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15- 11/03/1986 - 4

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Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 15 - 11/03/1986 - 4 Gilles Deleuze aut participant RequestDigitalE 34 min 04

Là encore c’est une espèce d’opération de pliage. Il y a des pages de Marx où il explique très bien, il appelle ça une féérie, la féérie d’après laquelle le capital s’approprie le travail. La fantasmagorie. Ces espèces de repliement du travail sur le capital et, à ce moment-là, qu’est-ce que c’est la différence, la différence fondamentale Ricardo - Marx ? Là encore, tout comme Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier et tout comme Darwin et Cuvier appartiennent au même sol archéologique, Marx et Ricardo appartiennent au même sol archéologique. Car Marx fera l’opération inverse. Il va, lui, faire le pliage inverse, plier le capital sur le travail. Et comment ? En réinterprétant la distinction travail salarié - travail producteur, travail marchandise - travail production. Marx va dire : la distinction est tout autre, Ricardo voyait bien une distinction, mais la vraie distinction est tout autre que celle que Ricardo croyait. C’est-à-dire la distinction entre les deux aspects du travail consiste en ceci : c’est que le travailleur ne reçoit un salaire que pour une partie de son travail abstrait. En effet, il reçoit un salaire égal à la subsistance nécessaire de lui-même et de sa famille. Mais il travaille toujours par définition plus que pour ce quoi il est payé. Vous voyez ? En d’autres termes, ce que Marx fait, c’est non plus une différence travail marchandise - travail producteur, mais une différence, et c’est ça la nouveauté de Marx, travail salarié sur travail non-payé, travail marchandise sur travail non-payé qui va, en effet, appartenir au capital. A la lettre, il fait le pliage inverse.

Peu importe, hein... tant pis si c’est... J’ai honte, en même temps, parce que c’est tellement sommaire... mais je crois que c’est pas faux. Sur les deux pliages, en tout cas, c’est... Et, alors, vous comprenez que.. Je ne sais plus ce que je voulais dire... Vous comprenez... oui... Oui.

Vous comprenez comment, là aussi, l’économie politique apparaît lorsque les forces dans l’homme se replient sur la force de travail avec les deux opérations complémentaires ou bien « le travail plié sur le capital » ou bien « le capital plié sur le travail même ». A savoir : la part du capital qui se plie sur le capital même, c’est ce que Marx analysera comme étant la plus-value, et lorsqu’on lui objectera : mais comment vous pouvez distinguer dans le temps la part de travail salarié, la part de travail payé et la part de travail extorqué ? On lui dira : mais c’est jamais assignable, mais qu’est-ce que ça veut dire cette histoire de la plus-value ? Il a beau jeu, quoi, il a beau jeu d’expliquer : mais le surtravail est une condition même du travail salarié, donc, évidemment, on ne pourra jamais faire la part, on ne pourra jamais dire : ceci c’est du travail payé, et cela c’est du travail exploité, extorqué. Donc, il y a là toutes sortes... deux modes de pliage. Bon. Euh... Mais tout ça c’est pour vous entraîner à lire les pages sur Smith et Ricardo dans Les mots et les choses.

Pour la philologie, finalement, je dirai : qu’est-ce qui se passe ? La pensée du XVIIème était vraiment une pensée, comment dire, de la science générale ou universelle, du savoir général ou universel. Analyse générale des richesses, grammaire générale, série générale des êtres vivants, le général indiquant ici un ordre d’infinité. Avec le XIXème siècle, le général est remplacé par le comparé. Les plans d’organisation comparés, soit qu’on les pose irréductibles, soit qu’on les pose comme réductibles. L’anatomie devient comparée. L’économie devient comparée. Les modes de production, la philologie devient comparée. Et, là aussi, ça se fait comment, alors, dans notre dernier point, la philologie ?

Premier temps... Si on reprend nos deux temps. Qu’est-ce qui va briser la grammaire générale et son tableau ? Le tableau de la grammaire générale est fondé au XVIIème siècle sur la détermination des racines. Le XVIIème n’ignore pas les flexions. Mais les flexions sont subordonnées aux racines. C’est les racines qui constituent le tableau développable, le tableau dépliable des langues et qui va permettre de dégager la grammaire générale. Le renversement, le renversement de la fin du XVIIIème, c’est le primat des flexions sur les racines. La future linguistique, là, trouve son premier acte d’origine : l’étude des flexions. Or ça a des conséquences immenses et c’est l’étude des flexions qui va, là aussi, fracturer la grammaire générale, au profit de quoi ? Au profit, précisément, d’une philologie comparée.

