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13- 25/02/1986 - 2

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Gilles Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 13 - 25/02/1986 - 2

... conclu à un non-rapport entre les deux. Et c’est maintenant qu’on est en mesure de répondre. Voir et parler constituent deux lignes fondamentales de différenciation. C’est en ce sens qu’ils sont en non-rapport. Voir et parler divergent. Pourquoi, au sein de leur non-rapport, sont-ils quand même en rapport ? Comment expliquer qu’un rapport surgisse du non-rapport, au point qu’une bataille entre les deux soit possible ? Vous voyez la réponse, c’est que la différenciation, la divergence des deux formes est, en fait, l’actualisation du même élément informel, les rapports de forces ou de pouvoir. C’est justement parce que les rapports de forces ou de pouvoir sont informels qu’ils peuvent s’actualiser dans deux formes divergentes qui, pour leur compte et par elles-mêmes, sont en non-rapport, mais qui entrent nécessairement dans un rapport indirect l’une avec l’autre en vertu de ce qu’elles actualisent. Du coup, dernière question : mais pourquoi la différenciation fondamentale voir-parler convient-elle à l’actualisation des rapports de forces ? La réponse serait celle-ci : c’est que la force est toujours en rapport avec d’autres forces.

En d’autres termes, la force est multiple, mais chaque force comme élément d’une multiplicité a déjà deux aspects : elle a un pouvoir d’être affectée par d’autres forces et elle a un pouvoir d’affecter d’autres forces. Le pouvoir d’une force d’affecter d’autres forces on l’appellera spontanéité de la force, c’est pas des mots de Foucault mais peu importe puisque c’est pour rendre les choses plus claires...Le pouvoir de la force d’être...

La variation du rapport d’une force avec d’autres forces. Tantôt elle est affectée par les autres, tantôt elle affecte les autres. Mais, si vous vous rappelez nos acquis du premier trimestre, quand on analysait le savoir, le visible nous avait paru la forme de réceptivité. Cette fois-ci la forme, hein, non plus le pouvoir. Le visible était forme de réceptivité sous la condition de la lumière. L’énoncé était la forme de spontanéité sous la condition du langage. Dès lors on comprend que les deux pouvoirs de la force, pouvoir de spontanéité, pouvoir de réceptivité, s’actualisent dans deux formes différenciées dont il faut bien que l’une soit une forme de réceptivité, l’autre une forme de spontanéité. Donc ce n’est pas par hasard que les rapports de pouvoir s’actualisent dans le voir et dans le parler. Non pas que le pouvoir, qui consiste en rapports informels, voie lui-même et parle lui-même, mais, comme dit si bien Foucault, le pouvoir fait voir et fait parler. Lui-même, qu’est-ce qu’il est, le pouvoir ? Lui-même, la conception que Foucault se fait du pouvoir, c’est très analogue à une espèce de conception kafkaïenne du terrier. Le pouvoir, c’est un terrier, c’est une galerie, c’est une galerie qui va d’une point à un autre. Le pouvoir, c’est la taupe. La galerie, le terrier, la taupe alors d’un point à un autre. A la limite le pouvoir est aveugle et muet. Mais il fait voir et il fait parler. Comme dit Foucault dans des textes très émouvants, dans La vie des hommes infâmes :" il nous tire à la lumière de brefs instants et il nous force à parler par moment". Une plainte est déposée contre moi. C’est très kafkaïen, pensez au Procès, voilà que, dans mon existence obscure, à la lettre, dans mon existence infâme, c’est-à-dire sans réputation, je suis tiré à la lumière, comme on dit : je suis pris sous un projecteur. Je fais mon petit tour et puis je m’en vais, quoi, hein. C’est ça le pouvoir, il nous tire, il nous flanque sous un projecteur et puis, bon, allez, t’as fait ton temps. C’est ça les rapports de forces, hein. Il me force à parler. Il me force à parler. « Tu parleras le mardi de 9h, de 10h... », et puis, après, je suis rendu à mon existence muette. Quelqu’un qui est assoiffé de pouvoir, c’est quelqu’un qui voudrait tout le temps être sous le projecteur, tout le temps amené à parler.

