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Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 17 -25/03/1986 - 2 Cours du 25 mars 1986 Gilles Deleuze aut participant RequestDigitalE

Et si j’essaie de le résumer, et comprenez bien que là aussi ce n’est pas... c’est une question que je pose... Je n’y vois rien d’autre que « c’est comme ça, parce que c’est comme ça ». Pourquoi est-ce que la vie n’avait pas besoin de recomposer son être ou de rassembler son être par un décrochage ? Pourquoi est-ce que le travail n’avait pas besoin de rassembler son être par un décrochage ? Exactement comme le langage avait besoin de rassembler son être par un décrochage de la littérature avec la linguistique. A l’issue de cette première raison, je vois qu’on me dit : « en fait, c’est comme ça » et je ne comprends pas pourquoi.

La deuxième raison est pages 306-307. Et là elle ne vaut plus dans la perspective d’un parallèle général, langage d’une part, d’autre part vie et travail, elle vaut plus étroitement, cette seconde raison - donnée pages 306-307 - elle vaut plus directement pour et dans le cadre d’un parallèle langage/vie. Et l’argument de Foucault, là, est exactement celui-ci, je le résume, vous verrez ; c’est page 306-307 : lorsque la vie au XIXème siècle est devenue historique, c’est-à-dire a acquis une historicité, ça n’a été que secondairement. La preuve, cela en est ( ?) dira Foucault. Ça n’a été que secondairement. En quel sens ? Ce n’est pas la composition des vivants, même diverse, qui a imposé une historicité de la vie, ce qui a imposé une histoire de la vie, c’est les rapports du vivant avec le milieu. Et c’est tout le thème, chez Cuvier par exemple, des conditions d’existence. Donc la biologie du XIXème siècle découvre les compositions du vivant, mais ce n’est pas encore les compositions internes du vivant qui imposent une historicité de la vie. Ce qui impose une historicité de la vie, c’est la considération de : les organismes composés sont dans des milieux. C’est donc par l’intermédiaire des milieux que la vie reçoit une historicité. Et c’est vrai de Darwin de toute évidence. Mais c’est déjà vrai de Lamarck. La part d’historicité que Lamarck reconnaît au vivant tient à ce qu’il appelle les conditions... et ce qu’il découvre... il est le premier à faire une grande théorie des conditions d’existence, ce qui est différent de... d’une simple théorie de l’action du milieu sur le vivant et c’est à ce niveau que apparait l’historicité de la vie.

Tandis que, nous dit Foucault, dans le cas du langage, c’est directement et immédiatement que le langage est saisi dans un mouvement d’historicité. En d’autres termes la philologie du XIXème siècle découvre immédiatement le langage comme diachronique. Au point que, pour découvrir le langage comme synchronique - il ajoute dans la page 305 - il faudra attendre Saussure qui, bizarrement est forcé pour cela de restaurer quelque chose de l’âge classique et de la conception classique du langage. Mais le langage est d’abord découvert comme force historique, sans passer par la secondarité d’un milieu. Et, là, je dis : ça me paraît plus une raison... mais là aussi j’avoue... et encore une fois c’est pas dans mon esprit une objection... je ne vois pas... je ne vois pas pourquoi...

[interruption de l’enregistrement]

... auquel les philologues du XIXème siècle rattachent le langage. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas pourquoi il établit à ce niveau... pourquoi il nous dit : la vie, pour devenir historique a besoin du milieu, tandis que le langage n’en a pas besoin ... et je ne vois aucune autre raison dans Les mots et les choses pour asseoir ce privilège du langage ou, comme il dit, ce destin singulier. Nous nous trouvons donc et... ce n’est pas pour en faire un... parce que c’est pas grave... de toute manière les deux hypothèses vont [ ?]. Je dis juste, au point où nous en sommes, que nous pouvons considérer, à ce stade de notre problème, une hypothèse étroite qui correspond à la lettre de Foucault ; et nous pouvons considérer une hypothèse élargie, une hypothèse généralisée qui quitte un instant la lettre de Foucault dans le seul but, peut-être, de rendre plus claire la conclusion même qui sera commune et qui est la même pour les deux hypothèses, à savoir : l’avènement d’une troisième forme qui n’est plus ni dieu ni l’homme... que cet avènement, je dis, ce sera la même conclusion, que cet avènement d’une troisième forme qui n’est plus ni dieu ni l’homme ne dépende que du facteur rassemblement d’un être du langage (hypothèse restreinte) ou dépende (hypothèse élargie) du rassemblement des trois aspects :
-  être du langage,
-  être de la vie,
-  être du travail. Chacun des trois nouant son rapport avec son dehors. C’est pour ça qu’il faut pas en faire un drame [ ?]

