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19-15/04/1986 - 2

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Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 19 -15/04/1986 - 2 Gilles Deleuze aut participant RequestDigita 46 :18

Daney emploie le mot qu’il faut,... euh... j’appelais « encyclopédie » le premier âge, « encyclopédie du monde », maintenant arrive, après la guerre, le grand moment d’une pédagogie de la perception. Apprendre à voir et à lire l’image. Et ce sera la pédagogie Rossellini. L’œuvre de Rossellini se terminant explicitement dans une tentative pédagogique. Et ce sera ce que Daney appelle très bien la pédagogie godardienne, ou la pédagogie straubienne... Et on pourrait faire une longue liste. Comme il dit, comme dit Daney, je me rappelle une formule : le métier de metteur en scène avait cessé d’être innocent, c’est-à-dire le plus grand metteur en scène ça avait été Hitler. Dès lors, d’une certaine manière, le cinéma devait vraiment se rabattre sur de nouvelles bases, encore une fois non plus « ce qu’il y a à voir derrière l’image », mais « ce qu’il y a à voir sur et dans l’image ». Et ça je peux dire c’est, bon, c’est une formation pédagogique. On pourrait dire, sans trop forcer les choses, une formation disciplinaire. Une discipline de l’image. La souveraineté de l’image a fait place... avec ce que ça veut dire : « la souveraineté de l’image », ça veut dire : il y a quelque chose à voir derrière l’image : la place du roi. Et ben la souveraineté de l’image fait place à une discipline ou pédagogie de l’image. Et c’est quoi alors ? C’est le signe de... ce cinéma, ce serait, selon Daney, ce serait l’image assumant sa planitude. L’image cinématographique assumant sa planitude. Dans la mesure où elle assume sa planitude l’œil qui regarde l’image devient œil spirituel, ce serait le stade où l’œil spiritualise la nature. L’œil qui voit l’image doit devenir un œil de voyant. L’œil du voyant c’est l’œil qui spiritualise la nature.

Bon, remarquez je fais un très rapide parallèle avec... en peinture : c’est au niveau de l’impressionnisme que l’espace pictural est présenté comme devant optique pur et assumant sa planitude. Le tableau qui assume sa planitude passe pour une conquête impressionniste, peu importe si c’est à tort ou a raison. Si bien que l’on pourrait faire, là aussi, toutes sortes de parallèles. Je dirais même et, là, on n’a pas le temps, le... euh... quand, à ce stade de l’image ou l’image assume sa propre planitude, telle que vous la trouvez chez Dreyer, chez Ozu, ça va de soi... on pourrait dire ça s’o... - oui tout de suite - on pourrait dire que ça s’oppose à la profondeur de champ chez Welles, mais c’est pas vrai. La profondeur de champ chez Welles, elle est radicalement nouvelle par rapport à la profondeur du premier régime. La profondeur de champ chez Welles, c’est une profondeur qui donne tout à voir, je veux dire : qui donne tout à voir dans l’image, à savoir qui donne tout à voir des interactions d’un plan à un autre, du plan de fond à l’avant-plan. C’est-à-dire : c’est le contraire de la profondeur du premier cinéma, le cinéma classique, qui était une profondeur où les plans servaient de cache les uns par rapport aux autres, où l’avant-plan était une espèce de cache par rapport à ce qui se passait aux autres plans.

Donc, en ce sens, la profondeur de champ de Welles, aussi bien que la planitude de Dreyer est pleinement dans le second régime, serait pleinement dans le second régime de l’image, « voir ce qu’il y a à voir sur dans l’image et sur l’image ». Et puis tout comme Hitler était comme la destruction ou l’impossibilité de continuer le premier cinéma, on sent bien qu’on est à une époque charnière, là, aujourd’hui ; et Hitler, après tout, c’était quoi, du point de vue de ce qui nous occupe ? C’était la radio. C’était la radio, tout est passé par la radio. Et la crise actuelle, la crise actuelle, ben elle est bien connue, elle est [ ?] un peu partout, elle passe par la télévision. C’est plus la radio, c’est la télévision. Et, en effet, est-ce qu’on peut dire que, actuellement, se constitue comme un troisième régime de l’image, qui ne serait plus ni le régime encyclopédique ou souverain, ni le régime pédagogique ou disciplinaire, mais comme un troisième ; Daney essaye de le définir de la manière suivante, il dit : oh, vous savez, aujourd’hui... - et sans doute c’est les mêmes auteurs, les mêmes auteurs modernes qui sont à cheval sur les deux régimes - il dit : d’une certaine manière on est dans un nouveau régime d’image.

