dans la situation, si vous voulez, en psychanalyse on est dans la situation de quelqu’un qui arrive en disant : ah ben oui, euh, les gens. Et on se fait reprendre en disant : les gens, les gens, non mais quoi ! Moi le texte qui me réjouis le plus de toute la psychanalyse, c’est une remarque de Jung qui dit : c’est quand même bizarre..., qui dit : il était bizarre, Freud - et il l’a bien connu, Jung, hein - moi, un jour, je lui raconte un rêve, il y avait un ossuaire, il avait rêvé d’un ossuaire, Jung. Et l’autre, là, Freud, lui décortique son rêve, et lui dit : ça va pas fort mon pauvre Jung, il dit qu’il s’agit de la mort de la mère - il s’est pas fatigué ! - il s’agit de la mort de la mère et il y avait Jung, là, il est parfait Jung, parce qu’il dit : ah, mais ! euh, un ossuaire ! Qu’il dit. « Freud, c’était un ossuaire, comprends-moi, un ossuaire, c’était pas un os. Des milliers d’os ! », le on du os (rires). Freud, à la lettre... je suppose d’ailleurs... ça peut être que vrai... il s’en fout, il s’en fout. Un ossuaire et un os, il n’a jamais fait la moindre différence. Or, quand il y a un os, c’est celui de ta mère, une personne. Quand il y a 10000 os, ça devient plus compliqué, c’est autre chose, hein. Bon, je dis, les gosses, hein : comment naît-on ? Qu’est-ce qu’ils font les grands ? Mais, là-dessus, dans la pratique analytique, jamais ces termes n’ont été entendus, jamais le « on » n’a été saisi, jamais l’article indéfini, « un ventre », n’est pris pour ce qu’il est, à savoir un article indéfini. Il y a une splendide ignorance du on, c’est par là que..., moi je vois que un texte, un texte intéressant à cet égard, mais qui va que... C’est le texte de Laplanche et Pontalis, qui est donc très inspiré de Lacan, sur « fantasme originaire, origine des fantasmes », qui prend précisément comme exemple un grand texte de Freud, Un enfant est battu. Un enfant est battu ou on bat un enfant. on bat un enfant...

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