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13- 25/02/1986 - 4

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Gilles Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 13 - 25/02/1986 - 4 Transcription : Annabelle Dufourcq (avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University)

L’expérience vécue. Ça a été ça l’acte fondateur de la philosophie anglaise, ça a été : je dis un mot - d’où le rattachement au langage dès le début de leur philosophie - quelle expérience vécue puis-je exhiber, puis-je montrer comme correspondant à ce mot ? Alors on leur dit « je »... - « Qu’est-ce que vous voulez dire ? Expliquez-moi, montrez-moi ! ». Alors, évidemment, [ ?] ce qui correspond à « je » ne peut pas être montré. Les anglais ils disent : d’accord, ça ne nous intéresse plus ; ça coupe court. Vous avez remarqué, il n’y a pas de discussion. Pour le moi, ils sont encore plus malins ; c’est pas qu’ils disent : c’est un mot vide de sens, ils disent : ah oui « moi », on peut dire « moi », seulement, voilà, « moi » c’est une habitude. C’est une habitude, c’est une coutume. Vous vous rendez compte, comme opération, alors, s’ils sont contrariants ! Ce qui pour les allemands est le fondement le plus sacré... [ ?] « Oui le moi, c’est une manière de parler, oui, le moi c’est, oui, c’est une collection d’états qui sont associés les uns aux autres d’après certaines règles. Oh ben oui, on peut toujours dire moi, mais si on n’y voit pas autre chose qu’une habitude ». Alors c’est très très curieux ça. C’est une manière que la philosophie française n’a jamais digéré. Jamais, jamais. Jamais elle n’a pu se faire... D’où le plus gai, dans les colloques, c’est la rencontre entre un philosophe français et un philosophe anglais. Ça, alors, les philosophes anglais ils sont passés maîtres dans l’art de : « qu’est-ce que vous venez de dire ? ça ne me dit rien ! », « ce que vous dites, c’est un non-sens », tandis que c’est pas un argument allemand ou français, « c’est un non-sens ». Les allemands ils ont d’autres arguments. « Tu te contredis », ça c’est un argument français. Les allemands, c’est pas ça, eux ils auraient d’autres arguments, hein, qu’est-ce qu’ils auraient ? Je ne sais pas bien. « Tu te contredis » ça c’est un grand argument français. Tandis que dire « ce que vous dites est un non-sens », c’est autre chose. Il y a des caractéristiques nationales des philosophes... [ ?].

Euh... Ah oui, alors moi je crois que l’Ouvert, il n’y a pas de moi au niveau de l’Ouvert, l’Ouvert implique la dissolution du moi. Alors, ce qu’on peut appeler le moi ouvert, c’est le moi qui, s’ouvrant, lâche ses singularités, alors il en meurt. C’est absolument comme une fleur... comme une graine hein, quand elle lâche ses spores... Et voilà, oui, je voulais dire, c’est ça que je voulais dire : nous sommes des graines, hein, nous sommes des graines, pleines de spores. Alors, dans les bons moments... [ ?] Interlocuteur : moi je l’entends autrement, je l’appréhende comme [ ?] ouvert en tant que porte sur le monde [ ?] Deleuze : si tu veux, si tu veux, mais on peut y joindre autre chose pour varier un peu (rires). Bon : on éclate, alors, en effet, qu’est-ce que ça voudrait dire « s’éclater » ? Le moi qui s’éclate ? Alors, sûrement, il s’éclate par de très mauvais moyens, parce qu’il n’y a qu’une manière de s’éclater qui est la philosophie...

42 min 10 Certaines singularités de Foucault passent dans ce que je vous dis, c’est euh.... C’est... et même si ça se mélange avec d’autres singularités, ça ne fait rien. Oui. Mais enfin, avançons. C’est tout ce que je voulais dire sur les conditions pour trouver un peu de [ ?] parce que ça risque de ne pas s’arranger ensuite.
-  Question : ?
-  Deleuze : (rire) on ne sait pas ! Alors, du coup, peut-être que ne fera plus difficulté un point important qui est, je crois, la nécessité de distinguer au niveau de la terminologie deux termes que vous trouvez assez fréquemment chez Foucault. Ces deux termes c’est,
-  d’une part, le dehors
-  et d’autre part, l’extérieur ou l’extériorité. Je voudrais dire, à ce niveau, jamais Foucault ne donne de définition rigoureuse, c’est donc nous, en tant que lecteurs, qui avons à voir comment ces deux termes se répartissent, car j’ai le sentiment - et ça va être décisif par rapport à tout ce qui nous reste à faire, - j’ai le vif sentiment que ces deux termes ne se valent pas et que Foucault ne les emploie pas en un sens identique. Quand il nous parle d’extérieur, il s’agit de quoi ? Je crois que le mot « extérieur » ou « extériorité » chez lui renvoie toujours à des formes. A la fois il y a des formes d’extériorité et il y a extériorité des formes, extériorité entre les formes. Les formes sont extérieures les unes aux autres et, en même temps, chaque forme est une forme d’extériorité. Par exemple Archéologie du savoir, p.158-161, Foucault explique en quel sens l’histoire est forme systématique d’extériorité. Forme d’extériorité. Qu’est-ce que ça veut dire « forme d’extériorité » ? Pour Foucault, et c’est un des points originaux de sa pensée, toute forme est d’extériorité, mais ça veut dire quoi, ça, « toute forme est d’extériorité » ? Ça veut dire qu’il n’y a pas comme chez Kant, qui distingue une forme d’extériorité - l’espace - et une forme d’intériorité - le temps -, chez Foucault il n’y a pas de forme d’intériorité, toute forme est d’extériorité. Mais pourquoi ? Qu’est-ce que c’est que les formes ? On l’a vu, c’est la lumière comme forme du visible, le langage comme forme de l’énoncé. Bien. En quel sens ce sont des formes d’extériorité ? C’est parce que aucune forme ne contient ce dont elle est la forme. En ce sens ce ne sont pas des formes d’intériorité. Le rôle de la forme, c’est ceci, c’est que ce qu’elle informe, ce à quoi elle renvoie se disperse ou se dissémine, je suis forcé de dire « en elle » ; en effet, il faut bien parler, ça devient tellement compliqué. Si les formes sont bien toujours d’extériorité, c’est parce que ce à quoi elles renvoient n’existe que comme dispersé, disséminé, sous cette forme. La forme est d’extériorité parce qu’elle est fondamentalement de dispersion ou de dissémination. Exemple : le langage comme forme contient les phrases et les propositions et les mots... contient les mots, les phrases et les propositions. Ça oui. Mais il ne contient pas les énoncés. Foucault ne dit jamais « le langage contient les énoncés », il dit toujours : les énoncés se disséminent, se dispersent dans le langage.

En d’autres termes le langage c’est la forme d’intériorité des mots, phrases et propositions, mais ce n’est pas la forme d’intériorité des énoncés, c’est une forme d’extériorité par rapport aux énoncés car c’est dans le langage ou c’est sous le langage que les énoncés se dispersent ou se disséminent et il appartient à l’essence de l’énoncé d’être dispersé et disséminé. De même la lumière peut être dite contenir les choses, les qualités, les états de choses, mais elle ne contient pas les visibilités. On a vu les différences entre les choses et les états de choses etc., elle ne contient pas les visibilités. Les visibilités sont, nous dit Foucault, une lumière seconde, faite de miroitements, de reflets etc. qui n’existent que comme dispersés sous la lumière première, c’est la conception goethéenne à l’état pur. En d’autres termes la lumière est une forme de dispersion, de dissémination et, par-là, une forme d’extériorité. Donc, pour Foucault, toute forme sera une forme sous laquelle se disperse ou se dissémine ce qu’elle conditionne. Vous voyez : d’où cet emploi du mot « extériorité » lié à la forme. J’ajoute : les formes ne sont pas seulement des formes d’extériorité, mais : il y a extériorité entre les formes. Les formes ne sont pas intérieures les unes aux autres, mais la forme du visible est extérieure à la forme de l’énonçable. Parler et voir diffèrent en nature, il y a une béance entre les deux, il y a un hiatus entre les deux, bref : les deux formes sont extérieures. Voilà, ça nous permettrait de fixer l’emploi du mot « extériorité ». Il faudrait dire que je vois à l’extérieur, je parle à l’extérieur et entre voir et parler, il y a extériorité. Que toute forme soit d’extériorité, Foucault le résume en disant : l’histoire - l’histoire étant fondamentalement histoire des formes - l’histoire est la forme systématique de l’extériorité. Voilà pour l’extériorité. Vous rencontrez un mot, un autre mot chez qui est le dehors. Ce mot est emprunté à Blanchot. Il n’est pas sans rapport avec ce que Heidegger, après Rilke, appelait l’Ouvert, avec un grand O. Il est bon de remarquer pour nous qu’un philosophe français à la même époque que Heidegger développait fondamentalement un thème de l’ouvert, c’est Bergson. Et s’il y avait une comparaison possible entre Heidegger et Bergson, je crois que ce serait à ce niveau, la conception de l’ouvert chez les deux. En tout cas, chez Foucault, il retient le thème du dehors, non pas celui de l’ouvert mais, encore une fois, ce sont deux thèmes très voisins. Et, ce qui me soucie, c’est la différence entre le dehors et l’extérieur chez Foucault. Par exemple, il nous dira, et il intitulera un article en hommage à Blanchot, il l’intitulera « La pensée du dehors » et vous sentez tout de suite le thème de « La pensée du dehors », il n’y a pas besoin de lire l’article, au point où nous en sommes, pas encore besoin, vous pressentez tout de suite que cela va être un texte tentant d’expliquer que la pensée ne se définit en rien par une intériorité, mais que la pensée n’existe que dans un rapport avec le Dehors, D majuscule, la pensée du Dehors. Bon. Or je dis que le dehors, qu’est-ce que c’est ? Est-ce qu’on doit le considérer comme un simple synonyme d’extériorité ? Pas du tout et, ça, ça va être décisif pour tout ce qui nous reste à suivre. Je dis en premier lieu qu’il me semble, d’après tous les emplois du mot « dehors » chez Foucault, que le dehors concerne non plus la forme - l’extériorité concerne les formes - le dehors ne concerne plus la forme mais il concerne les forces. Sous quel aspect ? Les forces viennent du dehors. Non seulement elles viennent du dehors, mais elles entrent en rapport les unes avec les autres du dehors. Le dehors est l’élément de la force, alors que l’extérieur est la substance de la forme. C’est l’élément de la force. Une force vient toujours du dehors. Une force en affecte toujours une autre ou est affectée par elle du dehors. Les forces n’ont pas d’autre élément que le dehors. Les forces n’ont que du dehors. Il n’y a pas d’intériorité de la force. Peut-être qu’il y a une intériorisation de la force, par après, dans un parcours très complexe, mais il n’y a pas d’intériorité de la force ; mais pour désigner cette non-intériorité de la force, Foucault se servira du mot de dehors. Si bien que qu’est-ce que c’est ce que ce dehors qui ne se confond pas avec l’extériorité des formes. C’est là où ça se complique. Car je peux dire : le dehors... Car je peux dire en première approximation : le dehors qualifie le rapport des forces, le rapport d’une force avec une autre force. Ce qui revient à dire encore une fois : une force en affecte d’autres du dehors, elle est affectée par d’autres du dehors. Ce n’est pas faux, on va voir que c’est insuffisant. Si j’en reste déjà à ce niveau, je peux dire quelque chose : le pouvoir vient du dehors et il retourne au dehors. Je ne confondrai pas le dehors avec le monde extérieur, là c’est une déclaration solennelle puisque, de séance en séance, à partir de maintenant, on sera amené à creuser cette idée, que le dehors ne se ramène, ne se confond avec aucune extériorité ; s’il fallait trouver une formule, pour se rappeler, ne serait-ce que pour se rappeler, je dirais que le dehors est plus lointain que tout monde extérieur. La forme d’extériorité désigne la dissémination ou la dispersion chez Foucault, mais le dehors exprime le lointain pur. Le lointain pur, le lointain plus lointain que tout monde extérieur, cela s’appellera le dehors. Si vous me dites : mais qu’est-ce que c’est que ça ? Pour le moment on n’en sait absolument rien. Qu’est-ce que Foucault va faire ? Comment est-ce qu’il va se servir de cette notion « le dehors » ? J’essaye juste de la situer, quoi, de la situer dans une [ ?]. Le dehors est plus lointain que tout monde extérieur, si bien que je ne pourrai pas dire d’un monde extérieur quelconque ou d’une forme d’extériorité quelconque, je ne pourrai pas dire « c’est le dehors ». Le dehors est au-delà de toute extériorité. Plus loin que l’extériorité, il y a le dehors. Ça devient mystérieux. C’était déjà mystérieux le dehors chez Blanchot. Si l’on ne part pas de cela, de toute manière on ne pourra pas comprendre. Mais je dis bien qu’il ne suffit pas de dire ça pour comprendre. Je dis juste que l’exigence du dehors, c’est d’être plus lointain que tout monde extérieur et que toute extériorité. Bien, mais alors.... Le rapport de forces où les forces viennent toujours du dehors et s’affectent les unes les autres du dehors, on a vu ce que c’était, il s’exprime dans un diagramme. Vous vous rappelez : le diagramme c’est l’exposition d’un rapport de forces correspondant à une formation stratifiée. Je dirai déjà que : si les formes, si les formes stratifiées sont des formes d’extériorité, le diagramme, lui, plonge dans le dehors, le rapport de forces. Je dirais que le rapport de forces, il est, comment dire, il est le dehors d’une formation stratifiée. Il est le dehors d’une formation historique. Je veux dire : une formation historique n’a rien au dehors d’elle, elle n’a rien non plus en-dessous d’elle, là il faut prendre beaucoup de précaution, elle n’a rien en dessous, rien en dehors, pourquoi ? Elle est elle-même forme d’extériorité, comment une forme d’extériorité aurait-elle quelque chose d’extérieur ? Elle n’a rien en dehors, mais elle a un dehors. Le dehors de la formation, c’est l’ensemble des rapports de forces qui la régissent, qui régissent cette formation, c’est-à-dire qui s’incarnent en elle. L’ensemble des rapports de forces qui s’incarnent, qui s’actualisent dans une formation historique, par exemple le diagramme disciplinaire qui s’actualise dans les sociétés modernes, dans les formations modernes, est tel que ce diagramme est le dehors de la formation, il n’est pas en dehors de la formation, vous voyez que je sauve mon immanence, il n’est surtout pas en dehors de la formation, mais il constitue lui-même le dehors de la formation. Donc le diagramme plonge dans le dehors. Voyons de plus près. Cela va peut-être nous faire avancer dans ces couches du dehors. Un diagramme, c’est-à-dire une exposition de rapports de forces, par exemple le diagramme de nos formations modernes, le diagramme disciplinaire, on a vu, j’ai prévenu, que des diagrammes il y en avait autant qu’on voulait, qu’il ne fallait pas se laisser prendre au texte de Foucault qui parle du diagramme comme réservé aux sociétés disciplinaires. Il y a autant de diagrammes qu’on veut. Je vous rappelle que dans nos analyses que j’aurais voulu concrètes, on a vu plusieurs diagrammes, on a même inventé, à nos risques et périls un diagramme des sociétés primitives, c’est les rapports de forces tels qu’ils sont présentés dans les réseaux d’alliance. Bon, les alliances des sociétés primitives, les réseaux d’alliance des sociétés primitives ce serait un diagramme. Ensuite j’ai annoncé que Foucault, dans ses derniers livres, découvrait un diagramme grec. Le diagramme grec, c’est bizarrement, à savoir, les rapports de forces dont les formes de la cité grecque vont dépendre, vont découler, c’est, selon Foucault, rapport agonistiques, c’est-à-dire rapports de rivalité entre agents libres, c’est un diagramme de pouvoir ; en dépendent d’une certaine manière les formes de la cité grecque. Il y a un diagramme féodal, il y a un diagramme de souveraineté, celui-là on l’a analysé. Il y a un diagramme de discipline ; on l’a vu, c’est celui qui se définit : imposer une tâche quelconque à des multiplicités peu étendues et gérer la vie dans des multiplicités étendues. C’est un diagramme de forces. En découlent nos sociétés modernes dites sociétés disciplinaires par opposition aux sociétés de souveraineté. Je dirais : les sociétés disciplinaires en Europe, en Europe, les sociétés disciplinaires ont succédé aux sociétés de souveraineté, la charnière s’établissant autour de Napoléon. Et le passage des sociétés de souveraineté et des sociétés de discipline c’est-à-dire la mutation diagrammatique, le changement de diagramme se faisant autour de Napoléon. Bon. Si vous comprenez cela, je dirai que le diagramme, c’est-à-dire l’exposition des rapports de forces, ne peut être saisi que dans un double rapport avec autre chose. D’une part un diagramme de forces est en