Qu’est-ce que c’est ce nouveau régime, c’est un régime où l’image glisse toujours sur l’image. C’est-à-dire : il y a quelque chose derrière l’image, quelque chose derrière l’image, mais ce n’est plus du tout au sens du premier régime, c’est en quel sens ? C’est plus du tout de la même manière, parce que ce qu’il y a derrière l’image, c’est toujours déjà une image. Les images glissent les unes sur les autres. L’image renvoie à une image préalable, préexistante. Une image glisse sur une image, au fond de l’image, on retrouve un fond de l’image, mais, au fond de l’image, il y a déjà une image. Ou, comme dit Daney : plus rien n’arrive aux humains, tout ce qui arrive, arrive à l’image. C’est curieux, ça, et il essaie de donner un nom, de former un concept... Et il trouve la notion... et là aussi il emprunte ça à la peinture, à l’histoire de la peinture, il appelle ça le maniérisme moderne. C’est un régime maniériste de l’image. Mais, nous, on peut dire aussi bien que c’est un régime de contrôle de l’image, où l’image contrôle l’image. Ce n’est plus la même chose que le régime pédagogique ou disciplinaire. C’est un régime... Alors peut-être on trouverait l’équivalent de ce maniérisme du cinéma actuel où l’image renvoie toujours à une image et où l’image n’a pas d’autre fond que déjà une image, comme si l’image ne cessait de se... Vous voyez que c’est très différent du premier régime où, au contraire, la place du roi... les images renvoient à quelque chose qui n’est pas image, même si ce quelque chose ne peut pas être donné hors des images, mais les images tendent vers quelque chose qui est le « derrière l’image ». Là c’est plus du tout ça, les images glissent les unes sur les autres de telle manière que ce qu’il y a derrière une image, c’est toujours déjà une image. Et, là, encore une fois, dans toutes nos catégories, j’insiste toujours sur ceci : c’est ni bon ni mauvais. Ça contient le plus nul et le plus beau. Chaque régime a sa médiocrité de production et a ses chefs d’œuvre.

Alors, si j’essaie de préciser un peu : qu’est-ce qu’il y a dans ce maniérisme des images actuellement, ou bien dans ce troisième régime : l’image contrôle l’image ? Ben, il y a la télé. Il y a la télé dans ce... y compris, y compris dans ses formes les plus exécrables. Avec la télé, il n’y a plus besoin de faire du cinéma puisque c’est le monde qui fait du cinéma. C’est le monde qui fait du cinéma, très bien. C’est plus la peine de voyager à la limite, puisque voyager c’est vérifier comment fonctionne, là-bas, la télé. Alors, c’est... c’est. Des études sérieuses se sont intéressées à la question très très importante : quel est le genre de spectacle qui plaît le plus aux gens actuellement ? Eh ben, il semblerait que, euh... il y avait un article dans Libération qui s’était fait l’écho de ce problème, il semble que l’un des spectacles les plus prisés actuellement ce soit la participation à une émission, comme spectateur. Pas participer activement... que on veuille aller à la télé parler et expliquer son problème, c’est très légitime, ça, mais... mais, mais assister à une émission en train de se faire... Aussi vous remarquez que, actuellement, de plus en plus d’émissions intègrent les spectateurs. Vous direz : est-ce inquiétant ? Est-ce prometteur ? Euh... Les gens semblent considérer que, peut-être est-ce que c’est inquiétant, parce que, comme spectacle, je vois comme équivalent que la visite à l’usine. Or la visite à l’usine, ça n’a jamais été très... Vous savez : on touche de la technique. D’un tel genre de spectacle, il y a un mot qui rend compte parfaitement de la nature du spectacle, on dit : c’est enrichissant (rire). C’est très enrichissant, alors... Les émissions, vous savez, à la télé, c’est toujours très intéressant, vous avez toujours une bande de types dont on se demande : qu’est-ce qu’ils font là ? Eh ben il semble que leur point de vue soit celui de spectateurs techniques. C’est pas du tout qu’ils trouvent ça beau, ni intelligents, mais euh... ils trouvent ça enrichissant. Pourquoi ? Parce qu’ils voient comment ça se passe, ou ils croient voire comme ça se fabrique. Alors ça peut être au niveau où les types, les gens..., alors il y a des spectateurs pour voir, par exemple, un présentateur de télé se maquiller avant l’émission. Donc l’émission est avant l’émission. Puisque, finalement il y a toujours une image avant l’image et l’image glissera sur l’image. Et la participation et la présence de spectateurs à l’émission en train de se faire sera comme garante de ce glissement de l’image sur l’image.

Bon. Alors, euh... Bien plus j’ai remarqué... je comprenais rien... Il y a une émission où il y a des spectateurs, mais on les voit pas. Alors c’est très curieux, il y a des cas où l’on voit les spectateurs, il y a des cas... Mais, de toute manière, il faut que l’émission en train de se faire se fasse devant des spectateurs pour que l’image ait pour fond des images. Alors, ça, c’est, mettons, les formes « enrichissantes », mais pas les plus... mais pas... la technique, le contact avec la technique. Toucher de la technique. C’est formidable, ça, toucher de la technique. C’est pas de devenir technicien, c’est pas du tout des gens qui veulent... Non, ils veulent toucher de la technique. Alors, ça fait rêver... Curieux parce que... Bon, mais euh... Alors quand même on monte dans les exigences esthétiques. Prenez un cas comme Coppola. Même techniquement. Il y a comme on dit prévisualisation. C’est un régime de l’image par prévisualisation. Prévisualisation. Prévisualisation par vidéo. Si bien que le film est filmé hors de la caméra. Chez Coppola, sous des formes souvent très très intéressantes, ce sera un cas typique de ce maniérisme moderne où toute image a pour fond des images préexistantes. En allant plus loin dans la technique, j’ai pas besoin de dire, je l’indique juste, que les nouvelles images, comme on dit, les images numériques, sont typiquement avec des procédés comme incrustations ou... ou bien d’autres procédés, sont typiquement des régimes d’image où l’image glisse sur l’image, où ce qui arrive arrive à l’image et où l’image a toujours pour fond une image. Mais, comme toujours, il y a pas besoin de techniques très très complexes, comme les images numériques, je veux pas dire qu’elles servent à rien, les images numériques, mais c’est typiquement des images de contrôle. L’image numérique, comme nouvelle forme d’image impliquant un nouveau régime d’image renvoie à un régime de contrôle où l’image contrôle l’image.

Mais je dis, indépendamment de ça, euh... vous avez des techniques beaucoup plus simples qui assurent ça, pensez à un cinéaste comme Syberberg, toute la question, là, pour ceux qui savent, des perspectives frontales et de la technique des perspectives frontales telle qu’elle apparaît chez Syberberg, lui permet quoi ? Ben de filmer un acteur sur fond de diapositives et c’est typiquement... la perspective frontale chez Syberberg est typiquement une illustration d’un régime de contrôle de l’image. Ce serait bien parce que je me dis : ces trois régimes... Alors qu’est-ce qu’il y a chez des auteurs les plus importants du cinéma actuel ? Je crois qu’il y a le passage du deuxième au troisième, du deuxième au troisième stade. Ils ont commencé comme... prenez la Nouvelle Vague, prenez euh... même ils sont, ils sont complètement à cheval. Ils ont un pied dans le nouveau régime. Vous voyez Godard serait exemplaire à cet égard. Et ils ont été le créateurs du grand régime pédagogique, et... Bref, bon, je veux pas développer, ça. C’est pas [ ?]. Je veux dire : à ce niveau de régime de l’image, on pourrait retrouver, retrouver un équivalent de cette succession, mais décalée dans le temps - parce que c’est pas la même temporalisation - décalée dans le temps, on pourrait trouver une espèce de régime de la souveraineté de l’image, de la discipline de l’image et du contrôle de l’image. Voilà donc ce que je voulais ajouter et on en a fini avec ça. Bon, il n’y a pas de ..., il n’y a pas de remarque ?