Donc ce qui me reste, je vous le dis, au point où j’en suis, ce que je voudrais choisir, pour retrouver très vite la lettre de Foucault, le texte littéral de Foucault, ce que je voudrais choisir, c’est l’hypothèse élargie et, encore une fois, pour une raison que je récapitule : si l’on nous dit que quelque chose d’aussi important qu’une forme de pensée nouvelle qui ne serait plus ni dieu ni l’homme ne dépend que de la littérature, quelque chose me paraît manquer, à commencer par le rapport de la littérature avec la vie et avec le travail. Car la littérature est elle-même et a une partie indissolublement liée avec la vie tout court et avec le travail tout court. En revanche Comtesse, la dernière fois, nous disait que - comprenez bien où nous en sommes - c’est sur ce point très précis... Comtesse me disait à la fin de la dernière séance : eh bien moi je vois pourquoi Foucault donne ce privilège ou ce destin singulier au langage et il ajoutait même, si j’ai bien compris sa pensée : je comprends même pourquoi il est forcé de le faire. Voilà. Donc au point où nous en sommes, là, je voudrais donner la parole à Comtesse s’il le veut bien et qu’il dise comment lui fait sa lecture de ces textes, de ce problème précis. Tu veux bien ? Et puis après on va voir si ensemble, je sais pas, il m’a pas dit ce qu’il allait dire...

Comtesse : (long passage inaudible) [ ?] et c’est dit-il la manière dont le langage est redoublé dans la représentation. Bien plus, la littérature ne peut, dit Foucault, être pensée à partir d’une théorie de la signification et Foucault la définit pas simplement comme un rassemblement [ ?] mais comme une manière, dit-il, de remonter, comme une remontée de la fonction représentative du langage à son être brut. L’être brut du langage diffère donc de la profondeur de l’organisation, par exemple de l’organisation [ ?] comme du système [ ?] diachronique de la langue. Le langage en question, on peut déjà l’approcher à partir de quelque chose qui n’a pas été très accentué, à partir de [ ?] qui pourtant, je vais le montrer, le contourne encore. Ce que Foucault découvre [ ?] dans Les mots et les choses, ce qui bouleverse ou transforme ou [ ?] même la pensée philosophique traditionnelle comme le lieu [ ?] de savoir, c’est ce qui [ ?] on ne sait, quel que soit [ ?] on ne sent et on ne sait qu’à partir d’un espace déjà de langage qui à la fois distribue tous les savoirs d’une formation historique déterminée, [ ?] le dépli ou le repli des savoir set impose même leur forme ou leur figure fondatrices relatives. L’espace de langage, l’épistémé qu’il appelle parfois - il y a plusieurs appellations - savoir fondamental du langage, [ ?] a priori historique, l’espace de langage n’est ni un fondement de vérité ni un sol de savoir, mais une fondation, un socle, un sous-sol, une nappe archéologique antérieure à toute différence ou opposition entre théorie et pratique. [ ?] Si on veut opposer la pratique à la spéculation pure, l’une et l’autre, de toute façon, représentent un seul et même savoir fondamental dans une culture et à un moment donné il n’y a jamais qu’une seule épistémé qui définit les conditions de possibilités de tout savoir [ ?] celui qui se manifeste dans une théorie ou celui qui est silencieusement investi dans une pratique. L’espace de langage n’est pas la pensée de l’être, c’est-à-dire la pensée d’une vérité ou d’une forme fondatrice ou d’une figure constituante. Il déconstruit [ ?] la primauté ou la priorité d’une épistémologie. Il n’est pas LA pensée, mais seulement un événement de pensée du langage où se répète formellement où se reproduit toujours le rapport du signe, du sens et une loi du langage qui assure justement ce rapport du signe et du sens, qui le rend, comme toute loi, constant. Toujours, autrement dit, toujours dans toute culture, dans tout âge, dans toute formation, toujours un [ ?] des signes pour une loi du langage, toujours un jeu des signes mesuré par le sens, gardé par la loi. Les signes peuvent se conjoindre au monde comme surface textuelle. Ils peuvent se disjoindre ou se retirer du monde pour se conjoindre à la scène représentative de l’ordre, de l’enchaînement des raisons ou des idées, [ ?]. [ ?] à la représentation pour désigner son dehors irréductible, exprimer une profondeur [ ?] qui les déborde de toute façon. La conjonction sémantique des signes se répète toujours par la loi du langage. C’est seulement la conjonction sémantique qui change de forme, mais elle ne cesse elle-même de se répéter dans la série disjonctive des événements de pensée du langage. Ce qui varie d’une espace de langage à l’autre, c’est seulement la fonction du signe, la place du sens, le statut de la loi, la forme de la conjonction et peut-être la figure de la disjonction. [ ?]Parler n’est pas voir mais s’efforcer de lire le texte chiffré, symbolique du monde, tenter de marquer la ressemblance avec le texte sacré du livre, c’est-à-dire de la différence sacrée du sens de l’un comme tout autre. Deuxièmement [ ?] un sens interne aux signes, représentatif, arbitraire [ ?] transparent, selon la loi de l’ordre ou de la différence [ ?] et qui fait que justement parler n’est pas voir mais regarder à distance selon l’optique réflexive du pouvoir de se représenter, de juger, de mettre en série, de classer, de former un tableau représentatif, déplié. Troisièmement, âge moderne, un sens non plus intérieur, mais un sens extérieur ou un dehors fini profond extérieur à la représentation, ou dehors du dedans plein, transparent. Sens profond, justement, des signes maintenant désignatifs, expressifs, selon la loi du temps, de la différence inclusive comme loi de la signification représentative. Le temps, dit Foucault, est pour le langage, son mode intérieur d’analyse, ce n’est pas son lieu de naissance. Ce qui fait que parler n’est pas voir, mais élaborer des significations représentatives, exprimer des organisations complexes, jusqu’à découvrir des systèmes structuraux comme dehors même de ces significations. Les espaces de langage, autrement dit, ne s’induisent ni ne se déduisent les uns des autres, ne sont pas à décrire comme une sédimentation naturelle de couches [ ?]... même pas une géologie des savoirs car chaque espace est un socle fragile, une fondation intenable, un sous-sol mouvant, espace voué à sombrer ou à s’effondrer. La série différentielle des espaces de langage est une série de crises, de ruptures, de coupures étranges, de discontinuités énigmatiques, d’événements qui surgissent et disparaissent d’un coup sans aucune évolution naturelle, sans aucun passage historique réglé, sans aucun devenir dialectique. Le paradoxe de la discontinuité, l’aporie de la mutation brusque ouvre seulement à l’énigme du rapport de l’événement de pensée du langage c’est-à-dire de l’épistémé avec ce que Foucault nomme l’érosion du dehors. En effet aucun espace de langage ne peut rendre compte de soi par soi, ne peut rendre raison de soi-même, ne peut s’inscrire dans un principe de raison. C’est en effet par un dehors inouï qu’un espace de langage surgit et disparaît exposé à l’érosion du dehors, à la pression souterraine qui le lézarde, le fissure, le fracture, produit sa cassure et son effondrement. Chaque espace de langage, chaque événement de pensée du langage, chaque sorte d’épistémé s’ouvre et se referme du dehors, ouvre et referme le dehors, le langage autre du dehors. L’ouverture et la fermeture du dehors, de l’espace du dehors et est le jeu secret du surgissement et de la disparition de chaque espace de jeu de la [ ?] culturelle d’une époque ou d’un âge. Ce qui se répète est la disjonction de la série des événements de pensée du langage et de l’espace du dehors. Aucun événement de pensée du langage, aucun savoir comme dépli ou repli de l’événement, aucune vérité fondatrice ne parviennent à penser ou à effectuer le dehors, l’espace du dehors, le langage du dehors, le dehors du langage. [ ?] dit Foucault, est ce qui demeure toujours impensé au cœur de la pensée. Ce que la littérature sert à rassembler dans son mouvement de remontée à l’être brut du langage ce n’est donc ni la langue, ni l’organisation du langage, ni même les espaces épistémiques de langage. Mais justement le langage du dehors comme dehors du langage. Et l’espace du dehors a rapport aussi non seulement à la littérature, mais à l’événement généalogique de l’histoire de la folie. Evénement de cet espace du dehors qui défait presque à l’avance la conjonction immémoriale des signes et du sens selon une loi épistémique de langage. Evénement au début de l’histoire de la folie, dans le haut Moyen-âge, à la fin du XVème siècle, événement d’un tourbillon abyssal de forces, de signes déchaînés, d’affects d’intensité violente, événement d’une démence pure, insoutenable, insupportable et qui s’annulera dans l’histoire de la folie, l’histoire de la réserve infinie du savoir incommensurable [ ?] de l’événement généalogique même. L’histoire de la folie, l’histoire de la différence spéculaire avec [ ?], de la différence exclusive avec l’insensé, de la différence inclusive avec le malade mental. Car, au XVème siècle, dans le haut Moyen-âge, se produit justement cet événement généalogique de l’histoire de la folie comme événement toujours recouvert par la série des [ ?]. C’est une poussée irrésistible, une puissance incoercible qui monte, qui éclate dans un gigantesque délire qui envahit tout, une éruption violente de folie avec des figures hallucinatoires intenses et terrifiantes. Selon, comme le montre Foucault, une triple scansion. Premièrement, dans la folie éruptive, dans l’événement de l’espace du dehors, dans l’explosion de la violence, de la folie, la bête, la bête domptée, domestiquée, dressée, socialisée, revient, ressurgit, s’impose et s’empare de l’homme. Foucault [ ?] la bête se libère pour acquérir un fantastique [ ?] ; La folie, c’est déjà ce devenir-bête de l’homme, devenir qui essaime, qui se multiplie, qui se disperse dans une multiplicité que Foucault appelle multiplicité d’animaux délirants, qui spécifie cette multiplicité, l’éclatement de la puissance libérée de toute différence sacrée. Le devenir-bête, les devenirs-animaux délirants, ça efface les grands noms, et pas simplement les formes fondatrices, les grands noms de Dieu ou de l’homme, d’un effacement qui deviendra insupportable et qui sera réapproprié justement dans les formes fondatrices de Dieu ou de l’homme, comme formes fondatrices ou supposées fondatrices des savoir. Mais lorsque l’homme comme nom s’efface dans les devenirs, les animaux, dit Foucault, sont devenus la secrète nature de l’homme. Deuxième point : l’irruption de la bête, la folie animale qui éclate, ça coïncide avec l’explosion thermodynamique de la terre, avec la déflagration de la nature, montre Foucault, avec la dislocation de la [ ?] de puissance de la nature. La terre prend feu, vomit ses morts, les étoiles s’éteignent et sombrent dans une catastrophe cosmique inouïe, toute vie, dit Foucault, se défait et vient à la mort, la vie comme mortification de la mort meurt. Troisième point : l’anéantissement du monde, la puissance cosmique qui se conjugue à l’explosion de la terre ou à la dislocation de la nature libère alors ce que Foucault nomme le délire de destruction pure, ce délire est l’exaspération extrême du devenir-bête ou l’intensification des devenir-animaux, c’est l’intensité violente ou sauvage qui ne cesse de monter. Et Foucault insiste sur la sombre [ ?] ou l’universelle fureur des animaux délirants, la fureur dévastatrice des animaux avec leurs hurlements déments, leurs vociférations forcenées, leur folle [ ?], leur dévoration voluptueuse ou leur carnage [ ?]. Seulement Foucault ne dit pas seulement que l’histoire de la folie et l’histoire du temps, de ces modes d’intégration, de différenciation comme sortie violente de l’événement multiple, multiplié de la puissance éruptive de folie, il ne parle pas simplement du temps comme effectueur de l’oubli, ni même de l’oubli de l’oubli, il ne parle pas du temps ou de l’histoire de la folie comme espace simple d’un pouvoir de rejet, d’exclusion, de ségrégation, d’un pouvoir d’appropriation de réappropriation de la folie, d’arraisonnement de la folie selon une figure de maîtrise ou de domination ou selon les formes fondatrices de savoir, il ne parle pas du temps comme d’un pouvoir d’où se prélèverait un savoir, ou encore il ne se contente pas de parler du jeu entre les [ ?] , du jeu complexe de la culture dont les sociétés ont besoin pour survivre. Il n’annule pas l’événement généalogique de l’histoire de la folie, seulement il ne s’arrête pas non plus à cet événement, il ne s’y inscrit pas. Il ne se contente pas de l’enregistrer ou [ ?] accentuer justement l’éclatement de puissance, l’explosion, la dislocation ou [où ?] les affects du délire de destruction pure [ ?] l’anéantissement du monde. Car l’événement, l’événement généalogique de la folie qui appartient à l’espace du dehors comme dehors des espaces de langage, cet événement-là n’est pas muet, il se définit non pas par ce qui se passe, mais concerne au contraire ce qui se produit dans ce qui se passe, c’est-à-dire ce qui se reproduit ou ce qui se répète. Avant même, autrement dit, qu’un pouvoir s’exerce pour rejeter ou annuler l’événement, le réduire à ce qui se passe, ce qui s’est passé ou ce qui pourrait se passer, avant même qu’un savoir se prélève ou s’extrait de ce pouvoir pour le fixer, le solidifier, le consolider, l’événement pour Foucault, cet événement de l’espace du dehors répète lui-même, étrangement, un savoir ou un langage, il est, en tant qu’événement, le recel d’un savoir enfoui ou le cèlement d’un langage perdu. Les animaux dits délirants sont, dit Foucault, les éléments d’un savoir difficile, fermé, ésotérique. Dans ce savoir fermé, gardé, détenu par les fous, se profile, dit-il, ce que sera la cruauté de l’achèvement final. Le savoir fermé, savoir fermé et étrange de l’événement généalogique de l’histoire de la folie comme événement de l’espace du dehors, ce savoir étrange est celui de la puissance déchaînée de la folie, de l’intensité violente du désir et il annonce ce que Foucault appelle le dernier bonheur et le châtiment suprême. Il annonce la catastrophe, l’effondrement fulgurant, c’est l’avènement, écrit Foucault, d’une nuit où s’engloutit la vieille raison du monde. On ne veut rien savoir de ce que sait le fou, on veut que le fou ne puisse venir à dire ce qu’il sait et c’est cela même qui nécessite le geste du pouvoir, par l’exclusion, le rejet, la ségrégation du fou, on constitue le savoir fermé et étrange de l’événement de la folie comme ce que Foucault appelle un savoir interdit antérieur au pouvoir ou au savoir qui s’extrait de ce pouvoir. Le pouvoir, par rapport justement à l’espace du dehors et le langage de cet espace, le pouvoir s’élabore, le non-savoir radical du langage, c’est-à-dire la volonté d’ignorer le corps de la folie.

[fin de l’intervention de Comtesse]

Deleuze : c’est parfait ! c’est parfait. Alors... Je vais vous dire : ça me paraît évidemment une très remarquable intervention sur ce qui répond absolument à notre problème : pour quelle raison Foucault donne-t-il au langage ce destin singulier par rapport à la vie et au travail ? Alors, là, je souhaite pas du tout, moi, faire des objections à l’intervention de Comtesse pas plus que Comtesse n’en a fait à la tendance vers laquelle j’allais. Vous avez des éléments, il n’est pas exclu que certains d’entre vous aient encore d’autres éléments. Il n’y a pas de raison qu’on se réduise à deux hypothèses. L’avantage de la version de Comtesse, tout le monde y aura été sensible, c’est qu’elle respecte d’un bout à l’autre - ou elle se présente comme respectant - la lettre de Foucault. Moi je voudrais juste faire encore une fois, là, quelques remarques qui font que, malgré tout, j’ai bien écouté, ce qu’a dit Comtesse, je maintiens la possibilité d’une hypothèse large, mais pas pour vous l’imposer, puisque de toute manière les deux hypothèses se retrouvent... se retrouvent au niveau... c’est comme une bifurcation. Si j’essaie, moi, de classer à ma manièrequ’il a classé, je suis un peu l’ordre de ce qu’a dit Comtesse, si j’essaie de dégager les points, je marque euh... sur chaque point là où je bifurque avec ce qu’a dit Comtesse. Et encore une fois c’est pas du tout pour prolonger une discussion puisque je crois que, ce qu’il a dit, c’était ce qu’il pourrait dire de mieux et moi, ce que je dis, c’est ce que je peux dire de mieux, donc il y a pas... on fait chacun ce qu’on peut... à vous de choisir ou de trouver autre chose. Mais, encore une fois, le monde est large et il y a mille autres choses à trouver encore. Je dis : le premier point d’intervention de Comtesse a consisté à reprendre avec une rigueur et une honnêteté absolue et à accepter le problème tel que je venais de le poser. Donc pas de problème, partons de là, partons de ce problème-là, pourquoi ce destin singulier du langage ? Donc, pas de question.

Deuxième point dans l’intervention de Comtesse : il a tenu à signaler tout de suite que, lorsque Foucault invoquait la littérature, c’était pas étonnant que ce soit par décrochage avec la linguistique puisque la littérature saisissait le langage sous une forme (une forme est un mauvais mot) sous une puissance qui n’était pas de nature linguistique, notamment la littérature ne traitait pas du langage du point de vue de la désignation ni de la signification, ni même, c’était compris je crois dans ce qu’a dit Comtesse, ni même du point de vue du signifiant. Mais, nous disait-il, il rappelait l’importance chez Foucault du terme « un être brut du langage ». Sur ce point, je suis entièrement d’accord, puisque même ce que je me proposais, c’était de définir cet être brut du langage indépendamment de toute référence à désignation-signification-signifiant, et je pensais pour mon compte le trouver dans ces vecteurs qui tendent vers un dehors du langage.

Donc, sur ce point, je crois que mon accord avec Comtesse était comble. Avec une nuance, c’est que je comprends très bien que la littérature moderne ne saisisse pas le langage au niveau des composantes linguistiques et ne le saisisse pas au niveau des significations. Mais lorsque je pose la question : « et pourquoi n’y aurait-il pas un être brut de la vie ? » j’entends bien également qu’un tel être brut ne pourrait être découvert qu’en décrochage avec les organismes et que, de même que le langage dont la littérature s’occupe, déborde la dimension de signification, l’être brut de la vie dont s’occuperait cette troisième figure, si elle existait, déborderait non moins l’organisation de la vie ; de même pour le travail. Le troisième point... Donc il me semble que ce premier point ne règle pas encore la question « hypothèse étroite ou hypothèse large ? », parce que : pourquoi est-ce que la vie ne serait pas capable d’une opération semblable dégageant un être brut aussi bien que le langage dans la littérature ? Troisième point fort de l’intervention de Comtesse, ça consiste à dire... et, là, ça va mettre en jeu des différences entre lui et moi qui sont significatives, son troisième point c’est : mais, ne croyez pas que le langage soit une force comme les autres, ou ne croyez pas que l’espace du langage soit un espace comme les autres, ou - mais ça, ça revient un peu au même, au point où on en est - ne croyez pas que ce soit une strate parmi les autres. Si donc il y a un destin du langage c’est parce qu’en fait il est, je reprends une expression de Comtesse, il est même pas justiciable d’une géologie. Ou alors c’est le socle des socles, c’est ce que vous voulez, mais ce n’est pas un socle , c’est réellement, nous dit-il... et c’est pas un savoir. Alors peut-être que la vie est un savoir, peut-être que le travail est un savoir, un savoir- faire un savoir-vivre, mais le langage c’est pas un savoir, c’est pas un savoir-parler, c’est bien autre chose, nous dit Comtesse, et dans son expression la plus simple et la moins lyrique, Comtesse nous dit : c’est une condition de possibilité... c’est la condition de possibilité de tout savoir. Par là-même, elle est sans doute... on peut même pas dire que c’est une couche socle... bon... Bien. C’est la condition de possibilité de tout savoir, d’accord. Moi là je dirais : mais oui, pourquoi pas ? Je dirais sûrement : Comtesse a raison, mais voilà que ça n’épuise, pour moi, pour moi. Ça n’épuise pas parce que « condition » a beaucoup de sens et, si je reprends, même si ça satisfait pas Comtesse, là, il pourra toujours corriger, l’expression « condition de possibilité » en disant : oui mais possibilité est un mot vite dit. Je dis : quel que soit le sens ou la précision que l’on donnera à : le langage n’est pas un savoir...

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien