THEMES COURS
 ANTI-OEDIPE ET AUTRES RÉFLEXIONS - MAI/JUIN 1980 - DERNIERS COURS À VINCENNES (4 HEURES)
 SPINOZA - DÉC.1980/MARS.1981 - COURS 1 À 13 - (30 HEURES)
 LA PEINTURE ET LA QUESTION DES CONCEPTS - MARS À JUIN 1981 - COURS 14 À 21 - (18 HEURES)
 CINEMA / IMAGE-MOUVEMENT - NOV.1981/JUIN 1982 - COURS 1 À 21 - (41 HEURES)
 CINEMA : UNE CLASSIFICATION DES SIGNES ET DU TEMPS NOV.1982/JUIN.1983 - COURS 22 À 44 - (56 HEURES)
 CINEMA / VÉRITÉ ET TEMPS - LA PUISSANCE DU FAUX NOV.1983/JUIN.1984 - COURS 45 À 66 - (55 HEURES)
 CINEMA / PENSÉE - OCTOBRE 1984/JUIN 1985 - COURS 67 À 89 (64 HEURES)
 - CINEMA / PENSÉE + COURS 90 À 92
 - FOUCAULT - LES FORMATIONS HISTORIQUES - OCTOBRE 1985 / DÉCEMBRE 1985 COURS 1 À 8
 - FOUCAULT - LE POUVOIR - JANVIER 1986 / JUIN 1986 - COURS 9 À 25

14- 04/03/1986 - 2

image1
32 Mo MP3
 

Gilles Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 14 - 04/03/1986 - 2(2)

Gilles Deleuze aut participant RequestDigitalEl 46 min 35 sec

... un livre très très beau. Très remarquable. Si bien que ça vaut la peine d’ouvrir le livre. Et, quand il s’agit de la pensée classique, Merleau-Ponty fait une introduction, quelques pages sur la pensée classique, comment la caractériser selon lui. Et il dit une chose, moi, qui m’a toujours frappé. Je n’ai jamais oublié ce texte qui me paraît très beau. Il dit : vous savez, le classiques, ils se reconnaissent à ceci : une manière innocente de penser l’infini. Une manière innocente de penser l’infini, je trouve ça à la fois très convaincant et, d’une certaine manière, la formule est trop belle, parce que, « innocent », c’est pas sûr. Je veux dire, c’est sûrement faux si « innocent » veut dire « calme et tranquille », car c’est une manière singulièrement angoissée de penser l’infini, mais le fait est qu’ils n’arrêtent pas de penser l’infini et c’est ça être classique.

Etre classique, je dérive de Merleau-Ponty, qu’est-ce qu’être classique ? Etre classique, c’est penser l’infini. Pourquoi est-ce que c’est angoissé cette pensée de l’infini ? Je voudrais d’abord [ ?] qu’est-ce que c’est les textes fondamentaux ? Marqués XVIIème siècle. C’est le texte sur les deux infinis dans les Pensées de Pascal, c’est la lettre XII de Spinoza, la célèbre lettre à Louis Meyer où Spinoza distingue 4 ou 5 infinis. Je peux donc corriger : peut-être est-ce innocent, mais c’est singulièrement angoissé, pourquoi ? C’est que ce que découvre la pensée classique, c’est l’univers infini. L’univers infini. Pourquoi est-ce que, même si c’est innocent, c’est singulièrement angoissé ? C’est tout simple, l’homme a perdu son centre. L’homme, vous voyez. L’homme, ben il n’a plus de centre. Il n’y a pas de centre dans l’infini, ou, comme on dit, le centre est partout et la circonférence nulle part, ou l’inverse.

L’homme classique est fondamentalement décentré. Il regrette les beaux jours. Qu’est-ce que c’était les beaux jours, avant l’homme classique ? C’était quand on discutait pour savoir qui tournait autour de qui. Si c’était la terre qui tournait autour du soleil ou le soleil autour de la terre. Pourquoi c’était les beaux jours ? C’était les beaux jours parce que, là, il y avait un centre, quel qu’il soit. On aurait préféré, peut-être que ce soit le soleil qui tourne autour de la terre et que la terre soit centre, mais, en tout cas, même si la terre tourne autour du soleil, c’est encore un centre, c’est bien. C’est rassurant, c’est confortant. Ah. Mais, vous comprenez, si l’univers est infini, c’est la ruine des centres. Il n’y a que des centres locaux.