Alors on a prévu ça : les colloques... euh... ou bien la vie nocturne, le néon, vous êtes tirés là, bon... Alors, bien. Le pouvoir il fait parler, il fait voir, il montre, il ne voit pas lui-même, il montre, il ne parle pas lui-même, il force à parler. Donc ce qui m’intéresse, c’est que... Qu’est-ce que c’est la question que je vous pose ?... à savoir : est-ce que nous avons bien répondu à notre question, si je regroupe tout ce qu’on a fait depuis le début ? Est-ce que nous donnons une réponse au problème que nous avions, à savoir, quels sont les rapports entre voir et parler si, par eux-mêmes, ils sont dans un non-rapport ? Il fallait dépasser l’axe du savoir, s’installer dans l’axe du pouvoir, découvrir le contenu de l’axe du pouvoir pour comprendre comment les rapports de pouvoir en s’actualisant dans les formations stratifiées créent nécessairement deux formes divergentes, le voir et le parler, et comment ces formes, dès lors, étaient dans un rapport indirect, bien que directement il n’y ait pas de rapport. Si bien que je dirai : lorsque je parlais d’une espèce de kantisme de Foucault, oui, oui, si je vous rappelle que, chez Kant, il n’y avait pas du tout le même problème, mais un problème analogue. Kant avait déterminé une forme de réceptivité : l’espace, peu importe, peu importe que, chez Foucault, ce soit la lumière et pas l’espace. Et il avait déterminé une forme de spontanéité : le concept, spontanéité de la force. Peu importe que, chez Foucault, ce soit l’énoncé et pas le concept. Ce qui m’importe c’est que, chez Kant, la forme de spontanéité « concept » et la forme de réceptivité « espace-temps » différaient en nature. Et Kant se heurtait à la question : puisque l’espace-temps d’une part et, d’autre part, le concept diffèrent en nature, comment expliquer que les concepts s’appliquent à l’espace et au temps ? Comment expliquer que, malgré la différence de nature, il y ait coadaptation entre la forme de spontanéité, concept, et la forme de réceptivité, l’espace-temps ? Et Kant disait : c’est un grand mystère. Que les concepts puissent s’appliquer à l’espace-temps alors qu’il y a différence de nature entre les concepts et l’espace-temps, c’est vraiment mystérieux. Il disait : ça n’est possible que parce qu’il y a une troisième instance.

Mais, vous le comprenez tout de suite, cette troisième instance ne peut pas être une forme. Et il disait : cette troisième instance, il l’appelait le schème de l’imagination. Le schème de l’imagination dont il disait : c’est dans notre âme, la faculté la plus mystérieuse, car le schème de l’imagination, il est d’une part homogène à l’espace et au temps, d’autre part homogène au concept. Ce qui donnait : l’espace-temps et le concept sont hétérogènes, mais il y a une instance, ce sont deux formes hétérogènes, mais il y a une instance non-formelle qui est homogène à chacune des deux ; vous voyez : c’était très curieux.

En effet le schème, c’est très curieux. Qu’est-ce qu’on appelle un schème ? C’est pas la même chose qu’une image, c’est une détermination spatiotemporelle, c’est un dynamisme spatiotemporel conforme à un concept. Vous pouvez faire l’expérience, pour avoir des schèmes de l’imagination, c’est très amusant. Euh. Il y avait une école de psychologie, euh, il n’y a pas très très longtemps, qui se réclamait de Husserl et qui faisait tout le temps ce qu’ils appelaient des expériences de pensée, comme ça, ça consistait en gros et ils employaient le même terme, souvent, de schème. On se donnait un concept et puis vous essayiez d’avoir non pas une image correspondant au concept, mais un schème du concept.