Car, deuxième temps, avec Bopp ou avec Schlegel, qu’est-ce qui apparaît ? C’est, là aussi, comme : repliement sur cette profondeur indiquée par les flexions. Qu’est-ce que c’est que ce pli sur la profondeur indiquée par les flexions ? C’est que les flexions sont des éléments formels qui ne peuvent se définir ni par ce qu’elles signifient, ni par ce qu’elles désignent. Alors que toute la grammaire générale était une grammaire des désignations, des significations. La flexion, élément formel grammatical pur, d’où, là aussi des plans de langue, par exemple - et c’est par là que la linguistique est déjà une linguistique comparée - on distinguera deux plans fondamentaux où le langage peut se plier, les langues sans flexion, affixes, et les langues à flexions. Dans les langues affixes, vous avez combinaisons d’atomes linguistiques, combinaisons qui peuvent être très très nombreuses.

Mais c’est comme des combinaisons d’atomes. Dans les langues à flexions, c’est la flexion qui détermine les combinaisons. Mais, comme il n’y a pas d’atome et que chaque élément est déjà flexionnel ou flexionné, peut-être que vous avez encore plus de combinaisons. C’est un problème qu’on va aborder tout à l’heure. En tout cas le premier aspect de cette philologie, c’est dégagement d’éléments formels qui ne sont ni signifiants ni désignatifs, du moins ni significatifs, ni désignatifs.

Deuxième point qui en découle : s’il y a de tels éléments formels qui ne désignent ni ne signifient, ils ne valent que par leurs rapports les uns avec les autres. Par exemple les flexions du verbe : m s t comme indicateurs de première, deuxième, troisième personne, ben ils ne valent pas par ce qu’ils indiquent, ils valent par leur position distinctive. Ils valent l’un par rapport à l’autre, l’un par rapport aux autres. Les éléments formels sont indissociables des relations dans lesquelles ils sont pris, c’est ça le peuplement de cette nouvelle profondeur. En d’autres termes, se fait une dissociation du langage et de la lettre. Le XVIIème siècle liait fondamentalement le langage, la grammaire générale, avec la lettre. Or la lettre est un atome autonome. Là, au contraire, il y a libération du son par rapport à la lettre. On est sur la voie du phonème, le phonème étant un ensemble de positions, d’oppositions distinctives et se définissant ni par ce qu’il représente, ni par ce qu’il signifie, mais par les positions distinctives dans lesquelles il entre, m s t là, comme flexions, sont des positions distinctives. Donc ça implique la libération du son par rapport à la lettre qui sera une des conditions pour la découverte de ce qu’on appellera plus tard le phonème.

Troisième aspect : au XVIIème siècle, dans la grammaire générale, le langage se définit vraiment par ce qu’il désigne et par ce qu’il signifie. Maintenant le langage va être appréhendé d’une tout autre manière. Il va être appréhendé non pas comme désignation, ni comme signification, mais comme action et, plus profondément, comme vouloir. Et toute la philologie romantique va amener l’idée du vouloir d’un peuple qui s’exprime dans la langue. Vous retrouvez là, à la fois, la dispersion des langues suivant des plans de composition des éléments formels, le vouloir fini, bref c’est tout le langage qui se replie sur la force de finitude. Il se replie en profondeur sur la force de finitude. Au dépli de l’âge classique se substitue le pliage des langues suivant les plans d’organisation, de telle manière que tout converge en quoi ? Un vouloir fini qui s’exprime dans des langues différentes suivant tel ou tel peuple. Les vouloirs du peuple comme bases du langage. Chez Schlegel, par exemple, c’est poussé très loin. Bon, alors là, je vous demande pardon d’être si rapide, mais je vous renvoie aux textes.

Si bien qu’on a presque fini ce que j’espérais finir aujourd’hui. Ça revient à dire quoi, au point où nous en sommes ? Eh ben, je conclus ce point sur la formation XIXème siècle très vite, hein, à savoir : la formation XIXème siècle je dirais, en résumant trop facile, euh... c’est exactement la formation dans laquelle les forces dans l’homme rencontrent et étreignent les trois forces de finitude, et se rabattent sur elles en se les appropriant. Alors la combinaison des forces dans l’homme et des forces de finitude donne un composé qui est la forme « homme ». Mais pourquoi durerait-elle cette forme ? Elle n’existait pas comme forme. Bien sûr, encore une fois, les hommes existaient, mais, si vous avez compris depuis le début c’est pas la question. Les hommes existaient... ben oui, mais il n’y avait pas de forme « homme » au XVIIème siècle. Et pourquoi est-ce qu’elle durerait après ? Pas sûr, elle peut durer un certain temps. Pourquoi est-ce qu’il n’y aurait pas d’autres formes ?

