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16- 18/03/1986 - 2

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Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 16- 18/03/1986 - 2 Cours du 18 mars 1986 Gilles Deleuze aut participant RequestDigitalE 47 min 21

Pas de problème ? Pas de problème, Bon. Pas de question ? Très bien. D’où alors, ce qu’on a vu, je ne vais pas recommencer, je vais récapituler, ce qu’on a vu c’est ce qui se passe, si vous voulez, sur la formation historique XVIIème siècle, sur la formation historique qu’on appelle classique. Et le schéma que l’on croyait repérer chez Foucault, c’est celui-ci : les forces dans l’homme, au sens où je viens de le dire, qui ne présupposent aucune forme, entrent en rapport avec des forces du dehors. Ces forces du dehors, je vous proposais de les appeler : forces d’élévation à l’infini. Ça suppose beaucoup... ça soulève beaucoup de problèmes qu’on a vaguement résolus. Pourquoi les forces d’élévation à l’infini - premier problème - sont-elles des forces du dehors, extérieures aux forces dans l’homme ? La réponse est simple : c’est que l’homme est une créature finie, s’il découvre en lui une force d’élévation à l’infini, elle ne peut pas venir de lui. Remarquez que, ce que je retrouve ici, c’est, à la lettre, une des preuves de l’existence de Dieu. Une des preuves de l’existence de Dieu est célèbre au XVIIème siècle sous la forme : l’homme a le pouvoir de concevoir l’infiniment parfait, c’est-à-dire d’élever la perfection à l’infini, il ne peut pas lui-même rendre compte de ce pouvoir puisqu’il est fini, donc il y a un être infini. Vous voyez cette preuve qui est très jolie, qui emporte l’adhésion unanime, parfaite, mais elle repose précisément sur ceci : s’il est vrai qu’il y a une force d’élévation à l’infini, l’homme ne peut pas en rendre compte, c’est une force du dehors, donc Dieu existe.

Pourquoi... - autre problème... Donc je viens d’expliquer très vite en quoi les forces d’élévation à l’infini ne pouvaient pas être dites des forces "appartenant" à l’homme, c’était bien des forces du dehors... Deuxième problème : pourquoi le pluriel ? Pourquoi des forces ? Parce que je vous le disais : s’il fallait caractériser la pensée classique, ben je crois qu’il faudrait la caractériser en disant : c’est une pensée qui n’a pas cessé de se proposer de distinguer des ordres d’infini. Le classicisme, c’est comme le grand heurt de la pensée avec l’infini, et la seule manière pour la pensée de penser l’infini c’est de mettre de l’ordre et de distinguer des ordres d’infinité. Bon, je ne reviens pas là-dessus. Ces ordres d’infinité seront fondés sur quoi, simplement ? C’est que, suivant la pensée du XVIIème siècle, toute chose est comme un mixte de réalité et de limitation. C’est-à-dire toute réalité égale perfection. C’est un mixte de perfection et de limitation. Toute perfection est élevable à l’infini. Toute perfection en tant que telle est élevable à l’infini. Mais, suivant la nature de la limitation qui la borne, toutes ne seront pas élevables au même ordre d’infini. D’où, à nouveau, les distinctions entre ordres d’infini : l’infini par soi, l’infini par sa cause, l’infini entre des limites etc. etc.

Mais ces trois-là étant les trois grands ordres d’infini que le XVIIème siècle [ ?]. D’où : qu’est-ce que ce sera ? Penser ce sera réellement élever à l’infini qui convient. C’est une réponse à « qu’est-ce que penser ? », c’est même une des plus belles réponses qui soit. C’est une réponse grandiose qui fonde la philosophie du XVIIème siècle : penser c’est élever quelque chose à l’infini qui lui convient, si bien que penser Dieu c’est penser l’infiniment parfait ou l’infini par soi, mais penser le monde c’est penser l’infini par sa cause, penser les choses, c’est penser l’infini compris entre des limites.