C’est rigolo, ça ; vous ferez ça chez vous, hein ? Par exemple : concept de lion. Concept de lion, c’est la définition, par exemple, du lion dans une classification d’histoire naturelle. Mammifère à crinière à longues dents, etc. vous voyez ? ça, c’est un concept. Une image de lion, vous voyez aussi ce que c’est. Mais un schème de lion, c’est quoi ? Quel dynamisme spatiotemporel mettez-vous sous le mot « lion » ? Ça peut varier d’après.... Je sais pas, d’ailleurs, dans quelle mesure ça peut varier, c’est très, très amusant, enfin si l’on peut dire. Ahh. Et, pour que vous compreniez mieux, il faudrait faire du schématisme différentiel, car le schématisme...bien, une que j’ai découragée... euh... Car le schématisme, il est différentiel ; comparez le schème du pou et le schème du lion. Le pou, lui-même a un concept car il n’y a pas d’objet si petit soit-il dans la nature et si nocif soit-il qui n’ait son concept. Mais le schème, quel est le dynamisme spatiotemporel du pou ? Quelle est sa manière d’être à l’espace et au temps ? Ça ne fait pas partie de son concept, ça. Vous aurez beau retourner dans tous les sens le concept de lion, vous ne vous y verrez pas sa manière d’être à l’espace et au temps, à savoir... et encore j’en dis trop, c’est trop de l’image ce que je vais dire. Vous commencez par vous dire : le lion dort toute la journée, hein ; bon. Puis il se réveille quand le soir vient, 5 heures du soir, le lion ouvre l’œil, il hume l’air et il voit s’il y a de l’antilope hein, et c’est la lionne qui chasse. Bon, tout ça. Bien. Essayez de supprimer ce qui reste d’images là-dedans, vous ne gardez que de purs dynamismes, des dynamismes spatiotemporels. Bon, le schème. Vous approchez du schème, des pures directions, des pures directions dans l’espace-temps. C’est ça, vous n’évoquez pas un lion particulier mais vous n’évoquez pas non plus des caractères conceptuels, vous évoquez de pures orientations ou directions, des dynamismes. Il y a un dynamisme du lion qui est le plus beau portrait du lion. Ou bien, euh, vous évoquez le poulpe et l’aigle. Hein. Le poulpe et l’aigle. Vous voyez, vous pouvez les penser comme concepts, vous pouvez vous donner une image. Un poulpe qui vous est familier par exemple, que vous aimez particulièrement. Et puis un aigle. C’est ni image ni concept, le schème. Euh, le schème, le dynamisme spatiotemporel, ça va être à la fois : la manière dont l’aigle vole, qui n’est pas la même chose que la manière dont une buse vole ou dont un épervier vole. La manière dont l’aigle tombe, car ce qui compte c’est toujours la descente, ce n’est jamais la montée chez les oiseaux de proie, c’est évident. C’est ou bien la manière dont ils planent ou bien la manière dont ils fondent. Voilà un schème. Vous imaginez un aigle, vous retenez le pur dynamisme spatiotemporel. C’est ça un schème. Euh tandis que, le poulpe, c’est pas ça du tout hein. Vous ne pouvez pas confondre un dynamisme d’aigle et un dynamisme de poulpe. Le poulpe, c’est pas le geste rapace. Si vous pensez un geste rapace à l’état pur, sans savoir ?, là vous aurez un schème d’oiseau de proie. Un geste rapace qui vient d’en haut. Je dirai : ça c’est le schème de l’oiseau de proie. Un truc, là. Si vous pensez à un mouvement à lanières multiples, mais « lanières » c’est déjà trop une image... à chemins multiples, avec des trucs qui collent, avec un « quelque chose qui colle, vous supprimez au maximum les images pour extraire le schème pur c’est-à-dire une manière d’être à l’espace-temps, et ça vous tenez un schème. Vous comprenez ?

Et qui a fait ça pour le poulpe et l’aigle ? Qui a toujours défini les animaux par des schèmes dynamiques ? Lautréamont. Lautréamont ne décrit jamais un animal, il énonce le geste dynamique. C’est jamais agréable puisqu’il en sort toujours des catastrophes, mais c’est ça un schème. Or je ne dis pas que... Lorsque Kant.... Tout ceci c’est pas, c’est pas du Kant que je vous raconte. C’est pour vous faire comprendre ce que Kant entend par schème, lorsqu’il nous dit un schème de l’imagination n’est ni une image, ni un concept, ce n’est ni une image, ni un concept, c’est autre chose, c’est un ensemble de déterminations spatiotemporelles qui correspondent au concept.

