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- 08/04/1986 - 3

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Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 18 - 08/04/1986 - 3 Cours du 8 avril 1986 Gilles Deleuze aut participant RequestDigital 46 min 08 sec

Le livre suivant, Volonté de savoir, fait un progrès ; ce progrès, si je le prends à la lettre, consiste en ceci, dire : les formations disciplinaires ne consistent pas seulement en une discipline des corps. S’y joint, en plus, ce dont Surveiller et punir ne disait pas un mot, s’y joint quelque chose qui est très différent de la discipline des corps, à savoir une biopolitique des populations qui apparaît également et se développe dans le courant du XIXème siècle, bien qu’elle ait été préparée à la fin du XVIIIème siècle. Et cette biopolitique des populations, je signale que Foucault, très rapidement, puisque c’est pas son projet, la poursuit jusqu’à notre période, notamment fait de nombreuses allusions au fascisme et à l’importance d’une biopolitique des populations du point de vue de la race dans le fascisme. Si bien que, dans l’état des textes de Foucault, il me semble que - je dis pas du tout qu’il faille choisir - beaucoup de choses rendraient possible la distinction en fait de trois formations et pas simplement de deux. Il y aurait... Alors j’essaie d’être clair, car en effet l’essor de la biopolitique des populations juridiques me paraît historiquement, là, postérieur à l’essor de la mise en discipline des corps. Donc, même s’il y a empiètement, est-ce qu’on ne pourrait pas fermer, à partir des textes de Foucault, l’hypothèse suivante de trois formations juridiques, et non pas de deux ?

Premièrement : formation de souveraineté, avec comme terminaison révolution française et ... qui correspond en gros à Moyen-âge en partie et euh... âge classique, monarchie absolue.

Deuxième formation : formation disciplinaire du côté de l’après-révolution, Napoléon et le XIXème siècle. Et, bien sûr s’enclenchant déjà à cette période, apparition d’une troisième formation, fondée cette fois sur une biopolitique des populations, qui s’ébauche au XIXème siècle et éclate au XXème. Vous voyez où je veux en venir, il y aurait, là, correspondant... conformément à ces trois formations, il y aurait trois sujets de droit très différents, trois formes juridiques très différentes. Comment nommer la troisième, si l’on arrive à l’isoler ? On dira, [ ?] employer, là, le mot que l’auteur américain dont je vous parlais, euh, à propos de la littérature, dont Burroughs se sert, c’est une formation à pouvoir de contrôle. On aurait donc : pouvoir de souveraineté, pouvoir disciplinaire, pouvoir de discipline, pouvoir de contrôle. Qu’est-ce que c’est que le terrible pouvoir de contrôle dont Burroughs a fait un portrait ? Je dis cela, je m’autorise de cela parce que l’admiration de Foucault et la connaissance qu’il en avait, l’admiration de Foucault pour Burroughs, bien que, à ma connaissance, il n’en ait pas parlé, dans ses écrits, était très... était très grande et que notamment les analyses que Burroughs a fait du contrôle social dans les sociétés modernes après la guerre, après la guerre, avait beaucoup frappé Foucault. Oui. Euh, essayons de les caractériser, là, très...

Formations de souveraineté, je vais assez vite : Foucault leur donne deux caractères. Foucault leur donne deux caractères intéressants. C’est des opérations de prélèvement, c’est un pouvoir qui consiste à prélever sur l’homme d’une part et, d’autre part, à décider de la mort. Prélever sur toutes les activités de l’homme et décider... et décider de la mort. C’est le droit du souverain. Bon. Là je veux pas, comme... sinon ça... entraînerait trop. Je dis : accordez-moi qu’on pourrait dire : c’est, en droit pur, la forme Dieu. Le sujet de droit c’est Dieu. C’est-à-dire le souverain. Identité du souverain avec le Dieu, pourquoi ? Le Dieu, c’est d’une part celui qui prélève - le prélèvement c’est la part de Dieu, le sacrifice c’est la part de dieu, c’est l’économie du prélèvement l’économie de souveraineté. Et d’autre part c’est celui qui décide de la mort. C’est le juge.