Nous pouvons dire : il y aura d’autres formes, s’il y a une autre formation. Il y aura une autre formation, si les forces dans l’homme entrent en rapport avec de nouvelles forces venues du dehors qui ne seraient plus ni celles de l’élévation à l’infini, comme au XVIIème, ni celles de la finitude, comme au XIXème. A ce moment-là, s’il y a bien encore d’autres forces venues du dehors définissant une troisième formation, je dirais le composé qu’elles forment, toutes ces forces, ne sera pas la forme « homme ». Alors commodité pour commodité, on peut toujours appeler ça surhomme, puisque ça a l’autorité de Nietzsche, mais ce que voulait dire Nietzsche c’était ça, c’est-à-dire, comme dirait Foucault, c’était à la fois beaucoup plus et beaucoup moins qu’on ne lui a fait dire, en tout cas c’était pas les bêtises qu’on lui a fait dire, ni les propositions fascistes qu’on lui a prêtées, euh, c’était une chose très très... très simple, très nouvelle sûrement, mais très simple, qui consistait à dire : réellement, la forme « homme » implique et suppose un certain rapport de forces, si le rapport de forces change, il n’y a pas de raison que la forme « homme » subsiste. Et la preuve... Alors Foucault ajoute : bien plus, euh... déjà à l’âge classique il n’y en avait pas encore.

Donc s’il n’y en avait pas encore à l’âge classique pourquoi qu’il y en aurait... pourquoi que, maintenant, on pourrait pas dire qu’il n’y en a plus. Mais, après tout, la forme « homme », il ne faut pas exagérer, elle n’a pas été tellement fameuse, pas fameuse... Je ne dis pas l’homme existant, il ne s’agit pas... La mort de l’homme, ça veut dire : les hommes existants ne se reconnaissent plus dans la forme « homme ». C’est peut-être bon. Mais qu’est-ce que ça pourrait vouloir dire ? Même chez Nietzsche, qu’est- ce que ça peut vouloir dire ? C’est là que j’avais tort d’essayer de trop systématiser Foucault. C’est une série..., il faut prendre ça comme une série de... d’indications, d’évocations, du type : est-ce que ça vous dit quelque chose ou pas ? Voilà.

C’est ça qui nous reste, juste. On aurait deux questions : quelles nouvelles forces interviennent ? Quelles nouvelles forces du dehors ? Et là je dois dire ma perplexité, c’est-à-dire je vois une version textuelle Foucault et une version euh... moins textuelle mais qui me paraîtrait, moi, plus facile. Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Car voilà l’indication principale que nous donne Foucault, il nous dit : la philologie au XIXème siècle a dispersé le langage d’après des familles de langues. C’est la philologie comparée. Vous voyez. Mais, en même temps, et il dit : c’est un cas spécial, c’est le cas seulement de la philologie. Il nous dit ça, euh... il faut que je vous donne la référence si vous voulez vous- mêmes vérifier, euh... voilà, il nous dit ça page 306 suivantes des Mots et les choses et il ajoute : dès lors cette dispersions du langage va susciter comme une contrepartie. Si la philologie disperse le langage en familles irréductibles, la littérature prend une nouvelle fonction et ce que nous appelons littérature au sens moderne du mot, c’est une opération qui consiste à rassembler le langage. Rassembler est le mot qu’il emploie. La littérature conçue comme contrepartie de la linguistique. Bien.

Mon trouble c’est : pourquoi dit-il ça du langage et seulement du langage ? Puisqu’à première vue, c’est vrai aussi pour la vie et c’est vrai aussi pour le travail. C’est vrai pour la vie, on l’a vu, la force dispersive des plans d’organisation, non moins que des familles de langues. Et c’est vrai pour l’économie, on l’on a vu, la dispersion des modes de production irréductibles les uns aux autres, les conditions de production. Bien. Il s’explique là-dessus et il dit que, dans les deux autres cas, c’est sous l’influence de circonstances extérieures qu’il y a une telle dispersion tandis que, dans le cas du langage, c’est pour des raisons internes. Ça ne me paraît pas... pardon de dire ça, c’est pas une objection que je fais, c’est, c’est euh... c’est pour ça que je voudrais vous proposer un schéma à la fois plus simple et...