-  Je dirai que le schème est homogène à l’espace est au temps puisqu’il consiste lui-même en dynamismes spatiotemporels, mais il est d’autre part homogène au concept puisqu’il correspond au concept lui-même. Si bien que je peux dire : le concept d’une part et l’espace-temps d’autre part diffèrent en nature, sont hétérogènes l’un avec l’autre et, pourtant, le schème de l’imagination est homogène, d’une part, à l’espace-temps, d’autre part, au concept. C’est ça l’admirable théorie du schématisme chez Kant. Or je dis juste que, chez Foucault, vous avez quelque chose de semblable. Le visible et l’énonçable sont hétérogènes. Ils sont dans un non-rapport. Ce sont deux formes en non-rapport. Mais il y a un élément informel qui va agir comme cause de leur mise en rapport. Simplement, chez Foucault, ce ne sera pas le schème de l’imagination, ce sera les rapports de forces ou de pouvoir et le rapport de forces sera à la fois homogène à la forme du voir et homogène à la forme de l’énoncer, bien que les deux formes soient difformes, c’est-à-dire ne soient pas homogènes, soient hétérogènes.

C’est en ce sens que le problème auquel nous nous heurtions à la fin de notre étude sur le savoir chez Foucault trouve ici sa solution : a savoir, ce sont les rapports de pouvoir qui expliquent la coadaptation des deux formes de savoir. Voilà la récapitulation de... que je voulais faire... Et là, je vous lance un appel solennel, bien solennel : est-ce que c’est clair ? Est-ce qu’il y a lieu de revenir ? Parce que, pratiquement, on a fini - pratiquement je dis car en fait on va en avoir encore pour un certain temps, vous allez comprendre pourquoi - on a pratiquement fini notre analyse du pouvoir chez Foucault. Donc : est-ce qu’il y a encore des points obscurs ? Est-ce qu’il y a encore des choses qui... Il faudrait que notre récapitulation, là, maintenant, ait été lumineuse, ce dont je ne suis pas sûr. C’est à vous de dire, hein, s’il y a lieu de revenir ou si je peux avancer. Essentiel parce qu’on ne reviendra pas sur tout ça, maintenant. C’est le moment où jamais.
-  question : inaudible
-  Deleuze : d’immanence ?
-  Question : inaudible
-  Deleuze : au sens général du mot, c’est-à-dire heu... je veux dire... en un sens où tout, où toute personne employant le terme « cause immanente » doit être d’accord sur ce point, là, qui ne fait pas de discussion. C’est : une cause est immanente lorsqu’elle n’a pas besoin de sortir de soi pour produire son effet et que l’effet reste en elle. Vous voyez, on distingue... oui, alors, ça m’amène à des... On distingue en gros, il y a une liste des causes infinie ça fait partie des belles choses de la philosophie. Mais on retient en général trois grands types de cause. En fait on en retient beaucoup plus, mais on va s’en tenir à trois. Cause efficiente, cause émanative, cause immanente. Car la philosophie, c’est comme les mathématiques, vous n’en ferez pas si vous n’apprenez pas et si vous n’avez pas appris... je veux dire : on ne peut pas dire n’importe quoi, donc c’est très... c’est aussi précis que des définitions mathématiques, et il faut distinguer en philosophie ce qui est susceptible de discussion - en quel sens discussion - et ce qui est indiscutable. Là c’est du domaine ..., ça se discute pas, c’est comme ça. La cause efficiente se définit ainsi : c’est une cause qui a besoin de sortir de soi pour produire son effet. Elle sort de soi pour produire son effet et son effet lui est extérieur, c’est-à-dire en est réellement distinct. Exemple : Dieu est cause du monde. Dieu sort de soi pour produire le monde et le monde est extérieur à dieu. Je dirai : Dieu est cause efficiente du monde. Cause émanative : c’est une cause dont l’effet est extérieur, mais qui n’a pas besoin de sortir de soi pour le produire. C’est une cause qui reste en soi pour produire son effet, mais l’effet est extérieur à la cause. On dira que l’effet émane de la cause.... Transitive c’est efficiente. Oui : cause efficiente ou transitive. Euh, cause immanente, vous voyez : ça fait une échelle, c’est une échelle de progression. Cause immanente : la cause reste en soi pour produire et l’effet qu’elle produit lui est intérieur, reste dans la cause. Entre ces trois types de causes, vous avez toutes les transitions possibles, c’est ça qui fait que ça peut se multiplier à l’infini, les types de causes. Par exemple Dieu et le monde. Dieu et le monde, et bien, à votre goût ; est-ce que Dieu est cause efficiente ? Est-ce qu’il est... euh... Tiens, par