Quelqu’un dans l’auditoire : si, je voulais dire quelque chose.

Deleuze : oh, zut ! On a... on a raté l’émission, on a oublié à 10h, on a raté les nouvelles. Une autre personne : [ ?] toutes les heures

Deleuze : toutes les heures ? Alors dites-le moi à 11h hein ! Parce que si les avions libyens arrivent, il vaut mieux être au courant quoi... Oui ?

Premier intervenant : oui, je voulais dire quelque chose, c’est qu’il y a toujours une espèce d’ambiguïté au niveau de l’image, parce que c’est le même mot qui sert, à mon avis, pour plusieurs choses. Ça avait été repris et développé, à mon avis, par Sartre notamment qui, dans sa terrible Imagination, dit : il y a image-vignette, bon, ça dit bien ce que ça veut dire, c’est l’image qui est là alors que, au cinéma, il y a ce qui est fondamental dans tout ce [ ?) image de cinéma, il y a le mouvement, ça bouge ! Il y a toujours quelque chose qui bouge, quand même. C’est quand même différent du fait de la contemplation, le regard ou tout ce qu’on veut d’une image dite vignette. Alors il y a l’introduction, là, du mouvement et Sartre disait justement : c’est deux types de consciences différentes finalement. Euh je peux regarder, comme ça, un film, j’ai une certaine distance par rapport au film, elle vaut ce qu’elle vaut, mais enfin j’ai une distance par rapport au film, tandis que, dans l’image-vignette, très souvent c’est une conscience imageante qui me survient, dont je suis en quelque sorte... [ ?] passif, que je reçois et cette dimension-là disparaît dans l’image-mouvement qui est celle du cinéma. Donc je redis, là, la première remarque que je voulais dire, c’est qu’il y a une espèce d’ambiguïté, c’est le même mot image qui sert à la fois pour la vignette qui est immobile et pour ce qui défile pour le film, qui défile au cinéma, il y a l’introduction du mouvement qui peut être différent et qui peut donc provoquer, chez le spectateur, une conscience différente. Sartre disait que, dans la conscience imageante, il y a quelque chose qui me survient, c’est pas quelque chose que je prends, ou une attitude que je règle, c’est quelque chose qui m’arrive. Et je termine par un exemple que, par exemple, dans le... le nom m’échappe, celui qui a écrit l’amant de Lady Chatterley, là, il dit : aujourd’hui, on ne voit plus comme autrefois, comme dans l’antiquité, des types qui, tout d’un coup, vivent profondément une image, que ce soit une flaque d’eau ou n’importe quoi. Les types sont frappés par une image et la vivent profondément. Ça glisse... A cause justement de l’introduction du mouvement probablement. Alors c’est cette ambiguïté notamment, entre autres, que... de l’image, image vignette, image film etc. c’est le même mot qui sert, à mon avis, pour des choses différentes. Je sais pas si c’est recevable ou si on peut en tirer des conséquences importantes. Mais, cette espèce aussi de conscience imageante, par rapport à la conscience perceptive, puisqu’on parlait de pédagogie de la perception, il me semble qu’il y a quelque chose, là, qui me laisse un peu insatisfait et...

Deleuze : ouais. Quant à ça, c’est pas exactement notre problème parce que, là, je prenais l’image en un sens, comme sous-entendu, euh... Moi je suis pas non plus satisfait par... Je comprends le choix en effet... tu as raison de rappeler que, chez Sartre, il y a un certain... ouais, je veux dire : le choix, il est pas entre une image où il y a du mouvement et l’image..., ce que tu appelles l’image-vignette. Parce que, prends un tableau, ça bouge pas... Personne ne considère ou ne peut réduire un tableau à une vignette. D’une certaine manière ça bouge étrangement. Quel mouvement, quel mouvement est-ce qu’il y a dans un tableau ? Il y a évidemment un mouvement. Ce mouvement, pourtant, il y a pas des choses qui bougent dans le tableau. Alors, dans l’image cinématographique, ça bouge vraiment... Tu dis : est-ce que c’est pas une raison pour laquelle... ça, que... il y a pas tellement de contemplation comme du temps où l’image ne contenait pas de mouvement. Je n’en suis pas sûr. Contemplation, contemplation, ça a toujours été réservé à une minorité de gens. La peinture aussi c’était réservé à une minorité de gens. Qu’est-ce que les gens qui aiment le cinéma trouvent dans le cinéma actuellement ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Mais ça me paraît une source de contemplation très intense, euh, chez tous les grands auteurs de cinéma, le facteur contemplation est intense, intense. Sinon comment est-ce qu’on parlerait de la pluie chez tel ou tel auteur ? La pluie chez Antonioni, on la confond pas avec la pluie, euh, euh... qui c’est qu’il y a encore comme auteur de la pluie ?

Etudiant : Kurosawa

Deleuze : euh chez Kurosawa. Alors, la pluie, bien sûr, c’est quelque chose qui tombe et qui bouge. N’empêche que c’est l’objet d’une contemplation fondamentale, la pluie. Or, la pluie, elle est signée. Les images de pluie, elles sont signées. Encore une fois, c’est vrai que... la pluie d’Antonioni, je crois que tout le monde... enfin tous ceux qui aiment Antonioni la reconnaissent. Euh... ça a beau bouger, c’est objet d’une contemplation absolue, hein. La pluie tombe, voilà. C’est aussi signé qu’un tableau, c’est aussi objet de contemplation qu’un tableau. Il faudrait pas dire, par exemple, que l’on ne contemple pas au cinéma. C’est un objet de contemplation fantastique, le cinéma. Euh, moi, ce qui me conviendrait pas, si tu veux, dans ce que tu dis, c’est que je trouverais que la dualité entre ce que tu appelles une image- vignette et l’image- mouvement, est beaucoup trop simple, est beaucoup trop... Parce qu’encore une fois, qu’est-ce qui se meut ? Ça va de soi que, des rapports de couleurs, c’est un mouvement dans un tableau. Il faut arriver à définir beaucoup plus ce qui est mouvement et ce qui est pas mouvement. Les rapports de couleurs c’est de toute évidence un mouvement. Quand vous avez un rapport entre un bleu et un rouge, c’est un mouvement et c’est un mouvement qui est dans le tableau. Simplement c’est un mouvement... moi je dirai beaucoup plus : dans une image picturale, le mouvement n’est pas extensif, mais il y a tellement d’autres mouvements que des mouvements extensifs. Dans le cinéma, il y a des mouvements extensifs, mais il y a aussi des mouvements d’une autre nature. Mais enfin, ça, c’était juste, euh... je développais ce truc sur l’image euh... un peu parallèlement à ce que... Vous voyez...

Question : la question, elle est pas entre l’image qui bouge pas et l’image qui bouge, mais elle est plutôt entre euh... entre les nouvelles images, c’est-à-dire les images télé et l’image cinéma qui est, à mon avis, de la même époque que l’image-peinture, du même côté, quoi... Alors que j’ai l’impression que l’image télé c’est... [ ?]

Deleuze : oui, oui, oui, oui.

Intervenante :... enfin, là, moi je voudrais un cours...

Deleuze : sur l’image télé ? Ah j’en suis bien incapable. Oui, sûrement, sûrement, oui... Mais c’est en partie, il me semble, parce que le régime de l’image télé est typiquement, déjà, un régime de contrôle de l’image.

Intervenante : oui

Deleuze : au fond de l’image, une image, c’est-à-dire : ce qui arrive arrive aux images.

Intervenante : oui, ce qui n’est pas du tout le cas...

Deleuze : ce qui n’est pas du tout le cas du cinéma euh... après-guerre.... Bon allez ! On laisse, hein !

Alors, finalement, au point où nous en sommes, nous sommes enfin, enfin tout près, ou on peut croire que nous sommes tout près d’en avoir fini avec notre question du pouvoir, avec la question de Foucault concernant le pouvoir. Et, finalement, si vous voulez, il me semble que le rapport... puisqu’on avait fait un premier trimestre sur le savoir... et puis un second trimestre sur le pouvoir... eh ben enfin on touche au but, sous quelle forme ? Ben il me semble que sur trois points principaux. Nous avons essayé de développer, chez Foucault, la nécessité de la confrontation pouvoir - savoir. Le pouvoir, c’est toujours un ensemble de rapports de forces bien déterminé. C’est toujours un ensemble de rapports de forces. Un ensemble de rapports de forces, je vous rappelle, se présente dans ce que Foucault appelle une fois un diagramme. C’est le diagramme qui est la présentation des rapports de forces à un moment donné. Eh bien je dirais, première direction : on cherche quel est le rapport entre... ou plutôt quelle est la relation entre des rapports de forces et des formes qui en découlent. Et, ça, on l’a vu, des formes qui seront des formes de savoir découlent des rapports de forces. Par exemple, on l’a vu tout récemment, la forme Dieu, la forme homme, la forme surhomme peuvent être considérées comme découlant de rapports de forces changeants. Ça, c’est tout un premier aspect sur lequel on a...

Deuxième direction : on considère des foyers de pouvoir, les foyers de pouvoir présentés dans le diagramme, c’est l’équivalent des rapports de forces, mais avec une autre... l’accent est mis sur un autre aspect, il est mis sur... non plus sur les rapports, mais sur les points de pouvoir, une fois dit que les rapports de forces, vous vous rappelez, chez, Foucault vont toujours d’un point à un autre point dans un champ social, on considère les foyers de pouvoir et qu’est-ce qui découle des foyers de pouvoir ? Il en découle des régimes d’énoncés ou ce que Foucault appelle des corpus. Si bien que, ça on l’a vu il y a longtemps, à la question « comment choisir les énoncés dominants d’une époque ? Comment constituer les corpus d’énoncés ? », Foucault répondait : il faut d’abord déterminer les foyers de pouvoir et voir quels mots, quelles phrases s’échangent au niveau de ces foyers. Par exemple : quel sont les énoncés concernant la sexualité au XIXème siècle ou au XVIIIème siècle ? Déterminons d’abord les foyers de pouvoir autour desquels se forment des discours sur la sexualité. Et ce sera de ces foyers de pouvoir que découlent les énoncés dominants de l’époque sur la sexualité. Et qu’est-ce que c’est alors, ces foyers ? Eh bien ce sera le confessionnal, ce sera l’école, ce sera la médecine, certains secteurs de médecine etc. Et la méthode de Foucault nous avait paru, là, très importante, puisque, en effet, sinon il n’y aurait pas de règle de la méthode pour choisir... qui nous permette de choisir les énoncés caractéristiques d’une formation historique. Comment choisir, comment sélectionner les énoncés si vous avez d’abord déterminé les foyers de pouvoir autour desquels les discours s’échangent ? Donc ça n’était plus : rapports de forces dont découlent des formes, mais c’était : foyers de pouvoir dont découlent des énoncés dominants. J’ai pas besoin d’indiquer que c’est à la fois une autre réponse et que, en même temps, les deux réponses sont absolument liées.

Troisième direction que nous avions vu sur, toujours, ce problème « quel rapport y a-t-il entre le pouvoir et le savoir ? », eh bien c’est que le pouvoir - et c’était une nouvelle manière de déterminer le pouvoir - le pouvoir consiste en... en un ensemble de matières abstraites, ou, si vous préférez, de matières non-formées et de fonctions non-formalisées. Mais il en découle des matières formées ou qualifiées et des fonctions formalisées ou finalisées. Cette fois-ci, vous voyez, ça va être la même chose, toujours. C’est encore la même chose que les deux autres cas, mais c’est, c’est... l’éclairage est mis sur un autre aspect. A partir de matières non-formées et de fonctions non-formalisées, découlent des fonctions concrètes, c’est-à-dire des matières formées, des fonctions formalisées. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ben, en effet, qu’est-ce que ce sera, le pouvoir ? Je reprends mes exemples que je ne développe plus : imposer une tâche quelconque à une multiplicité quelconque, voilà la formule de la discipline, voilà le pouvoir disciplinaire, le pouvoir disciplinaire pur, à l’état pur. Maintenant vous pouvez déjà corriger de vous-mêmes : il n’y a jamais de pouvoir à l’état pur, mais je peux toujours faire une abstraction. En effet, je vous rappelle le principe de Foucault : tout est toujours... dans le concret tout est mixte de pouvoir et de savoir, il n’y a pas de pouvoir pur, ni de savoir pur. Mais je peux, par abstraction dégager un pouvoir au sens abstrait. Le pouvoir au sens abstrait ce sera, le pouvoir disciplinaire ce sera : imposer une tâche quelconque à une multiplicité quelconque. Bon, je dis : multiplicité quelconque, c’est ça que j’appelle une matière non-formée. On ne dit pas quelle multiplicité, est- ce que c’est des enfants ? Est-ce que c’est des hommes ? Est-ce que c’est des femmes ? Est-ce que c’est des ouvriers ? Est-ce que c’est des soldats ? J’ai pas à le savoir. « Multiplicité quelconque » c’est-à-dire matière non-formée. Imposer une tâche quelconque : je précise pas laquelle. Est-ce que c’est éduquer ? Est-ce que c’est faire travailler ? Est-ce que c’est soigner ? Est-ce que c’est faire faire l’exercice ? Je dis pas. Une tâche quelconque.

Voilà le pur diagramme : imposer une tâche quelconque à une multiplicité quelconque. Mais qu’est-ce qui en découle ? C’est-à-dire dans quoi le diagramme va-t-il s’effectuer ? Ben dans des fonctions formalisées et des matières formées qui, dès lors, seront toutes détentrices de savoir. Exemple : la multiplicité n’est plus une multiplicité quelconque, c’est une multiplicité d’enfants. Matière formée. L’enfant est une matière formée. Et la fonction correspondante, ça n’est plus imposer une tâche quelconque, c’est éduquer. Ce sera l’école. Si la multiplicité quelconque n’est plus l’enfant, mais les malades. La fonction formalisée correspondante sera : soigner. Et la forme ce sera non plus la forme école, mais la forme hôpital. Si la multiplicité quelconque est « jeunes gens bien constitués de... » euh, à quel âge on faisait son service au XIXème siècle ? 21 ans ? Euh... jeunes gens bien constitués de 21 ans. Bon, la matière formée sera : soldat. Et la tâche quelconque ne sera plus quelconque, ce sera : dresser des soldats. Vous voyez : à chaque fois je peux dire : ce qui définit le pouvoir ou le diagramme, c’est-à-dire l’ensemble de fonctions non- formalisées et de matières non-formées découlent des fonctions concrètes formalisables et des matières concrètes formables.

Donc c’est comme trois aspects, mais qui reviennent au même. Par-là j’ai résumé ce qui a fait l’objet, là, de notre recherche sur les rapports pouvoir - savoir , savoir - pouvoir. Comment du pouvoir s’incarne, s’actualise toujours dans des formations historiques, formations historiques qui constituent elles-mêmes des savoirs. D’où l’idée : tout pouvoir implique savoir, tout savoir implique pouvoir. Mais vous voyez comme de trois manières différentes, la méthode de Foucault, là, est une espèce de variété... Mais l’ensemble est extrêmement rigoureux et cohérent. Seulement, au moment où on croyait en avoir fini - c’est toujours comme ça que c’est beau - quand on croyait en avoir fini, on bute sur quoi ? D’accord, tout ça, d’accord, mais alors, quoi ? Qu’est-ce qui fait changer les diagrammes ? Qu’est-ce qui fait passer d’un rapport de forces à un autre rapport de forces ? Qu’est-ce qui fait changer... On a toujours dit... on a toujours indiqué : il y a des mutations, il y a des mutations de diagrammes, et on l’a vérifié jusqu’à aujourd’hui les mutations de diagrammes. Changement dans les régimes d’images c’est une mutation. Changement dans les formations juridiques, on l’a vu la dernière fois, c’est une mutation, c’est des mutations. Changement dans euh... dans les rapports de forces dont découlent les formes dieu, homme, surhomme, c’est, si l’on peut dire des mutations diagrammatiques qui entraînent toujours de nouvelles formes, de nouvelles formations sociales. Ben, c’est très joli « mutation », mutation, mutation, mais ça paraît un peu facile, ça. Qu’est-ce que c’est que ces mutations ? Le mot « mutation » d’accord, Foucault l’emploie... Foucault invoque la mutation, et au niveau des rapports de forces.

Bon, bien, mais est-ce qu’il nous laisse, comme ça, il nous abandonne, il dit pas quelque chose de plus. Comment rendre compte de ces mutations ? Comment expliquer que l’on passe d’un diagramme à un autre diagramme ? Et quel rapport y a-t-il entre le diagramme B et le diagramme A ? On a essayé de montrer tout ça, on a essayé, mais je crois que, pour finir, le moment est venu d’essayer d’être plus... Ce que nous savons, c’est que tout diagramme est stratégique, et que, en apparence au moins, à la question « qu’est-ce qui se passe dans un champ social ? », la réponse propre de Foucault, et qui a une grande importance, la réponse propre de Foucault c’est, ce serait : eh bien, ce qui se passe dans un champ social, c’est que ça stratégise. Un champ social, c’est le lieu d’une stratégie ? Qu’est- ce qui définit une stratégie ? Eh bien le rapport de forces présenté dans le diagramme. Les rapports de forces définissent la stratégie correspondant à une formation sociale considérée. Ce qui veut dire, en effet, tout diagramme est le lieu d’un combat. Combat de forces. Et c’est du combat des forces que les formes découlent. Mais je reprends la question : en quoi consiste le combat ? Entre qui et qui est-ce qu’il se fait, le combat ? C’est là que je voudrais que... il y a nécessité d’être tout à fait minutieux puisqu’on a laissé cette question. On s’aperçoit maintenant, on s’aperçoit qu’on parlait de mutation, on parlait de substitution d’un diagramme à un autre, mais, encore une fois, le moteur de la substitution, du remplacement d’un diagramme par un autre, on avait laissé...

Alors qu’est-ce qui se passe qui expliquerait le changement de diagramme, c’est-à-dire le passage d’une formation historique à une autre ? On pourrait concevoir une première réponse, à savoir : entre qui et qui se fait le combat, dans la stratégie ? Ça on a déjà répondu, on a répondu dès le second trimestre, il y a déjà longtemps. Toute force a un double pouvoir, pouvoir d’affecter et pouvoir d’être affecté. Considérez que le pouvoir d’être affecté est un pouvoir non moins que le pouvoir d’affecter. Affecter et être affecté... quoi ? Comme quoi ? Ben pouvoir d’être affecté par une autre force, pouvoir d’affecter une autre ou d’autres forces (la force est toujours au pluriel). Bien. Je dirai donc : il y a des forces... le combat se fait entre forces affectantes et forces affectées. Bien plus, je peux même dire : forces affectantes et forces affectées, c’est déjà le résultat du combat. Mais qu’est-ce que ça veut dire, mieux ? Tout pouvoir, nous dit-il, Foucault, va d’un point à un autre. Qu’est-ce que c’est un point dans un champ social ? Il a pas à nous le dire, ça parle tout seul, mais, nous, il faut bien qu’on propose une définition qui nous paraisse conforme à la pensée de Foucault. Je dirais : il me semble, pour Foucault, un point - au sens où il dit « tout pouvoir ou tout rapport de forces va d’un point à un autre » - un point c’est toujours le point d’application d’une force sur une autre. Point d’application d’une force sur une autre. Et le synonyme de point ce serait « singularité ».
-  Une singularité, c’est le point d’application d’une force sur une autre force. D’où l’expression courante en mathématique : « point singulier ». Mais on voit en quel sens elle peut nous servir dans une théorie des forces, les points comme points singuliers ce seront les points d’application d’une force sur une autre force. Si bien que je peux distinguer deux sortes de points ou deux sortes de singularités. Les points qui marquent ou les singularités qui marquent la manière dont une force est affectée par une autre et les singularités qui marquent la manière dont une force en affecte d’autres. Mettons, uniquement par commodité, on appellerait « points actifs » les uns, les points d’application de la force qui affecte, et on appellerait « points réactifs », « points de réactions » ou « singularités de réactions », les points d’application sur la force affectée.

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