Là, il y a quelque chose que je ne comprends pas. Si vous le comprenez, vous, tant mieux, à ce moment-là vous me direz. Je vois pas pourquoi il extrait, là, le langage et la littérature, car ça me paraît définir au contraire la formation XXème siècle ou XXIème, qu’est-ce qui se passe ? C’est vrai que la formation XIXème ne reconnaissait les forces de finitude que en dispersant les produits. C’est par là qu’il faisait une science comparée : familles de langues, plans d’organisation, modes de production. Si je demande maintenant : avec quelles nouvelles forces venues du dehors les forces dans l’homme entrent-elles ? Ben je dirais que c’est pas spécial au langage que se produit ou tend à se produire un rassemblement. En employant le mot même de Foucault. Rassemblement de la vie, rassemblement du travail, rassemblement du langage. Et que je ne vois pas pourquoi Foucault tient à extraire surtout que ça complique pour, ensuite, l’histoire, l’ombre du surhomme. La vie se rassemble, le langage..., je suppose comme hypothèse...

Là, pardonnez-moi, je dis vraiment des petits trucs. La vie se rassemble sous quelle forme ? Sous la forme du code génétique. La vie se rassemble dans le code génétique. Le code génétique est le lieu de pliage ou de pliure fondamentale. Et c’est un nouveau mode du pli. C’est une tout autre manière de plier. Le travail se rassemble dans les machines dites de troisième espèce, machines cybernétiques, machines euh... machines d’ordination. Ou, conformément à ce que je vous disais l’autre fois, se rassemble dans le silicium. La vie c’est le carbone, il y a la revanche du silicium. Ça a été posé dès le début, hein. Dès le XIXème siècle, on se demande : pourquoi est-ce que c’est la formule eau-carbone qui a triomphé, c’est ça le problème de la vie. S’il y a un problème de la vie, c’est le succès étonnant de la formule eau-carbone, hydrogène-carbone.

C’est pas évident, pourquoi que ça s’est pas fait autrement ? Pour des raisons très proches des chaînes génétiques. Pour des raisons très proches du code génétique. Il fallait des chaînes carbonées pour avoir la stabilité, les rapports voulus avec la chaleur etc. et pourquoi le carbone encore une fois et puis le rapport carbone hydrogène ? Tout ça était très favorable, mais ça n’exclut pas d’autres formes vitales. Et il y a très longtemps que les microbiologistes demandent, en chimie biologique, pourquoi pas le silicium ? Alors on donne des raisons, mais ces raisons, elles sont convaincantes statistiquement, jusqu’à un certain point. Oui le carbone présentait plus de chance pour que le vivant, euh... pour que le vivant se forme et se déploie. Et le silicium ? Avec une autre combinaison, parce que ce serait difficile, ou alors il faudrait des pressions fantastiques, mais on en a vu d’autres dans la formation du monde, pour qu’il y ait des combinaisons silicium-hydrogène. La chance du silicium, elle peut pas être... Quand on demande : est-ce qu’il y a d’autres formes de vie ? Ça ne veut pas dire : est-ce qu’il y a des martiens ? Ça veut dire : est-ce qu’il y a des formes vitales qui sont fondées sur autre chose que la combinaison hydrogène -carbone.

Alors le silicium, bon. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’il y a d’intéressant dans les histoires... euh... des nouvelles machines ? Les nouvelles machines, c’est la revanche du silicium, c’est épatant, ça. Le silicium nous revient. On avait préféré le carbone et puis pan ! (rire) Par un biais, qui est le biais technologique, c’est la grande revanche du silicium. On fait pas des mémoires avec du carbone, hein. On fait des mémoires avec du silicium. Je crois que c’est quelque chose de fondamental. Je dirais : le travail se rassemble dans les machines de troisième espèce ou, si vous préférez, pour parler gros, le travail se rassemble dans le silicium. Le langage se rassemble dans ce qu’on appelle aujourd’hui la littérature. Ça, gardons l’idée de Foucault, mais en y joignant les deux autres.

Qu’est-ce que c’est que cette force de rassemblement ? Cette force de rassemblement, je crois, c’est ce qu’on pourrait appeler le fini illimité. Faute d’un meilleur mot, hein, il faudrait trouver un autre mot. Mais ça n’est ni du fini, ni de l’infini. Et vous le voyez très bien même au niveau du code génétique, qu’est-ce que c’est que la formule du fini illimité ? C’est que les composants ne sont jamais du même niveau et de même nature que le composé. Si vous comprenez ça - c’est la base du code génétique - si vous comprenez ça, vous voyez comment un nombre fini de composants peut donner un nombre pratiquement illimité de composés. Parce que, en effet, si les composants sont d’une autre nature et à un autre niveau que le composé, vous pourrez analyser le composé à son niveau d’une infinité de façons, bien que ses composants à un autre niveau soient en nombre fini. C’est ce qu’on appellera une combinatoire. Le propre d’une combinatoire c’est opérer avec des éléments finis d’un niveau A pour produire des composés illimités de niveau B. C’est le propre du code génétique, c’est le propre du langage, c’est le propre de...Bien.