Qu’est-ce qui se passe ? Lorsqu’on passe aux sociétés disciplinaires ? Sociétés disciplinaires, on a vu, là, je peux aller relativement vite, qu’on fait un peu du regroupement, là. Vous vous rappelez peut-être comment Foucault définissait la discipline. Discipliner, c’était faire subir une série d’opérations déterminées à une multiplicité humaine peu nombreuse, prise dans des limites assignables. C’était ça discipliner : imposer des tâches, voilà exactement. Discipliner pour Foucault, c’était imposer des tâches à des multiplicités humaines peu nombreuses, prises dans des limites assignables. Et il répondait : ce qui apparaît, dans le XIXème siècle, la formation des grands milieux d’enfermement, prisons, écoles, casernes, usines etc. Vous voyez. Je dis : ça, c’est la discipline. Il ne s’agit plus..., voyez en quoi ça s’oppose, il ne s’agit plus de prélever, il s’agit de composer des forces. Pourquoi composer des forces ? Il s’agit de composer des forces pour leur faire produire un effet plus grand que celui qu’elles auraient produit si elles étaient restées isolées. Composer des forces en fonction d’un effet utile à obtenir. Il ne s’agit plus de prélever, il s’agit de composer, c’est un tout autre but. Il ne s’agit plus de décider de la mort, il s’agit de discipliner les corps. Je crois que, et d’après les analyses de Foucault, on peut dire que c’est dans cette formations disciplinaire que la notion d’homme, que la forme juridique « homme », s’est constituée. Et ce qui compte dans une telle formation, en effet, ce n’est pas le rapport de l’homme avec le souverain, c’est le rapport de l’homme avec l’homme pour qu’en sorte le maximum d’effets. Le sujet de droit n’est plus le souverain, le sujet de droit c’est l’homme.

Alors, au choix, vous allez dire : ou bien, troisième période, mais ça revient presque au même, ou bien troisième formation, ou bien complication de la seconde formation. Mais, moi, je crois qu’on aurait intérêt, peut-être, à distendre et à dire : c’est vraiment comme une troisième formation. Quoi ? Le troisième âge du droit, à ce niveau, biopolitique des populations. Qu’est-ce que c’est la biopolitique des populations ? En quoi ça se distingue du dressage des corps, de la discipline des corps ? Ça s’en distingue tout à fait parce que cette fois-ci il s’agit de quoi ? La biopolitique des populations apparaît lorsque le droit se propose de gérer la vie, nous dit Foucault, de gérer la vie dans des multiplicités ouvertes quelconques. Vous voyez l’importance de la différence entre la discipline et la biopolitique. L’un c’est dans un espace ouvert, c’est des grandes multiplicités dont les limites ne sont pas assignables. Elles ne seront traitables que par le calcul des probabilités, d’où le développement du calcul des probabilités et le sens des contrôles social des probabilités, probabilités de nuptialité dans une... dans une nation... probabilités de mortalité, probabilités de natalité, natalité, nuptialité, mortalité... euh... je cherche d’autres... euh, bon... euh, planification, expansion des céréales, arrachement des vignobles etc. Vignobles, céréales : c’est des populations aussi, il n’y a pas que les hommes qui sont des populations. Il s’agit vraiment de gérer les populations, dans des espaces ouverts. Allez, il faut supprimer des vaches ! Ah ? Ça c’est de la gestion, c’est plus de la discipline, c’est plus de la société disciplinaire, c’est quoi ?