exemple, cas d’une cause émanative : je dirai, c’est pas sûr d’ailleurs, mais à première vue, je dirai : non plus Dieu est le monde, qui, du point de vue du christianisme, c’est une cause efficiente ou transitive. Dieu crée le monde. Cas d’une cause émanative : l’araignée et la soie, mais comme disait le grand philosophe Hume, qu’est-ce qui me prouve que Dieu n’est pas une araignée ? C’est une question importante, si Dieu était une araignée... Parce que si Dieu était une araignée, à ce moment-là, le monde ne serait pas l’objet d’une cause efficiente mais l’objet d’une cause émanative. La soie émane de l’araignée. En effet, l’araignée reste en soi pour produire - reste en soi : S O I - l’araignée reste en elle-même pour produire, hein ? Elle reste en elle-même pour produire la soie, mais la soie, elle, elle reste pas dans l’araignée, elle forme la toile. Je dirai : l’araignée est cause émanative de la toile. La cause immanente, vous voyez, c’ets que nous seulement que la cause reste en soi pour produire, mais l’effet reste dans la cause. Spinoza est le plus grand philosophe qui a développé l’idée qu’entre Dieu et le monde il y avait un rapport d’immanence, c’est-à-dire Dieu reste en soi pour produire le monde et le monde reste en Dieu. Plotin, philosophe dit « de l’émanation », dirait en simplifiant beaucoup que Dieu est cause émanative, c’est-à-dire que le monde émane de Dieu, ça veut dire que le monde ne reste pas dans la cause. Le Christianisme nous dit au contraire que Dieu est cause efficiente, c’est-à-dire que Dieu ne reste pas en soi pour produire le monde et que le monde ne reste pas en Dieu. C’est ce qu’on appellera un point de vue créationniste. Ceci c’est pour dire ce qu’on appelle en général « cause immanente ». Et la cause immanente, chaque fois que vous employez ce mot, vérifiez qu’il est bien conforme à cette définition, car, sinon, le mot « immanent » ne convient pas. Au sens de Foucault, mais en même temps je retire ce que je dis puisque Foucault n’emploie pas le mot « immanence », il nous dit juste que pouvoir et savoir sont l’un dans l’autre. Traduire ça en termes d’immanence ne me paraît pas exagéré. Pouvoir et savoir sont l’un dans l’autre, je dirais, bon... et j’ai donné les raisons pour lesquelles je pensais qu’on pouvait dire que les rapports de forces ou de pouvoir étaient cause immanente des formes de savoir. Et, en effet, cela veut dire que les rapports de forces, c’est-à-dire la cause... ça veut dire un peu plus que ma définition générale, ça obéit au caractère de la définition générale, j’ajoute que, dans ce cas précis, il faut comprendre que la cause resterait virtuelle sans son effet, c’est-à-dire la cause immanente serait une cause dont l’effet l’actualise, c’est-à-dire l’intègre et la différencie à la fois. Donc je dirai : il faut tenir compte, à ce moment-là, de la qualité générale, du caractère général que vient de déterminer ? cause immanente et, en plus, y ajouter un caractère plus original qui est cette idée d’une cause en voie d’actualisation dans son effet. Ça répond à votre question ?  Interlocuteur : la question que j’ai posée, elle continue, c’est la même question, mais je ne suis pas d’accord que tu dises que le pouvoir inclut le savoir. Si tu dis cela [ ???] Ou il y a immanence [ ??] ou il y a une dialectique avec l’autonomie du savoir [ ?] Deleuze : pardon je ne comprends pas, tu recommences hein ? Où tu vois une difficulté ? Tu me dis : je ne suis pas d’accord, avec quoi tu n’es pas d’accord ? Interlocuteur : ? Deleuze : [il reprend la question] si je dis que pouvoir et savoir sont en présupposition tous les deux.... Oui, si je dis ça ? Interlocuteur : non, c’est pas ça. Si tu dis que le pouvoir implique le savoir, tu dis que le pouvoir implique et explique le savoir. Si tu fais ça, c’est ça que je ne comprends pas [ ?] Deleuze : écoute, tu me prends un mot, tu le changes tout seul, t’es assez grand, c’est uniquement verbal. J’ai dit « implique » par commodité, j’ai pas pris [ ?], ça n’a pas d’importance ça. Interlocuteur : c’est pas pour disputer sur un mot. C’est pour comprendre s’il y a un rapport causal du type « le pouvoir explique le savoir » ou s’il y a une double causalité, du type, à la [Gramsci ?] [ ?] Deleuze : je te dirai : d’accord, mais les deux... pour moi, à la fois, il y a autonomie des deux axes, savoir pouvoir, il y a autonomie pour la simple raison que ce sont deux axes et que, bien plus, ils diffèrent en nature. Et, en même temps, j’y peux rien, les