C’est une très belle conception de la pensée. Et vous remarquerez que, si l’on revient au problème toujours du XVIIème siècle, il multiplie les preuves de l’existence de Dieu, on ne peut pas s’étonner qu’il y ait tellement de preuves, puisqu’on peut deviner d’avance que une preuve de l’existence de Dieu correspondra à chaque ordre d’infinité.
-  Il y a une preuve, la plus célèbre et la plus noble, la plus haute qui est dite « preuve ontologique » et qui procède par l’infini par soi-même. Je conçois un être infiniment parfait, donc cet être existe. Ça, c’est une preuve qui procède par l’infini par soi.
-  Mais vous avez non moins une preuve dite « cosmologique » qui remonte du monde à Dieu cette fois-ci. Ça c’est une preuve qui repose sur l’infini par sa cause.
-  Vous avez une preuve qui sera nommé classiquement « physico-téléologique », ça ce sera une preuve qui repose sur l’infini compris entre des limites. A chaque ordre d’infinité correspondra une preuve de l’existence de Dieu.

Or je dis : dans une telle conception de la pensée où penser c’est élever à l’infini, vous voyez bien que le mouvement de cette pensée, la géologie de cette pensée c’est le dépli. Elever à l’infini, c’est développer, c’est développer, c’est déplier. Un des grands précurseurs de la pensée classique s’appelait Nicolas de Cues et était cardinal. Et le cardinal de Cues dit, mais c’est une formule très classique, très très fréquente : Dieu, c’est l’universelle explication, Dieu c’est l’universelle explication, la formule ne se comprends en latin que si vous prenez au sérieux, c’est-à- dire à la lettre, explication. Expliquer, c’est déplier. Si je déroule un tapis, j’explique le tapis, c’est-à-dire je le déplie. C’est une pensée du dépliement.

Et voilà pourquoi - alors là je rejoins la lettre du texte de Foucault, qui, lui, s’intéresse au dernier ordre d’infini, c’est-à-dire l’infini des choses créées, l’infini des créatures - voilà pourquoi la pensée du XVIIème siècle, nous montre-t-il dans Les mots et les choses, procède par développement de tableaux suivant des continuum, le continuum étant précisément le dernier ordre d’infini. Et ce sera le tableau des richesses avec un continuum de richesses. Et ce sera le tableau des êtres vivants, le continuum de l’histoire naturelle. Les séries au niveau de la créature ce sera une pensée par continuum et par série. La série des richesses et le tableau de la circulation. La série des êtres vivants. la série des racines à propos du langage. Partout se développeront, se déplieront des tableaux. Alors il ne s’agit pas de dire que, dans cette formation historique..., il s’agit pas de dire que l’homme n’existe pas. Bien plus : on est parti des forces existant dans l’homme, force de concevoir, d’imaginer etc. auxquelles correspondaient des ordres d’infini. Il y a un infini de l’imagination qui est pas le même que l’infini de l’entendement. Seul l’infini de l’entendement est un infini par soi.

Bon, tout ça. On peut pas recommencer. Il s’agit pas de dire que l’homme n’existe pas, il s’agit de dire : au XVIIème siècle, dans la formation classique, les forces dans l’homme entrent en rapport avec des forces d’élévation à l’infini, sous le mouvement ou sur le mouvement géologique ou archéologique du dépli, du développement. Problème : quelle est la forme qui découle de ce composé de forces ? Les forces dans l’homme se composent avec des forces d’élévation à l’infini, question : quelle forme en découle ? Quelle forme découle de ce composé précis ? La réponse, on l’a vu, c’est pas la forme « homme », il n’y a pas de forme « homme ». Et c’est tout un aspect de la thèse de Foucault : à l’âge classique, il n’y a pas de forme « homme ». [ ?] Mais il n’y a pas de forme « homme ». Pourquoi ? Parce que la forme composée qui découle du rapport des forces dans l’homme avec des forces du dehors d’élévation à l’infini, c’est évidemment la forme « Dieu » et l’homme ne sera posé que comme la limitation de Dieu, l’entendement infini. Et l’entendement fini de l’homme n’est que la limitation de l’entendement infini. Toujours l’infini premier par rapport au fini, comme dans la formule de Descartes. Donc ce qui découle du composé des forces, c’est la forme « Dieu ».