Là, c’est pour ça que le mot contrôle... c’est de la société, c’est du pouvoir de contrôle qui est très différent du pouvoir disciplinaire. Alors peut-être qu’il a pris racine le pouvoir de contrôle, il s’est esquissé en même temps que le pouvoir disciplinaire se... euh... se... s’affermissait. Mais, c’est pas la même formation juridique, il me semble. Et c’est pas le même sujet de droit. Pourquoi c’est pas le même sujet de droit ? On a vu que le sujet de droit des formations de souveraineté c’est finalement le souverain, c’est-à-dire Dieu. Le sujet de droit de la discipline, c’est l’homme. L’homme discipliné. La discipline a pour fonction de former l’homme comme sujet de droit. Et l’homme comme sujet de droit, c’est l’homme en rapport avec l’homme, de telle manière que, de leur composition, surgisse le maximum d’effets utiles. Remarquez que la forme, dès lors, je dirais, le sujet de droit ce n’est plus Dieu, c’est la personne. A l’âge humaniste, le sujet de droit c’est la personne et les droits sont les droits de la personne et qu’est-ce que la personne ? C’est l’homme en tant qu’être discipliné.

Ce que Nietzsche dira si admirablement : l’homme en tant qu’être capable de tenir une promesse. C’est ça le sujet de droit. L’homme discipliné ou, dira-t-il plus violemment, Nietzsche, l’homme domestiqué, mais il donnera comme définition ultime dans des pages merveilleuses du type : comment dresse-t-on l’homme... - ça ce serait la version nietzschéenne de Foucault - comment dresse-t-on l’homme à tenir des promesses ? Ce dressage de l’homme qui en fait un sujet de droit, c’est-à-dire qui en fait une personne. Et la relation de la personne à la personne, c’est tout le droit de la personne au XIXème siècle, c’est le contrat. Le contrat c’est la relation de la personne avec la personne de telle manière que, de cette conjonction des personnes surgisse le maximum de biens. Tout ça vous laisse rêveurs, hein ! Comme c’est une vieille pensée ! Comme vous devez déjà pressentir que le droit ne pense plus à [ ?]. Pourtant c’est des notions qui paraissaient sacrées. Voilà ce qui se passait dans le temps, dans le temps lointain. Mais maintenant... Je dis : nous sommes à l’âge de la biopolitique des populations, que la population peut être aussi bien des céréales, des moutons, des vignobles, des hommes, tout ça est pris dans des populations, c’est-à-dire des multiplicités nombreuses sans limite assignable, sauf... sauf... sauf des limites probabilitaires, sauf des... comment on dit ? Des échelles probabilitaires, ce qui a remplacé les limites assignables de l’enfermement, c’est les échelles probabilitaires. C’est-à- dire des zones, des zones de probabilité. Vous avez des zones de probabilité pour que tant de français aillent en vacances en Espagne etc. C’est plus des limites : vous avez pas de limites, vous avez aucun besoin d’avoir des limites.

Vous comprenez pourquoi que c’est pas l’enfermement ? Le troisième âge ne peut plus être celui de l’enfermement. L’enfermement, on n’a plus rien à en faire, puisque les limites assignables sont remplacées par des zones de fréquence. C’est la zone de fréquence qui compte. Qu’est-ce que vous avez besoin d’enfermer les gens puisque la probabilité vous certifie que vous les retrouverez tous sur l’autoroute tel jour à telle heure ? Ça va de soi que l’enfermement est absolument inutile, il devient même, à cet égard, il devient coûteux, il devient stupide, il devient socialement irrationnel. Le calcul des probabilités est bien meilleur, là, que les murs d’une prison. Bon, alors, c’est ça un pouvoir de contrôle et non plus un pouvoir disciplinaire. Moi je crois qu’il faut dire et qu’il y a pour le dire tous les éléments chez Foucault. Le pouvoir de... le pouvoir disciplinaire qu’il analyse dans Surveiller et punir est un pouvoir fini. La preuve est que Foucault, à la fin de Surveiller et punir, traite la question : pourquoi la prison a-t-elle cessé d’être une forme prégnante aujourd’hui ?

Vous me direz : on dirait pas. Il faut le... il faut l’œil du sociologue et Foucault a évidemment raison. La prison, elle va survivre, elle va survivre euh... elle va survivre des années et des années et des décennies, elle va se durcir tout ça. Mais quand les choses se durcissent, c’est même plutôt le signe que c’est des survivances. Tout le monde sait à la fin que le régime pénitentiaire est, quant à nos sociétés modernes, un régime absolument inadapté... euh... qui n’est plus vivable puisqu’il y a trop de monde à mettre en prison, donc qu’il faut trouver non plus des formes disciplinaires, mais qu’il faut trouver des formes de contrôle. Et tout ce qu’on fait aujourd’hui, de même je dirai : l’armée éclate dans ses casernes, les écoliers éclatent dans leurs écoles, euh... qu’est-ce qu’il y a d’autre, les ouvriers dans leurs usines, c’est pour ça que c’est très intéressant et que, tous, il faut qu’on écoute très bien toutes les histoires de retour à du travail à domicile, de retour à du travail parcellaire et les questions d’aménagement du temps de travail sont des questions qui sont absolument fondamentales aujourd’hui.

Cela encore, accordez-moi que ça veut pas dire qu’on va vers des jours meilleurs, à savoir que la stratégie continue au niveau des formations de contrôle, mais que ça passe par là, à savoir, les évidences immédiates, c’est que : la prison n’est plus adaptée aux châtiments, que l’usine n’est plus adaptée au travail, que l’école n’est plus adaptée à l’enseignement, c’est-à-dire c’est la fin des milieux disciplinaires qui étaient des milieux d’enfermement pour multiplicités arithmétiques. Il nous faut des milieux de contrôle ouverts sur des multiplicités probabilitaires. Or elles seront trouvées, il faut pas s’en faire, faut pas s’en faire, le malheur nous viendra, mais c’est évident que les gens, il y a encore, il y a encore... mais ils y croient même pas, vous savez, les types qui disent « durcissons les prisons », ils y croient pas, ils savent bien que le régime est complètement foutu, que la prison, c’est fini, mais, bon, leur discours garde quand même un sens, c’est que ça va durer 30 ou 40 ans et que ça peut durer 30 ou 40 ans encore que à condition de se durcir. Alors ça oui, avant qu’ils aient monté les trucs de contrôle, il faudra assigner euh... Il y a des problèmes, vous comprenez, quand on assigne à des prisonniers en travail dit « libre », il y a tout le village qui veut pas, qui dit : « qu’est-ce qu’on nous fout là ? »... tout ça. Euh. Rien que planter une clinique psychiatrique dans un village, ça fait des problèmes, les gens ils disent : ah ben non, on veut pas de tous ces fous, là, qui traînent dans les cafés parce que..., bon. Ça fait des problèmes tout ça, parce que...

Et puis il faut monter, en effet, les radars de contrôle, c’est-à-dire les... il faut voir les zones de fréquence tout ça, ça met très longtemps, mais enfin, c’est évident, tout ça. Vous le savez aussi bien que moi. Mais donc c’est pour être vigilant à ce qui se passe actuellement, je trouve ça très intéressant, là, tout ce débat en France sur l’aménagement du temps de travail, bon et, par rapport à ça, vous comprenez, le pauvre type qui vient dire : moi je suis pour le rétablissement de la peine de mort, euh... c’est rigolo, mais euh... enfin c’est pas rigolo pour tout le monde, mais ça dépasse pas... c’est pas bien sérieux quoi, c’est pas raisonnable tout ça. En revanche ce qui est raisonnable au sens le plus terrible et le plus froid du mot « raisonnable », c’est ce que... c’est les nouvelles formes qui seront des formes de contrôle et pas des formes disciplinaires, c’est fini l’âge de la discipline, moi je crois, c’est fini. Bon.

Qu’est-ce que ça veut dire « c’est fini l’âge de la discipline » ? Bon, ben au profit de l’âge du contrôle. Euh, comprenez que, par exemple, toutes les histoires de cartes, c’est épatant ça. Ça c’est pas de la discipline, c’est du contrôle, ça, les cartes. L’unification des cartes, la carte magnétique, ça c’est du contrôle, c’est bien, ça, c’est du... c’est intéressant. C’est pas de la vieille discipline. Les murs de l’école... Alors c’est très ambigu parce que c’est vrai que les plus actifs de la gauche, ils ont raison de lutter pour l’abolition des prisons, pour l’abolition de l’hôpital psychiatrique, pour l’abolition etc. Mais il faut voir que leurs ennemis, c’est pas les vieux... c’est pas les pauvres types qui font les clowns, pour dire : si, l’hôpital psychiatrique, si, la prison ! Leurs ennemis c’est les contrôleurs qui sont absolument d’accord avec eux, qui disent : oui ! Mais oui ! Pas de prison ! Bravo ! La bataille se passe jamais où on croit. Elle se passe jamais où on croit, la stratégie. Comme dirait Foucault, elle passe ailleurs, euh... La stratégie, elle est entre abolitionnistes de la peine de mort. La vraie lutte, elle passe entre les abolitionnistes de la peine de mort, elle passe pas entre les conservateurs de la peine de mort et les abolitionnistes, elle euh... elle passe aussi... Tous ceux... elle passe entre ceux qui disent « ben l’école elle est foutue », ben évidemment, tout le monde sait que l’école elle est foutue, il suffit pas de réapprendre l’orthographe aux gosses pour que l’école ça marche. Elle est foutue parce qu’il n’y a plus de procédé disciplinaire qui compte, alors quand les parents ils disent devant leur gosses : « oh la la, c’est difficile, il n’y a plus de discipline ! », même les meilleurs, on se dit : ben oui, évidemment il n’y a plus de discipline, mais qu’est-ce qu’ils sont contrôlés ! Ils sont contrôlés, mais ils sont contrôlés [ ?] probabilité. Alors évidemment, on s’occupe pas exactement de chaque cas particulier, parce que, dans telle zone de fréquence, bon, allez, euh, on les envoie dans un milieu ouvert. Tous les milieux sont ouvertes, simplement il y aura des no man’s land entre milieux, il y aura des trucs comme ça...contrôle avec la carte magnétique... Bon. Non, tu ne devrais pas être dans cette zone, là... Qu’est-ce que ça veut dire tout ça ?

Eh ben ça nous permettrait déjà de régler ou de revenir sur une question qui m’importe beaucoup quant à toute l’œuvre de Foucault. C’est une certaine, c’est une petite ambiguïté qu’il y a eu et dont Foucault était, à mon avis, à moitié responsable et seulement à moitié responsable. C’est la manière dont Foucault a été considéré... on en a déjà parlé, mais, là, je suis plus fort pour revenir sur ce point, dont Foucault a été considéré comme un penseur de l’enfermement. Et je vous disais, moi, déjà, ça me paraît absolument faux. Il a été pensé comme penseur de l’enfermement et comme grand penseur de l’enfermement et comme ayant défini nos sociétés modernes par l’enfermement. Or il n’y a rien de plus inexact. Car il est vrai que Foucault s’occupe et s’est occupé d’une manière magistrale des milieux d’enfermement. A savoir, notamment, l’asile pour la folie, la prison pour la délinquance. Bon, ça c’est vrai. Vous remarquez à quelle formation historique il le rattache. Ça me paraît essentiel. L’asile pour la folie, il le rattache à formation historique classique, l’hôpital général et, XIXème siècle, avec l’évolution hôpital psychiatrique, et pour la prison, XVIIIème, XIXème siècle et, bien plus, je vous rappelle que Surveiller et punir se termine sur l’annonce que la punition, le système de la punition n’a plus besoin de la prison, ou n’aura plus besoin de la prison.

D’où, je vous dis, ça m’a toujours gêné quand un philosophe aussi perspicace et euh... excellent que Virilio s’en prenait à Foucault en disant : non il a pas saisi les sociétés modernes. Car quel était l’argument de Virilio ? Argument très intéressant, il disait : le problème ce n’est pas celui de l’enfermement. Si vous préférez ce n’est pas le couple discipline-enfermement. Et Virilio, dans tous ses livres, y oppose un autre couple, c’est dirigé tout droit contre Foucault, le couple qu’il appelle lui-même assez bien voirie-contrôle. « Voirie », il vaut dire : le problème c’est celui de la voirie libre et pas des milieux d’enfermement. La police, nous dit-il, a toujours eu plus à faire avec la voirie, c’est-à-dire la rue, qu’avec la prison. Le vrai élément de la police c’est la voirie, c’est la rue. Et, à la [ ?] de la police dès le XVIIIème siècle, sont assignées des tâches de voirie. Bon : voirie-contrôle et non pas enfermement-discipline. Bon. Euh et, en effet, là, tous les thèmes de Virilio sur le thème de la vitesse, sur la stratégie nucléaire, tout ça, pour ceux qui connaissent un peu les livres passionnants de Virilio, peuvent compléter. Mais jamais il y a eu aussi grand... si souvent, ça fait partie des malentendus courants, ça fait partie des malentendus courants parce que... ça n’a aucune importance parce que comme Virilio a quelque chose à dire, qu’il se trompe sur ce que dit Foucault, ça n’a aucune importance, ce qui est important c’est ce que Virilio a à nous dire.

Mais ça peut induire des contresens chez nous, car c’est évident que la critique de Virilio, comme toute critique qu’on fait à qui que ce soit, euh, elle porte pas. Car l’accord Foucault-Virilio..., ils n’avaient pas, je suppose, un grand accord d’humeur, de tempérament, mais l’accord Virilio - Foucault serait évident, évident. Car, pour Foucault aussi, ce qu’il définit comme une « biopolitique des populations » excède de toutes parts l’enfermement qui ne concerne que la discipline des corps. Bien plus, je vous signale que dans Surveiller et punir, à un moment et lorsqu’il étudie des milieux d’enfermement, à savoir l’hôpital, comme milieu d’enfermement... (parenthèse : quand je dis l’hôpital, là aussi c’est pareil, quand on dit « l’école, ça craque » etc., l’hôpital tout le monde sait que ça craque), lorsque se multiplient... qu’est-ce qui est intéressant aujourd’hui ? Et ça veut pas dire que ce soit très progressiste hein, comme on dit, c’est social-libéral, quoi, c’est tout à fait, c’est tout ce que vous voulez, c’est pas spécialement la gauche qui a fait ça. Lorsque vous considérez les hôpitaux de jour, les hôpitaux de nuit, les équipes soignantes à domicile, euh, la sectorisation, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça passe plus par un milieu d’enfermement, ça passe par des contrôles. Contrôle au besoin, contrôle à domicile. Alors je veux pas dire que ce soit plus mal. Hein vous comprenez, quand on est dans des trucs comme ça, il ne s’agit pas de savoir si c’est mieux ou moins bien, il s’agit de savoir pourquoi et contre quoi vous luttez, à quel moment. Alors il faut pas trop perdre de temps à lutter contre la peine de mort, encore une fois, même si quelqu’un essaie de la rétablir. Il vaut mieux faire attention aux procédés de contrôle qui viendront la remplacer. Enfin il faut faire tout à la fois, je sais pas. Euh. Tout... Enfin il faut surtout garder beaucoup de gaité pour les [ ?] car [ ?]. Alors j’ai dit, vous comprenez... qu’est-ce que vous comprenez ? Bon. Eh ben voilà, quoi. On pourrait dire... oui... Non, je vois. Euh.

Quand il est en train d’expliquer, dans Surveiller et punir, à propos de l’hôpital, que, en quel sens au XIXème siècle il fonctionne comme milieu d’enfermement, il dit : attention : il y a un drôle de truc c’est l’hôpital maritime et il a des pages très belles, il a deux pages très belles, très rapides, on sent qu’il aurait pu en écrire vingt, quarante, cinquante et que c’est pas son problème. C’est pages 145-146 de Surveiller et punir, sur l’hôpital maritime comme étant précisément irréductible à l’hôpital enfermement. Car, dit-il, l’hôpital maritime, vu ses fonctions très spéciales, et sa situation très spéciale, fonctionne comme une espèce de carrefour, d’échangeur routier, et de moyen de contrôle, moyen de contrôles de toutes sortes : sur les drogues, sur les médicaments, sur les épidémies, avec tous les marins qui ramènent les maladies, tout ça, le sida, bon... euh... Et l’hôpital maritime est déjà en plein XIXème siècle une institution qui préfigure les formations de l’avenir du XXème, c’est-à-dire une formation ouverte de contrôle, par opposition au milieu disciplinaire fermé, ça ça m’a beaucoup frappé, là, cette, ces quelques pages sur l’hôpital maritime, parce que, là, vous y verrez à quel point il s’en tient pas du tout à l’enfermement.

Alors, dans ce qu’on a vu au trimestre précédent, ou même au premier trimestre, je vous rappelais que, chez Foucault, la fonction d’enfermement est toujours subordonnée au thème le plus profond de Foucault, c’est-à-dire l’invocation d’un dehors. L’enfermement est toujours, même quand l’enfermement existe, il remplit une fonction du dehors, à savoir : il est au service d’une autre fonction, qui, elle, est une fonction d’extériorité. Tantôt une fonction d’exil, c’est ainsi que Foucault nous dit explicitement dans L’histoire de la folie : l’hôpital général se modèle sur l’exil, il enferme, il enferme les fous les chômeurs etc. mais sur le mode de l’exil. Or l’exil c’est une fonction d’extériorisation, c’est pas une fonction d’enfermement. L’enfermement sert une fonction qui le dépasse, et qui est une fonction d’extériorité, à savoir [ ?]. Et dans l’autre cas, la prison, elle, elle n’a plus pour modèle l’exil, elle a pour modèle le quadrillage. L’enfermement est toujours au service d’une fonction plus profonde, laquelle fonction est une fonction d’extériorité. Foucault, loin d’être... alors à plus forte raison quand il n’y a plus enfermement, mais formation d’un pouvoir de contrôle...

Je voulais juste conclure à cet égard, il me semble que c’est un véritable contresens de faire de Foucault un penseur qui aurait privilégié l’enfermement. Au contraire : tantôt il subordonne l’enfermement à une fonction d’extériorité plus profonde, tantôt il annonce la fin de l’enfermement au profit de fonction de contrôle de tout autre nature, qui sont des fonctions ouvertes et pas des fonctions fermées. Bien, on pourrait dire aussi, remarquez, alors, j’ai comme mes trois âges, eh ben, au niveau des formations de contrôle, le sujet de droit est encore tout différent. Le sujet de droit est tout différent. Qu’est-ce que ce sera ? Ben, vous le pressentez peut-être, et ça va pas nous étonner si vous avez suivi toute notre histoire précédente sur Dieu, l’homme et le surhomme, ce sera quoi ? Le sujet de droit ce sera quoi ? [ ?] La réponse brute, ce sera : le vivant et non plus l’homme ou la personne. Soyons plus précis : le sujet de droit ce sera le vivant dans l’homme. Tandis que, dans les formations de souveraineté, le sujet de droit c’était le dieu dans l’homme et dans les formations disciplinaires, le sujet de droit c’était la personne dans l’homme. Ce sera le vivant dans l’homme et non plus la personne. Cette évolution du droit, elle est très importante, comment la résumer en un mot du point de vue de l’histoire du droit ? C’est le passage qui se fait à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, le passage du droit dit civil au droit dit social. Le droit, on a beau garder l’expression « droit civil », le droit n’est plus un droit civil, le droit est devenu de plus en plus un droit social. Comment définit le droit social ? Oh, il y a bien des manières de le définir. On a vu que le droit civil avait pour sujet de droit la personne dans l’homme, trouvait son expression juridique la plus pure dans le contrat, relation de la personne avec la personne.

Et vous savez, à partir du XIXème siècle, de la fin du XIXème jusqu’au XXème, le contrat ça marche plus. Là aussi, tout le monde le sait, le contrat... on peut toujours garder... des contrats, mais non, ça marche plus, le contrat. Plus rien ne peut passer par le contrat, pourquoi ? Ben parce que, pour une raison très simple, c’est que, le contrat, c’est une relation de personne à personne, c’est pas une relation au niveau d’une population. Comment voulez-vous qu’il y ait des relations contractuelles entre membres de [ ?] d’une population ? C’est pas raisonnable, cette idée. Il peut y avoir des conventions entre membres d’une population, il ne peut pas y avoir des relations contractuelles, c’est absolument impossible. Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? Ben, je prends un exemple, alors on va assister à quoi ? Maintenant c’est un peu dépassé tout ça, mais il y a eu un bon moment où les exigences contractuelles du droit disciplinaire, du droit civil et les exigences naissantes du droit social faisaient des drôles de contradictions juridiques. Du point de vue du contrat, ou du droit civil, le contrat est une relation qui unit personne à personne. La personne dans l’homme. Conséquence immédiate, le contrat n’est pas, comme on dit en droit, le contrat n’est pas opposable au tiers. Ça veut dire quoi, « le contrat n’est pas opposable au tiers », ça veut dire : le contrat n’engage pas quelqu’un qui n’a pas passé la relation contractuelle. Le contrat oblige les partenaires du contrat et n’est pas opposable au tiers, c’est-à-dire quelqu’un qui n’a pas passé contrat. Bon. Je prends un certain nombre de phénomènes qui ont pris une importance singulière dans le XIXème siècle, pour vous montrer en quel sens c’est uniquement par fiction qu’on peut parler d’un contrat. Voilà les grèves qui se développent. Grèves ouvrières. Dans tout le XIXème, est-ce qu’on peut ramener ça à une rupture de contrat ? Dieu que dans les mouvements anti-grève, les juristes ont dénoncé la grève comme rupture de contrat ! C’était un combat d’arrière-garde là aussi. Ça ne pouvait pas marcher. La grève, c’est quoi ? C’est évident que c’est un phénomène social qui ne peut pas se traduire en termes de contrat, donc de rupture de contrat. Pourquoi ? Parce que, fondamentalement elle est opposable au tiers, elle est opposable au tiers, on le sait encore aujourd’hui puisque, par nature, elle embête surtout les tiers, c’est-à-dire les usagers. Une grève de métro, elle ennuie pas tellement la direction du métro, elle ennuie les usagers, ce que veut dire « elle est opposable au tiers ». Vous comprenez ? Autre exemple plus doux : le mandat de député, est-il un contrat entre les électeurs et le député ? Les députés, ils parlent comme ça du contrat qui les unit aux électeurs, c’est une formule polie, ça, ils savent très bien que c’est pas un contrat, pourquoi ? Ben parce que c’est fondamentalement opposable au tiers. Un député représente ceux qui ont voté pour lui - ça ce serait un contrat - mais représente également ceux qui n’ont pas voté pour lui ou ceux qui ne peuvent pas voter, les enfants, les crétins, tout ça. Hein. Qu’est-ce que c’est, ça, ces phénomènes, la grève... ? Prenez la sécurité sociale, c’est marrant, les débuts de la sécurité sociale, maintenant on y est fait... Réfléchissez à ceci : pourquoi... surtout au début, maintenant il y a eu des arrangements, avec les conventionnements, mais au début, le client payait lui-même - et encore maintenant souvent - le client payait lui-même le médecin et la sécurité sociale remboursait le patient.

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