Qu’est-ce que ça donnerait, ça ? Qu’est-ce que ça veut dire le rassemblement du code... la vie se rassemble dans le code génétique ? Ben c’est que, là, il n’y a pas de problème, il y a bien unité de composition du code génétique. Il va se distinguer par ses pliures, par ses pliages, etc. Et qu’est-ce qui n’est pas exclu perpétuellement dans les recherches génétiques aujourd’hui ? C’est pas du tout qu’un homme devienne un lapin, mais c’est qu’un code génétique, par exemple de quelqu’un, d’un corps, capture un fragment de code d’un autre vivant.

Dans l’exemple toujours admirable de la guêpe et de l’orchidée, voilà que la guêpe..., non voilà que l’orchidée a capté, capturé un fragment de code génétique de la guêpe. Il y a comme des inter-captures de fragments de code. C’est ça qu’on peut dire un rassemblement de la vie dans le code génétique. Et ça fait partie... et c’est ça qui est en train de changer : toute la conception de l’évolution aujourd’hui. C’est ces... inter-captures de fragments de code. Je dis, alors : supposez les forces dans l’homme entrent en rapport avec ce nouveau type de forces que j’appelle par commodité « fini illimité », rassemblement de la vie dans le code génétique. Rassemblement du travail dans le silicium, rassemblement du langage dans la littérature... Et je dis : quel est le composé ? Ben ça n’est plus ni Dieu ni l’homme. Après tout, bien plus, la forme « homme » ne se dessinait que dans la mesure où il y avait la mort en elle, on l’a vu aussi : elle ne se dessinait que par épousailles de forces de finitude.

Bien, alors on peut toujours appeler ça conventionnellement le surhomme, mais c’est un mot tellement pourri, que - maintenant c’est pas la faute de Nietzsche - qu’il vaudrait mieux trouver un autre... Mais comment on définirait le surhomme ? Moi je crois que le surhomme, il faudrait dire trois choses. C’est celui qui s’unit au silicium, c’est-à-dire c’est celui qui s’est chargé des roches elles-mêmes. On peut en parler comme ça, parce que euh... sinon. Celui... et c’est comme ça, je suppose... c’est, c’est... Foucault, il... ouais. Il s’est chargé des roches. Pourquoi des roches ? Parce que vous savez le silicium domine dans le monde inorganique comme le carbone domine dans le mode vivant. Donc je dis : il s’est chargé des roches, des roches elles-mêmes. Tout ça c’est pour amener l’autre aspect : il s’est chargé des animaux mêmes. Qui a dit ça ? Qui a appelé à une espèce d’homme au-delà de l’homme qui se chargerait des animaux mêmes ? C’est Rimbaud. C’est Rimbaud. Se charger des animaux mêmes. Mais à la lettre, il me semble, là je ne fais pas de la science, parce que c’est au contraire la science que... que... je ramène à un peu de poésie, c’est la capture d’un fragment de code. Se charger des animaux, encore une fois, ça veut pas dire devenir lapin, ça veut dire capturer un fragment de code exactement comme la guêpe... non comme l’orchidée capture un fragment de code de la guêpe.

Alors vous vous rendez compte, à ce moment-là, les voies de l’évolution elles sont complètement changées, ça ne se fait pas par filiation. L’évolution, elle se ferait pas par filiation, comme disent les biologistes aujourd’hui... euh... les généticiens aujourd’hui, elles se feraient par capture de code. Donc mes trois aspects sont très très cohérents : chargé des rochers eux-mêmes, chargé des animaux eux-mêmes, chargé de la littérature, qu’est-ce que c’est que ça ? Le surhomme, il serait chargé de ces trois choses, ce serait ça le surhomme, à condition de dire : qu’est-ce que c’est que la littérature aujourd’hui ? Foucault nous en donne une définition, donc, là, je m’arrête là. La prochaine fois j’essaierai d’ajouter quelque chose. Essayer de regarder la manière dont il définit la littérature... vous le verrez dans Les mots et les choses p.59, 394, 397. C’est, pour lui..., la littérature c’est précisément l’opération par laquelle on se charge de l’être du langage, c’est-à-dire c’est le rassemblement du langage. Ben c’est ce triple rassemblement qui permettrait de donner une vague ombre à cette notion floue de surhomme.

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