rapport avec la formation stratifiée qui en découle ou, si vous préférez, dont il est la cause immanente, ça ne fait pas tellement problème. Les rapports de forces disciplinaires s’incarnent dans les institutions formelles, dans les institutions formalisées qu’on a vues précédemment (prison, usine, école etc.). Donc un diagramme de forces est toujours en rapport avec la formation stratifiée qui en découle, ou, si vous préférez, la carte, la carte stratégique est toujours en rapport avec les archives qui en découlent. Bon. Mais, en même temps, un diagramme est en rapport avec le diagramme précédent par rapport auquel il marque une mutation. C’est-à-dire, il n’y a rien en-dessous les strates ; mais, par-dessous les strates, un diagramme communique avec le diagramme précédent. Pourquoi ? Parce que, on l’a vu, tout diagramme est une répartition de singularités. Répartition de singularités qui s’incarne dans la formation. Donc il n’y a pas de premier diagramme, pas plus qu’il n’y a de dernier diagramme. Tout diagramme est toujours la mutation d’un diagramme précédent. C’est-à-dire c’est un second coup de dés. Tout diagramme est par définition un second coup de dés ou un troisième ou un quatrième. Il n’y a pas de premier coup de dés. Il n’y a pas de premier diagramme. Si bien que tout diagramme est en rapport avec ceux qui en découlent, mais en rapport aussi avec le diagramme précédent dont il opère la mutation ou dont il opère... ou par rapport auquel il opère une nouvelle répartition de points singuliers. Les rapports de forces correspondant aux sociétés de souveraineté ne sont pas les mêmes que les rapports de forces correspondant aux sociétés disciplinaires ; il faut assimiler les diagrammes à deux coups de dés qui donnent des solutions, qui donnent des combinaisons différentes. Alors peut-être est-ce que vous comprenez mieux : tout diagramme vient du dehors. Tout diagramme vient du dehors : c’est-à-dire un diagramme ne découle pas du précédent, mais il est toujours en rapport avec le précédent, comme en état de... je vous disais : c’est pas un enchaînement des diagrammes, ils sont séparés les uns des autres par les formations que chacun détermine. Il n’y a pas d’enchaînement des diagrammes, mais il y a perpétuellement le second... le troisième diagramme réenchaîne avec le second du fait même qu’il opère une nouvelle répartition des singularités. Le quatrième réenchaîne avec le troisième. C’est une série de réenchaînements où les données sont comme relancées, un nouveau coup de dés. C’est des réenchaînements partiels. Le dehors c’est l’élément des émissions de coups de dés, coup de dés vient du dehors. Donc il ne suffit plus de dire, comme je disais au début... voilà les trois propositions fondamentales sur le dehors pour comprendre cette notion si étrange : premièrement le dehors est autre chose que tout monde extérieur et que toute forme d’extériorité. Le dehors est plus loin, le dehors c’est le lointain à l’état pur, c’est-à-dire un lointain qui ne peut jamais être approché, ce n’est pas un lointain relatif, c’est un lointain absolu. Donc le dehors c’est plus loin que tout monde extérieur. Deuxième proposition : le dehors c’est l’élément, l’élément des forces et de leurs rapports. La force vient du dehors, les forces s’affectent du dehors et par là-même c’est l’élément du diagramme ; le diagramme est le dehors des formations historiques. Il n’est pas hors de la formation historique, il est le dehors de la formation historique qui lui correspond ou qui découle de lui. Troisième proposition : le diagramme lui-même vient du dehors. Car le diagramme est multiple, chaque diagramme correspond à un tirage, donc chaque diagramme est un retirage, vu qu’il n’y a pas de premier diagramme et les diagrammes ne cessent d’être brassés du dehors. Ah bon !? Pour le moment c’est très abstrait cette histoire, mais rappelez-vous, j’ajoute, revenons à cet exemple toujours : émission de singularités, courbe intégrale qui passe au voisinage des singularités, des points singuliers. Vous vous rappelez, c’était notre fameux truc sur azert, comme exemple d’énoncé. L’énoncé azert. C’est-à-dire l’énoncé de la série des lettres, singularités, dans l’ordre qu’elles prennent sur une machine à écrire française. A Z E R T, Foucault nous disait : A Z E R T ne sont pas un énoncé, mais azert est un énoncé quand j’énonce l’ordre des lettres sur une machine à écrire française ; et on avait vu que ça revenait exactement à dire : l’émission des singularités, une émission de singularités n’est pas un énoncé, mais en revanche la courbe qui passe à leur voisinage est un énoncé et Foucault nous disait, dès lors l’énoncé est toujours en rapport avec autre chose ou avec un dehors. Le dehors de l’énoncé c’est les singularités par lesquelles l’énoncé passe. Donc tous les diagrammes sont brassés par le dehors. Le dehors c’est le brassage des diagrammes qui fait que, un diagramme étant donné, il y aura toujours un autre diagramme en train de naître dans une espèce de mutationnisme qui est évident chez Foucault. Le diagramme est agité de mutations, les mutations viennent du dehors. Si bien que, vous voyez, je ne peux plus maintenir - et c’est l’objet de ma troisième remarque - je ne peux plus maintenir l’identité de niveau dehors / rapport de forces. Mes trois remarques c’est : premièrement il y a identité de niveau entre extériorité et forme ; deuxième remarque : il y a identité de niveau entre le dehors et le rapport de forces ou le diagramme ; troisième remarque... non il faut ajouter que, à certains égards, il n’y a pas identité de niveau, car les diagrammes sont tirés du dehors. Le dehors est, comment dire, encore plus lointain que le diagramme. Les diagrammes sont issus du dehors. Qu’est-ce que c’est, ça ? C’est pas une forme, vous vous rappelez, les formes sont d’extériorité, le dehors n’est pas une forme, c’est de lui que les singularités émanent. Ah bon ? Mais alors, si les singularités... il faut dire, dès lors, les singularités dépassent même les rapports de forces, ça va nous entraîner très loin, ça se complique, c’est bien... Jusqu’à maintenant on avait identifié singularités et points, rapports de forces : on ne peut plus dire ça. On va dire : les singularités sont prises dans des rapports de forces - et ça va être beaucoup plus beau, encore plus beau - les singularités sont prises dans des rapports de forces au niveau des diagrammes. Mais en tant que pures émissions, d’où sortent-elles ? Elles sortent du dehors... Vous me direz : ça ne nous avance pas. C’est à force de répéter ce mot qu’on va peut-être en tirer quelque chose. Acceptons : il faut aller tellement lentement. Elles sortent du dehors. Là, il y a une espèce de romantisme du dehors chez Foucault qui est très important, très essentiel. On ne s’étonnera pas que, si voir et parler trouvent leur statut au niveau des formes d’extériorité, penser ne trouve pas son statut au niveau des formes d’extériorité, penser trouve son statut au niveau et par rapport au dehors. Penser c’est le rapport avec le dehors. Bon, mais qu’est-ce qu’il veut dire ? Avant de savoir... je procède toujours avec la même méthode, avant de savoir ce que ça veut dire, nous avons tout intérêt à tirer une conséquence. Si tout ça veut dire quelque chose on a une rude conséquence, c’est que les singularités excèdent les rapports de forces, les singularités entrent dans des rapports de forces, oui, mais seulement dans la mesure où elles sont prises dans un diagramme. En tant qu’elles viennent du dehors, elles ne sont pas encore prises dans un rapport de forces. Vous voyez : il y aurait donc trois stades. Emissions de singularités [ ?], deuxième stade : ces singularités sont prises dans des rapports de forces ; troisième stade : elles sont incarnées, actualisées dans des formes, dans des formes d’extériorité. Ah oui, c’est très clair, ça ! Ah, comme c’est clair ! Hein ? très très clair, c’est rare que je sois aussi clair ! Ah oui ! Bien. Vous voulez que je répète ? Vous regretterez (rire), vous regretterez ce court moment de clarté. Eh bien, et bien... la conséquence essentielle c’est que quoi ? Que, dans le diagramme, il va y avoir de drôles de singularités. Il va y avoir les singularités prises dans les rapports de forces, oui, ça va être : pouvoir d’être affecté - pouvoir d’affecter. Pouvoir d’être affecté et pouvoir d’affecter c’est pris dans des rapports de forces. Mais il va y avoir des singularités, comment dirais-je, un peu flottantes, des singularités qui témoignent d’un potentiel excédant le diagramme. En tant que le diagramme vient du dehors, il capte des singularités qu’il n’arrive pas à prendre dans ses rapports de forces. Si bien que, en fait, les forces ont non pas deux aspects, mais trois. On ne pouvait pas le dire avant. Premier aspect : pouvoir d’affecter. Deuxième aspect : pouvoir d’être affecté. Troisième aspect : pouvoir de résister. Résister c’est le potentiel de la force, si vous voulez, en tant qu’elle ne se laisse pas épuiser par le diagramme ou bien, ce qui revient au même, c’est le potentiel de la singularité en tant qu’elle ne se laisse pas épuiser par un rapport de forces donné dans le diagramme. Il y a des résistances. Il y a des résistances et c’est le grand texte de Foucault dans La volonté de savoir, 126-127. Je vous le lis. « Les rapports de pouvoir [ ?] ». « Les rapports de pouvoir ne peuvent exister qu’en fonction d’une multiplicité de points de résistance ». Points de résistance : il y a donc des singularités de pouvoir, soit de pouvoir être affecté soit de pouvoir affecter, mais il y a aussi des singularités de résistance qui expliquent qu’en effet il y a quelque chose qui excède le diagramme. « Ils ne peuvent exister qu’en fonction d’une multiplicité de points de résistance, ceux-ci jouent, dans les relations de pouvoir, le rôle d’adversaire, de cible, d’appui, de saillie pour une prise. Ces points de résistance sont présents partout dans le réseau de pouvoir. Il n’y a donc pas, par rapport au pouvoir un lieu du grand Refus, âme de la révolte etc., mais des résistances [c’est-à-dire des singularités] qui sont des cas d’espèces » et il nous donnera la liste. Les résistances sont l’autre terme dans les relations de pouvoir, c’est-à-dire sont le dehors des relations de pouvoir. Les relations de pouvoir sont le dehors des formations stratifiées, mais il y a encore un dehors des relations de pouvoir. Les résistances sont l’autre terme dans les relations de pouvoir. Surtout, il y aurait un contresens dont vous vous gardez, que vous ne faites pas, ce serait de dire : ah ben oui, l’autre terme, c’est pouvoir être affecté, c’est l’autre terme par rapport à pouvoir affecté. Ce n’est pas ça du tout. Pouvoir être affecté n’est pas une résistance. Pouvoir être affecté et pouvoir affecter, c’est les deux aspects de toute relation de pouvoir, mais il y a quelque chose d’autre que les relations de pouvoir, c’est la résistance au pouvoir.

D’où vient la résistance au pouvoir ? Ce serait inintelligible s’il n’y avait des singularités de résistance et les singularités de résistance ne peuvent se comprendre que si le diagramme n’enferme pas le dehors, mais est lui-même brassé par le dehors, si bien qu’il peut y avoir des points de résistance irréductibles au diagramme, vous comprenez un peu ? Et ça va être là que Foucault suggèrera, dans un texte qui ne fait pas partie d’un livre, il suggèrera quelque chose qu’on aura à voir plus profondément, à savoir que la résistance même en un sens est première par rapport à ce à quoi elle résiste.

La résistance première par rapport à ce à quoi elle résiste, thème qui me semble très important et qu’on aura à... si bien que, le rapport de pouvoir, c’est ce qui combat une résistance préalable, c’est ce qui s’efforce de vaincre une résistance préalable. La résistance n’est pas seconde, elle est première. Cette idée qui peut paraître très bizarre s’explique au moins abstraitement pour nous si vous comprenez que les diagrammes ou les rapports de pouvoir n’étaient pas le dernier mot. Les diagrammes étaient, encore une fois, des répartitions de singularités en tant que ces singularités entraient dans les rapports de forces, mais, en ce sens, tout diagramme émanait d’un dehors. Le dehors témoigne de son irréductibilité, c’est-à-dire de son irréductibilité au diagramme même, en inspirant, dans chaque diagramme, des points de résistance irréductibles. Vous comprenez ?

Et, perpétuellement les diagrammes sont en mutation, pourquoi ? Qu’est-ce que c’est la force qui oblige les diagrammes à muer ? A entrer en mutation. Il va de soi que si le diagramme n’était pas parsemé de points de résistance, il n’y aurait pas de mutations. C’est les points de résistance qui forcent et qui entraînent une mutation du diagramme, c’est-à-dire un second tirage qui vient du dehors, non moins que le précédent, qui aura aussi ses points de résistance, et un troisième tirage etc. qui va, donc, déterminer... pas déterminer, qui va enclencher...

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