Ce qui revient à dire : la pensée au XVIIème siècle a pour mission suprême de déplier, de développer. Or le développement suprême, ou, comme dit Cues, l’universelle ex-plication, l’universel dépli, c’est : c’est Dieu. Dieu, il ne cesse de déplier. Dieu ne supporte pas les plis. Pourquoi est-ce qu’il ne supporte pas les plis ? Dieu, c’est la plus prodigieuse mise à plat. Il ne supporte pas les plis, parce que c’est l’abri du méchant. Sous les plis il y a toujours Cain. Dieu, il déplie, c’est sa manière de pourchasser le méchant. Il sonde. Sonder. Sonde. Sonder, c’est déplier, c’est développer. Et dans un autre livre... ça hante tellement Foucault, cette idée du dépli comme mouvement géologique de la pensée classique, que, dans un livre qui précède Les mots et les choses, vous trouvez constamment le thème : la clinique, comme invention de l’âge classique, dans l’histoire de la médecine, qu’est-ce que fait la clinique ? Elle déplie les symptômes sur les plages à deux dimensions. Dieu fait de la clinique. Sous le regard de Dieu, on est déplié. Alors, c’est ça un classique, quoi. C’est à ça que vous reconnaissez un classique. Alors, vous comprenez peut-être que l’histoire des sols archéologiques chez Foucault...

Une pensée peut nous être très proche et très très moderne - je veux dire, je pense à Pascal - et si proche qu’il nous soit, si moderne soit-il, la question « à quel sol archéologique appartient-il ? » ne peut être réglée, je crois, que dans la mesure où on montre en quel sens il appartient bien à l’âge classique. Et, en effet, il me semble toujours très imprudent, par exemple, de faire de Pascal une sorte de moderne... S’il est proche de nous c’est à force d’être classique et parce que l’âge classique a quelque chose à nous dire et continue à avoir quelque chose à nous dire. Mais, c’est très imprudent, au nom par exemple d’une espèce d’angoisse pascalienne, d’en faire un moderne. Car, encore une fois, l’angoisse de Pascal, c’est une angoisse de l’infini, qui est strictement à l’opposé des formes modernes de l’angoisse. C’est une angoisse de l’infini, bien plus c’est une angoisse des ordres d’infinité. S’il y a un penseur classique au sens de la distinction des ordres d’infinité, c’est Pascal et, vraiment, l’effort angoissé, l’effort terrifié pour se débrouiller et trouver un chemin dans les ordres d’infinité, c’est Pascal. Dès lors, si l’on définit comme ça la pensée classique, on est apte à comprendre par exemple, que loin d’être une pensée de la mesure, elle est une pensée dont le strict envers, dont le complémentaire, c’est le baroque. Il n’y a aucun lieu de faire une opposition entre le classique et le baroque. L’un est strictement l’envers de l’autre et ils appartiennent tous les deux au même sol archéologique. Alors on a vu la dernière fois en quoi il y avait une mutation quand on passe au XIXème siècle. Pensez et, là encore, comprenez que ce serait stupide de se dire : ah ben qu’est-ce qui vaut le mieux ? Il n’y a jamais rien qui vaille mieux. Qu’est-ce que vous voulez, ça ne veut rien dire tout ça. Il se trouve que penser change d’orientation, c’est plus le même mouvement.

C’est très curieux la pensée, à partir du XIXème siècle et c’est ce que j’essayais de développer la dernière fois, mais, vraiment, là, je voudrais insister, en espérant que ça dira quelque chose à certains d’entre vous. Tout se passe comme si penser c’était tout le temps plier. Ils vont plier. Les grands penseurs du XIXème siècle ils ne cessent de plier et replier. Ce qui veut dire quoi ? Euh, vous le trouvez dans le style de Foucault aussi. Chaque fois qu’il parle du pli, il invoque également l’épaisseur, faire des épaisseurs. Penser c’est faire des épaisseurs, c’est rendre épais. Ou bien, ou bien, nous dit-il, le mot qui renvoie « Épaisseur » revient tout le temps dans Les mots et les choses, mais à propos de la formation du XIXème siècle. Le XIXème siècle, nous dit Foucault, découvre l’épaisseur de la vie, l’épaisseur du langage. Eh ben c’est constituer des épaisseurs, penser, c’est plus du tout mettre à plat, c’est plus du tout développer, déplier, c’est plier, plier, faire naître une profondeur. Et de même qu’il emploie constamment le mot « épaisseur », il emploiera presque comme un synonyme le mot « creux ». « Creux ». Il y a une épaisseur du langage, il y a aussi bien un creux du langage et l’épaisseur et le creux fonctionnent chez Foucault comme deux synonymes, pourquoi ? C’est deux résultats du pli. Plier c’est rendre épais. C’est tout simple, vous voyez, je plie, là, bon, comme ça (il plie une feuille), voilà : je pense (rires). Vous voyez je pense aussi et je pense à l’admirable manière des classiques, lorsque je fais... (il déplie la feuille)... et, là, vous ne vous vous en rendez pas compte, mais je viens de prouver l’existence de Dieu (rires). Alors. Bien. Ce XIXème siècle donc, va être une pensée fondamentalement du pli et du repli. Ce qui veut dire quoi ? On l’a vu : les forces dans l’homme... Et c’est ça la mutation.

La mutation, c’est lorsque les forces dans l’homme entrent en rapport avec de nouvelles forces du dehors. A ce moment-là, vous direz : il y a changement de sol archéologique, il y a mutation. Eh bien, au lieu d’entrer en rapport avec des forces d’élévation à l’infini, voilà que, dans le courant du..., autour de la moitié du XVIIIème, et avec le XIXème, les forces dans l’homme entrent en rapport non plus avec des forces d’élévation à l’infini, mais avec les forces de finitude. C’est un nouveau composé. Et, encore une fois, bien sûr, les forces de finitude existaient au XVIIème siècle, mais elles étaient comprises dans la pensée du XVIIème siècle comme de simples forces de limitation. Or les forces de limitation n’empêchaient nullement le déploiement à l’infini ou l’élévation à l’infini. Tandis que, là, il y a rencontre avec des forces de finitude qui ne se laissent plus comprendre comme de simples limitations, mais qui sont de véritables forces d’opposition têtues, épaisses. Ce n’est plus limitation, ce sont des oppositions. C’est la découverte de l’opposition réelle au lieu de la limitation logique. C’est, suivant le vocabulaire de Kant encore jeune, la découverte des grandeurs négatives ou des quantités négatives, les forces de finitude. Et de même qu’il y avait tout à l’heure des ordres d’infinité au niveau du XVIIème, il y a des forces de finitude différentes avec lesquelles les forces dans l’homme vont se composer.

On a vu qu’il y a trois forces de finitude fondamentales : la vie, le travail, le langage. Et voilà, donc, que je peux dire, les forces dans l’homme, au lieu de se déplier en s’élevant à l’infini, par élévation à l’infini, au lieu de se développer à l’infini , elles s’enveloppent, elles se plient sur les forces de finitude. Et voilà que, se composant avec les forces de finitude, les forces dans l’homme vont suivre un pli, elles vont constituer comme une espèce d’hélice autour des forces de finitude et elles vont s’enfoncer en suivant les forces de finitude dans d’horribles épousailles, qui remplacent les épousailles avec Dieu. Maintenant l’homme va épouser le travail dans sa finitude, le langage dans sa finitude, la vie dans sa finitude. Et partout, et partout il ne s’agit plus que de pli. Comment - je vous disais à propos de Ricardo et Marx - comment le travail se plie sur le capital, se replie sur le capital ou inversement, comment le capital se plie et se replie sur le travail extorqué. Et j’insistais la dernière fois, mais, là, je vous rappelle, parce que ça me paraît patent que la biologie naissante au XVIIème siècle, un point sur lequel Foucault a raison plus encore qu’il ne le dit, que si vous regardez cette naissance de la biologie à partir de Cuvier, à la fin du XVIIIème et au XIXème, de quoi est-il question à la lettre ? Il est toujours question, à propos du vivant, il est question des plis possibles ou impossibles, il est question d’opérations de pliage. Et, si je prends, encore une fois je n’en ai peut-être pas dit assez, si je prends une polémique qui a parcouru le début de la biologie, c’est quoi ? C’est savoir si, oui ou non, vous pouvez passer d’un vivant à un autre, d’une organisation à une autre en pliant. Et les uns diront : non vous ne pouvez pas passer par en pliant. Les autres diront : si, vous pouvez passer, vous pouvez passer d’une forme animale à une autre par le pliage. C’est une grande pensée du pliage. Les choses se replient toujours, les choses se plient. Penser c’est plier.

Et, encore une fois, c’est là où Foucault a trop raison. Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire appartiennent au même sol archéologique, pourquoi ? Parce que l’un dira, la proposition fondamental de Cuvier c’est : il y a des plans d’organisation de la vie qui sont irréductibles les uns aux autres si bien que vous ne pouvez pas passer d’un plan à un autre, pourquoi ? Parce que chaque plan se définit par une forme de pliage irréductible. Et Geoffroy Saint-Hilaire dira : d’un plan à un autre vous pouvez toujours passer si bien qu’il y a un seul et même plan de composition à travers tous les plans d’organisation, parce que, par pliage, vous pouvez toujours passer, et la polémique culmine... Comme toutes les polémiques, elle a ses côtés très sérieux et puis ses côtés tout à fait amusants, on ne peut pas explorer un siècle sans tomber dans les choses qui sont très amusantes, relativement amusantes. Je vous dis : il y a un livre très extraordinaire, si vous avez l’occasion de le regarder dans une bibliothèque, c’est la Philosophie... Philosophie géologique de Geoffroy Saint-Hilaire où il y a réunie toute sa polémique avec Cuvier. Et, je vous disais, il s’agit de savoir si on peut passer, si on peut passer par pensée du vertébré, qui a un plan d’organisation, de vie, au céphalopode qui a un autre plan d’organisation de vie. Exemples de céphalopode pour que vous voyiez la complexité du problème, « peut-on passer du vertébré au céphalopode ? », c’est la seiche ou le poulpe. Le poulpe c’est un très beau céphalopode ! C’est un des plus gros. La seiche c’est bien aussi. Bon, à première vue, c’est pas facile, et voilà que Geoffroy Saint-Hilaire donne sa recette de pliage pour passer... Vous voyez ce que ça pose... quel problème ça traîne, ça, cette question. C’est... oui, si vous définissez le vertébré par un plan d’organisation, c’est le grand concept d’organisation vitale qui apparaît au XIXème siècle, si vous définissez le vertébré par un plan d’organisation, le céphalopode par un autre plan d’organisation, est-ce que ces plans d’organisation sont irréductibles ou pas ? Est-ce je peux parler d’un seul plan de composition de la vie ou, au contraire, est-ce que la vie est fragmentée en plans d’organisation irréductibles ? Voilà que Geoffroy nous donne la recette de pliage pour passer du vertébré au céphalopode. Et il y a un texte de Cuvier qui me paraît un des textes les plus comiques de l’histoire de la biologie, où Cuvier dit : j’ai essayé, c’est pas vrai, il ment ! Il ment ! La recette qu’il nous donne ça nous fait pas du tout passer... Alors Geoffroy Saint-Hilaire, il est quand même embêté, il dit : oui, ça ne marche pas en fait, mais ça marche en droit. Et pourquoi ça marche pas en fait ? Là il dit : c’est parce qu’il faut distinguer, outre les plans d’organisation de la vie, il faut distinguer les degrés de développement. C’est parce que le poulpe et le vertébré n’ont pas le même degré de développement que l’on ne peut pas passer par pliage. Donc il reconnaît que son pliage ne marche pas, mais il maintient que son pliage marche si les degrés de développement sont les mêmes sur deux plans d’organisation. C’est donc très compliqué, mais très intéressant. C’est une méthode de pliage.

Et je dirais la même chose : l’économie politique c’est [ ?] le repli des richesses sur le travail. Les richesses vont cesser de constituer un tableau à l’infini, un continuum des richesses, comme au XVIIème siècle, pour se replier sur la source de leur finitude et la terre, la terre elle-même - Foucault le montre très bien dans une belle page sur Ricardo - la terre elle- même qui était, pour le XVIIème siècle, un ordre d’infinité, évidemment un ordre dérivé, un infini par sa cause, qui était un ordre d’infinité, se définit au contraire par sa finitude radicale, son avarice. La terre est devenue non pas la riche, elle est devenue l’avare.

D’où le pessimisme de Ricardo, d’où le pessimisme de toute l’économie politique. Et donc, vous voyez, je ne veux pas reprendre toutes les analyses qu’on a faites la dernière fois, je dis juste : retenez cette chose dont je voudrais qu’il y ait des confirmations un peu partout, à savoir... la formule du XIXème ce sera : ben oui, voilà que les forces dans l’homme entrent en rapport avec, non plus des forces d’élévation à l’infini, par exemple les trois infinis du XVIIème, mais entrent en rapport avec les trois forces de finitude, la vie, le travail et le langage. L’opération qui compose les forces entre elles n’est plus le dépli, mais le pli, l’homme se plie sur ces forces de finitude.

La question, c’est : quelle est la forme qui découle de ce nouveau composé ? Réponse, on l’a vu la dernière fois, là, et là seulement, c’est la forme « homme ». La forme « homme », donc, naît et apparaît lorsque les forces dans l’homme entrent en composition avec des forces de finitude et non plus avec des forces d’élévation à l’infini. Voilà pourquoi le XIXème siècle pense l’homme. Et, finalement, pense tout sous la forme « homme ». Dès lors, je le disais, et je veux aussi revenir là-dessus très rapidement, je disais : vous comprenez, donc, ça n’est plus une formule facile, au point où nous en sommes, si vous avez suivi notre analyse, ça n’est plus une formule facile ou gratuite dire : ben oui, pour le XVIIème siècle, penser c’est déplier et, pour le XIXème siècle, penser c’est plier. Si bien que, encore une fois, ça m’intéresse, alors là je reviens à Foucault, à mon avis pli et dépli sont... qu’est-ce que je dirais ? des mots, c’est aussi des concepts, est-ce que je dirais « métaphores » ? Non c’est à prendre à la lettre, c’est pas des métaphores exactement, par exemple quand il s’agit de savoir si l’on peut passer par pliage du vertébré au céphalopode, mais c’est pas une métaphore. Le dépli et le pli, ça aura des usages métaphoriques, notamment dans le style de Foucault, tout le temps c’est invoqué là, c’est déjà dans Les mots et les choses que ça éclate tout le temps, le pli, le dépli, le pli avec la formation des épaisseurs ou la découverte des creux, tout ça, ça anime tout un matériel métaphorique de Foucault très... mais c’est beaucoup plus que des métaphores, qu’est-ce que c’est de plus ? Encore une fois c’est des opérations... c’est des mouvements géologiques, des mouvements archéologiques. Exactement comme vous parlerez du plissement d’une chaîne de montagne. - Vous faites tousser un pauvre enfant à force de fumer... - Oui on parle tout le temps de plissements, mais, la géologie, elle ne se contente pas de plisser, elle déplie aussi. Les plateaux, le dépli des plateaux, le plissement des chaînes. Tout ça, bon, ben il y a une géologie de la pensée... Alors, bon, ça éclate dans Les mots et les choses, ce maniement du pli et du dépli, ce retour obsédant de ces deux thèmes chez Foucault. Mais ce qui devient intéressant, alors, c’est de chercher avant. Et je vous disais : dans La naissance de la clinique, vous trouvez déjà pleinement l’exercice du pli et du dépli, le dépli étant mis du côté de la clinique, art médical du XIXème, et le pli, avec la constitution d’une épaisseur morbide, d’un volume maladif, d’un creux de la maladie, le pli va être mis du côté de ce qui succède à la clinique, à savoir l’anatomie pathologique au XIXème siècle. Et vous trouverez déjà dans naissance de la clinique tout ce jeu entre pli et dépli.

Si bien que ce sur quoi je veux ré-insister, c’est le point suivant : c’est que je crois que ce thème pli-dépli n’a pas cessé de hanter Foucault, mais il y avait un autre philosophe qui a précédé Foucault et qui, lui-même, semblait avoir été obsédés par ce thème du pli et dépli et c’était Heidegger. Seulement Heidegger est obsédé par une espèce de doublet pli-dépli dans un tout autre contexte, d’une tout autre manière. On verra quand on parlera un peu, quand on essaiera de faire un parallèle Foucault avec Heidegger, on verra d’où ça vient chez Heidegger, mais ça ne vient pas du tout du même sol. Chez Foucault je dirais : ça vient essentiellement d’une conception archéologique des mouvements de la pensée tels qu’ils se distribuent dans une histoire de la pensée, cette histoire de la pensée renvoyant à l’âge classique pour le dépli et à l’âge du XIXème siècle pour le pli.

Si bien que, quand on sera amené à faire la confrontation, ce sera déjà, et à ce moment je ne reviendrai pas sur ce point, ce sera déjà avec l’arrière-pensée que Foucault dispose des notions de pli et de dépli comme lui venant d’un autre horizon que celui de Heidegger. Et je voudrais montrer déjà pourquoi. C’est que le pli et le dépli, on vient de le voir, dépendent de combinaisons de forces, tous les deux dépendent de combinaisons de forces. Chez Heidegger le pli et le dépli sont inséparables d’une position de l’être. Chez Foucault ils sont inséparables d’une combinatoire de forces. C’est-à-dire, le pli et le dépli, je dirais que Foucault les rend à Nietzsche qui, pourtant, n’en parlait pas..., mais les inscrit dans une combinatoire de forces ce qui est tout à fait étranger à Heidegger.

En revanche qui n’est pas étranger à Nietzsche. Et, en effet, c’est inscrit dans une combinatoire de forces, puisque le dépli c’est l’opération par laquelle les forces dans l’homme entrent en rapport avec des forces d’élévation à l’infini et le pli c’est l’opération d’après laquelle les forces dans l’homme entrent en rapport avec des forces de finitude. Donc pli et dépli renvoient à une combinatoire de forces. Deuxième différence : alors que je peux dire en très gros, de manière très rudimentaire parce que notre problème ce n’est pas Heidegger pour le moment, je peux dire : le pli et dépli pli et le dépli chez Heidegger a pour fonction de fonder les êtres, de fonder les étants, chez Foucault ça a une tout autre fonction qui est de donner aux êtres et aux étants une forme.

Et vous voyez que les deux vont ensemble : c’est parce que le pli et le dépli naissent et renvoient à une combinatoire de forces que, dès lors, leur fonction est non pas de fonder les êtres ou les étants, mais simplement de leur donner une forme, forme « Dieu » dans le cas du dépli, forme « homme » dans le cas du pli. Encore faut-il ajouter : leur donner une forme précaire, puisque, en effet, toute forme est précaire, toute forme est précaire dans la mesure où elle ne dure pas plus que ne dure la combinaison de forces dont elle dérive. Si les forces en rapport changent, s’il y a mutation, ce sera une autre forme. Toute forme est précaire.

Si bien que, dans Les mots et les choses vous trouvez un texte p. 291 qui m’intéresse beaucoup. Je le lis, là, lentement, p. 291. « Il n’y a d’être que parce qu’il y a vie ». « Il n’y a d’être que parce qu’il y a vie. L’expérience de la vie se donne comme la loi la plus générale des êtres, la mise à jour de cette force primitive à partir de quoi ils sont. L’ontologie dès lors dévoile moins ce qui fonde les êtres que ce qui les porte un instant à une forme précaire ». « L’ontologie dès lors dévoile moins ce qui fonde les êtres que ce qui les porte un instant à une forme précaire ». Sur un tel texte, il y aurait beaucoup de choses à dire et il faudrait arriver à les dire à la fois. Si on prend la lettre du contexte, on se dit : faut pas exagérer, c’est un texte sur Cuvier, c’est un texte qui vient en conclusion de l’analyse de Cuvier, donc, à la lettre, je dirais : il vaut pour la biologie du XIXème siècle ou, du moins, même pas, pour la biologie de Cuvier.

Et pourtant, j’ajoute... ceci est vrai, il n’est pas question de le nier, mais, en même temps un texte a toujours plusieurs épaisseurs, c’est le cas de le dire. Comment ne pas être sensible, dans ce texte, à un clin d’œil, où tout se passe comme si Foucault nous disait : attention, je suis en train de vous dire ma différence avec Heidegger. Car c’est pas par hasard qu’il emploie des mots qui suscitent dans l’esprit du lecteur la confrontation directe avec Heidegger. Il n’y a d’être que parce qu’il y a vie et, dans ce mouvement fondamental qui les voue à la mort, les êtres dispersés et stables un instant se forment, s’arrêtent, se figent. L’expérience de la vie se donne comme la loi la plus générale des êtres, mais cette ontologie dévoile moins ce qui fonde les êtres.

C’est pas pour Cuvier que l’ontologie dévoile ce qui fonde les êtres, c’est une expression sommaire de la philosophie de Heidegger. L’ontologie dévoile ce qui fonde les êtres. Mais cette ontologie dévoile moins ce qui fonde les êtres que ce qui les porte un instant à une forme précaire. Or, bien au-delà de Cuvier, c’est la pensée même de Foucault, c’est la pensée même de Foucault à savoir : il y a une ontologie, mais très bizarrement je crois très fort qu’il y a chez Foucault, sous-jacent, à peine perceptible et pourtant perceptible à bien des égards, il y a chez Foucault une espèce de vitalisme. Il y a chez Foucault une espèce de vitalisme et on verra qu’il est très étrange ce vitalisme. Et, encore une fois, la formule du vitalisme, si elle convient à Foucault, serait très simple : toute forme est un composé de forces. Toute forme est un composé de forces, c’est une formule d’un énergétisme ou d’un vitalisme. Cela revient à dire que la vie est vraiment la loi des êtres. C’est vraiment un déplacement, c’est par là qu’il n’est pas du tout heideggérien. Donc je crois à un vitalisme de la force chez... Et vous voyez qu’il en découle tout de suite : il y a une ontologie, mais l’ontologie, le sens de l’ontologie, c’est pas du tout..., c’est pas du tout fonder les êtres, c’est déterminer la forme précaire à laquelle ils sont élevés un instant. Dévoiler la forme précaire à laquelle ils sont élevés un instant... Pourquoi la forme est-elle précaire ? Puisqu’elle dépend de combinaison de forces en mutation perpétuelle. Il suffit que les forces changent pour que la forme précédente s’évanouissent et que surgisse une nouvelle forme ; La forme sera précaire puisque la combinaison des forces sera elle-même variable. Vous comprenez ? Toute forme est précaire. La forme « Dieu » est précaire, bien sûr Dieu lui-même, dans son existence, n’est pas précaire, il est l’éternel, mais la forme « Dieu » est très précaire, elle ne dure pas longtemps dans notre occident. Alors pourquoi voulez-vous que, la forme « homme », elle soit moins précaire ? Il n’y a aucune raison. Je vous parlais de ces gens qui veulent toujours que ça s’arrête. Par exemple les historiens au XIXème siècle, ils...

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