choses elles sont compliquées, ça dépend de quel point de vue on... Si on me dit : est-ce qu’il y a différence de nature ? Je dis : oui, il y a différence de nature entre pouvoir et savoir. Dès lors, il y a autonomie. Si on me dit : dans quel rapport sont-ils l’un avec l’autre ? Je dis : ils sont dans un rapport de cause à effet, simplement et il y a toute une sphère de l’autonomie de l’effet, et pourtant c’est de l’immanence. Alors, qu’est-ce que ça veut dire, ça ? Il y a bien hétérogénéité entre les deux axes, il y a différence de nature donc autonomie de chaque axe. Mais en même temps l’axe du pouvoir resterait virtuel s’il ne s’incarnait pas, s’il ne s’actualisait pas dans les formes du savoir. Ce qui n’empêche pas... - les formes du savoir sont effet qui actualise la cause - ce qui n’empêche pas que ces effets ont une autonomie puisqu’ils intègrent leur propre cause et ils différencient leur propre cause. Alors je dirai : c’est tout à la fois ; c’est compliqué, tout dépend, il y a un niveau où il y a autonomie stricte, il y a un autre niveau où il y a présupposition réciproque, il y a un autre niveau où il y a causalité. Si bien que je crois que il n’y a aucune, aucun des points de vue qui supprime l’autre, il me semble. Euh, il y avait une phrase qui me paraît assez typique dans La volonté de savoir, c’est page 130. Voilà , ça me paraît typique. « Entre techniques de savoir et stratégies de pouvoir, nulle extériorité », là ce serait... je dis : « nulle extériorité » ça veut dire : il y a immanence. « même si elles ont leur rôle spécifique ». « Même si elles ont leur rôle spécifique » c’est : différence de nature. « ...et qu’elles s’articulent l’une sur l’autre ». « Qu’elles s’articulent l’une sur l’autre », c’est présupposition réciproque. « , à partir de leur différence ». Là il y a tout dans... Il y a l’immanence, pourtant l’autonomie, la fonction spécifique de chacun, l’extériorité... non, l’articulation, mais attention articulation à partir de leur différence de nature. Là je crois, oui, pour répondre à ta question que je comprends maintenant, on partira donc de ce qu’on pourrait appeler les foyers de pouvoir-savoir. Ouais, je... ça répond un peu à ce que ? Interlocuteur : ?? Deleuze : c’est contradictoire pour toi, bon. Je ne veux pas... oui. Vous avez complètement le droit de penser que ça ne marche pas, moi je trouve que ça marche. Alors, si tu penses que ça ne marche pas il y a deux choses : ou bien c’est moi qui marche pas dans ce que je dis sur Foucault ou bien c’est Foucault qui ne marche pas. Je préfèrerais en effet que tu penses... euh... qu’est-ce que je préfèrerais ? Moi je crois que tu as le droit, mais que, à ce point, on pourrait parler longtemps et qu’on ne se convaincrait pas, hein ? Moi je ne vois pas bien en quoi tu vois une contradiction et puis, même s’il y a une petite contradiction, il s’agit plus pour moi de savoir si ça rend compte, alors, des mixtes concrets tout ce qu’il nous dit. si ça se contredit, bah... c’est jamais très grave les contradictions, hein ! Moi j’en vois pas. J’en vois pas. Moi je crois que, si tu vois une contradiction, c’est que, dans ta tête, même si c’est pas clair encore, tu voudrais que les rapports pouvoir-savoir soient posés autrement, c’est parce qu’en fait tu as dans l’idée une autre position du problème, une fois dit que cela va de soi que Foucault n’épuise pas toutes les manières de poser les rapports pouvoir-savoir. Euh, c’est parce que tu as l’idée d’une autre manière de poser le problème, mais, à ce moment-là, ça sort de notre... je crois parce que, personnellement je ne vois aucune contradiction. Alors ce que tu dis : une contradiction, ça vaudrait également contre Spinoza, ça vaudrait contre toute pensée de l’immanence, parce que l’immanence n’a jamais prétendu que l’effet n’ait pas de spécificité. Pour Spinoza par exemple le monde reste en en Dieu. Dieu produit le monde mais c’est une production d’immanence, donc le monde reste en Dieu qui le produit. Et ça n’empêche pas qu’entre le monde et Dieu il y a une différence de nature ; seulement, nous dit Spinoza, ce n’est pas une distinction réelle. Le monde n’est pas distinct... le monde... ouais, ne se confond pas avec Dieu, mais n’est pas réellement distinct de Dieu. Spinoza dira, dans ses termes à lui, il y a une distinction modale entre le monde et Dieu, il n’y a pas de distinction réelle. Alors, je ne sais pas moi, tu as lu Spinoza ? Un peu ? Est-ce que tu vois des contradictions dans Spinoza ?