On fait parfois de Pascal un précurseur de la modernité, c’est... pourquoi pas ? Mais on invoque l’angoisse pascalienne pour en faire une espèce de pré- existentialiste. C’est pas vrai. La modernité de Pascal, elle est dans la perfection avec laquelle il incarne l’âge classique ; pour une raison très simple c’est que toute l’angoisse pascalienne, c’est une angoisse de l’infini, alors que l’angoisse existentielle c’est une angoisse de la finitude. Il y a une conversion radicale qui fait que Pascal n’est pas spécialement précurseur à cet égard, il est pleinement homme du XVIIème siècle. Or je voudrais que vous compreniez que s’il y a une angoisse dans la pensée classique, c’est parce que, finalement, non seulement cette pensée pense l’infini, mais elle pense une multiplicité d’infinis. Non seulement un seul infini suffirait à faire que l’homme perd ses centres, mais, en fait, l’homme ne cesse à la lettre d’être coincé entre des ordres d’infinis multiples. Tout est infini. Il y a des ordres d’infini et je crois que, vraiment, une des pensées clef de tout le XVIIème siècle, c’est cette idée des ordres d’infini, c’est pas par hasard que je citais deux texte fondamentaux, mais j’aurais pu en citer mille. Je prenais comme textes phares les deux infinis pascaliens, deux ordres de l’infini, l’infini de grandeur et l’infini de petitesse, et l’homme, il est coincé entre ces deux ordres d’infini.

Comment fixer - voilà le problème pascalien dans le texte « les deux infinis » - comment fixer le fini, s’il est vrai que, d’un côté, il est débordé par l’infini de grandeur, tel qu’il apparaît dans l’univers (il ne s’agit même pas de dieu) et, d’un autre côté, plonge dans l’infini de petitesse, dans la mesure où chaque atome contient lui-même une infinité au sens de l’infiniment petit ? Comment fixer le fini, s’il est pris dans le court-circuit de deux ordres d’infinité, l’infiniment grand et l’infiniment petit ? D’où l’idée d’une espèce d’errance de l’homme dans un monde qui n’a pas de centre. Dans la lettre à Meyer de Spinoza éclate que finalement tout est infini, ce qui ne veut pas dire que tout se confonde puisqu’il y a des ordres d’infinité, mais comment l’homme peut-il se reconnaître, lui créature finie ? Comment peut-il se reconnaître dans ces ordres d’infinité ? Et Spinoza nous dit : il y a un premier infini, c’est l’infini par soi, l’infini par soi-même, il nous dit : ça c’est Dieu.

Mais il y a un deuxième ordre d’infini, c’est ce qui est infini non plus par soi-même mais par sa cause et ce deuxième ordre d’infini c’est le monde. Et puis il y a un troisième ordre d’infini, c’est que dans l’infini par sa cause, c’est-à-dire dans l’infini de second type, dans l’infini par sa cause vous pouvez toujours abstraire une portion finie, seulement voilà : toutes ces portions finies que vous avez séparées dans l’ensemble infini, elles communiquent avec un troisième infini, qu’est- ce que c’est ? C’est un infini très curieux, c’est ce qui ne peut être égalé par aucun nombre, bien que compris entre deux limites, et Leibniz, mathématicien, félicitera Spinoza d’avoir trouvé la formule de ce troisième infini, il dire [ ?], pourtant il était avare de compliment vis-à-vis de Spinoza vu sa peur panique d’être compromis par la fréquentation de Spinoza, qui était très compromettante, Leibniz, là, ne peut pas cacher son admiration, et il dit : oui, il a su voir que quelque chose qui avait un maximum et un minimum présentait quand même une forme d’infini, un ordre d’infini, à savoir : ce qui ne peut être égalé par aucun nombre bien que compris entre deux limites. Si vous voulez, c’est l’équivalent de l’infiniment petit.

Et, bien plus, à ce niveau de ce troisième infini, le XVIIème siècle manie déjà complètement des paradoxes qui ensuite apparaîtront, seront repris dans la pensée moderne avec les nombres transfinis, à savoir l’idée d’un infini qui est le double d’un autre infini, simplement ce troisième infini est défini comme grandeur qui ne peut être égalée par aucun nombre. Et de telles grandeurs peuvent être double ou moitié de celles d’une autre lorsque les limites sont à la moitié des limites de l’autre. Bon, enfin, je voudrais juste que vous reteniez la variété des ordres d’infini pour la pensée du XVIIème siècle. Dès lors, voilà, je passe, je glisse à un autre petit point. Quel est le mode de pensée - là je viens d’essayer de définir l’élément de pensée classique, l’élément de pensée du XVIIème siècle, penser l’infini et dès lors, ils sont tout de suite pris dans le problème, le problème fondamental des ordres d’infinité, c’est pas étonnant en effet que ce soit le siècle du calcul infinitésimal - Je glisse à un autre problème qui n’est plus « quel est l’élément de la pensée classique ? », mais « comment procède la pensée classique ? ».

Or il me semble que, quelles que soient les différences entre les grands penseurs du XVIIème siècle, que ce soit Pascal ou Descartes, que ce soit Malebranche, Spinoza ou Leibniz, il y a quelque chose de commun entre eux. Il y a une espèce de méthode [ ?] qui est quoi ? Qui est : toute chose créée est un mixte. Un mixte de quoi ? Un mixte de réalité et de limitation. Un principe de la logique classique c’est que toute réalité est perfection. Toute réalité est perfection. Ça leur vient de la logique du Moyen-Age mais ils s’en servent d’une manière tout à fait spéciale. Ça va devenir vraiment la méthode de la pensée classique. Une chose étant donnée, qu’est-ce qui est réel en elle ? Qu’est-ce qui est limitation ? Qu’est-ce qui est réalité, qu’est-ce qui est limitation ? Par exemple : un corps. Qu’est-ce qui est réalité là-dedans, dans un corps, qu’est-ce qui est limitation ? Ce qui est réalité est perfection, ce qui est limitation est imperfection. Il va falloir débrouiller l’un de l’autre, c’est ça, c’est ça le problème du XVIIème siècle. Dans un corps qu’est-ce qui est réalité, qu’est-ce qui est perfection ?

Et, d’autre part, qu’est-ce qui est limitation, c’est-à-dire imperfection ? Dans un esprit ou dans une idée, qu’est-ce qui est réalité ? Quel... Ils forgeront la notion de quantité de réalité ou de perfection. Quelle quantité de réalité ou de perfection ? Un corps est divisible, ah bon ? Un corps est divisible, la divisibilité c’est une limitation, c’est une imperfection. Alors, qu’est-ce qui est réel dans un corps divisible ? Ah ben peut-être la force, dira Leibniz, parce que la force est indivisible et que l’indivisibilité est une perfection. A ce moment-là il faut s’élever du corps à la force. L’âme est indivisible, ça veut dire qu’elle a plus de réalité que le corps, elle n’a pas l’imperfection du corps.

Je vais pas loin, hein, je veux dire c’est vraiment des choses, si j’ose dire, toutes bé-bêtes au XVIIème siècle et c’est une pensée qui nous est devenue tellement, tellement étrangère ! Mais on peut retrouver, vraiment, sa nouveauté, on peut retrouver même son éternité à cette pensée classique, que si vous êtes sensibles non pas aux grandes thèses très très belles qu’ils développent, mais à l’espèce de logique quotidienne que ces thèses mettent en jeu. Je crois que, là, le nerf même de la pensée du XVIIème siècle c’est : démêler ce qui est imperfection ou limitation et ce qui est perfection ou réalité. Le problème de l’étendue, on peut dès lors le comprendre au XVIIème siècle, si vous partez de ces choses très très simples. Ils buttent sur un problème fantastique qui est : est-ce qu’il faut attribuer l’étendue à Dieu ou pas ? Dieu pense, ça va de soi, mais est-ce que Dieu est étendu ? Qu’on lui attribue la pensée, pas de difficulté, hein. Vous me direz : pourquoi lui attribuer la pensée ? Enfin, pour eux ça va de soi, peu importe. Mais pour l’étendue, ils buttent, là. Si..., vous voyez, voyez ce que ce problème engage, il faut vous convaincre que ce n’est pas pour vous un problème tombé dans l’indifférence, il faut faire comme si. Il faut faire comme si vous tourmentait la question de savoir si vous pouvez attribuer de l’étendue à Dieu. Je voudrais même qu’il y en ait ici pour qui ce problème serait resté urgent. Vous voyez, si la salle était bien faite, quelqu’un se serait levé et aurait dit : pour moi, c’est le seul problème urgent. Mais rien ! Rien !

Une autre fois peut-être... Alors, à quoi ça engage, ça ? L’étendue est divisible, si j’ai des raisons pour attribuer l’étendue à Dieu, c’est que, sous l’étendue du visible, je pense pouvoir penser au moins un noyau, un quelque chose d’indivisible, une matrice d’étendue qui ne serait pas divisible et qui, elle, pourrait s’attribuer à dieu. Ou bien il faudrait que je dise : ce qui est divisible c’est l’étendue sensible, mais, au-delà de l’étendue sensible, il y a une étendue intelligible. Ça, c’est Malebranche qui fait toute une théorie de l’étendue intelligible. Ou bien c’est Spinoza qui considèrera que l’étendue est un attribut de Dieu, mais que l’étendue comme attribut est indivisible et que seule est divisible l’étendue comme mode de cet attribut. Ou bien ce sera Leibniz qui distinguera l’extensio, l’étendue, et le spatium, l’étendue étant divisible, mais le spatium étant d’une autre nature. Bon.

Dieu a-t-il un corps ? La question est toute simple, ça veut dire : est-ce qu’il y a dans le corps quelque chose que je puisse assigner comme réalité ou perfection ou bien est-ce que le corps est inséparable de son imperfection ou de sa limitation ? Bien, il ne nous reste presque plus qu’à tirer les conclusions. Ce que cherche la pensée classique, c’est saisir dans quelque chose [ ?] quoi que ce soit, ce qui peut être élevé à l’infini. Est-ce qu’il y a quelque chose qui peut être élevé à l’infini ou rien, dans cette chose-là ? Dans un corps, est-ce qu’il y a quelque chose qui peut être élevé à l’infini ? Peu importe quel ordre d’infinité, il y aura sûrement des degrés de perfection. Mais le réel, c’est-à-dire le parfait, c’est ce qui peut être élevé à un ordre d’infini. L’élevable à l’infini, c’est ça.

Et vous me direz : est-ce que le XVIIème siècle confondait l’indéfini et l’infini ? Evidemment non. Mais cette question n’a aucun intérêt. L’indéfini était un dernier ordre d’infini. C’était un ordre d’infini. L’indéfini, par exemple la suite des nombres, vous voyez, c’est-à-dire la possibilité d’ajouter toujours une unité au dernier nombre, si élevé soit-il, cet indéfini que nous, aujourd’hui, nous opposons à l’infini - mais justement ce sera un problème de savoir comment nous nous sommes arrivés à opposer l’infini et l’indéfini - pour le XVIIème siècle c’est l’inverse, l’indéfini est compris dans l’infini et n’est que le dernier ordre d’infinité. Qu’est-ce qui est élevable à l’infini dans une chose ? S’il n’y a rien, c’est que cette chose se confond avec sa propre limitation. S’il y a quelque chose d’élevable à l’infini, eh bien, il faut le faire et, dès lors, la réalité ou perfection ainsi dégagée appartient à Dieu. L’élevable à l’infini est rapportable par nature à Dieu. Hein ? Bon.

Qu’est-ce que ça veut dire tout ça ? On tient notre problème. Les forces composantes dans l’homme, c’est quoi ? Quelles sont les forces composantes dans l’homme ? Voyez un texte là encore de Spinoza comme le Traité de la Réforme. Il posait explicitement cette question : quelles sont les forces composantes dans l’homme ? Encore une fois on ne confond pas avec les forces composantes de l’homme. Les forces composantes dans l’homme, ben là à peu près tout le XVIIème siècle, avec des variations, je dirais en gros, ils diront très volontiers : ah ben les forces composantes dans l’homme c’est l’entendement et c’est la volonté. C’est l’entendement et la volonté. Mais, précisément, l’entendement humain est fini, nous ne comprenons que peu de choses. Finitude de l’entendement humain, l’entendement humain est limité. Mais il y a une réalité dans l’entendement, c’est que, quand même, il participe à un ordre d’infinité. Il a beau être limité, il participe à un ordre d’infinité, sinon il n’aurait pas de réalité ou de perfection.

A quel ordre d’infinité ? Comparez avec l’imagination. Quelle différence y a-t-il entre imaginer un triangle et penser un triangle, concevoir un triangle ? c’est pas difficile, imaginer un triangle, c’est finalement toujours viser un triangle particulier. Mais quand vous dites « le triangle a ses trois angles égaux à deux droits », vous formulez une proposition de l’entendement c’est-à-dire qui vaut pour tout triangle possible. Vous imaginez toujours un triangle particulier, mais vous concevez l’infinité des triangles. L’infinité des triangles possibles. C’est tout simple. L’entendement participe d’un ordre d’infinité. Par là-même il est élevable à l’infini et l’entendement de Dieu c’est l’entendement infini. Et l’entendement fini n’est qu’une partie de l’entendement infini.

Comment est-ce que Leibniz - j’accumule les exemples - comment est-ce que Leibniz prouve l’existence de Dieu ? Il dit ceci : il ne suffit pas, il ne suffit pas de définir Dieu comme l’être infiniment parfait. Car je ne suis pas sûr qu’une telle notion n’implique pas contradiction ; et Leibniz dit, en effet : il y a des notions qui impliquent contradiction, par exemple la plus grande vitesse. La plus grande vitesse implique contradiction parce que, si je définis la vitesse comme affectant un mobile qui parcourt une circonférence - il donne toutes les raisons physiques pour définir la vitesse sous cette figure - affectant un mobile qui parcourt une circonférence, il n’y a pas de plus grande vitesse puisque je peux toujours augmenter le rayon du cercle et j’aurai, à ce moment-là un mobile qui va encore plus vite que le précédent. En d’autres termes la plus grande vitesse ne peut se comprendre que dans l’ordre de l’indéfini, c’est-à-dire le dernier ordre d’infini.

Mais il nous dit : infiniment parfait, c’est pas ça, c’est très différent. L’être le plus parfait c’est très différent de la plus grande vitesse, pourquoi ? Parce que l’être le plus parfait, c’est l’être qui possède toutes les perfections élevées à l’infini, sans limitation ; et il nous dit : un tel être ne peut pas être contradictoire, car la contradiction est une limitation. Bon. Peu importe, tout ça. C’est pour que vous vous familiarisiez de plus en plus avec cette forme de pensée. Dès lors, moi je peux en tirer une conclusion, la conclusion qui m’importe, c’est quoi ? Les forces composantes dans l’homme, par exemple la volonté, l’entendement, vont entrer en rapport avec des forces du dehors d’un certain type, c’est là qu’on avait besoin de concret.

Quel type de force du dehors ? Une force qui n’appartient pas à l’homme. Une force qui n’est pas dans l’homme et c’est ça le mystère du XVIIème siècle : comment y a-t-il dans l’homme quelque chose qui ne lui appartient pas ? C’est quoi ? C’est, je dirais, la force d’élévation à l’infini. D’où vient que notre pensée a le pouvoir d’élever quelque chose à l’infini, C’est ça le problème du XVIIème siècle, si l’on peut résumer une époque dans un problème. D’où vient que notre pensée a le pouvoir d’élever à l’infini ? Vous voyez tout de suite la réponse, c’est une preuve que Dieu existe. Si Dieu n’existait pas, on ne pourrait pas élever quelque chose à l’infini, pourquoi ? Parce que nous, hommes, nous sommes finis. C’est une preuve de l’existence de Dieu qui est, à mon avis... cette preuve-là elle est sous-jacente à toutes les preuves explicites que le XVIIème siècle développe. Vous voyez : la preuve ce serait, exactement, notre pensée a un pouvoir qui ne lui appartient pas, pouvoir d’élever quelque chose à l’infini. Ce pouvoir ne lui appartient pas donc doit dépendre d’un être lui-même infini. Un être fini ne peut pas rendre compte du pouvoir qu’il a d’élever quelque chose à l’infini. Bien.

-  Et bien alors... voilà ma réponse : à l’âge classique, les forces composantes dans l’homme entrent en rapport avec des forces du dehors qu’on peut définir comme ceci : forces d’élever à l’infini, je peux même dire qu’elles sont plurielles puisqu’il y a plusieurs ordres d’infinitude. Mais, ainsi, les forces composantes dans l’homme sont elles-mêmes élevées à l’infini. L’entendement fini de l’homme élevé à l’infini, c’est l’entendement infini de Dieu. Bref, lorsque les forces composantes dans l’homme rencontrent, comme force du dehors, la force d’élever à l’infini, elles forment un composé, toutes ensemble elles forment un composé, c’est-à-dire les forces composantes de l’homme d’une part et, d’autre part, la force du dehors, force d’élever à l’infini, elles forment un composé et ce composé c’est Dieu, la forme Dieu. En d’autres termes le XVIIème siècle ne pense pas l’homme, il pense Dieu. Et pourquoi il ne pense pas l’homme ? il ne peut pas penser l’homme puisque les forces composantes dans l’homme entrent en rapport avec des forces telles que le composé ce n’est pas l’homme, c’est Dieu. Si bien que, bien sûr, le XVIIème siècle parle de l’homme, mais il ne fait pas de l’homme la forme qui dérive de la composition des forces. Le composé c’est Dieu et tous les ordres d’infini qui en dérivent.

Je viens au texte de Foucault, là. Je rejoins alors la lettre du texte de Foucault sur l’âge classique dans Les mots et les choses. Qu’est-ce qu’il nous dit ? Sa thèse littérale, mais je voudrais juste vous avoir donné des conditions pour mieux la comprendre... Sa thèse littérale c’est... ça consiste à nous dire : vous savez, il n’y a pas de précurseur, il n’y a pas... ce qui se passe dans une formation historique donnée, n’allez pas chercher des précurseurs dans la formation précédente. Par exemple : au XVIIème siècle et au XVIIIème, vous chercheriez en vain l’équivalent de ce qui nous paraît évident aujourd’hui et que nous appelons « économie politique ». Vous chercheriez en vain également l’équivalent de ce que nous appelons « linguistique » ou même « philologie ». Et vous chercheriez en vain l’équivalent de ce que nous appelons « biologie ».

En revanche la pensée du XVIIème siècle nous parle et nous présente d’autres formations. Ces autres formations, c’est quoi ? C’est l’analyse des richesses, c’est la grammaire générale et c’est l’histoire naturelle. Et Foucault nous dit : ne pensez pas que l’histoire naturelle prépare la biologie, ne pensez pas que l’analyse des richesses prépare l’économie. Il faudra des uns aux autres, de ces formations de savoir du XVIIème siècle aux formations de savoir XIXème, économie, linguistique, biologie, il faudra une véritable mutation. En d’autres termes l’économie politique sera fondée sur l’apparition de quelque chose qui ne peut pas apparaître dans le savoir du XVIIème siècle. Alors est-ce qu’il faut dire que notre biologie c’est mieux ? On sait pas si c’est mieux, le mieux ou le pas mieux euh, là... intéresse peu, hein, c’est pas très important. Qu’est-ce que le XVIIème siècle nous dit ? Là alors vous serez peut-être en mesure de mieux comprendre les analyses littérales de Foucault. Il nous dit d’abord : qu’est-ce que c’est que l’analyse des richesses au XVIIème siècle ?

Eh bien, c’est ou bien, de deux choses l’une, c’est ou bien l’analyse de la monnaie comme moyen d’échange et c’est, en gros, c’est bien connu sous le nom de thèse mercantiliste. Ou bien c’est l’analyse du travail agricole comme fondement de la richesse et c’est, en très gros, le pôle des physiocrates. Et, en effet, l’analyse des richesses au XVIIIème siècle se divise suivant ces deux grands courants, le courant mercantiliste et le courant des physiocrates. Or je crois qu’il y a quelque chose de commun entre les deux. Qu’est- ce qui intéresse... qu’est-ce que la... qu’est-ce qui, dans la monnaie, intéresse les mercantilistes ? La nouveauté du XVIIème et du XVIIIème, du point de vue de la monnaie, c’est de ne plus chercher à définir la monnaie par des qualités intrinsèques, mais de comprendre la monnaie en fonction de l’échange. C’est l’échange qui explique la monnaie. La monnaie comme signe universel, comme signe universel qui constitue l’échangeabilité des richesses. Ou, si vous préférez, la monnaie fait circuler les richesses et, par-là, les augmente. Bien, c’est un ordre d’infini. C’est un ordre d’infini. La pensée du Moyen-âge, la pensée de..- ça, ça me paraît très très important... il faudrait le développer, enfin... à ce moment-là on perdrait le fil si je developpe... Vous comprenez, si on prend, dans le peu que je vois dans ce domaine, si on prend le Moyen-âge... La Renaissance, tout bouge au moment de la Renaissance. Mais la plupart des théories de la monnaie s’attachent aux qualités "intrinsèques" de la monnaie. La vraie nouveauté du mercantilisme, c’est avoir dégagé de la monnaie quelque chose d’élevable à l’infini. Quelque chose d’élevable à l’infini par l’échange et la circulation. Sans doute c’est un ordre d’infinité très bas, mais, encore une fois, ce qui compte c’est que ce soit un ordre d’infinité.

Dès lors ils vont pouvoir déployer un tableau des richesses et le tableau - d’où le succès étonnant, énorme de cette notion au XVIIème siècle, faire le tableau de quelque chose - le tableau c’est précisément déployer. Et vous trouvez tout le temps, dans Les mots et les choses de Foucault, vous trouvez tout le temps, à propos de l’âge classique, cette notion qui pour nous - j’insiste là-dessus, parce que pour nous, plus tard, ça va être une notion essentielle de Foucault - "déployer". L’analyse des richesses déploie, déploie tout un tableau, développe tout un tableau. La pensée du XVIIème siècle sera la pensée du déploiement, du développement.

La monnaie déploie la richesse, la monnaie développe la richesse. Et, l’analyse des richesses, ce sera précisément cette opération par laquelle l’échange ne se fait pas sans un développement, un déploiement des richesses par la monnaie, c’est-à-dire une élévation potentielle à l’infini. En d’autres termes le mercantilisme, à sa manière, se sert de la monnaie pour élever la richesse à l’infini. Vous me direz : bien sûr pas en fait. Non, mais en droit ! Que l’infini de la richesse soit pensable en droit, c’est-à-dire que la richesse soit une quantité croissante. Le tableau est le milieu d’un développement indéfini, c’est-à-dire, au sens du XVIIème siècle, d’après un ordre d’infinité.

Et les physiocrates, de l’autre côté, qu’est-ce qu’ils objectent aux mercantilistes ? C’est très intéressant. Une des objections principales que les physiocrates font aux mercantilistes, c’est : mais vous ne voyez pas que l’échange lui-même et que le commerce et que la circulation des richesses est elle-même coûteuse. Vous voyez, ils disent : ça ne peut pas être la monnaie. Ça ne peut pas être l’échange. Ça ne peut pas être le commerce. Parce qu’il est lui-même coûteux. C’est exactement, si vous reprenez les termes que j’ai employés, je dirai : entre les mercantilistes et les physiocrates, il y a une espèce de polémique typique XVIIème siècle et qui se prolonge pendant tout le XVIIIème, à savoir : qu’est-ce qui est réel, c’est-à-dire qu’est-ce qui est perfection et, dès lors, élevable à l’infini ? La réponse des mercantilistes, c’est : c’est la monnaie, c’est elle qui élève à l’infini la richesse. Par l’échange et par le commerce. Les physiocrates disent : non ! le commerce est encore... et l’argent... sont encore grevés d’une imperfection radicale, ce n’est pas eux qui peuvent être élevés à l’infini. Mais il s’agit de toute manière de faire un tableau qui repose sur un quelque chose d’élevable à l’infini. La réponse des physiocrates, c’est que, en effet, le commerce est coûteux, l’industrie elle-même est coûteuse. Donc l’ordre d’infinité qu’implique l’analyse des richesses doit être cherchée ailleurs. Et où est-ce qu’on peut le trouver ? Eh bien, ce qui réellement correspond à un ordre d’infinité, c’est pas le commerce, c’est pas l’argent, c’est pas la monnaie, c’est la terre. Pourquoi ? C’est les propriétés de la terre, à condition, bien sûr, on peut faire toutes les restrictions qu’on veut, mais c’est elle qui est élevable à l’infini, en droit. Bien sûr la terre s’épuise, mais il faut voir dans quelles conditions. Et puis, il faut voir à quel point on peut la renouveler avec quelles précautions du travail agricole etc. mais c’est elle la vraie puissance d’élévation à l’infini, c’est elle que le commerce suppose, c’est elle que l’industrie suppose,etc.. en d’autres termes, ce qui est premier c’est....

 9- 07/01/1986 - 1


 9- 07/01/1986 - 2


 9- 07/01/1986 - 3


 9- 07/01/1986 - 4


 10- 14/01/1986 - 3


 10- 14/01/1986 - 1


 10- 14/01/1986 - 2


 10- 14/01/1986 - 4


 11- 21/01/1986 - 1


 11- 21/01/1986 - 2


 11- 21/01/1986 - 3


 11- 21/01/1986 - 4


 12- 28/01/1986 - 1


 12- 28/01/1986 - 2


 12- 28/01/1986 - 3


 12- 28/01/1986 - 4


 12- 28/01/1986 - 5


 13- 25/02/1986 - 1


 13- 25/02/1986 - 2


 13- 25/02/1986 - 3


 13- 25/02/1986 - 4


 13- 25/02/1986 - 5


 14- 04/03/1986 - 1


 14- 04/03/1986 - 2


 14- 04/03/1986 - 3


 14- 04/03/1986 - 4


 15- 11/03/1986 - 1


 15- 11/03/1986 - 2


 15- 11/03/1986 - 3


 15- 11/03/1986 - 4


 16- 18/03/1986 - 1


 16- 18/03/1986 - 2


 16- 18/03/1986 - 3


 16- 18/03/1986 - 4


 16- 18/03/1986 - 5


 17-25/03/1986 - 1


 17- 25/03/1986 - 2


 17-25/03/1986 - 3


 17-25/03/1986 - 4


 18- 08/04/1986 - 1


 - 08/04/1986 - 2


 - 08/04/1986 - 3


 - 08/04/1986 - 4


 -15/04/1986 - 1


 19-15/04/1986 - 2


 -15/04/1986 - 3


 19-15/04/1986 - 4


 20- 22/04/1986 - 1


 20- 22/04/1986 - 2


 - 22/04/1986 - 3


 - 22/04/1986 - 4


 - 29/04/1986 - 1


 - 29/04/1986 - 2


 - 29/04/1986 - 3


 21- 29/04/1986 - 4


 21- 29/04/1986 - 5


 - 06/05/1986 - 1


 - 06/05/1986 - 2


 - 06/05/1986 - 3


 22- 06/05/1986 - 4


 - 13/05/1986 - 1


 - 13/05/1986 - 2


 - 13/05/1986 - 3


 - 13/05/1986 - 4


 - 13/05/1986 - 5


 - 20/05/1986 - 1


 - 20/05/1986 - 2


 - 20/05/1986 - 3


 - 20/05/1986 - 4


 - 27/05/1986 - 1


 - 27/05/1986 - 2


 - 27/05/1986 - 3


La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien