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Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 19 -15/04/1986 - 3(3) Sur Foucault Le pouvoir année universitaire 1985 1986 11 Cours du 15 avril 1986 Gilles Deleuze aut participant RequestDigita 46:35

Est-ce que je peux dire : les points réactifs sont comme le vis-à-vis des points actifs ? C’est-à- dire : les points qui expriment l’affectant, les points qui expriment l’affecté... concrètement ça veut dire quoi ? Ben on l’a vu. Prenons des rapports de forces. Par exemple dans le régime disciplinaire, dans le pouvoir disciplinaire. Vous vous rappelez, on les a longuement étudiés, sériés, rangés... composer une force plus grande que les forces composantes..., mettre en rang. Je prends « mettre en rang ». Mettre en rang, c’est une force qui affecte d’autres forces, c’est de l’affectant. Le maître à l’école dit : allez ! En rang. C’est de l’affectant, ça, il y a une singularité du maître. Quand il dit.., c’est la singularité mise en rang. C’est le point mis en rang. En effet ce ne sera pas le seul point ; je ne me souviens plus, dans l’ordre on met en rang d’abord, puis on entre dans la classe. Les petits gars ils sont debout, ils s’assoient, ils s’asseyent, ils s’assoient, ils défont leurs machins, ils rangent, ils se mettent au travail, bon... Ils reçoivent de grands coups parce qu’ils savent pas leurs leçons... Vous voyez, il y a une succession d’opérations. Ranger, là aussi, ils sortent pas. Ce sera ranger, mettre en rang, au début et puis à la fin. Bien, mais « être rangé », ça c’est un point réactif. Point actif : le maître dit « En rang ! ». Les gars se mettent en rang, c’est un point réactif, être affecté. Or l’un se conclut pas de l’autre, il faut tenir compte absolument... c’est un couple d’affects. A tout affect affectant correspond un affect affecté, mais les deux ne se ressemblent pas. Il y a un point d’application, par exemple... on le voit bien qu’il y a un point d’application... supposez, rappelez votre enfance, le maître, il dit : en rang ! La preuve qu’il y a points d’application, ils sont..., ils sont là, quoi... on les... c’est, comme dit Foucault, une anatomie du corps, une anatomie politique du corps. Il arrive, il arrive qu’on attende avec une fébrilité presque maladive, la fin de l’heure, le moment où le maître va dire « en rang », c’est pas du tout le même affect que le « en rang » de « rentrez ! », donc déjà deux affects du rang. Mais il y a quatre affects en fait : car il y a l’affect affectant du maître, deux - c’est pas le même au début et à la fin, le maître, il peut être ou content que ce soit fini, ou triste que ce soit fini, si c’est un bon maître, il est triste que le cours soit fini, euh... et puis voilà... bon, voilà, j’ai pas besoin.... Je peux ainsi garnir mon diagramme de toutes sortes de points et, ça, je vous demande de vous le rappeler vaguement, parce que j’en aurai besoin pour la... Il faut fournir des points, des singularités, là. Je dis : est-ce qu’il y a là-dedans quelque chose qui justifie qu’un diagramme passe au profit d’un autre diagramme ? J’ai beau chercher, non. Non ! Les rapports de pouvoir mettent tous ces points ou toutes ces singularités en relation les unes avec les autres de manière à composer un ensemble stable.

Qu’est-ce qui peut faire changer un diagramme ? Vous sentez que, ça, c’est un problème. Je veux dire, là, on essaie de retrouver.... Ce que je voudrais que vous sentiez, c’est qu’on essaie de retrouver quelque chose qui a été le cheminement de Foucault ou bien sa recherche même. Il tenait... il tenait l’idée, l’idée que les diagrammes changent par mutation, mais il ne pouvait pas se contenter d’une invocation à « mutation ». Il se devait, il devait se demander : mais qu’est-ce qui assure la transformation d’un diagramme ? Et qu’est-ce qu’il tenait ? Il tenait des affects ou des points entre lesquels se tissaient les rapports de pouvoir, mais, entre ces points, on voit pas tellement de raisons pour qu’un diagramme change. Et, vous remarquerez, c’est pour ça que ça m’importe, là, aujourd’hui, je voudrais particulièrement insister sur cette histoire d’évolution. Qu’est-ce que c’est l’évolution d’un grand philosophe comme Foucault ? Quand je vous dis « on n’a pas le choix », ben il n’avait pas le choix ; il fallait bien qu’il trouve une... quelque chose. Et qu’est-ce que ça va être ? On peut essayer, à ce moment-là... Qu’est-ce que ça veut dire « essayer de reconstituer une histoire de la pensée de Foucault » ? On a les points de repère. Je lis Surveiller et punir, je vois qu’il est déjà question du diagramme, puisque c’est là que le mot apparaît. Il est question de la mutation d’un diagramme à un autre puisqu’il étudie deux périodes, deux formations historiques. Mais, il y a quelque chose dont il ne dit pas un mot, et qui va surgir un an après, puisqu’il y a un an je crois entre les deux... oui Surveiller et punir c’est 75, Volonté de savoir c’est 76... qui va surgir en un an, à savoir : l’idée qu’un diagramme comporte aussi des points de résistance. Et, là- dessus, il faut évidemment, il faut un peu s’arrêter. Car, je crois bien, dans Surveiller et punir la notion de résistance n’intervient pas encore. Surveiller et punir se termine de manière très curieuse. Surveiller et punir se termine abruptement, comme si Foucault lâchait... Et se termine sur l’invocation d’un combat, « le grondement d’une bataille », dit-il, c’est la dernière phrase. Et une petite note qui annonce des livres suivants. Ça se termine sur l’annonce du grondement d’une bataille.

Bien. Là-dessus, un an après : Volonté de savoir. Vous me direz : le sujet n’est pas le même, mais c’est pas ça qui m’intéresse. Volonté de savoir c’est le premier tome de L’histoire de la sexualité. Ma question est autre : c’est que, dans ce premier tome de L’histoire de la sexualité, la question du pouvoir est largement reprise. Je demande : pour quelles raisons ? Je veux dire : quelles sont les nouveautés de La volonté de savoir par rapport à Surveiller et punir un an avant ? Je dis : il y a deux nouveautés : deux nouveautés considérables. C’est que, première nouveauté, Surveiller et punir ne considérait finalement qu’une seule forme de pouvoir disciplinaire que Foucault appelait déjà « l’anatomie politique des corps ». Discipliner les corps. L’anatomie politique des corps. C’est le seul point et, cette anatomie politique, il la poursuivait, elle consistait en ceci : imposer une tâche quelconque à une multiplicité quelconque et il la repérait à tous les niveaux de l’école, l’hôpital, la caserne... euh... l’école, l’hôpital, la caserne, la prison, l’usine euh... l’atelier. C’était ça, Surveiller et punir. La première grande nouveauté de La volonté de savoir, c’est que Foucault y joint une seconde fonction... disciplinaire ? Peut-être. Ou déjà autre chose que disciplinaire, c’est-à-dire de contrôle ? Peut-être. En tout cas une fonction qui est comme à cheval sur le régime disciplinaire et, peut-être, un autre régime qui pointe. Et cette seconde fonction, il l’appelle non plus « anatomie politique des corps », mais « biopolitique des populations », il n’en était pas question dans Surveiller et punir. Et la formule, ce n’est plus imposer une tâche dans une multiplicité restreinte, mais gérer ma vie dans une multiplicité large, étendue. Donc, ça, c’est la première nouveauté. Je reviens pas là-dessus, on l’a déjà commenté, mais je veux marquer que, ça, c’est une première nouveauté.

Deuxième nouveauté : apparaît fondamentalement l’idée que dans une société, dans un champ social, il n’y a pas seulement des points d’affecter et des points d’être affecté, mais qu’il y a une troisième sorte de points : il y a des points de résistance, il y a des singularités de résistance. Et voilà un texte qui me paraît très étrange. Je vous demande, là, de bien l’écouter, parce que... « Il ne faut pas méconnaître le caractère strictement relationnel des rapports de pouvoir... ». On l’a vu, ça, la force est toujours en rapport avec la force. Il ne faut pas méconnaître, donc, le caractère relationnel des rapports de pouvoir. « Ils ne peuvent exister qu’en fonction d’une multiplicité de points de résistance... » apparaît ici la formule explicite des points de résistance. « Ils ne peuvent exister qu’en fonction d’une multiplicité de points de résistance : ceux-ci, ces points de résistance, jouent, dans les relations de pouvoir, le rôle d’adversaire... ». Qu’est-ce que c’est curieux ! Vous devez déjà sentir pourquoi il est curieux, ce texte. Euh, « ceux-ci jouent, dans les relations de pouvoir, les points de résistance jouent, dans les relations de pouvoir le rôle d’adversaire, de cible, d’appui, de saillie pour une prise. Ces points de résistance sont présents partout dans le réseau de pouvoir. Il n’y a donc pas par rapport au pouvoir un lieu du grand Refus ».

Donc il retrouve son thème ordinaire : il y a dissémination des points de résistance. « Les résistances ne sont pas le contrecoup, la marque ne creux du pouvoir. Elles ne forment pas par rapport à l’essentielle domination, un envers un envers finalement toujours passif voué à l’indéfinie défaite. » Donc ces points de résistance sont efficaces. Les résistances ne relèvent pas de quelques principes hétérogènes au pouvoir... ». Ça se complique, c’est pas hétérogène au pouvoir, ça passe aussi dans les relations et par les relations de pouvoir, « mais elles ne sont pas pour autant leurre ou promesse nécessairement déçue ». Elles passent par les relations de pouvoir, mais elles sont autre chose. Elles sont l’autre terme, dans les relations de pouvoir et elles s’y inscrivent comme l’irréductible vis-à-vis », retenez ça parce que... « Elles sont l’autre terme dans les relations de pouvoir et elles s’y inscrivent comme l’irréductible vis-à-vis. Elles sont donc, elles aussi, distribuées de façon irrégulière », tout comme les relations de pouvoir... « Elles sont donc distribuées de façon irrégulière : les points, les nœuds, les foyers de résistance sont disséminés ». Vous voyez, je rappelle : « les points, les nœuds, les foyers », c’est un vocabulaire mathématique par lesquels les mathématiciens définissent précisément les points singuliers d’une courbe. Donc il y a allusion explicite aux singularités. A propos de quoi ? Des points de résistance. Il y a donc des singularités de résistance. Qu’est-ce qui doit vous paraître extraordinaire dans ce texte ? Mais, si, vous me suivez, si vous avez suivi un peu, on se serait attendu à tout à fait autre chose.

Quelqu’un parle dans la salle ?

Deleuze : il est 11heures ?

Un étudiant : moins 3 minutes

Deleuze : euh [Brouhaha]

Deleuze : 126-127. Ah ! Bon ! Récréation ! Si on peut dire... Coupure

Reprise : 127 de La volonté de savoir, deux expressions qui me font problème. C’est : « les résistances jouent dans les relations de pouvoir le rôle d’adversaires, de cibles, d’appuis ». Et, un peu plus loin : « les résistances s’inscrivent dans les relations de pouvoir comme l’irréductible vis-à- vis ». Parce que, quand même, on se serait attendu à tout à fait autre chose. Si je considère une force d’affecter, dans une relation de pouvoir, par exemple « ranger, mettre en rang », quel est son vis-à-vis ? Ou, si vous préférez, quel est son adversaire, sa cible et son appui ? Evidemment la force d’être affecté correspondante. A la force du maître de mettre en rang, correspond, comme vis-à-vis, la force de l’élève, c’est-à-dire le pouvoir de l’élève, la capacité de l’élève d’être mis en rang. En d’autres termes, à des singularités ou à des points d’action, correspondent, comme vis-à-vis, des points de réaction et vous avez la relation de pouvoir action-réaction. Or, dans La volonté de savoir, dans ce texte, Foucault ne nous dit pas cela. Il nous dit : le vrai vis-à-vis des relations de pouvoir, ce sont les points de résistance. Vous comprenez, c’est essentiel ! C’est essentiel, ce glissement. Il faut comprendre : les relations de pouvoir mettent en relation deux vis-à-vis, la force d’affecter et la force d’être affecté, c’est-à-dire le point d’action et le point de réaction. D’abord.

Mais en plus il y a un vis-à-vis de la relation de pouvoir, et le vis-à-vis de la relation de pouvoir c’est les points de résistance. C’est que les points de résistance c’est pas du tout la même chose que des points de réaction. Le point de réaction, c’est, par exemple, la capacité d’être mis en rang. Je me mets en rang, voilà. Voilà un point de réaction. En effet je me mets en rang quand le maître dit : mettez-vous en rang. vis-à-vis, c’est deux vis-à-vis. Mais, le point de résistance, c’est tout à fait autre chose, c’est vous tout à l’heure, exemple déplorable (rire), je dis : rentrez, rentrez ! Rentrez ! Euh. Et : rien du tout ! C’est un cas de résistance dite passive, hein. Alors un pas de plus, allez-y, résistance active, à ce moment-là vous me piétinez, vous... Résistance active. Mais qu’elle soit passive ou active, le point de résistance est tout à fait différent du point de réaction. Lorsque Foucault nous dit « le vis-à-vis de la relation de pouvoir », ce sont les points de résistance. Je dis : la seconde nouveauté de La volonté de savoir par rapport à Surveiller et punir, c’est la découverte d’une troisième sorte de singularité ou la découverte des points de résistance. En d’autres termes, je ne peux plus dire, comme je me suis contenté de le faire jusqu’à maintenant, il y a un double pouvoir fondamentalement en rapport, à savoir : pouvoir d’affecter et pouvoir d’être affecté. Il faut que j’y joigne un troisième pouvoir : pouvoir de résister. Le pouvoir de résister est une troisième sorte d’affects, irréductibles aux affects actifs et aux affects réactifs. C’est une troisième sorte de singularités.

Bien, vous voyez que tout ce texte... il me fascine ce texte parce que, si l’on se reportait un an avant, il aurait été complètement inintelligible. Le pouvoir d’affecter, dans Surveiller et punir, il ne peut avoir qu’un seul vis-à-vis, c’est le pouvoir d’être affecté. Qu’il y ait un pouvoir de résister qui ne se réduit ni au pouvoir d’affecter, ni au pouvoir d’être affecté, Foucault le découvre, pourquoi ? Parce qu’il en a absolument besoin. Je demande : quelles vont être les conséquences ? D’abord : il en a absolument besoin, pourquoi ? D’abord, répondons à la question : pourquoi en a-t-il besoin ? Parce qu’il me paraît évident que c’est seulement en centrant sur les points de résistance qu’on peut comprendre la mutation d’un diagramme. A savoir : pourquoi un diagramme change au profit d’une nouvelle distribution des rapports de pouvoir ? Tout se passe comme si [ ?] - merci beaucoup - vous allez comprendre... [il écrit au tableau] [ ?] Voilà, c’est joli hein ? Ça c’est un ensemble de rapports de forces, bon, qui va d’un point à un autre, point d’action et point de réaction. Chaque fois qu’il y a une ligne, je peux dire : PA, PR. Voilà, je dirais : un diagramme, c’est ça. Il suffit de préciser les PA et les PR, les points d’action et les points de réaction. On le précisera en déterminant les foyers de pouvoir à une époque, les foyers de pouvoir sont des points où s’affrontent précisément... ou des lignes [ ?] points d’action et points de réaction. Ça, c’est ce que je pourrais dire si j’en reste à Surveiller et punir. Les points d’action et les points de réaction sont fondamentalement liés les uns aux autres.

D’où : vous les reconnaissez à ceci qu’ils sont unis. Vous me direz : pourquoi j’unis pas ça et ça ? Parce qu’il y a dissémination, tout foyer de pouvoir n’est pas lié à tout foyer de pouvoir. Tantôt c’est lié, tantôt c’est pas lié. En tout cas vous avez : l’ensemble du diagramme unira dans un certain ordre, tous les points [ ?]. Et puis, maintenant, je suis forcé de joindre au diagramme des points de résistance, comme en quelque sorte des points non-liés, ou bien - je peux pas dire non-liés - ils sont bien liés, puisqu’en effet ils sont pas abstraits, ils résistent aux foyers de pouvoir qui existent, mais, pour indiquer qu’ils sont pas liés de la même manière que les précédents, je les mets en pointillés. Vous me suivez : les points de résistance. Si ces points de résistance, alors, qui sont virtuellement liés aux points d’action et de réaction, si ces points de résistance s’unissent entre eux... Supposez que j’aie une craie bleue, hein, ou rouge, je fais un trait bleu de là à là. De là à là. Vous voyez. Supposez donc que ces points de résistance entrent en rapport et prennent ainsi de la consistance et résonnent les uns dans les autres, votre diagramme s’écroule au profit d’un autre diagramme, c’est tous les rapports de forces qui sont redistribués. Ça va ? C’est clair ? Question ?

Deleuze : oh, non ! Ça [ ?] Euh... pas de réponse puisque Foucault ne traite pas des autres sociétés, mais dans la mesure où nous avons vu qu’il pouvait nous sembler que toute société avait une stratégie et un diagramme, alors [ ?] le confirmerait s’il y a des sociétés qui sont pensées et perpétuellement pensées sous les espèces d’une stratégie, c’est bien les espèces extrême-orientales, c’est des sociétés par nature stratégiques, les chinois n’ont jamais cessé de se penser stratégiquement dans leur formation sociale, donc ça me paraît valoir pour toute... Mais vous comprenez l’importance de ces points de résistance qui, précisément, vont assurer la manière dont un diagramme bascule, fait place à un autre diagramme qui va être l’expression d’un nouveau rapport de forces, qui va comporter aussi ses points de résistance. En d’autres termes, c’est au niveau des points de résistance que le diagramme est fondamentalement friable, renversable, objet de mutations possibles.

D’où : c’est très curieux ce texte, il me paraît extrêmement curieux, extrêmement important, car il va expliquer le point de résistance, les points de résistance, c’est à la lettre comme des contre-pouvoirs. Seulement ça va entraîner des choses, ça va entraîner des conséquences énormes pour la philosophie de Foucault, à plus forte raison pour ses conceptions politiques. Je dis, je continue à développer avant de passer aux conséquences, je dis : ce sont des contre-pouvoirs, ça veut dire quoi ? Ben, ça veut dire : chaque fois que le pouvoir détermine un objet qui lui est propre, détermine l’objet sur lequel il porte... et on a vu : chaque fois qu’il y a diagramme, il y a détermination de l’objet sur lequel porte le pouvoir... cet objet peut être rapporté également à une capacité de résistance qui le retourne contre le pouvoir. Exemple : on a vu que dans les formations de contrôle, le pouvoir et même le droit prenaient pour objet la vie. Mais que le pouvoir et même le droit..., sous quelle forme ? Sous la forme « gérer la vie, gestion des populations » ou sous la forme du droit, du droit social à savoir « assurer la vie dans l’homme », j’emploie « assurer » au sens propre du mot, au sens littéral du mot, puisque nous avons vu la dernière fois que, dans cette formation du droit social, les assurances ont joué le rôle fondamental. Mais, quand le pouvoir et le droit prennent pour objet la vie, c’est cette même vie qui se retourne contre le pouvoir et contre le droit et devient résistance de la vie contre le pouvoir contre le droit.

Et c’est ce que Foucault nous dit, dans une page très belle, aussi, de La volonté de savoir, page, cette fois-ci, 190-191, comme on ne peut pas dire mieux, je me contente de lire : et contre ce pouvoir, encore nouveau au XIXème siècle », la gestion de la vie des populations, gérer la vie, la biopolitique des populations, eh bien « contre ce pouvoir, contre, contre ce pouvoir encore nouveau au XIXème siècle, les forces qui résistent... », vous voyez, c’est pas les forces qui affectent ou qui sont affectées, « les forces qui résistent ont pris appui sur cela même que ce pouvoir investit ». Les forces de résistance ont pris appui sur cela même que ce pouvoir investit, or ce pouvoir investit la vie. Le pouvoir, la gestion de la vie des populations, investit la vie. Mais les forces qui résistent ont pris appui sur cela même qu’il investit, c’est-à-dire sur la vie et l’homme en tant qu’il est vivant. En d’autres termes c’est : le pouvoir prend pour objet la vie, la vie se tourne contre le pouvoir. « Depuis le siècle passé, les grandes luttes qui mettent en question le système général du pouvoir ne se font plus au nom d’un retour aux anciens droits, ni en fonction du rêve millénaire d’un cycle des temps et d’un âge d’or. On n’attend plus l’empereur des pauvres, ni le royaume des derniers jours, ni même seulement le rétablissement des justices qu’on imagine ancestrales. Ce qui est revendiqué et sert d’objectif, c’est la vie... » « Ce qui est revendiqué et sert d’objectif, c’est la vie, entendue comme besoins fondamentaux, essence concrète de l’homme, accomplissement de ses virtualités, plénitude du possible. » A ma connaissance, ça c’est très curieux, parce que « plénitude du possible », c’est un terme tellement spinoziste, c’est tellement..., c’est très insolite, ça, sous la plume de Foucault, ça, une expression... J’essaie de vous dire depuis le début : il y a un vitalisme de Foucault, il y a un très étrange vitalisme de Foucault. Et je crois que ce vitalisme est directement, directement dans le rapport de Foucault avec Bichat. Euh, j’ai essayé de le dire de plusieurs manières, mais s’il y a un texte vitaliste ou exprimant le vitalisme de Foucault, c’est celui-là, p.190-191. C’est la vie, « Ce qui est revendiqué et sert d’objectif, c’est la vie entendue comme besoins fondamentaux, essence concrète de l’homme... » ça c’est un hommage à Marx : « essence concrète de l’homme », ça vient de Marx, « accomplissement de ses virtualités, mais plénitude du possible », ça ça vient de Spinoza, c’est très  ?]. Je veux pas dire que c’est un style bariolé, c’est uni dans le style de Foucault, mais c’est comme si on voyait des strates de lecture, là, dans un texte comme ça. Mais, encore plus, une espèce de strate de vie, très curieuse... « Peu importe s’il s’agit ou non d’utopie [dans les luttes actuelles]... ». « Peu importe s’il s’agit ou non d’utopie, on a là un processus très réel de lutte ; la vie comme objet politique... ». C’est ça le texte essentiel, je le lis lentement : « la vie comme objet politique a été en quelque sorte prise au mot et retournée contre le système qui entreprenait de la contrôler. ». « La vie comme objet politique a été prise au mot et retournée contre le système qui entreprenait de la contrôler. C’est la vie beaucoup plus que le droit qui est devenue alors l’enjeu des luttes politiques, même si celles-ci [les luttes politiques] se formulent à travers des affirmations de droit. Le “droit” à la vie, au corps, à la santé, au bonheur, à la satisfaction des besoins, le “droit” si incompréhensible pour le système juridique classique, a été la réplique politique à toutes ces procédures nouvelles de pouvoir ».

Bon, le pouvoir prend pour objet la vie, la vie se retourne contre le pouvoir, ce qui veut dire quoi, là ? Je dis, ça, ça fait partie de l’apport complet de... de La volonté de savoir dans sa différence avec Surveiller et punir. Seulement, si vous m’avez suivi, je dis : les conséquences sont énormes... Quel est le statut... ? Bon d’accord... C’est curieux, hein, ces points de résistances disséminés dans les diagrammes, qui ont le pouvoir de faire muter le diagramme, sous certaines conditions... Mais d’où ils viennent ? Quel va être leur statut ? Est-ce que vous sentez pas que Foucault se trouve dans une drôle de situation ? Est-ce qu’il peut maintenir que les points de résistances... ou est-ce qu’il pourra maintenir longtemps que les points de résistances sont des vis-à-vis des rapports de pouvoir comme il le dit page euh... page 126-127 ? Est-ce qu’il pourra maintenir ça ? J’insistais déjà, dès le début, sur le caractère très ambigu d’une telle expression « vis-à-vis », car en toute rigueur le seul vis-à-vis d’une force d’affecter, c’est la force d’être affecté. La résistance, le pouvoir de résistance a pour propriété de pouvoir, pas dans n’importes quelles conditions, mais dans certaines conditions à déterminées, de pouvoir faire basculer les diagrammes. Les diagrammes, c’est les présentations de rapports de forces existants. Mais « pouvoir de résistance » excède de loin un simple vis-à-vis. Et est-ce que Foucault pourra maintenir sa définition du champ social, « ça stratégise », c’est de la stratégie ? Je veux dire : est- ce que, d’une manière ou d’une autre, il ne sera pas forcé de dire : ce qui [ ?] c’est bizarre, les points de résistance sont premiers par rapport au pouvoir, ils sont pas vis-à-vis, il faut bien qu’ils soient premiers. A ce moment-là, un champ social, ça doit se définir par : ça résiste de partout. Ça résiste de partout. Sous-entendu : ça résiste au pouvoir, et non pas : ça stratégise partout. Il faut bien, d’une certaine manière, que les points de résistance soient premiers par rapport au pouvoir.

Il faut bien que la résistance au pouvoir soit première par rapport au pouvoir lui-même. Est-ce qu’il faut pas aller jusque-là ? Et voilà que Foucault nous dit, dans un texte publié par Dreyfus et Rabinow, page 300 de Michel Foucault un parcours philosophique, mais c’est un texte de Foucault, sinon ça... je ne m’en servirais pas. Voilà ce qu’il nous dit : « je voudrais suggérer ici - p.300 - une manière d’avancer vers une nouvelle économie des relations de pouvoir », donc une nouvelle manière que celle qu’il a considérée jusqu’à maintenant dans son œuvre écrite. Là, c’est la transcription d’un entretien. « Ce nouveau mode d’investigation consiste à prendre les formes de résistance aux différents types de pouvoir... » « à prendre les formes de résistance aux différents types de pouvoir comme point de départ ». Ah bon ? « Ou, pour utiliser une autre métaphore, il consiste à utiliser cette résistance comme un catalyseur chimique qui permet de mettre en évidence les relations de pouvoir, de voir où elles s’inscrivent, de découvrir leurs points d’application ». « point d’application » : on l’a commenté, c’est pouvoir d’affecter - pouvoir d’être affecté, c’est l’application de la force sur la force.

Or il nous dit : d’un certain point de vue il faut considérer les résistances comme premières. Seulement il le dit dans des... si vous avez été sensibles au texte que je lisais, il le dit dans des conditions très très prudentes, car, dans la lettre du texte, il s’agit d’un primat uniquement du point de vue de la connaissance. A savoir, ce qu’il nous dit dans ce texte : peut-être bien que pour connaître les relations de pouvoir, dans une formation sociale, il est mieux de commencer l’étude des points de résistances. A la lettre, je veux dire, il dit pas plus. Est-ce que nous sommes en droit de penser qu’il est déjà amené à dire plus, que ce n’est pas simplement du point de vue de la connaissance, mais que c’est en soi que les points de résistances dans une société sont premiers par rapport aux rapports de pouvoir ? En ce sens, les points de résistances, ce sont pas, encore une fois des vis-à-vis des rapports de pouvoir, ils sont premiers. En d’autres termes un champ social résiste au pouvoir avant de se stratégiser dans des rapports de pouvoir. Qu’est-ce qui fait dire ça ? Qu’est-ce qui pourrait faire dire ça ? Qu’est-ce qui pourrait faire penser que Foucault tourne autour de ça ? Moi je dirais presque, quitte à prendre des risques [ ?] la pensée de Foucault, je dirais : il savait très bien qu’il en arriverait là. Il savait très bien qu’il en arriverait là, seulement c’était pas encore au point, donc il prend une position très prudente du point de vue de la connaissance.

Pourquoi est-une fois, mais ils l’ont rappelé très brièvement et, nous, on reviendra très brièvement là-dessus, que, dans ce qu’on a appelé le marxisme italien et même d’autres formes, déjà, d’une certaine manière, chez Lukacs, dans l’évolution du marxisme, mais particulièrement de Tronti, marxiste Italie, T R O N T I, la résistance est posée comme première par rapport à ce à quoi elle résiste. Or Foucault connaissait ces travaux. Alors pourquoi est-ce qu’il hésite ? Parce que, sûrement, il n’est pas satisfait de la manière dont Tronti le montre et que, pour son compte, il n’a pas encore trouvé la manière satisfaisante de montrer en quel sens la résistance est première dans un champ social. Mais je pense que... là c’est le cas d’une œuvre, encore une fois et à mille égards, trop vite interrompue, à la fin de son œuvre, en tout cas au niveau de La volonté de savoir, par différence avec Surveiller et punir, Foucault découvre les points de résistance comme irréductibles aux rapports de pouvoir et comme ayant l’étrange propriété de retourner contre le pouvoir, ce dont le pouvoir fait son objet, c’est-à-dire ce que le pouvoir a entrepris de contrôler. Le point de résistance, c’est quelque chose d’incontrôlable dans l’objet de pouvoir. Or ce quelque chose d’incontrôlable dans l’objet de pouvoir est premier par rapport au pouvoir.

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