-  Interlocuteur : Non, pas du tout, mais justement,
-  Deleuze : pas du tout ? Ben alors ?
-  interlocuteur : chez Spinoza Dieu n’implique pas le monde
-  Deleuze : mais si
-  interlocuteur : il explique le monde
-  Deleuze : et c’est pareil... et non, c’est pas du tout pareil ! Qu’est-ce que tu veux dire ? C’est le monde qui implique Dieu et qui explique Dieu. Encore une fois, je reprends mon terme parce que c’est pas moi qui l’invente : Dieu complique le monde et le monde implique et explique Dieu.
-  interlocuteur : tu réponds sur Spinoza, c’est pas la question
-  Deleuze (en riant) : quel argument lâche, tu me lances tout d’un coup
-  interlocuteur : je suis d’accord avec ton livre sur Spinoza. C’est le rapport entre l’explication et l’implication.
-  Deleuze : que c’est étrange, ce que tu me dis là ! Compliquer par définition, c’est tenir ensemble. Il n’y a que Dieu qui puisse compliquer le monde. Non ?
-  interlocuteur : oui
-  donc Dieu, et c’était une formule de certains auteurs du Moyen-Age, Deus complicans, c’est beau : Dieu il complique tout ! Mais chacun de nous, ou bien le monde, implique Dieu et explique Dieu ; ou bien on dira que Dieu s’explique à travers le monde. Alors Dieu n’explique pas : il s’explique. Bon, là, ça va ?
-   ?
-  il s’explique, mais il n’explique pas, Dieu. Il s’explique à travers le monde et ce qui explique Dieu, c’est le monde. Je dis ça parce que, en effet, pour ceux qui ne suivent pas, vous avez, surtout autour de la Renaissance, mais entre le néo-platonisme, vous avez là une trinité de notions extrêmement intéressante qui est implicare, explicare, complicare. Compliquer, impliquer, expliquer. Et, du Moyen-Age à la Renaissance, il y a toute une tradition où ils développent toute une théorie de la complication, de l’explication et implication et qui est très importante pour une logique du Moyen Age et de la Renaissance et c’est très beau. Bien. Est-ce qu’il y a d’autres points ?
-  interlocuteur (un autre ou le même) : Pourquoi il y a primat de l’indicible sur l’énoncé
-  . Deleuze : en fait voilà, forcément quand je parle de Foucault, je suis forcément amené à m’avancer un peu. Je ne peux pas dire, je ne peux pas vous sortir un texte où Foucault dit : il y a primat. Qu’est-ce qui me fait dire : tout se passe comme s’il y avait primat chez Foucault de l’énoncé sur le visible ? Plusieurs choses. La principale est celle-ci : c’est qu’il y a un livre, L’archéologie du savoir. Et dans L’archéologie du savoir, Foucault ne parle pas, comme dans ses livres précédents, il ne parle pas du visible et de l’énonçable. En revanche il fait la plus pure et la plus complète théorie de l’énoncé dans cet ouvrage, et le visible a disparu et, au lieu d’une dualité, énoncer- voir ou énonçable-visibilité, au lieu d’une telle dualité, il y a une dualité milieu discursif, formation discursive - à quoi répond l’énoncé - et milieu...

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien